Jazz live
Publié le 28 Juin 2014

Le Stéphane Kerecki 4tet et le DPZ 5tet ouvrent le Respire Jazz Festival

Hier, 27 juin, le quartette de Stéphane Kerecki avec le pianiste John Taylor et le DPZ Quintet de Thomas de Pourquery et Daniel Zimmermann ouvraient le Respire Jazz Festival au Sud des Charentes.

 

Râlons un peu…

 

…ça décontracte le plexus et ça ouvre les bronches. Hier, et ce depuis plusieurs jours, le nom d’un festival de jazz revenait à intervalles réguliers sur les ondes de France Culture. Rêvait-on ? Non, on annonçait l’annulation de la première journée du festival Orléans Jazz. De même qu’il y a quelques jours on nous faisait entendre la musique d’Horace Silver dont la chaîne n’aurait jamais annoncé un concert de son vivant (ou alors en un temps où le jazz était encore considéré comme objet artistique digne de l’intérêt de la chaîne culturelle de Radio France). Ce qui me faisait écrire : « France Culture, la radio pour laquelle un bon jazzman est un jazzman mort. » Ce qui n’est pas exact, car il faut être juste : avant même l’annonce de l’annulation de la première journée d’Orléans, Mathieu Conquet– dans sa rubrique Ça nous arrive en musique, où chaque matin il parle de toutes les musiques, en contournant soigneusement toute musique instrumentale ayant moins d’un siècle – avait signalé la présence de Gregory Porter dans les festivals de jazz d’été. Ce n’est pas que l’on déteste Gregory Porter à Jazzmag qui l’a mis en couv’ en un temps où Conquet ne savait pas son nom. Corrigeons donc : « France Culture, la radio pour laquelle un bon jazzman est un jazzman mort… ou un chanteur. »

 

Car, je l’ai déjà dit, mais il faut le redire tant que ce scandale persiste, le monde de la culture en France, et les programmes musicaux de France Culture en sont symptomatiques, semble avoir perdu tout contact avec le fait musical, et ne plus savoir l’appréhender que par ses à-côtés : le texte chanté, la dimension scénique, les arrière-plans people et le marketing. Et Gregory Porter, en plus, il porte une cagoule. Sur un temps de paroles à l’antenne d’une à deux minutes, parler de la cagoule de Gregory Porter, c’est pain béni. Les Jazzmen, c’est comme les Nègres. Ils se ressemblent tous. Gregory Porter, vous le reconnaîtrez, il porte une cagoule. Hein !? (Mathieu Conquet qui n’a jamais l’air trop sûr des petites fiches qu’il lit à l’antenne, ponctue ainsi ses phrases).

 

L’écosystème de Respire jazz

 

Vous avez compris pourquoi l’on ne parlera jamais sur France Culture du Respire Jazz Festival. Nous y voici cependant : un scène en plein air entourée de “bancs” qui sentent bon le foin coupé, au pied de l’Abbaye de Puypéroux dans le Sud Charente, 175 adhérents et une bonne part de bénévoles d’une association réunie autour des parents du guitariste de Pierre Perchaud qui en sont à l’initiative, tous initiés au jazz, au siècle dernier, par notre collaborateur Philippe Vincent, alors disquaire à Angoulême (puis patron du plus gros label de distribution indépendante en France, OMD, et fondateur d’Ida Records… Louis Sclavis, Barney Wilen, Enrico Pieranunzi, Laurent de Wilde etc.) qui tient, sur les lieux du festival, un stand de CDs et vinyles d’occasion où l’on peut trouver également les derniers numéros de Jazzmag. Le tout dans une ambiance écologique et conviviale. Et ça aussi ça ouvre les bronches.


Ouverture apéritive avec L’Enfanfare et l’Orphéon Méléhouatts, les orchestres de l’école départementale de musique dirigés par Jérémie Arnal. On sourira d’imaginer le rédacteur en chef de Jazzmag prêter l’oreille à ces balbutiements. Mais depuis mes premiers pas musicaux au Cim d’Alain Guerrini à la fin des années 70, je ne me suis jamais lassé de voir la musique poindre et c’est un plaisir de voir comment s’y prend Jérémie Arnal pour initier ces ensembles de niveaux disparates, du débutant au modeste amateur, à la pratique orchestrale (sonner ensemble, se placer dans une polyphonie, sur une pulsation) et à l’improvisation (chacun se voyant confier le libre discours de quelques mesures à quelques chorus, selon les niveaux). Et lorsque parmi ce répertoire conçu par Jérémie Arnal pour ces orchestres-là, on retrouve une adaptation de Blue Pepper tiré de la Far East Suite de Duke Ellington, on est comblé. Ceci se passait en accès libre hors de l’enceinte de l’abbaye, mais il nous faut maintenant entrer pour le concert du soir : 19 et 15 €. Pass 2 jours : 30 et 24 €. Pass trois jours : 45 et 39 € (tarifs réduits pour les adhérents, Rmistes, chômeurs, étudiants, écoles de musique, gratuit pour les moins de 15 ans).

 

Stéphane Kerecki 4tet : Antonin Tri Hoang (sax alto, clarinette basse), John Taylor (piano), Stéphane Kerecki (contrebasse), Fabrice Moreau (batterie).

