Jazz live
Publié le 13 Fév 2022

Étape à l’Arrosoir 1 : le trio Emler Tchamitchian Échampard

Chalon-sur-Saône, un lieu singulier et efficace qui fête ses cinquante ans ; un trio, celui d’Andy Emler, Claude Tchamitchain et Éric Échampard, “cœur battant” du MegaOctet, présentant “The Useful Report”, leur quatrième album en vingt ans de carrière.

Avec ses cinquante années d’existence, l’Arrosoir de Chalon-sur-Saône est l’un des plus vieux clubs de jazz français en activité, après, si l’on en croit un communiqué, le Caveau de la Huchette, Hot Club de Lyon (73 ans) et le Jazz Club de Grenoble (60 ans)… Et l’on ne doit pas être loin du compte. Baptisé Jazz Club de Chalon, puis renommé du nom moins restrictif et moins intimidant de L’Arrosoir, ce sobre caveau vouté a d’abord été animé par plusieurs générations de bénévoles que complètent depuis les années 1990 une équipe salariée emmenée par Médéric Roqueselane, pour une programmation qui fait l’objet d’un travail collégial, pour un travail sur l’accompagnement des musiciens et pour l’organisation d’actions culturelles en vue d’élargir le public, et ce en partenariat avec les réseaux nationaux et régionaux tel le très actif Centre régional du jazz de Bourgogne Franche-Comté. La programmation ? Outre une forte présence de l’Arfi lyonnais (Workshop de Lyon, Marmite infernale et ses ramifications, les  noms qui suivent, piochés dans l’historique du lieu, parlent d’eux-mêmes : Steve Lacy, Vienna Art Orchestra, Bojan Z, Didier Levallet, François Corneloup, Sophia Domancich, Elise Caron, Glenn Ferris, Louis Sclavis, Dominique Pifarély, Benoît Delbecq, François Raulin, Jeanne Added, André Minvielle, Dave Liebman, Joëlle Léandre, Pierrick Pedron, Das Kapital, Sarah Murcia, Géraldine Laurent, Sylvaine Hélary, Airelle Besson, Bruno Chevillon, etc., avec cette année une création de l’accordéoniste Christophe Girard (“Time and Mirror” avec la clarinettiste Elodie Pasquier, la violoniste Amaryliss Billet, le joueur d’euphonium Anthony Callet, le contrebassiste Claude Tchamitchian et le batteur François Merville) dont hier au club on m’a plusieurs fois parlé avec enthousiasme.

Le caveau lui-même et ses dépendances (bar… son Givry et ses Côtes chalonnaises, toilettes, cuisine où se restaurent bénévoles et musiciens avant le concert) ont fait récemment l’objet de travaux de réhabilitation, notamment en matière d’équipement son et lumière, bénévoles et sympathisants ayant souscrit pour compléter les aides diverses. En outre, l’arrivée d’un nouveau piano en 2020 a motivé une programmation 2021-2022 riche en pianistes : Anne Quillier, Jean-Marie Machado, Pierre de Bethmann, Bruno Ruder, Stéphan Oliva, Benjamin Moussay pas plus tard que dans quelques heures, et hier 12 février, le trio Emler Tchamitchian Echampard pour le programme de leur nouveau disque “The Useful Report”, constat navré sur le monde d’aujourd’hui ayant fait l’objet d’une écriture plus dense et précise que jamais

Et justement, les voici avec la première pièce du programme The Document sur le terrain de la musique répétitive, les micro-variations émises par le piano sur la note pédale battue de l’archet sur la contrebasse, n’étant pas sans évoquer l’univers de Terry Riley. Tout le répertoire n’est pas à l’avenant, quoique The Real s’inscrive dans un même minimalisme où cette-fois-ci la partition de la contrebasse se joue dans l’ombre de celle du piano. Toutefois, ces deux premiers morceaux d’ouverture nous donnent déjà un aperçu du fonctionnement du trio. Andy Emler s’étant toujours défendu d’être un pianiste de jazz, on l’entend plutôt poser une trame en perpétuel mouvement, décliner des palettes de couleurs, agencer des angularités abstraites moyennant quelques citations dissimulées ici ou là. Et lorsqu’il y a récit, on est plus près de la musique classique du XXème siècle ou du rock que du jazz. Tchamitchian trame aussi, fait pulser des ostinatos dont il s’évade parfois avec ardeur dans la tradition du solo de contrebasse, joint l’archet aux progressions du piano comme s’ils jouaient tous deux le même pupitre. L’effet d’acoustique résultant d’une frappe puissante sous un plafond aussi bas, inviterait facilement à privilégier l’écoute du batteur comme véritable soliste, tant on peut se laisser captiver par l’intelligence des choix de timbres et de placements, la précision et l’élégance de leur réalisation, la qualité des nuances (et si l’on peut parler de puissance, il faut surtout parler de dynamique). Mais ce serait un erreur de trop s’y laisser trop distraire, tant tout ici relève, dans la polyphonie comme dans les instants monophoniques, d’une démarche collective, d’un son orchestral, dont on ne saurait isoler une partie d’une autre. Franck Bergerot