Jazz live
Publié le 31 Mai 2019

Jazz en Comminges. Ron Carter, Youn Sun Nah

La qualité dans la diversité. Telle pourrait être la devise d’un festival que ses éditions précédentes ont illustrée chacune à sa manière. Le souci d’offrir une programmation reflétant les facettes du jazz, sans exclusive et sans parti pris, ouverte sur l’innovation mais respectueuse aussi des racines, n’en est jamais absent. Le dix-septième Jazz en Comminges reste fidèle à ce mot d’ordre. En témoigne une soirée d’ouverture contrastée pour ce qui est des styles de musique offerts, mais dont les deux parties ont séduit la nombreuse assistance.

Ron Carter Foursight Quartet « Dear Miles ».

Ron Carter (b), Renee Rosnes (p), Jimmy Greene (ts), Payton Crosley (dm). Saint-Gaudens, Parc des Expositions, 29 mai.

Une valeur sûre, pour ouvrir le feu : Ron Carter. Le contrebassiste qui a côtoyé les plus grands au cours d’une carrière jalonnée par quelque deux mille cinq cents albums enregistrés dans les contextes divers, annonce clairement la couleur. C’est à une célébration de Miles Davis que nous sommes conviés. Juste hommage à celui dont il fut, avec Wayne Shorter, Herbie Hancock et Tony Williams, le partenaire au sein d’un quintette demeuré fameux. A quatre-vingt-deux ans, il n’a rien perdu de ce son qui le rend immédiatement reconnaissable. Sa technique est intacte, et sa musicalité. Les premières mesures suffisent pour s’en convaincre, la suite le confirme. Non seulement il reste le solide accompagnateur capable de fournir au groupe une assise inébranlable, mais ses interventions en solo démontrent qu’il reste ce mélodiste délectable qu’il a toujours été.

Ses partenaires se montrent à la hauteur de l’entreprise. Jimmy Greene, qui a connu la célébrité grâce à son album « Beautiful Life » (2014),est une valeur sûre. Récompensé par plusieurs Grammy Awards, un solide ténor ancré dans le hard bop, dont le discours évoque souvent Coltrane, parfois Rollins pour la prolixité du discours. La pianiste canadienne Renee Rosnes a elle aussi à son actif une carrière bien remplie auprès de musiciens de la trempe de Joe Henderson, Wayne Shorter, Bobby Hutcherson, entre autres. Un toucher délicat, une imagination  qui se déploie dans un My Funny Valentine en duo avec Ron Carter. Un modèle de sobriété et de sensibilté qui débouche, sous les doigts du contrebassiste, par l’évocation d’une suite de Jean-Sébastien Bach. Un clin d’œil à ce third stream qu’il a toujours pratiqué avec bonheur.

Payton Crosley, batteur aussi efficace que subtil (son jeu sur les cymbales est un modèle de légèreté) fournit à l’ensemble un soutien constant. Au menu, des standards (You And The Night And The Music), des medleys composés de succès de Miles, dont un remarquable Seven Steps To Heaven. Un concert goûteux et gouleyant, sans la moindre défaillance ou approximation. Captivant de bout en bout.

Youn Sun Nah

Youn Sun Nah (voc), Tomek Miermowski (g, claviers, prog), Rémi Vignolo (dm, perc, b, elb).

Saint-Gaudens, Parc des Expositions, 29 mai.

En quelques années, Youn Sun Nah s’est imposée comme une artiste majeure de la scène jazz contemporaine. Sa présence à l’affiche de nombreux festivals, tant chez nous qu’à l’étranger, l’atteste avec éloquence. Une ascension et une consécration qui ne doivent rien au hasard. La chanteuse sud-coréenne jouit d’atouts non négligeables – une voix bien timbrée à la tessiture exceptionnelle, une diction limpide, le sens du swing, l’art de la scène. En outre, son charme indéniable, sa capacité à séduire le public avec une simplicité et un naturel qui lui appartiennent en propre contribuent à un succès amplement mérité. Elle le prouve une fois encore dans un récital qui lui vaut une standing ovation finale.

La vocaliste a largement renouvelé non seulement ses accompagnateurs, mais son répertoire. Deux partenaires seulement, mais « multifonctionnels », faisant largement appel aux sortilèges de l’électronique. Aptes l’un et l’autre à profiter des larges espaces de liberté qui leur sont concédés pour créer un climat particulier où trouvent  leur place l’onirisme et une forme d’envoûtement.  Rémi Vignolo passe avec aisance de la batterie à la contrebasse (et vice versa, ajouterait Joseph Prudhomme). Tomek Miermowski joue en virtuose de la guitare, des claviers, des boîtes à rythme et et de tous les autres gadgets que propose la technologie actuelle.

Tout cela au service d’un programme musical où la prospection tous azimuts est de règle, des standards du jazz (My Funny Valentine, encore) à la musique espagnole (Asturias, d’Albéniz) en passant par la chanson française (Sans toi, de Michel Legrand et Agnès Varda). Sans oublier l’Hallelujah de Leonard Cohen. J’avais noté l’an dernier qu’il marquait l’apex de la prestation de Youn au festival Jazz à Juan. Une fois encore, la magie opère. Une interprétation pleine d’émotion et d’originalité.. Une ferveur à laquelle il est difficile de rester insensible. Et la confirmation que, si son emploi n’était aussi galvaudé, le mot « charisme » conviendrait à merveille pour caractériser une chanteuse à la personnalité si attachante.

Jacques Aboucaya