 

Stéphane Kerecki présente ici le répertoire de son nouveau disque “Nouvelle Vague” qu’il commente abondamment dans le numéro de Jazz Magazine Jazzman livré hier dans tous les bons kiosques. Le contrebassiste y revisite les musiques des films Louis Malle, Jacques Demy, Jean-Luc Godard, François Truffaut etc. et retrouve le complice de son précédent disque, le pianiste anglais John Taylor. On commence pas se laisser vriller l’âme par les lambeaux de la musique de Georges Delerue pour le Mépris que le quintette laisse s’échapper comme les effluves d’un flacon d’essence florale. Progressivement, l’intérêt se reporte du pur effet de nostalgie – l’effet rengaine auquel nous soumet immanquablement la restitution de musiques de film – à la façon dont l’orchestre investit ces musiques, notamment celle de Bernard Hermann pour La Mariée était en noir, à travers un duo piano / batterie. On est scotché par la façon dont le piano et la batterie se tiennent l’un à l’autre, sans se lâcher, avec une répartition de l’espace hors du commun autour d’un John Taylor plus sobre qu’à l’ordinaire. On en vient à soupçonner une écriture et l’on finit par découvrir un découpage précis qui se révèle progressivement avec l’entrée de la contrebasse et permet la cohésion de ce jeu collectif hyperactif, sans jamais envahir.


Mais, plan préétabli ou pas, cette écoute mutuelle est la première qualité de ce trio dont Antonin Tri Hoang est l’invité d’un soir, puisqu’il remplace Emile Parisien, dans un esprit qui pourrait être présenté comme le contraire du titulaire, une forme de jansénisme discursif, un peu post-konitzien, une
peu post-ornettien, difficilement qualifiable, une abstraction lyrique qui joue se joue constamment des mélodies du répertoire avec des effets de “transparents”, de sous-entendus, d’ellipses jouant sur nerfs de l’auditeur, sur son désir de mélodies perçues, notamment lorsqu’il traverse en stop chorus l’allegretto de la 7ème symphonie de Beethoven comme une brume sonore qu’il laisse entendre sans la jouer. Autre grand moment, la façon dont John Taylor fait tourner la musique des 400 coups dans son gros kaelidoscope noir, la pulvérisant en une poussière d’étoiles qu’il brasse à pleine main.

 

DPZ Quintet : Daniel Zimmermann (trombone), Thomas de Pourquery (voix, saxes soprano et alto), Maxime Delpierre (guitare électrique), Sylvain Daniel (guitare basse électrique), David Aknin (batterie).

 

Ça fait tellement longtemps que Zimmermann et de Pourquery collaborent (1997) qu’ils sonnent comme un, sorte de bête à deux dos, d’hydre à deux têtes, couple siamois, et l’on sait pourtant comme ils sont différents. Mais qu’ils jouent à l’unisson ou en contrepoint, dès les premières notes, ils sonnent “ensemble”. La rythmique entre, et là c’est très fort, trop fort. En dehors du fait que ça n’est –non pas insupportable, on n’en est pas là – mais pas très agréable pour les oreilles, ça écrase la dynamique de ce quintette qui en a, ça prive les pianissimo de leur magie et ça rend les fortissimo brouillons. Vieux débat ! On fait avec et on ne peut pas faire autrement tant nous captive la musique de ce quintette qui a 10 années de pratique commune. C’est tout à la fois décontracté et tendu, léger et dramatique, joyeux et désespéré, que les deux souffleurs lancent les interjections de leur vieil Autralopithèques ou que Thomas de Pourquery se mette réciter l’adaptation d’un texte érotique de Pierre Desproges. Avec un sens de la plastique sonore individuelle et collective qui fait de cet orchestre un objet compact et irréductible à l’un de ses éléments… sauf lorsque la pluie s’abat sur la scène et qu’après avoir improvisé une conclusion du morceau en cours, ils fuient mettre leurs instruments à l’abri tandis qu’une poignée de bénévoles se précipite pour rentrer le matériel et bâcher le piano et les enceintes.

 

Jam session

 

Respire Jazz ne serait pas ce qu’il est sans sa buvette et ses jam sessions. On s’y retrouve à l’abri d’un petit préau (mais bien sûr la pluie à cessé aussitôt le piano bâché) pour la jam session emmenée par les élèves de l’Ecole de Musique de Didier Lockwood, parmi lesquels je retrouve Mathis Pascaud remarqué l’an dernier, guitariste aux idées jamais banales, toujours élégantes. On pousse John Taylor, accoudé au bar, vers le piano Fender. Il résiste, mais il ne dit pas non et, finalement, comme un vieil anglais se laisserait tenter par une partie de fléchettes, son verre de bière à la main, il s’assied au piano, s’excusant d’avoir besoin de s’asseoir un peu. Il proposera une drôle de promenade sur Les Feuilles mortes, occasion de passionnants jeux rythmiques entre lui et Pierre Perchaud. Après quoi, ce dernier prendra la basse et John Taylor cédera le clavier à Richard Poher qu’il faudra entendre aujourd’hui 28 juin à 17 au sein du quartette Elinoa avec la vocaliste Camille Durant, ainsi que demain 29 juin à 19h. Et tandis que je m’endors dans le lit de la mère supérieure de l’abbaye qui m’a été réservé, j’entends au loin la jam qui se poursuit.

 

Ce matin, le soleil nous nargue. Je repasse une conférence sur les Chants rebelles de l’Amérique noire que je dois donner à 15h30 et le ballet des chauffeurs bénévoles a commencé entre Angoulême l’Abbaye du Puypéroux pour ramener les musiciens du quartette de l’altiste Olivier Bogé (concert à 21h) et le Wunderbar Orchestra du corniste Victor Michaud (2ème partie). Demain sont attendus les trios d’Emmanuel Bex avec Francesco Bearzatti et Simon Goubert et de Leon Parker avec la chanteuse Lynn Casiers et Pierre Perchaud.

