Jazz live
Publié le 14 Fév 2022

Étape à l’Arrosoir 2 : Benjamin Moussay en solo

Hier 13 février, le pianiste Benjamin Moussay se produisait à l’Arrosoir de Chalon-sur-Saône sur le répertoire de son disque “Promontoire” publié chez ECM.

Étape 2, mais troisième soirée, car je n’avais pas assisté à la première de ce week-end chargé et inauguré le vendredi 11 par le trio de Laurent Dehors. Fin de week-end donc, à 17h, l’heure du salon de thé. Ni thé, ni petits gâteaux, mais un Arrosoir réaménagé en salon, les spectateurs répartis en cercle autour du nouveau piano du lieu, un C3X Yamaha dont se réjouira Benjamin Moussay lors des remerciements adressés en fin de concert.

Le voici qui arrive, du côté de la cuisine et du bar, contourne le piano, hésite, puis salue plusieurs fois en faisant un tour complet sur lui-même… Ah ! C’est facile de raconter ce qu’on voit, plus difficile de décrire une musique, et mes notes, prises dans le noir, sont illisibles. Il arrive que le seul fait d’avoir pris des notes fixe les souvenirs. La séduction immédiate provoquée par cet homme seul face à un piano qu’il interroge d’abord en faisant miroiter les harmonies d’une petite chanson et les harmoniques qu’elles soulèvent, aura eu raison du devoir de rendre compte de l’exactitude et de la sensibilité des doigts pour traduire l’intime au cœur de l’album “Prompontoire”. Un intime qui n’est pas nécessairement douloureux, où la sensation voisine avec l’émotion, où l’intensité de celle-ci peut à voir avec la joie, de celles que peut connaître un père de famille ou l’alpiniste qu’est aussi Benjamin Moussay. Et peut-être suis-je trahi par le souvenir sur disque et de ce que ce morceau n’est plus sur scène. Cette petite chanson, 127 que je réécoute sur l’album n’était-elle pas plus développée hier ? Le souvenir des Vosges de son enfance évoqué dans l’éponyme Promontoire suscite un lent déroulé harmonique par vagues successives comme au bord d’une mer calme. L’harmonie prend un petit trot sur l’ostinato rythmique de Horses. J’attends impatiemment mais en vain cet autre morceau qui avait retenu mon attention lors du concert donné l’automne dernier à Nevers, où j’avais trouvé des accents mélodiques dignes de Randy Newman. Trinquant avec Benjamin Moussay au bar à l’issue du concert, il se souvient de ma chronique et s’exclame : « Mais c’est Villefranque ! Je l’ai aussi joué ce soir ! » et ne s’étonne néanmoins pas plus que ça de ce que je l’ai pas reconnu, tant ce répertoire évolue de concert en concert. Lorsqu’il annonce Théa en hommage à sa dernière fille, le concert touche à sa fin. À travers un joyeux chahut musical qui n’est pas sans évoquer le Pardon My Rags de Keith Jarrett, on comprend que la petite est espiègle et d’une joie turbulente qui suscite une explosion d’applaudissements et de chaleureux rappels.

Reparti par l’enfilade du bar et de la cuisine, il en reviendra comme l’on rentre sur scène en fin de concert à Pleyel et suggère « un peu de jazz » qu’il annonce dédié par un grand contrebassiste et compositeur à un grand pianiste et compositeur. On reconnaît bientôt Duke Ellington’s Sound of Love de Charles Mingus. Mais alors qu’il semble revisiter une sorte d’histoire du piano jazz pré-evansien, le voici qui tombe – « par hasard, sans l’avoir voulu » expliquera-t-il – sur In Walked Bud de Thelonious Monk à son ami Bud Powell. Le hasard a ses raisons.

Ainsi se terminait ce long week end chalonnais. À suivre à l’Arrosoir : le 4 mars, Marc Ducret et le Quatuor Bela pour une Suite lyrique électrique d’après Alban Berg, le 6 mars (après-midi) Cluster Table des percussionistes Sylvain Lemêtre et Benjamin Flament, le 25 mars le quartette Quiet Men de Denis Colin, le 27 mars (après-midi) le Big Band de poche revisite Herbie Hancock (étudiants du département jazz du Conservatoire du Grand Chalon, sous la direction du saxophoniste Olivier Py), etc. Franck Bergerot