Jazz live
Publié le 25 Août 2013

Malguénac, 3ème soirée : Badume’s Band & Selamnesh Zéméné, Guédon/Laviso/Saint-Prix

Voilà, Malguénac, c’est presque fini. Jusqu’à la prochaine édition. Mais hier encore, la salle Nougaro a vibré.


Arts des villes, Arts des champs, Malguénac (56), le 24 août 2013.

 

Selamnesh Zéméné (chant) et le Badume’s Band &: Xavier Pusset (sax ténor, Stéphane Le Dor (sax ténor, clarinette basse), Rudy Blas (guitare électrique), Olivier Guénégo (claviers), Charles Lucas (basse), Antonin Volson (batterie), Jonathan Volson (percussions).


Récapitulons, à Malguénac, il y une salle omnisports qui une fois par an s’habille de tissus lui donnant l’acoustique d’une salle de concert et des airs de fête. Au-dessus du public, danse une vache folle, l’emblême du festival Arts des villes Arts des champs, jaune à taches noires, ou l’inverse. Elle danse parmi des ombrelles de couleurs et, cette année, d’énormes serpentins découpés dans d’anciennes affiches. Car cette année, le festival a le papier pour thème. Chaque édition a son thème. Le papier, c’est la lecture, l’affichage, l’arrachage, la corbeille, le recyclage, c’est « vos papiers ! » qu’on vous vole, qu’on vous réclame, qu’on vous refuse, qu’on vous confisque… Je n’ai pas vu l’exposition de cette édition “papier”, car à l’heure où j’arrive habituellement sur le site du festival, elle est déjà fermée, mais à l’entrée de la salle Nougaro, il y a une vache… en papier. Pas folle, celle-là, plutôt bonnasse, comme une vraie bonne vache. En s’approchant, on voit qu’elle est faite en pages du Real Book, le grand livre des standards né à la Berklee School à l’initiative des élèves de Steve Swallow. À Malguénace, il y a des filles qui ont des nœuds dans les cheveux et des gars qui portent des nœuds papillons énormes, tous faits de pages du Real Book : Take the A Train, All the Things You Are, Dolores, Stella by Starlight, Blues for Alice, Falling Grace… Et sur la scène, il y a ce soir la chanteuse Selamnesh Zémélé qui chante et qui danse. La troisième soirée du festival est traditionnellement plus world, transe, musiques actuelles, festives… Le public à têtes blanches et à crâne lisse, gibier d’urologue, cardiologue et autres sénilologues est assis. Je suis assis, depuis juillet j’ai la carte. Les jeunes au fond écoutent debout, mais bientôt ils viennent faire une foule ondoyante au pied de la scène où Selamnesh Zémélé offre sa généreuse réplique au Badume’s Band, groupe local qui est devenu la référence en manière d’“éthiopiques” aux côtés de Mahmoud Ahmed et Alémayéhu Eshèté. Une touche de jazz dans une mer de ce groove irrésistible aux couleurs harmoniques si troublantes.

 

Jack Danielle’s String Band : Jack Titley (mandoline, guitare, chant), Danielle Titley (guitare, chant), Richard Conan (banjo), Gabriel Faure, Nicola Hayes (violon), Jonathan Caserta (contrebasse).

À Malguénac, il y a une armada de bénévoles. D’une année sur l’autre, ils sont là, l’un se désistant au profit de l’autre, ce qui fait que l’on ne sait jamais qui est spectateur et qui est bénévole. Hier, je croise un voisin, électricien-charpentier-etc. : « cette année, j’ai rendu mon tablier, trop de boulot, mais je viendrai faire un tour. » Et j’en croise un autre, réalisateur : « Tu y vas ? On s’y verra. Cette année, je suis bénévole. » Par leurs dons financiers (auxquels se sont ajoutés ceux de spectateurs et de musiciens) à la suite d’un appel à la générosité lancé l’automne dernier et par quelques concerts de soutien hors saison, Arts des villes Arts des champs a comblé le trou qui s’était creusé l’an dernier dans sa caisse. En ce troisième jour de festival, Ronan Prod’homme a confiance pour l’édition 2014. C’est un optimiste qui n’a pas froid aux yeux et semble avoir une âme de bulldozer si quelque chose lui résiste. Il parle des bénévoles, du Café des Anges de Quelven, café-concert-restaurant mythique de la région, qui est un peu leur repère et dont les patrons Cécile et Jean-Marie sont les anges gardiens. C’est Jean-Marie qui d’ailleurs fournit la nourriture aux musiciens dans les coulisses du festival. Je m’excuse de ne pas avoir encore bien assimilé “l’organigramme du festival”. Ronan se marre : « l’organigramme ! » Il est au four et au moulin, à la programmation, à la presse, à la régie… Il m’invite à m’approcher de la scène en plein air où joue le Jack Danielle’s String Band, une forme de progressive bluegrass qui évoque Country Gazette, Country Cooking et autres Newgrass, en plus déconnant et plus hirsute. Musique à feu roulant et bonne humeur à l’avenant. Je ne garantis d’ailleurs pas le personnel ci-dessus, car il me semble qu’il y ait plus de monde que prévu sur scène.