 

Franck Bergerot

|

Hier, 27 juin, le quartette de Stéphane Kerecki avec le pianiste John Taylor et le DPZ Quintet de Thomas de Pourquery et Daniel Zimmermann ouvraient le Respire Jazz Festival au Sud des Charentes.

 

Râlons un peu…

 

…ça décontracte le plexus et ça ouvre les bronches. Hier, et ce depuis plusieurs jours, le nom d’un festival de jazz revenait à intervalles réguliers sur les ondes de France Culture. Rêvait-on ? Non, on annonçait l’annulation de la première journée du festival Orléans Jazz. De même qu’il y a quelques jours on nous faisait entendre la musique d’Horace Silver dont la chaîne n’aurait jamais annoncé un concert de son vivant (ou alors en un temps où le jazz était encore considéré comme objet artistique digne de l’intérêt de la chaîne culturelle de Radio France). Ce qui me faisait écrire : « France Culture, la radio pour laquelle un bon jazzman est un jazzman mort. » Ce qui n’est pas exact, car il faut être juste : avant même l’annonce de l’annulation de la première journée d’Orléans, Mathieu Conquet– dans sa rubrique Ça nous arrive en musique, où chaque matin il parle de toutes les musiques, en contournant soigneusement toute musique instrumentale ayant moins d’un siècle – avait signalé la présence de Gregory Porter dans les festivals de jazz d’été. Ce n’est pas que l’on déteste Gregory Porter à Jazzmag qui l’a mis en couv’ en un temps où Conquet ne savait pas son nom. Corrigeons donc : « France Culture, la radio pour laquelle un bon jazzman est un jazzman mort… ou un chanteur. »

 

Car, je l’ai déjà dit, mais il faut le redire tant que ce scandale persiste, le monde de la culture en France, et les programmes musicaux de France Culture en sont symptomatiques, semble avoir perdu tout contact avec le fait musical, et ne plus savoir l’appréhender que par ses à-côtés : le texte chanté, la dimension scénique, les arrière-plans people et le marketing. Et Gregory Porter, en plus, il porte une cagoule. Sur un temps de paroles à l’antenne d’une à deux minutes, parler de la cagoule de Gregory Porter, c’est pain béni. Les Jazzmen, c’est comme les Nègres. Ils se ressemblent tous. Gregory Porter, vous le reconnaîtrez, il porte une cagoule. Hein !? (Mathieu Conquet qui n’a jamais l’air trop sûr des petites fiches qu’il lit à l’antenne, ponctue ainsi ses phrases).

 

L’écosystème de Respire jazz

 

Vous avez compris pourquoi l’on ne parlera jamais sur France Culture du Respire Jazz Festival. Nous y voici cependant : un scène en plein air entourée de “bancs” qui sentent bon le foin coupé, au pied de l’Abbaye de Puypéroux dans le Sud Charente, 175 adhérents et une bonne part de bénévoles d’une association réunie autour des parents du guitariste de Pierre Perchaud qui en sont à l’initiative, tous initiés au jazz, au siècle dernier, par notre collaborateur Philippe Vincent, alors disquaire à Angoulême (puis patron du plus gros label de distribution indépendante en France, OMD, et fondateur d’Ida Records… Louis Sclavis, Barney Wilen, Enrico Pieranunzi, Laurent de Wilde etc.) qui tient, sur les lieux du festival, un stand de CDs et vinyles d’occasion où l’on peut trouver également les derniers numéros de Jazzmag. Le tout dans une ambiance écologique et conviviale. Et ça aussi ça ouvre les bronches.


Ouverture apéritive avec L’Enfanfare et l’Orphéon Méléhouatts, les orchestres de l’école départementale de musique dirigés par Jérémie Arnal. On sourira d’imaginer le rédacteur en chef de Jazzmag prêter l’oreille à ces balbutiements. Mais depuis mes premiers pas musicaux au Cim d’Alain Guerrini à la fin des années 70, je ne me suis jamais lassé de voir la musique poindre et c’est un plaisir de voir comment s’y prend Jérémie Arnal pour initier ces ensembles de niveaux disparates, du débutant au modeste amateur, à la pratique orchestrale (sonner ensemble, se placer dans une polyphonie, sur une pulsation) et à l’improvisation (chacun se voyant confier le libre discours de quelques mesures à quelques chorus, selon les niveaux). Et lorsque parmi ce répertoire conçu par Jérémie Arnal pour ces orchestres-là, on retrouve une adaptation de Blue Pepper tiré de la Far East Suite de Duke Ellington, on est comblé. Ceci se passait en accès libre hors de l’enceinte de l’abbaye, mais il nous faut maintenant entrer pour le concert du soir : 19 et 15 €. Pass 2 jours : 30 et 24 €. Pass trois jours : 45 et 39 € (tarifs réduits pour les adhérents, Rmistes, chômeurs, étudiants, écoles de musique, gratuit pour les moins de 15 ans).

 

Stéphane Kerecki 4tet : Antonin Tri Hoang (sax alto, clarinette basse), John Taylor (piano), Stéphane Kerecki (contrebasse), Fabrice Moreau (batterie).

