Jazz live
Publié le 23 Avr 2016

Bordeaux : une histoire très anglaise. Avec "Einstein On The Beach", Prune Becheau, et le Tim Hodgkinson Quartet

Longtemps que Bordeaux est une histoire très anglaise. Même que lorsque je ne sais plus qui a voulu redonner un lustre plus hispanique à la cité du « french claret », on lui a fait remarquer gentiment qu’ici on regardait vers le nord, que l’Aquitaine avait longtemps été possession de la couronne britannique, et que s’il fallait en donner des preuves elles ne manquaient pas dans une ville qui connaît ou a connu, parmi ses négociants (et pas tout à fait en vain), des Laughton et autres Barton, Lynch et Kirwan. Bref, Bordeaux qui regarderait vers l’Espagne, ça fait rire tout le monde.

Est-ce pour cette raison que le très pyrénéen Yan Beigbeder a choisi d’intituler « Une histoire très anglaise » les deux journées consacrées aux musiques que lui et son association défendent et illustrent depuis des années dans un contexte bordelais, girondin et aquitain plutôt difficile ? Je ne sais, mais toujours est-il que nous étions conviés hier soir au premier volet d’une manifestation qui associe concerts, entretiens, et sympathiques propositions du bien vivre, aimer boire et chanter. Ce pourquoi, évidemment, l’envoyé spécial de « Jazz Magazine » était là.

Prune Becheau : violon baroque

Tim Hodgkinson Quartet : Tim Hodgkinson (cl, b-cl), Denman Maroney (p), Paul May (dm), Dominique Lash (b)

Jeune musicienne de la région, Prune Becheau se présente avec un violon baroque, l’archet qui va avec, et un modeste système d’amplification qui donne à son jeu la juste puissance qui convient tout en lui conservant une dimension acoustique entière. Elle met son nez dans les cordes, tout près des ouïes et du chevalet, et commence à frotter et gratter les cordes, plutôt vers l’extrémité du manche, dans une approche qui dédaigne le son académique et s’efforce de retrouver tout un univers de sonorités et de musiques du monde, invitant à un voyage qui excite les sens et l’esprit d’une façon très convaincante. À partir de ses propositions, qui reposent sur des figures précises, répétées, variées avec lenteur et précision, tout un univers se met en place où chacun trouve les déserts qu’il porte en lui ou les profondeurs marines qu’il entend. On va ainsi de bleds en ambiances urbaines, de ciels en abysses, et d’étendues glacées en forêt tropicales. « Musique des pygmées AKA » me glisse un voisin, à quoi j’acquiesce en pensant à Benoît Delbecq, ou au groupe Aka Moon. Concentrée, soucieuse de donner sens à ses frottis de cordes, à ses coups d’archet, à ses caresses boisées, Prune Becheau illustre bien par son jeu, son travail, la musique qu’elle produit, la génération actuelle des musiciens qui ont compris et admis que la liberté n’est rien sans le souci d’y faire apparaître une forme. Une découverte pour beaucoup.

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Prune Becheau, le nez dans les cordes

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Prune Becheau, l’émotion finale

Et sans doute aussi pour les musiciens du quartet qui a suivi, dont le chef (faut-il le rappeler ?) fut l’un des membres de la formation appelée Henry Cow dans les années 70 !!! Avec Fred Frith (qui a depuis laissé rien moins qu’une oeuvre, et une manière de composer), et John Greaves, qu’on a entendu souvent depuis dans nos contrées, et très à son avantage. J’ai été personnellement peu convaincu par la prestation de ce quartet, dont les codes sont ceux de la musique improvisée « radicale » (ou du moins assez radicale), mais dont la prestation d’hier soir a un peu tourné autour de l’idée sans parvenir complètement à la rejoindre. J’ai souvent, ici même ou ailleurs, soulevé cette question pour ne pas y revenir trop longuement. Car d’une part nous sommes aussi les « constructeurs » de notre concert, et la part de l’écoute y est fondamentale. Pour certains « ça joue », et pour d’autres « ça lasse ». Et ce ne sont jamais les mêmes. Je me souviens d’avoir terminé en larmes de bonheur un concert de Keith Tippett avec Paul Dunmall et Julie Tippets à Luz St-Sauveur il y a quelques années, n’avoir guère débandé au cours d’une prestation d’un groupe animé par Frédéric Blondy, avec Peter Evans à Tampere, cependant qu’autour de moi la vie semblait continuer son cours imperturbable et ronronnant. Et les voisins de me regarder avec apitoiement. Et bien hier soir c’était un peu l’inverse. Et sans doute était-ce moi qui ronronnait.

A suivre donc. A l’heure où j’écris ces lignes, Kei McGregor doit jouer la musique qu’il aime, celle de son père, mais d’autres aussi, et demain (dans ce même lieu, le « Marché des Douves », admirablement restructuré en lieu de culture) suite des concerts et autres réjouissances. Et puisque je viens d’évoquer la figure, tant aimées chez nous, de Chris McGregor, rendez-vous au Mans le 21 mai pour le « Brotherhood Heritage » présenté par François Raulin et Stephan Oliva.