 

Guédon/Laviso/Saint-Prix : Jean-Rémy Guédon (sax ténor, flûte, chœurs, direction), Christian Laviso (guitare électrique, chœurs), Thierry Jasmin-Banaré (guitare basse électrique, chœurs), Arnaud Dolmen (batterie, chœurs), Dédé Saint-Prix (chant, chœurs, gwoka, sax ténor). Invité en rappel : Ben le Crieur de Rudru.

Dans les allées de l’enceinte d’Arts des villes, Arts des champs, on croise Ben le Crieur de Rudru et son drôle de tuba, son fumistier… Attaché au collectif L’Élaboratoire de Rennes, Benoît Guérin, c’est lui qui annonce et désannonce, qui bat le rappel, qui anime les abords, invitant à des jeux de d’écriture et de tchatche, déclamant des courriers réels ou imaginaires adressés à des personnes qui ne le sont pas moins. Cette année, il est flanqué d’une crieuse et ça lui donne des ailes. En plus il a pris du galon, invité à prendre un chorus de fumistier par le Jack Danielle’s String Band sur la scène extérieure, il est rééinvité par Jean-Rémy Guédon à taper le bœuf pour le rappel de son groupe. Étonnante prestation ! Ou le fumistier gagne ses lettres de noblesse. Pourvu qu’il ne se prenne pas la grosse tête…

 

Il y a une logique à finir un soir avec Michel Hatzigeorgiou et Stéphane Galland, et de finir le lendemain avec Thierry Jasmin-Banaré et Arnaud Dolmen. Des racines communes avec quelque chose de moins cérébral du côté de la Martinique et Guadeloupe. C’est là qu’ont grandi nos musiciens. Tout petit déjà ! Tout pitit chantait Eddy Louiss. Mais il y a quelque chose d’artificiel à isoler Dolmen et Jasmin-Barnabé du groupe réuni par Jean-Rémy Guédon, car il s’agit d’une vraie machine à groover dont aucun pignon ne saurait être détaché du reste de ce formidable engrenage. C’est vrai pour Dédé Saint-Prix dont les frappes sont finement maillées dans le réseau rythmique dessiné par les deux autres, il faudrait d’ailleurs dire que c’est l’inverse, et que c’est lui la trame. C’est vrai aussi pour Christian Laviso qui tisse l’ensemble de petits motifs où l’accord le dispute à la single note, la hachurage en cocottes à la phrase continue, en toute discrétion à l’arrière-plan ou prenant soudain un saisissant relief sous la forme d’un dérapage quasi-sharrockien ou d’une fusée à la George Benson. Guédon, l’Européen du groupe, l’instigateur, depuis quelque temps en quête de racines antillaises (peut-être réelle, Guédon, ce nom, ça ne vous dit rien ?) et africaines, occupe une place à la fois à part et centrale. À part, parce que son saxophone ne participe à la polyrythmie – dans laquelle il n’a pas grandi tout pitit – qu’à la périphérie, lorsqu’il n’est pas en position de soliste, un soliste dont on entend qu’il a grandi à cet âge du saxophone ténor dominé par Shepp, Ayler, Sanders, Barbieri, les jeunes Brecker et Garbarek, plus d’intempestives longues phrases anguleuses et heurtées qui
s’invitent en intruses introductives ou conclusives, que l’on serait tenté de faire les héritières d’Ornette Coleman, Anthony Braxton ou George Russell, mais aussi d’une musique contemporaine que Guédon a abondamment fréquentée avec son Archimusic. Le reste du temps, il mène le chœur constitué des cinq membres de son orchestre sur des rimes créoles, répertoire littéraire oral dans lequel il a aimé s’immergé ces dernières années. Juste derrière lui sur scène, un maître en la matière, Dédé Saint-Prix, véritable électron libre qui concluera le concert pas la déclamation impromptue d’un poème créole, et qui tout au long du concert rend à l’art de la tchatche une souplesse du verbe qu’un certain rap, hélas le plus répandu, lui a fait perdre.

 

Il est une heure du matin et la nuit promet d’être longue alors que les bénévoles empilent les chaises de la salle Claude Nougaro pour y ménager un dance floor qu’animera bientôt S.Smos, un DJ “100% hip hop meets jazz”. J’ai les petits yeux. Demain (c’est-à-dire aujourd’hui, dimanche 25 août), il y aura encore (je n’irai pas, en principe je suis en vacances et en plus j’ai du boulot) à partir de 12h, crêpes, grillades et la traditionnelle session irlandaise du dimanche, concours de palets, à 16h30 du théâtre “au chapeau” (Antigone Couïc Kapout par Hassan Tess et Amélie Vignaux « le mythe d’Antigone revu par deux personnages burlesques et décalés) et à 18h une “confiture de musiciens”.

 

Pour quitter Malguénac, il y a virages qui ondoient, se plient, se ferment en boucle, se replient sur eux-mêmes, enlacent des sous-bois parsemés de mille yeux d’un bestiaire affamé d’aventures nocturnes. Je ne sais pas comment je me suis retrouvé dans ce lit où je me réveille ce matin, concentré dans un effort de télépathie qui devrait faire parvenir ce compte rendu en ligne vers midi.