 

Stéphane Kerecki présente ici le répertoire de son nouveau disque “Nouvelle Vague” qu’il commente abondamment dans le numéro de Jazz Magazine Jazzman livré hier dans tous les bons kiosques. Le contrebassiste y revisite les musiques des films Louis Malle, Jacques Demy, Jean-Luc Godard, François Truffaut etc. et retrouve le complice de son précédent disque, le pianiste anglais John Taylor. On commence pas se laisser vriller l’âme par les lambeaux de la musique de Georges Delerue pour le Mépris que le quintette laisse s’échapper comme les effluves d’un flacon d’essence florale. Progressivement, l’intérêt se reporte du pur effet de nostalgie – l’effet rengaine auquel nous soumet immanquablement la restitution de musiques de film – à la façon dont l’orchestre investit ces musiques, notamment celle de Bernard Hermann pour La Mariée était en noir, à travers un duo piano / batterie. On est scotché par la façon dont le piano et la batterie se tiennent l’un à l’autre, sans se lâcher, avec une répartition de l’espace hors du commun autour d’un John Taylor plus sobre qu’à l’ordinaire. On en vient à soupçonner une écriture et l’on finit par découvrir un découpage précis qui se révèle progressivement avec l’entrée de la contrebasse et permet la cohésion de ce jeu collectif hyperactif, sans jamais envahir.


Mais, plan préétabli ou pas, cette écoute mutuelle est la première qualité de ce trio dont Antonin Tri Hoang est l’invité d’un soir, puisqu’il remplace Emile Parisien, dans un esprit qui pourrait être présenté comme le contraire du titulaire, une forme de jansénisme discursif, un peu post-konitzien, une
peu post-ornettien, difficilement qualifiable, une abstraction lyrique qui joue se joue constamment des mélodies du répertoire avec des effets de “transparents”, de sous-entendus, d’ellipses jouant sur nerfs de l’auditeur, sur son désir de mélodies perçues, notamment lorsqu’il traverse en stop chorus l’allegretto de la 7ème symphonie de Beethoven comme une brume sonore qu’il laisse entendre sans la jouer. Autre grand moment, la façon dont John Taylor fait tourner la musique des 400 coups dans son gros kaelidoscope noir, la pulvérisant en une poussière d’étoiles qu’il brasse à pleine main.

 

DPZ Quintet : Daniel Zimmermann (trombone), Thomas de Pourquery (voix, saxes soprano et alto), Maxime Delpierre (guitare électrique), Sylvain Daniel (guitare basse électrique), David Aknin (batterie).

 

Ça fait tellement longtemps que Zimmermann et de Pourquery collaborent (1997) qu’ils sonnent comme un, sorte de bête à deux dos, d’hydre à deux têtes, couple siamois, et l’on sait pourtant comme ils sont différents. Mais qu’ils jouent à l’unisson ou en contrepoint, dès les premières notes, ils sonnent “ensemble”. La rythmique entre, et là c’est très fort, trop fort. En dehors du fait que ça n’est –non pas insupportable, on n’en est pas là – mais pas très agréable pour les oreilles, ça écrase la dynamique de ce quintette qui en a, ça prive les pianissimo de leur magie et ça rend les fortissimo brouillons. Vieux débat ! On fait avec et on ne peut pas faire autrement tant nous captive la musique de ce quintette qui a 10 années de pratique commune. C’est tout à la fois décontracté et tendu, léger et dramatique, joyeux et désespéré, que les deux souffleurs lancent les interjections de leur vieil Autralopithèques ou que Thomas de Pourquery se mette réciter l’adaptation d’un texte érotique de Pierre Desproges. Avec un sens de la plastique sonore individuelle et collective qui fait de cet orchestre un objet compact et irréductible à l’un de ses éléments… sauf lorsque la pluie s’abat sur la scène et qu’après avoir improvisé une conclusion du morceau en cours, ils fuient mettre leurs instruments à l’abri tandis qu’une poignée de bénévoles se précipite pour rentrer le matériel et bâcher le piano et les enceintes.

 

Jam session

 

Respire Jazz ne serait pas ce qu’il est sans sa buvette et ses jam sessions. On s’y retrouve à l’abri d’un petit préau (mais bien sûr la pluie à cessé aussitôt le piano bâché) pour la jam session emmenée par les élèves de l’Ecole de Musique de Didier Lockwood, parmi lesquels je retrouve Mathis Pascaud remarqué l’an dernier, guitariste aux idées jamais banales, toujours élégantes. On pousse John Taylor, accoudé au bar, vers le piano Fender. Il résiste, mais il ne dit pas non et, finalement, comme un vieil anglais se laisserait tenter par une partie de fléchettes, son verre de bière à la main, il s’assied au piano, s’excusant d’avoir besoin de s’asseoir un peu. Il proposera une drôle de promenade sur Les Feuilles mortes, occasion de passionnants jeux rythmiques entre lui et Pierre Perchaud. Après quoi, ce dernier prendra la basse et John Taylor cédera le clavier à Richard Poher qu’il faudra entendre aujourd’hui 28 juin à 17 au sein du quartette Elinoa avec la vocaliste Camille Durant, ainsi que demain 29 juin à 19h. Et tandis que je m’endors dans le lit de la mère supérieure de l’abbaye qui m’a été réservé, j’entends au loin la jam qui se poursuit.

 

Ce matin, le soleil nous nargue. Je repasse une conférence sur les Chants rebelles de l’Amérique noire que je dois donner à 15h30 et le ballet des chauffeurs bénévoles a commencé entre Angoulême l’Abbaye du Puypéroux pour ramener les musiciens du quartette de l’altiste Olivier Bogé (concert à 21h) et le Wunderbar Orchestra du corniste Victor Michaud (2ème partie). Demain sont attendus les trios d’Emmanuel Bex avec Francesco Bearzatti et Simon Goubert et de Leon Parker avec la chanteuse Lynn Casiers et Pierre Perchaud.

