Jazz live
Publié le 24 Juil 2018

Jazz à Junas : Archie Shepp Attica Blues big band

Tonnerre dans le Gard. Face à la menace d’orage, la deuxième partie est devenue première partie, et la première partie initiale a été annulée. Pas de Pierre Durand Roots Quartet donc, mais directement l’Attica Blues big band avant le déluge. Cet article se propose d'apporter un éclairage complémentaire au compte-rendu de Robert Latxague déjà publié sur ce site.

D’abord souligner la passion des bénévoles s’affairant toute la journée aux fourneaux et à mille autres tâches sur le site spectaculaire des Carrières. Tout est pensé avec bon sens et simplicité pour rendre le séjour agréable aux spectateurs et musiciens. Plaisir de constater aussi que les insectes n’ont pas disparu partout, et que cette vaste campagne proche de la Camargue abrite quantités de nos amis à six pattes, criquets, papillons, fourmis, frelons, en plus des omniprésentes et monomaniaques cigales. A Junas, les rues portent le nom de musiciens de jazz – et pas seulement pour la durée du festival. Un saxophoniste géant orne en peinture la hauteur d’un château d’eau. Ici, on aime le jazz. Les conversations sur le site le confirment. Le festival a 25 ans et chacun se remémore des anecdotes de précédentes éditions.

Archie Shepp (ts, ss), Jean Philippe Scali (dir, as), François Théberge, Virgil Lefebvre (ts), Thomas Savy (bs), Alexis Bourguignon, Olivier Miconi, Christophe Leloil (tp), Sébastien Llado, Simon Sieger, Michel Ballue (tb), Carl-Henri Morisset  (p), Pierre Durand (g), Alune Wade (elb), Steve McCraven (dm), Marion Rampal, Djany (voc). Vendredi 20 juillet.

Ensuite préciser que j’ai manqué plusieurs apparitions festivalières récentes de Shepp pour cause de distance géographique (il a joué récemment à New York, Paris, Montréal, Porquerolles, avec des formations différentes), et que c’était là une occasion à ne pas laisser passer. Ses derniers concerts vus en direct remontent à une dizaine d’années, l’un en quartette associé à un groupe de musique Gnawa (le disque était plus réussi que le concert, durant lequel la rythmique avait du mal à accorder ses violons avec les qraqebs des marocains), l’autre en duo avec Bernard Lubat, les deux hommes se relayant à la voix et… au piano.

Défilent donc ce soir, sur des arrangements de Jean-Philippe Scali, et présentés par Archie qui les replace dans leur contexte historique (la révolte de la prison d’Attica, les brutalités policières d’un autre temps… à moins que ce ne soit de notre temps?) plusieurs titres de gloire du maître, autour de l’album « Attica Blues » (1972) mais pas seulement. On fait aussi appel à l’antérieur « Mama Too Tight » et au postérieur « The Cry of My People ». Sans surprise, la setlist se compose de Quiet Dawn, Blues for Brother George Jackson, The Cry of my people, Steam (peut-être la composition la plus célèbre de Shepp, à égalité avec Blasé), Come Sunday (Duke Ellington), Mama too tight (décalque du révolutionnaire Papa’s got a brand new bag de James Brown, dont ce morceau reprend les accents caractéristiques), Ballad for a child (précédemment chanté par Amina Claudine Myers), Goodbye Sweet Pops (pour Louis Armstrong), Ujamaa et bien sûr Attica Blues, soit une majorité de compositions de Calvin (ou Cal) Massey, trompettiste aujourd’hui méconnu et disparu l’année de la parution de l’album original sur Impulse!. Par rapport au disque-remake « I Hear the Sound » et aux concerts donnés dans la foulée, la formation est réduite : dix-sept musiciens au lieu de vingt-trois, et plusieurs ont changé; par exemple, le batteur Don Moye n’est plus du groupe tandis que la chanteuse Djany l’a rejoint. Les copieuses répétitions de l’après-midi ont donné à entendre un Shepp en bonne forme vocale et musicale, et des arrangements prometteurs. Le soir, ce fut moins bien, non de la part de Shepp égal à lui-même, mais par des plans pas toujours en place, malgré les qualités individuelles des intervenants, avec aussi ce côté solennel qui colle à ses groupes depuis un bout de temps sans que cela semble toujours servir le propos – quelques solistes, comme le guitariste Pierre Durand, se lâchent et animent un peu l’ensemble, auquel j’adresserai les reproches paradoxaux de n’être pas assez carré mais pas assez libre non plus.

Bien sûr, dans un big band, il vaut mieux avoir un cadre, à moins de vouloir donner dans la glorieuse cacophonie d’un « Echo » de Dave Burrell, album sur lequel jouait Shepp, à la période faste du free jazz. A ce titre le pianiste Carl-Henri Morisset tient bon la barre, et ce serait mentir que de nier le plaisir pris à entendre ces morceaux en direct, dans un cadre merveilleux et avec une assez bonne acoustique. La voix de Shepp a gardé toute sa puissance et sa profondeur (avec cet inimitable vibrato…) et ses prises de parole au soprano et au ténor sont toujours stimulantes, mélange d’âpreté et de velours, bien qu’il n’y ait pas de solo épique à signaler. Les spectateurs sont quant à eux ravis de partager cette tranche de jazz, la légende est là, et malgré l’absence de réelle surprise, le charme opère. Alors que la musique s’achève, les premières gouttes se changent en trombes d’eau et tout le monde se replie sous les tentures, bénévoles et musiciens, Archie Shepp inclus, qui signera avec le sourire cédés et vinyles, dont un live au Japon rarement aperçu, sa discographie recelant décidément quantité de galettes méconnues et qui mériteraient que l’on s’y penche.

David Cristol

Photos : RI Sutherland-Cohen (Shepp) et DC (Junas)

Illustration : Ton van Meesche

Merci à Lou Prigent, Guy Lochard, Ronald, Cédric…