 

Franck Bergerot

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Voilà, Malguénac, c’est presque fini. Jusqu’à la prochaine édition. Mais hier encore, la salle Nougaro a vibré.


Arts des villes, Arts des champs, Malguénac (56), le 24 août 2013.

 

Selamnesh Zéméné (chant) et le Badume’s Band &: Xavier Pusset (sax ténor, Stéphane Le Dor (sax ténor, clarinette basse), Rudy Blas (guitare électrique), Olivier Guénégo (claviers), Charles Lucas (basse), Antonin Volson (batterie), Jonathan Volson (percussions).


Récapitulons, à Malguénac, il y une salle omnisports qui une fois par an s’habille de tissus lui donnant l’acoustique d’une salle de concert et des airs de fête. Au-dessus du public, danse une vache folle, l’emblême du festival Arts des villes Arts des champs, jaune à taches noires, ou l’inverse. Elle danse parmi des ombrelles de couleurs et, cette année, d’énormes serpentins découpés dans d’anciennes affiches. Car cette année, le festival a le papier pour thème. Chaque édition a son thème. Le papier, c’est la lecture, l’affichage, l’arrachage, la corbeille, le recyclage, c’est « vos papiers ! » qu’on vous vole, qu’on vous réclame, qu’on vous refuse, qu’on vous confisque… Je n’ai pas vu l’exposition de cette édition “papier”, car à l’heure où j’arrive habituellement sur le site du festival, elle est déjà fermée, mais à l’entrée de la salle Nougaro, il y a une vache… en papier. Pas folle, celle-là, plutôt bonnasse, comme une vraie bonne vache. En s’approchant, on voit qu’elle est faite en pages du Real Book, le grand livre des standards né à la Berklee School à l’initiative des élèves de Steve Swallow. À Malguénace, il y a des filles qui ont des nœuds dans les cheveux et des gars qui portent des nœuds papillons énormes, tous faits de pages du Real Book : Take the A Train, All the Things You Are, Dolores, Stella by Starlight, Blues for Alice, Falling Grace… Et sur la scène, il y a ce soir la chanteuse Selamnesh Zémélé qui chante et qui danse. La troisième soirée du festival est traditionnellement plus world, transe, musiques actuelles, festives… Le public à têtes blanches et à crâne lisse, gibier d’urologue, cardiologue et autres sénilologues est assis. Je suis assis, depuis juillet j’ai la carte. Les jeunes au fond écoutent debout, mais bientôt ils viennent faire une foule ondoyante au pied de la scène où Selamnesh Zémélé offre sa généreuse réplique au Badume’s Band, groupe local qui est devenu la référence en manière d’“éthiopiques” aux côtés de Mahmoud Ahmed et Alémayéhu Eshèté. Une touche de jazz dans une mer de ce groove irrésistible aux couleurs harmoniques si troublantes.

 

Jack Danielle’s String Band : Jack Titley (mandoline, guitare, chant), Danielle Titley (guitare, chant), Richard Conan (banjo), Gabriel Faure, Nicola Hayes (violon), Jonathan Caserta (contrebasse).

À Malguénac, il y a une armada de bénévoles. D’une année sur l’autre, ils sont là, l’un se désistant au profit de l’autre, ce qui fait que l’on ne sait jamais qui est spectateur et qui est bénévole. Hier, je croise un voisin, électricien-charpentier-etc. : « cette année, j’ai rendu mon tablier, trop de boulot, mais je viendrai faire un tour. » Et j’en croise un autre, réalisateur : « Tu y vas ? On s’y verra. Cette année, je suis bénévole. » Par leurs dons financiers (auxquels se sont ajoutés ceux de spectateurs et de musiciens) à la suite d’un appel à la générosité lancé l’automne dernier et par quelques concerts de soutien hors saison, Arts des villes Arts des champs a comblé le trou qui s’était creusé l’an dernier dans sa caisse. En ce troisième jour de festival, Ronan Prod’homme a confiance pour l’édition 2014. C’est un optimiste qui n’a pas froid aux yeux et semble avoir une âme de bulldozer si quelque chose lui résiste. Il parle des bénévoles, du Café des Anges de Quelven, café-concert-restaurant mythique de la région, qui est un peu leur repère et dont les patrons Cécile et Jean-Marie sont les anges gardiens. C’est Jean-Marie qui d’ailleurs fournit la nourriture aux musiciens dans les coulisses du festival. Je m’excuse de ne pas avoir encore bien assimilé “l’organigramme du festival”. Ronan se marre : « l’organigramme ! » Il est au four et au moulin, à la programmation, à la presse, à la régie… Il m’invite à m’approcher de la scène en plein air où joue le Jack Danielle’s String Band, une forme de progressive bluegrass qui évoque Country Gazette, Country Cooking et autres Newgrass, en plus déconnant et plus hirsute. Musique à feu roulant et bonne humeur à l’avenant. Je ne garantis d’ailleurs pas le personnel ci-dessus, car il me semble qu’il y ait plus de monde que prévu sur scène.