 

Franck Bergerot

|

Hier, 27 juin, le quartette de Stéphane Kerecki avec le pianiste John Taylor et le DPZ Quintet de Thomas de Pourquery et Daniel Zimmermann ouvraient le Respire Jazz Festival au Sud des Charentes.

 

Râlons un peu…

 

…ça décontracte le plexus et ça ouvre les bronches. Hier, et ce depuis plusieurs jours, le nom d’un festival de jazz revenait à intervalles réguliers sur les ondes de France Culture. Rêvait-on ? Non, on annonçait l’annulation de la première journée du festival Orléans Jazz. De même qu’il y a quelques jours on nous faisait entendre la musique d’Horace Silver dont la chaîne n’aurait jamais annoncé un concert de son vivant (ou alors en un temps où le jazz était encore considéré comme objet artistique digne de l’intérêt de la chaîne culturelle de Radio France). Ce qui me faisait écrire : « France Culture, la radio pour laquelle un bon jazzman est un jazzman mort. » Ce qui n’est pas exact, car il faut être juste : avant même l’annonce de l’annulation de la première journée d’Orléans, Mathieu Conquet– dans sa rubrique Ça nous arrive en musique, où chaque matin il parle de toutes les musiques, en contournant soigneusement toute musique instrumentale ayant moins d’un siècle – avait signalé la présence de Gregory Porter dans les festivals de jazz d’été. Ce n’est pas que l’on déteste Gregory Porter à Jazzmag qui l’a mis en couv’ en un temps où Conquet ne savait pas son nom. Corrigeons donc : « France Culture, la radio pour laquelle un bon jazzman est un jazzman mort… ou un chanteur. »

 

Car, je l’ai déjà dit, mais il faut le redire tant que ce scandale persiste, le monde de la culture en France, et les programmes musicaux de France Culture en sont symptomatiques, semble avoir perdu tout contact avec le fait musical, et ne plus savoir l’appréhender que par ses à-côtés : le texte chanté, la dimension scénique, les arrière-plans people et le marketing. Et Gregory Porter, en plus, il porte une cagoule. Sur un temps de paroles à l’antenne d’une à deux minutes, parler de la cagoule de Gregory Porter, c’est pain béni. Les Jazzmen, c’est comme les Nègres. Ils se ressemblent tous. Gregory Porter, vous le reconnaîtrez, il porte une cagoule. Hein !? (Mathieu Conquet qui n’a jamais l’air trop sûr des petites fiches qu’il lit à l’antenne, ponctue ainsi ses phrases).

 

L’écosystème de Respire jazz

 

Vous avez compris pourquoi l’on ne parlera jamais sur France Culture du Respire Jazz Festival. Nous y voici cependant : un scène en plein air entourée de “bancs” qui sentent bon le foin coupé, au pied de l’Abbaye de Puypéroux dans le Sud Charente, 175 adhérents et une bonne part de bénévoles d’une association réunie autour des parents du guitariste de Pierre Perchaud qui en sont à l’initiative, tous initiés au jazz, au siècle dernier, par notre collaborateur Philippe Vincent, alors disquaire à Angoulême (puis patron du plus gros label de distribution indépendante en France, OMD, et fondateur d’Ida Records… Louis Sclavis, Barney Wilen, Enrico Pieranunzi, Laurent de Wilde etc.) qui tient, sur les lieux du festival, un stand de CDs et vinyles d’occasion où l’on peut trouver également les derniers numéros de Jazzmag. Le tout dans une ambiance écologique et conviviale. Et ça aussi ça ouvre les bronches.


Ouverture apéritive avec L’Enfanfare et l’Orphéon Méléhouatts, les orchestres de l’école départementale de musique dirigés par Jérémie Arnal. On sourira d’imaginer le rédacteur en chef de Jazzmag prêter l’oreille à ces balbutiements. Mais depuis mes premiers pas musicaux au Cim d’Alain Guerrini à la fin des années 70, je ne me suis jamais lassé de voir la musique poindre et c’est un plaisir de voir comment s’y prend Jérémie Arnal pour initier ces ensembles de niveaux disparates, du débutant au modeste amateur, à la pratique orchestrale (sonner ensemble, se placer dans une polyphonie, sur une pulsation) et à l’improvisation (chacun se voyant confier le libre discours de quelques mesures à quelques chorus, selon les niveaux). Et lorsque parmi ce répertoire conçu par Jérémie Arnal pour ces orchestres-là, on retrouve une adaptation de Blue Pepper tiré de la Far East Suite de Duke Ellington, on est comblé. Ceci se passait en accès libre hors de l’enceinte de l’abbaye, mais il nous faut maintenant entrer pour le concert du soir : 19 et 15 €. Pass 2 jours : 30 et 24 €. Pass trois jours : 45 et 39 € (tarifs réduits pour les adhérents, Rmistes, chômeurs, étudiants, écoles de musique, gratuit pour les moins de 15 ans).

 

Stéphane Kerecki 4tet : Antonin Tri Hoang (sax alto, clarinette basse), John Taylor (piano), Stéphane Kerecki (contrebasse), Fabrice Moreau (batterie).

