Jazz live
Publié le 14 Oct 2019

Ellinoa et le Wanderlust orchestra au Pan Piper

 

Photo : Myra Sanbar

 

Avec son grand orchestre Wanderlust, la chanteuse, compositrice, et arrangeuse Ellinoa affirme un univers musical aux couleurs originales, puissantes, envoûtantes…

Ellinoa (voix, compositions, arrangements), Sophie Rodriguez (flûtes), Balthazar naturel (cor anglais et hautbois), Illyes Ferfera (saxophone alto), Pierre Bernier (sax ténor), Robinson Khoury (trombone), Adélie Carrage (violon), Anne darrieu (violon) Hermine Péré-Lahaille (violon alto), Juliette Serrad (violoncelle), Mathis Pascaud (guitare), Richard Poher (piano) Gabriel Westphal (batterie), Léo danais (percussion), le Pan Piper, 7 octobre 2019

L’originalité d’Ellinoa se lit d’abord dans la palette sonore de son grand orchestre: chez elle pas de trompette (crime de lèse-majesté…) mais un hautbois et un cor (joués tous deux par Balthazar Naturel), une vocaliste, elle-même, utilisée comme soufflante (sur scène, Ellinoa se place significativement à côté de la flûtiste) et enfin au premier rang, deux violons, un violon alto, et un violoncelle, c’est à dire un quatuor à cordes, qui est le véritable coeur de l’orchestre. Cette palette renvoie bien sûr à une esthétique. Ellinoa, à la différence d’un big bang de jazz habituel, ne travaille pas sur la puissance mais sur l’élan. Elle ne cherche pas à coller l’auditeur au plafond, mais plutôt à le faire voyager, et à l’emmener très loin. D’ailleurs, le thème du voyage est le fil rouge de son album et des morceaux qui sont joués ce soir. Ellinoa a choisi comme titres de ses compositions des mots empruntés à différentes cultures qui n’ont pas leur équivalent en Français: Komorebi, par exemple, le premier morceau, signifie en japonais « la lumière du feuillage qui passe à travers le feuillage des arbres ». Ou encore Iktsuarpok, mot inuit pour dire « l’excitation qui pousse à sortir sur le pas de sa porte (de son igloo?) pour vérifier que quelqu’un va venir », Waldeinsamekeit, mot allemand qui désigne le fait de marcher seul en forêt, Ya ‘Aburnee qui en Arabe signifie « aimer quelqu’un jusqu’à vouloir que ce soit lui qui vous porte en terre ».
Cet élan poétique, Ellinoa l’obtient en travaillant sur la masse orchestrale. Les solos sont assez brefs pour que ne soit pas rompue la trame orchestrale. Ils permettent cependant aux musiciens d’improviser et de tirer leur épingle du jeu. Le tromboniste Robinson Khoury, par exemple, s’illustre notamment dans Waldeinsamkeit, poétique marche en forêt où il semble rencontrer quelques chouettes dont il exprime les hululements par le truchement de son trombone. Ou encore Camille Passeri (trompettiste invité) qui se montre d’une expressivité bouleversante dans son introduction de Ya’aburnee, utilisant au mieux toute la dimension vocale et nasale de la trompette, jusqu’à se transformer sous nos yeux en véritable muezzin.
En tant que vocaliste, Ellinoa se montre elle-même d’une intensité extraordinaire, par exemple dans le premier morceau, Komorebi. Il n’est pas tout-à-fait exact, d’ailleurs, de dire que sa voix est utilisée comme un instrument à vent ou à bois supplémentaire: C’est plus que ça, car c’est sa manière de s’envoler vers de vertigineux aigus, au-dessus de la flûte, au-dessus de la masse orchestrale, qui fait basculer définitivement ce morceau vers le grand frisson.
La musique jouée ce soir se caractérise par son ampleur, ses rebondissements, ses fausses fins, ses surprises. Dans chaque morceau, on relève de nombreuses et admirables finesses d’orchestrations (par exemple cette utilisation de la guitare et du piano comme piments rythmiques). C’est délicat, surprenant, frémissant, et cela témoigne d’un univers musical personnel et déjà totalement abouti.

JF Mondot