 

Guédon/Laviso/Saint-Prix : Jean-Rémy Guédon (sax ténor, flûte, chœurs, direction), Christian Laviso (guitare électrique, chœurs), Thierry Jasmin-Banaré (guitare basse électrique, chœurs), Arnaud Dolmen (batterie, chœurs), Dédé Saint-Prix (chant, chœurs, gwoka, sax ténor). Invité en rappel : Ben le Crieur de Rudru.

Dans les allées de l’enceinte d’Arts des villes, Arts des champs, on croise Ben le Crieur de Rudru et son drôle de tuba, son fumistier… Attaché au collectif L’Élaboratoire de Rennes, Benoît Guérin, c’est lui qui annonce et désannonce, qui bat le rappel, qui anime les abords, invitant à des jeux de d’écriture et de tchatche, déclamant des courriers réels ou imaginaires adressés à des personnes qui ne le sont pas moins. Cette année, il est flanqué d’une crieuse et ça lui donne des ailes. En plus il a pris du galon, invité à prendre un chorus de fumistier par le Jack Danielle’s String Band sur la scène extérieure, il est rééinvité par Jean-Rémy Guédon à taper le bœuf pour le rappel de son groupe. Étonnante prestation ! Ou le fumistier gagne ses lettres de noblesse. Pourvu qu’il ne se prenne pas la grosse tête…

 

Il y a une logique à finir un soir avec Michel Hatzigeorgiou et Stéphane Galland, et de finir le lendemain avec Thierry Jasmin-Banaré et Arnaud Dolmen. Des racines communes avec quelque chose de moins cérébral du côté de la Martinique et Guadeloupe. C’est là qu’ont grandi nos musiciens. Tout petit déjà ! Tout pitit chantait Eddy Louiss. Mais il y a quelque chose d’artificiel à isoler Dolmen et Jasmin-Barnabé du groupe réuni par Jean-Rémy Guédon, car il s’agit d’une vraie machine à groover dont aucun pignon ne saurait être détaché du reste de ce formidable engrenage. C’est vrai pour Dédé Saint-Prix dont les frappes sont finement maillées dans le réseau rythmique dessiné par les deux autres, il faudrait d’ailleurs dire que c’est l’inverse, et que c’est lui la trame. C’est vrai aussi pour Christian Laviso qui tisse l’ensemble de petits motifs où l’accord le dispute à la single note, la hachurage en cocottes à la phrase continue, en toute discrétion à l’arrière-plan ou prenant soudain un saisissant relief sous la forme d’un dérapage quasi-sharrockien ou d’une fusée à la George Benson. Guédon, l’Européen du groupe, l’instigateur, depuis quelque temps en quête de racines antillaises (peut-être réelle, Guédon, ce nom, ça ne vous dit rien ?) et africaines, occupe une place à la fois à part et centrale. À part, parce que son saxophone ne participe à la polyrythmie – dans laquelle il n’a pas grandi tout pitit – qu’à la périphérie, lorsqu’il n’est pas en position de soliste, un soliste dont on entend qu’il a grandi à cet âge du saxophone ténor dominé par Shepp, Ayler, Sanders, Barbieri, les jeunes Brecker et Garbarek, plus d’intempestives longues phrases anguleuses et heurtées qui
s’invitent en intruses introductives ou conclusives, que l’on serait tenté de faire les héritières d’Ornette Coleman, Anthony Braxton ou George Russell, mais aussi d’une musique contemporaine que Guédon a abondamment fréquentée avec son Archimusic. Le reste du temps, il mène le chœur constitué des cinq membres de son orchestre sur des rimes créoles, répertoire littéraire oral dans lequel il a aimé s’immergé ces dernières années. Juste derrière lui sur scène, un maître en la matière, Dédé Saint-Prix, véritable électron libre qui concluera le concert pas la déclamation impromptue d’un poème créole, et qui tout au long du concert rend à l’art de la tchatche une souplesse du verbe qu’un certain rap, hélas le plus répandu, lui a fait perdre.

 

Il est une heure du matin et la nuit promet d’être longue alors que les bénévoles empilent les chaises de la salle Claude Nougaro pour y ménager un dance floor qu’animera bientôt S.Smos, un DJ “100% hip hop meets jazz”. J’ai les petits yeux. Demain (c’est-à-dire aujourd’hui, dimanche 25 août), il y aura encore (je n’irai pas, en principe je suis en vacances et en plus j’ai du boulot) à partir de 12h, crêpes, grillades et la traditionnelle session irlandaise du dimanche, concours de palets, à 16h30 du théâtre “au chapeau” (Antigone Couïc Kapout par Hassan Tess et Amélie Vignaux « le mythe d’Antigone revu par deux personnages burlesques et décalés) et à 18h une “confiture de musiciens”.

 

Pour quitter Malguénac, il y a virages qui ondoient, se plient, se ferment en boucle, se replient sur eux-mêmes, enlacent des sous-bois parsemés de mille yeux d’un bestiaire affamé d’aventures nocturnes. Je ne sais pas comment je me suis retrouvé dans ce lit où je me réveille ce matin, concentré dans un effort de télépathie qui devrait faire parvenir ce compte rendu en ligne vers midi.