 

Stéphane Kerecki présente ici le répertoire de son nouveau disque “Nouvelle Vague” qu’il commente abondamment dans le numéro de Jazz Magazine Jazzman livré hier dans tous les bons kiosques. Le contrebassiste y revisite les musiques des films Louis Malle, Jacques Demy, Jean-Luc Godard, François Truffaut etc. et retrouve le complice de son précédent disque, le pianiste anglais John Taylor. On commence pas se laisser vriller l’âme par les lambeaux de la musique de Georges Delerue pour le Mépris que le quintette laisse s’échapper comme les effluves d’un flacon d’essence florale. Progressivement, l’intérêt se reporte du pur effet de nostalgie – l’effet rengaine auquel nous soumet immanquablement la restitution de musiques de film – à la façon dont l’orchestre investit ces musiques, notamment celle de Bernard Hermann pour La Mariée était en noir, à travers un duo piano / batterie. On est scotché par la façon dont le piano et la batterie se tiennent l’un à l’autre, sans se lâcher, avec une répartition de l’espace hors du commun autour d’un John Taylor plus sobre qu’à l’ordinaire. On en vient à soupçonner une écriture et l’on finit par découvrir un découpage précis qui se révèle progressivement avec l’entrée de la contrebasse et permet la cohésion de ce jeu collectif hyperactif, sans jamais envahir.


Mais, plan préétabli ou pas, cette écoute mutuelle est la première qualité de ce trio dont Antonin Tri Hoang est l’invité d’un soir, puisqu’il remplace Emile Parisien, dans un esprit qui pourrait être présenté comme le contraire du titulaire, une forme de jansénisme discursif, un peu post-konitzien, une
peu post-ornettien, difficilement qualifiable, une abstraction lyrique qui joue se joue constamment des mélodies du répertoire avec des effets de “transparents”, de sous-entendus, d’ellipses jouant sur nerfs de l’auditeur, sur son désir de mélodies perçues, notamment lorsqu’il traverse en stop chorus l’allegretto de la 7ème symphonie de Beethoven comme une brume sonore qu’il laisse entendre sans la jouer. Autre grand moment, la façon dont John Taylor fait tourner la musique des 400 coups dans son gros kaelidoscope noir, la pulvérisant en une poussière d’étoiles qu’il brasse à pleine main.

 

DPZ Quintet : Daniel Zimmermann (trombone), Thomas de Pourquery (voix, saxes soprano et alto), Maxime Delpierre (guitare électrique), Sylvain Daniel (guitare basse électrique), David Aknin (batterie).

 

Ça fait tellement longtemps que Zimmermann et de Pourquery collaborent (1997) qu’ils sonnent comme un, sorte de bête à deux dos, d’hydre à deux têtes, couple siamois, et l’on sait pourtant comme ils sont différents. Mais qu’ils jouent à l’unisson ou en contrepoint, dès les premières notes, ils sonnent “ensemble”. La rythmique entre, et là c’est très fort, trop fort. En dehors du fait que ça n’est –non pas insupportable, on n’en est pas là – mais pas très agréable pour les oreilles, ça écrase la dynamique de ce quintette qui en a, ça prive les pianissimo de leur magie et ça rend les fortissimo brouillons. Vieux débat ! On fait avec et on ne peut pas faire autrement tant nous captive la musique de ce quintette qui a 10 années de pratique commune. C’est tout à la fois décontracté et tendu, léger et dramatique, joyeux et désespéré, que les deux souffleurs lancent les interjections de leur vieil Autralopithèques ou que Thomas de Pourquery se mette réciter l’adaptation d’un texte érotique de Pierre Desproges. Avec un sens de la plastique sonore individuelle et collective qui fait de cet orchestre un objet compact et irréductible à l’un de ses éléments… sauf lorsque la pluie s’abat sur la scène et qu’après avoir improvisé une conclusion du morceau en cours, ils fuient mettre leurs instruments à l’abri tandis qu’une poignée de bénévoles se précipite pour rentrer le matériel et bâcher le piano et les enceintes.

 

Jam session

 

Respire Jazz ne serait pas ce qu’il est sans sa buvette et ses jam sessions. On s’y retrouve à l’abri d’un petit préau (mais bien sûr la pluie à cessé aussitôt le piano bâché) pour la jam session emmenée par les élèves de l’Ecole de Musique de Didier Lockwood, parmi lesquels je retrouve Mathis Pascaud remarqué l’an dernier, guitariste aux idées jamais banales, toujours élégantes. On pousse John Taylor, accoudé au bar, vers le piano Fender. Il résiste, mais il ne dit pas non et, finalement, comme un vieil anglais se laisserait tenter par une partie de fléchettes, son verre de bière à la main, il s’assied au piano, s’excusant d’avoir besoin de s’asseoir un peu. Il proposera une drôle de promenade sur Les Feuilles mortes, occasion de passionnants jeux rythmiques entre lui et Pierre Perchaud. Après quoi, ce dernier prendra la basse et John Taylor cédera le clavier à Richard Poher qu’il faudra entendre aujourd’hui 28 juin à 17 au sein du quartette Elinoa avec la vocaliste Camille Durant, ainsi que demain 29 juin à 19h. Et tandis que je m’endors dans le lit de la mère supérieure de l’abbaye qui m’a été réservé, j’entends au loin la jam qui se poursuit.

 

Ce matin, le soleil nous nargue. Je repasse une conférence sur les Chants rebelles de l’Amérique noire que je dois donner à 15h30 et le ballet des chauffeurs bénévoles a commencé entre Angoulême l’Abbaye du Puypéroux pour ramener les musiciens du quartette de l’altiste Olivier Bogé (concert à 21h) et le Wunderbar Orchestra du corniste Victor Michaud (2ème partie). Demain sont attendus les trios d’Emmanuel Bex avec Francesco Bearzatti et Simon Goubert et de Leon Parker avec la chanteuse Lynn Casiers et Pierre Perchaud.

