Jazz live
Publié le 27 Fév 2019

Eve Risser, la tisseuse de nuages

A la Maison des Arts de Créteil, le Red Desert orchestra d’Eve Risser a joué Eurythmia, sa dernière composition, d’une exquise douceur.

Eve Risser (composition, arrangement, piano préparé) Sakina Abdou (saxophones), Grégoire Tirtiaux (saxophone baryton), Nils Ostendorf (trompette), Matthias Muller (trombone), Melissa Hié (balafon, djembé), Ophélia Hié (balafon, djembé), Tatiana Paris (guitare), Oumarou Bambara (balafon, djembé, goni), Maison des Arts de Créteil, dans le cadre de Sons d’Hiver, le 22 février 2019.

AnnieClaire Alvoët

Ça commence avec des souffles, des bruissements, des frottements. Des fantômes de sons se promènent. On est dans une couveuse de bruits. Ils vont éclore, bientôt, mais pour l’instant ils ne sont pas prêts, pas encore. La scène est dans une pénombre entre chien et loup qui est propice à la rêverie et convient bien à cet univers musical de sons ambigus, évolutifs, et mouvants.  Puis, de nouveaux sons apparaissent, on dirait la rencontre entre des coquillages et le gazouillis des ordinateurs des années 80. L’arrivée de ces nouveaux sons ne chasse pas les autres. Il y a juxtaposition, entremêlements, coexistence. Mais petit à petit les cuivres vont structurer ce paysage grouillant, avec des unissons d’une douceur exquise. Ici les cuivres sont utilisés à contre-emploi, pour leur douceur, au cours d’interludes très brefs qui vont revenir régulièrement et exercer un effet étrange et saisissant.

 

Mais ces cuivres qui jouent sur la pointe des pieds n’annulent pas les autres bruits. Il reste toujours un soubassement organique et grouillant à cette musique. Des sons apparaissent, se superposent, et disparaissent. Un djembé intervient par la bande. C’est le début d’une ambiance africaine qui va s’imposer progressivement. Le rythme prend le pouvoir. Les balafons (il y a deux balafonistes dans cet orchestre métissé) se font de plus en plus entendre.

 

J’ai noté dans mon carnet pour ce moment là: « pique-nique africain ». On a l’impression d’une fête avec des disputes et des réconciliations, et les cris des enfants qui jouent à cache cache. C’est joyeux et doux. A certains moments des bruits plus durs viennent menacer cette fête sans l’interrompre. Et les unissons de cuivres reviennent, toujours d’une manière différente, par exemple lorsqu’intervient le saxophoniste baryton Grégoire Tirtiaux qui descend l’échelle des graves en respiration continue.

AnnieClaire Alvoët

La musique est d’une seule coulée. Presque pas de chorus, tout pour la structure d’ensemble. Et cela continue ainsi jusqu’à la fin. La musique oscille donc entre ces deux polarités, la douceur des cuivres et la chaleur des balafons. Et tout cela se combine avec une matière sonore vivante et mouvante qui s’agite, grésille, vibre en arrière-plan et dans les interstices. Ces textures complexes bougent et évoluent sans heurt.

AnnieClaire Alvoët

Je me dis alors, tel Archimède entrant dans son bain pour y recevoir la pomme qui allait lui donner l’intuition de la gravitation universelle (ou du vaccin contre la rage, je ne sais plus): Mais oui, une bonne arrangeuse, c’est ça. C’est l’art de faire grandir et évoluer un nuage depuis le premier souffle d’air jusqu’au cumulonimbus couperosé. L’art de le faire vivre et évoluer en combinant les mouvements d’airs chauds et froids. Au sortir de ce concert, mon opinion était fixée: Eve Risser est une remarquable tisseuse de nuages.

texte: JF Mondot
Dessins : AC Alvoët (autres dessins, peintures, gravures à découvrir sur son site: www.annie-claire.com)

PS1: Le Red Desert Orchestra d’Eve Risser jouera à Tours, au Petit Faucheux,  le 30 avril 2019 à 20h.

PS2: Autres  renseignements sur la musique d’Eve Risser et du Red Desert Orchestra à découvrir sur son site https://www.everisser.com

PS3: Après Eve Risser, Steve Coleman a donné un inoubliable concert dont Franck Bergerot a écrit un compte-rendu que nous recommandons « Steve Coleman et la Natal Eclipse ».