 

Franck Bergerot

|

Voilà, Malguénac, c’est presque fini. Jusqu’à la prochaine édition. Mais hier encore, la salle Nougaro a vibré.


Arts des villes, Arts des champs, Malguénac (56), le 24 août 2013.

 

Selamnesh Zéméné (chant) et le Badume’s Band &: Xavier Pusset (sax ténor, Stéphane Le Dor (sax ténor, clarinette basse), Rudy Blas (guitare électrique), Olivier Guénégo (claviers), Charles Lucas (basse), Antonin Volson (batterie), Jonathan Volson (percussions).


Récapitulons, à Malguénac, il y une salle omnisports qui une fois par an s’habille de tissus lui donnant l’acoustique d’une salle de concert et des airs de fête. Au-dessus du public, danse une vache folle, l’emblême du festival Arts des villes Arts des champs, jaune à taches noires, ou l’inverse. Elle danse parmi des ombrelles de couleurs et, cette année, d’énormes serpentins découpés dans d’anciennes affiches. Car cette année, le festival a le papier pour thème. Chaque édition a son thème. Le papier, c’est la lecture, l’affichage, l’arrachage, la corbeille, le recyclage, c’est « vos papiers ! » qu’on vous vole, qu’on vous réclame, qu’on vous refuse, qu’on vous confisque… Je n’ai pas vu l’exposition de cette édition “papier”, car à l’heure où j’arrive habituellement sur le site du festival, elle est déjà fermée, mais à l’entrée de la salle Nougaro, il y a une vache… en papier. Pas folle, celle-là, plutôt bonnasse, comme une vraie bonne vache. En s’approchant, on voit qu’elle est faite en pages du Real Book, le grand livre des standards né à la Berklee School à l’initiative des élèves de Steve Swallow. À Malguénace, il y a des filles qui ont des nœuds dans les cheveux et des gars qui portent des nœuds papillons énormes, tous faits de pages du Real Book : Take the A Train, All the Things You Are, Dolores, Stella by Starlight, Blues for Alice, Falling Grace… Et sur la scène, il y a ce soir la chanteuse Selamnesh Zémélé qui chante et qui danse. La troisième soirée du festival est traditionnellement plus world, transe, musiques actuelles, festives… Le public à têtes blanches et à crâne lisse, gibier d’urologue, cardiologue et autres sénilologues est assis. Je suis assis, depuis juillet j’ai la carte. Les jeunes au fond écoutent debout, mais bientôt ils viennent faire une foule ondoyante au pied de la scène où Selamnesh Zémélé offre sa généreuse réplique au Badume’s Band, groupe local qui est devenu la référence en manière d’“éthiopiques” aux côtés de Mahmoud Ahmed et Alémayéhu Eshèté. Une touche de jazz dans une mer de ce groove irrésistible aux couleurs harmoniques si troublantes.

 

Jack Danielle’s String Band : Jack Titley (mandoline, guitare, chant), Danielle Titley (guitare, chant), Richard Conan (banjo), Gabriel Faure, Nicola Hayes (violon), Jonathan Caserta (contrebasse).

À Malguénac, il y a une armada de bénévoles. D’une année sur l’autre, ils sont là, l’un se désistant au profit de l’autre, ce qui fait que l’on ne sait jamais qui est spectateur et qui est bénévole. Hier, je croise un voisin, électricien-charpentier-etc. : « cette année, j’ai rendu mon tablier, trop de boulot, mais je viendrai faire un tour. » Et j’en croise un autre, réalisateur : « Tu y vas ? On s’y verra. Cette année, je suis bénévole. » Par leurs dons financiers (auxquels se sont ajoutés ceux de spectateurs et de musiciens) à la suite d’un appel à la générosité lancé l’automne dernier et par quelques concerts de soutien hors saison, Arts des villes Arts des champs a comblé le trou qui s’était creusé l’an dernier dans sa caisse. En ce troisième jour de festival, Ronan Prod’homme a confiance pour l’édition 2014. C’est un optimiste qui n’a pas froid aux yeux et semble avoir une âme de bulldozer si quelque chose lui résiste. Il parle des bénévoles, du Café des Anges de Quelven, café-concert-restaurant mythique de la région, qui est un peu leur repère et dont les patrons Cécile et Jean-Marie sont les anges gardiens. C’est Jean-Marie qui d’ailleurs fournit la nourriture aux musiciens dans les coulisses du festival. Je m’excuse de ne pas avoir encore bien assimilé “l’organigramme du festival”. Ronan se marre : « l’organigramme ! » Il est au four et au moulin, à la programmation, à la presse, à la régie… Il m’invite à m’approcher de la scène en plein air où joue le Jack Danielle’s String Band, une forme de progressive bluegrass qui évoque Country Gazette, Country Cooking et autres Newgrass, en plus déconnant et plus hirsute. Musique à feu roulant et bonne humeur à l’avenant. Je ne garantis d’ailleurs pas le personnel ci-dessus, car il me semble qu’il y ait plus de monde que prévu sur scène.