 

Franck Bergerot

|

Hier, 27 juin, le quartette de Stéphane Kerecki avec le pianiste John Taylor et le DPZ Quintet de Thomas de Pourquery et Daniel Zimmermann ouvraient le Respire Jazz Festival au Sud des Charentes.

 

Râlons un peu…

 

…ça décontracte le plexus et ça ouvre les bronches. Hier, et ce depuis plusieurs jours, le nom d’un festival de jazz revenait à intervalles réguliers sur les ondes de France Culture. Rêvait-on ? Non, on annonçait l’annulation de la première journée du festival Orléans Jazz. De même qu’il y a quelques jours on nous faisait entendre la musique d’Horace Silver dont la chaîne n’aurait jamais annoncé un concert de son vivant (ou alors en un temps où le jazz était encore considéré comme objet artistique digne de l’intérêt de la chaîne culturelle de Radio France). Ce qui me faisait écrire : « France Culture, la radio pour laquelle un bon jazzman est un jazzman mort. » Ce qui n’est pas exact, car il faut être juste : avant même l’annonce de l’annulation de la première journée d’Orléans, Mathieu Conquet– dans sa rubrique Ça nous arrive en musique, où chaque matin il parle de toutes les musiques, en contournant soigneusement toute musique instrumentale ayant moins d’un siècle – avait signalé la présence de Gregory Porter dans les festivals de jazz d’été. Ce n’est pas que l’on déteste Gregory Porter à Jazzmag qui l’a mis en couv’ en un temps où Conquet ne savait pas son nom. Corrigeons donc : « France Culture, la radio pour laquelle un bon jazzman est un jazzman mort… ou un chanteur. »

 

Car, je l’ai déjà dit, mais il faut le redire tant que ce scandale persiste, le monde de la culture en France, et les programmes musicaux de France Culture en sont symptomatiques, semble avoir perdu tout contact avec le fait musical, et ne plus savoir l’appréhender que par ses à-côtés : le texte chanté, la dimension scénique, les arrière-plans people et le marketing. Et Gregory Porter, en plus, il porte une cagoule. Sur un temps de paroles à l’antenne d’une à deux minutes, parler de la cagoule de Gregory Porter, c’est pain béni. Les Jazzmen, c’est comme les Nègres. Ils se ressemblent tous. Gregory Porter, vous le reconnaîtrez, il porte une cagoule. Hein !? (Mathieu Conquet qui n’a jamais l’air trop sûr des petites fiches qu’il lit à l’antenne, ponctue ainsi ses phrases).

 

L’écosystème de Respire jazz

 

Vous avez compris pourquoi l’on ne parlera jamais sur France Culture du Respire Jazz Festival. Nous y voici cependant : un scène en plein air entourée de “bancs” qui sentent bon le foin coupé, au pied de l’Abbaye de Puypéroux dans le Sud Charente, 175 adhérents et une bonne part de bénévoles d’une association réunie autour des parents du guitariste de Pierre Perchaud qui en sont à l’initiative, tous initiés au jazz, au siècle dernier, par notre collaborateur Philippe Vincent, alors disquaire à Angoulême (puis patron du plus gros label de distribution indépendante en France, OMD, et fondateur d’Ida Records… Louis Sclavis, Barney Wilen, Enrico Pieranunzi, Laurent de Wilde etc.) qui tient, sur les lieux du festival, un stand de CDs et vinyles d’occasion où l’on peut trouver également les derniers numéros de Jazzmag. Le tout dans une ambiance écologique et conviviale. Et ça aussi ça ouvre les bronches.


Ouverture apéritive avec L’Enfanfare et l’Orphéon Méléhouatts, les orchestres de l’école départementale de musique dirigés par Jérémie Arnal. On sourira d’imaginer le rédacteur en chef de Jazzmag prêter l’oreille à ces balbutiements. Mais depuis mes premiers pas musicaux au Cim d’Alain Guerrini à la fin des années 70, je ne me suis jamais lassé de voir la musique poindre et c’est un plaisir de voir comment s’y prend Jérémie Arnal pour initier ces ensembles de niveaux disparates, du débutant au modeste amateur, à la pratique orchestrale (sonner ensemble, se placer dans une polyphonie, sur une pulsation) et à l’improvisation (chacun se voyant confier le libre discours de quelques mesures à quelques chorus, selon les niveaux). Et lorsque parmi ce répertoire conçu par Jérémie Arnal pour ces orchestres-là, on retrouve une adaptation de Blue Pepper tiré de la Far East Suite de Duke Ellington, on est comblé. Ceci se passait en accès libre hors de l’enceinte de l’abbaye, mais il nous faut maintenant entrer pour le concert du soir : 19 et 15 €. Pass 2 jours : 30 et 24 €. Pass trois jours : 45 et 39 € (tarifs réduits pour les adhérents, Rmistes, chômeurs, étudiants, écoles de musique, gratuit pour les moins de 15 ans).

 

Stéphane Kerecki 4tet : Antonin Tri Hoang (sax alto, clarinette basse), John Taylor (piano), Stéphane Kerecki (contrebasse), Fabrice Moreau (batterie).