Philippe Méziat|Longtemps que Bordeaux est une histoire très anglaise. Même que lorsque je ne sais plus qui a voulu redonner un lustre plus hispanique à la cité du « french claret », on lui a fait remarquer gentiment qu’ici on regardait vers le nord, que l’Aquitaine avait longtemps été possession de la couronne britannique, et que s’il fallait en donner des preuves elles ne manquaient pas dans une ville qui connaît ou a connu, parmi ses négociants (et pas tout à fait en vain), des Laughton et autres Barton, Lynch et Kirwan. Bref, Bordeaux qui regarderait vers l’Espagne, ça fait rire tout le monde.

Est-ce pour cette raison que le très pyrénéen Yan Beigbeder a choisi d’intituler « Une histoire très anglaise » les deux journées consacrées aux musiques que lui et son association défendent et illustrent depuis des années dans un contexte bordelais, girondin et aquitain plutôt difficile ? Je ne sais, mais toujours est-il que nous étions conviés hier soir au premier volet d’une manifestation qui associe concerts, entretiens, et sympathiques propositions du bien vivre, aimer boire et chanter. Ce pourquoi, évidemment, l’envoyé spécial de « Jazz Magazine » était là.

Prune Becheau : violon baroque

Tim Hodgkinson Quartet : Tim Hodgkinson (cl, b-cl), Denman Maroney (p), Paul May (dm), Dominique Lash (b)

Jeune musicienne de la région, Prune Becheau se présente avec un violon baroque, l’archet qui va avec, et un modeste système d’amplification qui donne à son jeu la juste puissance qui convient tout en lui conservant une dimension acoustique entière. Elle met son nez dans les cordes, tout près des ouïes et du chevalet, et commence à frotter et gratter les cordes, plutôt vers l’extrémité du manche, dans une approche qui dédaigne le son académique et s’efforce de retrouver tout un univers de sonorités et de musiques du monde, invitant à un voyage qui excite les sens et l’esprit d’une façon très convaincante. À partir de ses propositions, qui reposent sur des figures précises, répétées, variées avec lenteur et précision, tout un univers se met en place où chacun trouve les déserts qu’il porte en lui ou les profondeurs marines qu’il entend. On va ainsi de bleds en ambiances urbaines, de ciels en abysses, et d’étendues glacées en forêt tropicales. « Musique des pygmées AKA » me glisse un voisin, à quoi j’acquiesce en pensant à Benoît Delbecq, ou au groupe Aka Moon. Concentrée, soucieuse de donner sens à ses frottis de cordes, à ses coups d’archet, à ses caresses boisées, Prune Becheau illustre bien par son jeu, son travail, la musique qu’elle produit, la génération actuelle des musiciens qui ont compris et admis que la liberté n’est rien sans le souci d’y faire apparaître une forme. Une découverte pour beaucoup.

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Prune Becheau, le nez dans les cordes

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Prune Becheau, l’émotion finale

Et sans doute aussi pour les musiciens du quartet qui a suivi, dont le chef (faut-il le rappeler ?) fut l’un des membres de la formation appelée Henry Cow dans les années 70 !!! Avec Fred Frith (qui a depuis laissé rien moins qu’une oeuvre, et une manière de composer), et John Greaves, qu’on a entendu souvent depuis dans nos contrées, et très à son avantage. J’ai été personnellement peu convaincu par la prestation de ce quartet, dont les codes sont ceux de la musique improvisée « radicale » (ou du moins assez radicale), mais dont la prestation d’hier soir a un peu tourné autour de l’idée sans parvenir complètement à la rejoindre. J’ai souvent, ici même ou ailleurs, soulevé cette question pour ne pas y revenir trop longuement. Car d’une part nous sommes aussi les « constructeurs » de notre concert, et la part de l’écoute y est fondamentale. Pour certains « ça joue », et pour d’autres « ça lasse ». Et ce ne sont jamais les mêmes. Je me souviens d’avoir terminé en larmes de bonheur un concert de Keith Tippett avec Paul Dunmall et Julie Tippets à Luz St-Sauveur il y a quelques années, n’avoir guère débandé au cours d’une prestation d’un groupe animé par Frédéric Blondy, avec Peter Evans à Tampere, cependant qu’autour de moi la vie semblait continuer son cours imperturbable et ronronnant. Et les voisins de me regarder avec apitoiement. Et bien hier soir c’était un peu l’inverse. Et sans doute était-ce moi qui ronronnait.

A suivre donc. A l’heure où j’écris ces lignes, Kei McGregor doit jouer la musique qu’il aime, celle de son père, mais d’autres aussi, et demain (dans ce même lieu, le « Marché des Douves », admirablement restructuré en lieu de culture) suite des concerts et autres réjouissances. Et puisque je viens d’évoquer la figure, tant aimées chez nous, de Chris McGregor, rendez-vous au Mans le 21 mai pour le « Brotherhood Heritage » présenté par François Raulin et Stephan Oliva.

Philippe Méziat