 

Guédon/Laviso/Saint-Prix : Jean-Rémy Guédon (sax ténor, flûte, chœurs, direction), Christian Laviso (guitare électrique, chœurs), Thierry Jasmin-Banaré (guitare basse électrique, chœurs), Arnaud Dolmen (batterie, chœurs), Dédé Saint-Prix (chant, chœurs, gwoka, sax ténor). Invité en rappel : Ben le Crieur de Rudru.

Dans les allées de l’enceinte d’Arts des villes, Arts des champs, on croise Ben le Crieur de Rudru et son drôle de tuba, son fumistier… Attaché au collectif L’Élaboratoire de Rennes, Benoît Guérin, c’est lui qui annonce et désannonce, qui bat le rappel, qui anime les abords, invitant à des jeux de d’écriture et de tchatche, déclamant des courriers réels ou imaginaires adressés à des personnes qui ne le sont pas moins. Cette année, il est flanqué d’une crieuse et ça lui donne des ailes. En plus il a pris du galon, invité à prendre un chorus de fumistier par le Jack Danielle’s String Band sur la scène extérieure, il est rééinvité par Jean-Rémy Guédon à taper le bœuf pour le rappel de son groupe. Étonnante prestation ! Ou le fumistier gagne ses lettres de noblesse. Pourvu qu’il ne se prenne pas la grosse tête…

 

Il y a une logique à finir un soir avec Michel Hatzigeorgiou et Stéphane Galland, et de finir le lendemain avec Thierry Jasmin-Banaré et Arnaud Dolmen. Des racines communes avec quelque chose de moins cérébral du côté de la Martinique et Guadeloupe. C’est là qu’ont grandi nos musiciens. Tout petit déjà ! Tout pitit chantait Eddy Louiss. Mais il y a quelque chose d’artificiel à isoler Dolmen et Jasmin-Barnabé du groupe réuni par Jean-Rémy Guédon, car il s’agit d’une vraie machine à groover dont aucun pignon ne saurait être détaché du reste de ce formidable engrenage. C’est vrai pour Dédé Saint-Prix dont les frappes sont finement maillées dans le réseau rythmique dessiné par les deux autres, il faudrait d’ailleurs dire que c’est l’inverse, et que c’est lui la trame. C’est vrai aussi pour Christian Laviso qui tisse l’ensemble de petits motifs où l’accord le dispute à la single note, la hachurage en cocottes à la phrase continue, en toute discrétion à l’arrière-plan ou prenant soudain un saisissant relief sous la forme d’un dérapage quasi-sharrockien ou d’une fusée à la George Benson. Guédon, l’Européen du groupe, l’instigateur, depuis quelque temps en quête de racines antillaises (peut-être réelle, Guédon, ce nom, ça ne vous dit rien ?) et africaines, occupe une place à la fois à part et centrale. À part, parce que son saxophone ne participe à la polyrythmie – dans laquelle il n’a pas grandi tout pitit – qu’à la périphérie, lorsqu’il n’est pas en position de soliste, un soliste dont on entend qu’il a grandi à cet âge du saxophone ténor dominé par Shepp, Ayler, Sanders, Barbieri, les jeunes Brecker et Garbarek, plus d’intempestives longues phrases anguleuses et heurtées qui
s’invitent en intruses introductives ou conclusives, que l’on serait tenté de faire les héritières d’Ornette Coleman, Anthony Braxton ou George Russell, mais aussi d’une musique contemporaine que Guédon a abondamment fréquentée avec son Archimusic. Le reste du temps, il mène le chœur constitué des cinq membres de son orchestre sur des rimes créoles, répertoire littéraire oral dans lequel il a aimé s’immergé ces dernières années. Juste derrière lui sur scène, un maître en la matière, Dédé Saint-Prix, véritable électron libre qui concluera le concert pas la déclamation impromptue d’un poème créole, et qui tout au long du concert rend à l’art de la tchatche une souplesse du verbe qu’un certain rap, hélas le plus répandu, lui a fait perdre.

 

Il est une heure du matin et la nuit promet d’être longue alors que les bénévoles empilent les chaises de la salle Claude Nougaro pour y ménager un dance floor qu’animera bientôt S.Smos, un DJ “100% hip hop meets jazz”. J’ai les petits yeux. Demain (c’est-à-dire aujourd’hui, dimanche 25 août), il y aura encore (je n’irai pas, en principe je suis en vacances et en plus j’ai du boulot) à partir de 12h, crêpes, grillades et la traditionnelle session irlandaise du dimanche, concours de palets, à 16h30 du théâtre “au chapeau” (Antigone Couïc Kapout par Hassan Tess et Amélie Vignaux « le mythe d’Antigone revu par deux personnages burlesques et décalés) et à 18h une “confiture de musiciens”.

 

Pour quitter Malguénac, il y a virages qui ondoient, se plient, se ferment en boucle, se replient sur eux-mêmes, enlacent des sous-bois parsemés de mille yeux d’un bestiaire affamé d’aventures nocturnes. Je ne sais pas comment je me suis retrouvé dans ce lit où je me réveille ce matin, concentré dans un effort de télépathie qui devrait faire parvenir ce compte rendu en ligne vers midi.