 

Stéphane Kerecki présente ici le répertoire de son nouveau disque “Nouvelle Vague” qu’il commente abondamment dans le numéro de Jazz Magazine Jazzman livré hier dans tous les bons kiosques. Le contrebassiste y revisite les musiques des films Louis Malle, Jacques Demy, Jean-Luc Godard, François Truffaut etc. et retrouve le complice de son précédent disque, le pianiste anglais John Taylor. On commence pas se laisser vriller l’âme par les lambeaux de la musique de Georges Delerue pour le Mépris que le quintette laisse s’échapper comme les effluves d’un flacon d’essence florale. Progressivement, l’intérêt se reporte du pur effet de nostalgie – l’effet rengaine auquel nous soumet immanquablement la restitution de musiques de film – à la façon dont l’orchestre investit ces musiques, notamment celle de Bernard Hermann pour La Mariée était en noir, à travers un duo piano / batterie. On est scotché par la façon dont le piano et la batterie se tiennent l’un à l’autre, sans se lâcher, avec une répartition de l’espace hors du commun autour d’un John Taylor plus sobre qu’à l’ordinaire. On en vient à soupçonner une écriture et l’on finit par découvrir un découpage précis qui se révèle progressivement avec l’entrée de la contrebasse et permet la cohésion de ce jeu collectif hyperactif, sans jamais envahir.


Mais, plan préétabli ou pas, cette écoute mutuelle est la première qualité de ce trio dont Antonin Tri Hoang est l’invité d’un soir, puisqu’il remplace Emile Parisien, dans un esprit qui pourrait être présenté comme le contraire du titulaire, une forme de jansénisme discursif, un peu post-konitzien, une
peu post-ornettien, difficilement qualifiable, une abstraction lyrique qui joue se joue constamment des mélodies du répertoire avec des effets de “transparents”, de sous-entendus, d’ellipses jouant sur nerfs de l’auditeur, sur son désir de mélodies perçues, notamment lorsqu’il traverse en stop chorus l’allegretto de la 7ème symphonie de Beethoven comme une brume sonore qu’il laisse entendre sans la jouer. Autre grand moment, la façon dont John Taylor fait tourner la musique des 400 coups dans son gros kaelidoscope noir, la pulvérisant en une poussière d’étoiles qu’il brasse à pleine main.

 

DPZ Quintet : Daniel Zimmermann (trombone), Thomas de Pourquery (voix, saxes soprano et alto), Maxime Delpierre (guitare électrique), Sylvain Daniel (guitare basse électrique), David Aknin (batterie).

 

Ça fait tellement longtemps que Zimmermann et de Pourquery collaborent (1997) qu’ils sonnent comme un, sorte de bête à deux dos, d’hydre à deux têtes, couple siamois, et l’on sait pourtant comme ils sont différents. Mais qu’ils jouent à l’unisson ou en contrepoint, dès les premières notes, ils sonnent “ensemble”. La rythmique entre, et là c’est très fort, trop fort. En dehors du fait que ça n’est –non pas insupportable, on n’en est pas là – mais pas très agréable pour les oreilles, ça écrase la dynamique de ce quintette qui en a, ça prive les pianissimo de leur magie et ça rend les fortissimo brouillons. Vieux débat ! On fait avec et on ne peut pas faire autrement tant nous captive la musique de ce quintette qui a 10 années de pratique commune. C’est tout à la fois décontracté et tendu, léger et dramatique, joyeux et désespéré, que les deux souffleurs lancent les interjections de leur vieil Autralopithèques ou que Thomas de Pourquery se mette réciter l’adaptation d’un texte érotique de Pierre Desproges. Avec un sens de la plastique sonore individuelle et collective qui fait de cet orchestre un objet compact et irréductible à l’un de ses éléments… sauf lorsque la pluie s’abat sur la scène et qu’après avoir improvisé une conclusion du morceau en cours, ils fuient mettre leurs instruments à l’abri tandis qu’une poignée de bénévoles se précipite pour rentrer le matériel et bâcher le piano et les enceintes.

 

Jam session

 

Respire Jazz ne serait pas ce qu’il est sans sa buvette et ses jam sessions. On s’y retrouve à l’abri d’un petit préau (mais bien sûr la pluie à cessé aussitôt le piano bâché) pour la jam session emmenée par les élèves de l’Ecole de Musique de Didier Lockwood, parmi lesquels je retrouve Mathis Pascaud remarqué l’an dernier, guitariste aux idées jamais banales, toujours élégantes. On pousse John Taylor, accoudé au bar, vers le piano Fender. Il résiste, mais il ne dit pas non et, finalement, comme un vieil anglais se laisserait tenter par une partie de fléchettes, son verre de bière à la main, il s’assied au piano, s’excusant d’avoir besoin de s’asseoir un peu. Il proposera une drôle de promenade sur Les Feuilles mortes, occasion de passionnants jeux rythmiques entre lui et Pierre Perchaud. Après quoi, ce dernier prendra la basse et John Taylor cédera le clavier à Richard Poher qu’il faudra entendre aujourd’hui 28 juin à 17 au sein du quartette Elinoa avec la vocaliste Camille Durant, ainsi que demain 29 juin à 19h. Et tandis que je m’endors dans le lit de la mère supérieure de l’abbaye qui m’a été réservé, j’entends au loin la jam qui se poursuit.

 

Ce matin, le soleil nous nargue. Je repasse une conférence sur les Chants rebelles de l’Amérique noire que je dois donner à 15h30 et le ballet des chauffeurs bénévoles a commencé entre Angoulême l’Abbaye du Puypéroux pour ramener les musiciens du quartette de l’altiste Olivier Bogé (concert à 21h) et le Wunderbar Orchestra du corniste Victor Michaud (2ème partie). Demain sont attendus les trios d’Emmanuel Bex avec Francesco Bearzatti et Simon Goubert et de Leon Parker avec la chanteuse Lynn Casiers et Pierre Perchaud.

 

Franck Bergerot