 

Franck Bergerot

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Voilà, Malguénac, c’est presque fini. Jusqu’à la prochaine édition. Mais hier encore, la salle Nougaro a vibré.


Arts des villes, Arts des champs, Malguénac (56), le 24 août 2013.

 

Selamnesh Zéméné (chant) et le Badume’s Band &: Xavier Pusset (sax ténor, Stéphane Le Dor (sax ténor, clarinette basse), Rudy Blas (guitare électrique), Olivier Guénégo (claviers), Charles Lucas (basse), Antonin Volson (batterie), Jonathan Volson (percussions).


Récapitulons, à Malguénac, il y une salle omnisports qui une fois par an s’habille de tissus lui donnant l’acoustique d’une salle de concert et des airs de fête. Au-dessus du public, danse une vache folle, l’emblême du festival Arts des villes Arts des champs, jaune à taches noires, ou l’inverse. Elle danse parmi des ombrelles de couleurs et, cette année, d’énormes serpentins découpés dans d’anciennes affiches. Car cette année, le festival a le papier pour thème. Chaque édition a son thème. Le papier, c’est la lecture, l’affichage, l’arrachage, la corbeille, le recyclage, c’est « vos papiers ! » qu’on vous vole, qu’on vous réclame, qu’on vous refuse, qu’on vous confisque… Je n’ai pas vu l’exposition de cette édition “papier”, car à l’heure où j’arrive habituellement sur le site du festival, elle est déjà fermée, mais à l’entrée de la salle Nougaro, il y a une vache… en papier. Pas folle, celle-là, plutôt bonnasse, comme une vraie bonne vache. En s’approchant, on voit qu’elle est faite en pages du Real Book, le grand livre des standards né à la Berklee School à l’initiative des élèves de Steve Swallow. À Malguénace, il y a des filles qui ont des nœuds dans les cheveux et des gars qui portent des nœuds papillons énormes, tous faits de pages du Real Book : Take the A Train, All the Things You Are, Dolores, Stella by Starlight, Blues for Alice, Falling Grace… Et sur la scène, il y a ce soir la chanteuse Selamnesh Zémélé qui chante et qui danse. La troisième soirée du festival est traditionnellement plus world, transe, musiques actuelles, festives… Le public à têtes blanches et à crâne lisse, gibier d’urologue, cardiologue et autres sénilologues est assis. Je suis assis, depuis juillet j’ai la carte. Les jeunes au fond écoutent debout, mais bientôt ils viennent faire une foule ondoyante au pied de la scène où Selamnesh Zémélé offre sa généreuse réplique au Badume’s Band, groupe local qui est devenu la référence en manière d’“éthiopiques” aux côtés de Mahmoud Ahmed et Alémayéhu Eshèté. Une touche de jazz dans une mer de ce groove irrésistible aux couleurs harmoniques si troublantes.

 

Jack Danielle’s String Band : Jack Titley (mandoline, guitare, chant), Danielle Titley (guitare, chant), Richard Conan (banjo), Gabriel Faure, Nicola Hayes (violon), Jonathan Caserta (contrebasse).

À Malguénac, il y a une armada de bénévoles. D’une année sur l’autre, ils sont là, l’un se désistant au profit de l’autre, ce qui fait que l’on ne sait jamais qui est spectateur et qui est bénévole. Hier, je croise un voisin, électricien-charpentier-etc. : « cette année, j’ai rendu mon tablier, trop de boulot, mais je viendrai faire un tour. » Et j’en croise un autre, réalisateur : « Tu y vas ? On s’y verra. Cette année, je suis bénévole. » Par leurs dons financiers (auxquels se sont ajoutés ceux de spectateurs et de musiciens) à la suite d’un appel à la générosité lancé l’automne dernier et par quelques concerts de soutien hors saison, Arts des villes Arts des champs a comblé le trou qui s’était creusé l’an dernier dans sa caisse. En ce troisième jour de festival, Ronan Prod’homme a confiance pour l’édition 2014. C’est un optimiste qui n’a pas froid aux yeux et semble avoir une âme de bulldozer si quelque chose lui résiste. Il parle des bénévoles, du Café des Anges de Quelven, café-concert-restaurant mythique de la région, qui est un peu leur repère et dont les patrons Cécile et Jean-Marie sont les anges gardiens. C’est Jean-Marie qui d’ailleurs fournit la nourriture aux musiciens dans les coulisses du festival. Je m’excuse de ne pas avoir encore bien assimilé “l’organigramme du festival”. Ronan se marre : « l’organigramme ! » Il est au four et au moulin, à la programmation, à la presse, à la régie… Il m’invite à m’approcher de la scène en plein air où joue le Jack Danielle’s String Band, une forme de progressive bluegrass qui évoque Country Gazette, Country Cooking et autres Newgrass, en plus déconnant et plus hirsute. Musique à feu roulant et bonne humeur à l’avenant. Je ne garantis d’ailleurs pas le personnel ci-dessus, car il me semble qu’il y ait plus de monde que prévu sur scène.

 

Guédon/Laviso/Saint-Prix : Jean-Rémy Guédon (sax ténor, flûte, chœurs, direction), Christian Laviso (guitare électrique, chœurs), Thierry Jasmin-Banaré (guitare basse électrique, chœurs), Arnaud Dolmen (batterie, chœurs), Dédé Saint-Prix (chant, chœurs, gwoka, sax ténor). Invité en rappel : Ben le Crieur de Rudru.

Dans les allées de l’enceinte d’Arts des villes, Arts des champs, on croise Ben le Crieur de Rudru et son drôle de tuba, son fumistier… Attaché au collectif L’Élaboratoire de Rennes, Benoît Guérin, c’est lui qui annonce et désannonce, qui bat le rappel, qui anime les abords, invitant à des jeux de d’écriture et de tchatche, déclamant des courriers réels ou imaginaires adressés à des personnes qui ne le sont pas moins. Cette année, il est flanqué d’une crieuse et ça lui donne des ailes. En plus il a pris du galon, invité à prendre un chorus de fumistier par le Jack Danielle’s String Band sur la scène extérieure, il est rééinvité par Jean-Rémy Guédon à taper le bœuf pour le rappel de son groupe. Étonnante prestation ! Ou le fumistier gagne ses lettres de noblesse. Pourvu qu’il ne se prenne pas la grosse tête…

 

Il y a une logique à finir un soir avec Michel Hatzigeorgiou et Stéphane Galland, et de finir le lendemain avec Thierry Jasmin-Banaré et Arnaud Dolmen. Des racines communes avec quelque chose de moins cérébral du côté de la Martinique et Guadeloupe. C’est là qu’ont grandi nos musiciens. Tout petit déjà ! Tout pitit chantait Eddy Louiss. Mais il y a quelque chose d’artificiel à isoler Dolmen et Jasmin-Barnabé du groupe réuni par Jean-Rémy Guédon, car il s’agit d’une vraie machine à groover dont aucun pignon ne saurait être détaché du reste de ce formidable engrenage. C’est vrai pour Dédé Saint-Prix dont les frappes sont finement maillées dans le réseau rythmique dessiné par les deux autres, il faudrait d’ailleurs dire que c’est l’inverse, et que c’est lui la trame. C’est vrai aussi pour Christian Laviso qui tisse l’ensemble de petits motifs où l’accord le dispute à la single note, la hachurage en cocottes à la phrase continue, en toute discrétion à l’arrière-plan ou prenant soudain un saisissant relief sous la forme d’un dérapage quasi-sharrockien ou d’une fusée à la George Benson. Guédon, l’Européen du groupe, l’instigateur, depuis quelque temps en quête de racines antillaises (peut-être réelle, Guédon, ce nom, ça ne vous dit rien ?) et africaines, occupe une place à la fois à part et centrale. À part, parce que son saxophone ne participe à la polyrythmie – dans laquelle il n’a pas grandi tout pitit – qu’à la périphérie, lorsqu’il n’est pas en position de soliste, un soliste dont on entend qu’il a grandi à cet âge du saxophone ténor dominé par Shepp, Ayler, Sanders, Barbieri, les jeunes Brecker et Garbarek, plus d’intempestives longues phrases anguleuses et heurtées qui
s’invitent en intruses introductives ou conclusives, que l’on serait tenté de faire les héritières d’Ornette Coleman, Anthony Braxton ou George Russell, mais aussi d’une musique contemporaine que Guédon a abondamment fréquentée avec son Archimusic. Le reste du temps, il mène le chœur constitué des cinq membres de son orchestre sur des rimes créoles, répertoire littéraire oral dans lequel il a aimé s’immergé ces dernières années. Juste derrière lui sur scène, un maître en la matière, Dédé Saint-Prix, véritable électron libre qui concluera le concert pas la déclamation impromptue d’un poème créole, et qui tout au long du concert rend à l’art de la tchatche une souplesse du verbe qu’un certain rap, hélas le plus répandu, lui a fait perdre.

 

Il est une heure du matin et la nuit promet d’être longue alors que les bénévoles empilent les chaises de la salle Claude Nougaro pour y ménager un dance floor qu’animera bientôt S.Smos, un DJ “100% hip hop meets jazz”. J’ai les petits yeux. Demain (c’est-à-dire aujourd’hui, dimanche 25 août), il y aura encore (je n’irai pas, en principe je suis en vacances et en plus j’ai du boulot) à partir de 12h, crêpes, grillades et la traditionnelle session irlandaise du dimanche, concours de palets, à 16h30 du théâtre “au chapeau” (Antigone Couïc Kapout par Hassan Tess et Amélie Vignaux « le mythe d’Antigone revu par deux personnages burlesques et décalés) et à 18h une “confiture de musiciens”.

 

Pour quitter Malguénac, il y a virages qui ondoient, se plient, se ferment en boucle, se replient sur eux-mêmes, enlacent des sous-bois parsemés de mille yeux d’un bestiaire affamé d’aventures nocturnes. Je ne sais pas comment je me suis retrouvé dans ce lit où je me réveille ce matin, concentré dans un effort de télépathie qui devrait faire parvenir ce compte rendu en ligne vers midi.

 

Franck Bergerot