Jazz live
Publié le 20 Mai 2019

JAZZ SUR LE VIF : ORBIT et PAOLO FRESU

Soirée euro-américaine au studio 104 de la Maison de la Radio pour le neuvième concert de la saison ‘Jazz sur le Vif’ : Arnaud Merlin nous avait concocté une soirée de haut vol avec le trio rassemblé par le pianiste Stéphan Oliva, et la version acoustique du Devil Quartet de Paolo Fresu

Le trio Orbit pendant la balance

ORBIT Trio

Stéphan Oliva (piano), Sébastien Boisseau (contrebasse), Tom Rainey (batterie)

Paris, Maison de la Radio, studio 104, 18 mai 2019, 20h30

Sur le plateau pendant la balance

Concert parisien pour une tournée qui fête la sortie du disque «Orbit» (Yolk Records/l’autre distribution), après escales à ‘Jazz in Arles’ (compte-rendu de Sophie Chambon iciet au Pannonica de Nantes, et avant le Périscope de Lyon, le Cri du Port de Marseille et le Petit Faucheux de Tours. Émotion, enthousiasme et ferveur dans cette salle qui accueillit naguère Monk, Bill Evans, Martial Solal, Ahmad Jamal, Hampton Hawes, Keith Jarrett et beaucoup d’autres…. Le nom du groupe et/ou du disque est un acronyme : ‘Orbit’ pour (O)liva, (R)ainey, (B)oisseau,(I)nternational (T)rio. Collaboration transatlantique avec un batteur californien que nous avons adoré en compagnie de Tim Berne, Ray Anderson, Ingrid Laubrock, Simon Nabatov, Mark Feldman et quelques autres. Et aux côtés de Stéphan Oliva et Sébastien Boisseau nous l’adorons tout autant. Le pianiste et le bassiste signent le répertoire, vivant, brillant ou nostalgique, transgressif ou amoureusement relié à la tradition du jazz moderne. Le programme suivra pour une partie du concert le cheminement du CD, mais c’est manifestement par souci de cohérence pour révéler les facettes successives du trio. Et le concert n’est pas la redite du disque : la vie de l’instant tend à prévaloir à chaque seconde, le bassiste respire la joie de jouer, le pianiste se tient sur le fil du risque, entre la jouissance de la phrase, du rythme, et le gouffre que l’on côtoie quand on prend le parti de la création. Et le batteur, d’une précision diabolique, économe de ses geste en apparence, transmet en permanence l’intensité : magnifique interaction de chaque instant. Après un début de concert sur Split Screen, traité avec plus d’urgence encore que sur le disque, Wavin nous entraîne en terre de méditation énigmatique, de tonalité mouvante. J’ai un instant l’impression que le piano zingue, sans comprendre si c’est le fait de la sonorisation, de l’harmonisation de l’instrument, ou simplement la conséquence d’une séquence répétitive qui sature l’espace sonore. Brève sensation qui ne gâte en rien mon plaisir. Puis c’est le beau portrait musical de l’actrice Gene Tierney, lyrique à souhait, et la basse pousse le lyrisme jusqu’à la danse, danse où le piano fait son entrée, accroissant le vertige : à cet instant, ce portrait pourrait tout aussi bien être celui de Bill Evans. S’enchaînent ensuite deux thèmes où les trois instruments vont croiser leurs rythmes en une sorte de jeu qui se résoudra par un solo de batterie accompagné par piano et contrebasse, qui servent le soliste en magnifiant nuances et tensions. Ici l’on s’évade de l’ordre des plages du disque, en abordant dès à présent une composition du bassiste qui clôturait le CD : la basse chante et danse sur des arpèges de piano qui fleurent bon l’Orient extrême, tandis que la batterie, en creux, nous raconte aussi une histoire. Puis c’est l’évocation d’Ornette Coleman, avec deux thème où se glisse le souvenir de Turnaround : ici les libertés sont coordonnées, sans surveillance mais avec cohérence, une sorte de poésie fracturée que le groove, tout aussi fracturé, reconstitue pas à pas. Et en rappel Polar blanc nous offre une autre image de la liberté : escapades et retours multiples, dissonances, tensions et exaltation d’une musique aussi libre que cohérente. Le public ne s’y est pas trompé, qui a exprimé son adhésion avec chaleur.

Orbit sera en concert le 22 mai 2019 au Périscope de Lyon, le 23 au Cri du Port de Marseille, et le 24 au Petit Faucheux de Tours

PAOLO FRESU DEVIL QUARTET

Paolo Fresu (trompette, bugle, effets), Bebo Ferra (guitare), Paolino Della Porta (contrebasse), Stefano Bagnoli (batterie)

Paris, Maison de la Radio, studio 104, 18 mai 2019, 21h50

Le groupe joue le répertoire de son troisième disque, «Carpe Diem». Pour ce CD le quartette, qui taquinait à l’origine les démons de l’électricité, s’est fait acoustique, côté guitare comme côté batterie, laquelle se jouera exclusivement aux balais. Au tout début du concert, j’ai la sensation du trop huilé, de l’excessivement fluide : ce serait sans compter avec le talent du leader ; il commence le morceau à la trompette, enchaîne au bugle, on est dans une ambiance nostalgique et folky, mais il se passe beaucoup de choses dans cet univers faussement lisse. Le lyrisme du souffleur nous porte en mélodies subtiles vers le solo conclusif du guitariste, qu’il soutient en douceur d’une longue séquence de souffle continu. Ensuite il va jouer, sobrement mais avec précision, de ses effets, pour construire le déroulement de Un tema per Roma. Puis sur une belle ballade du bassiste, ourlée dans la plus pure tradition des standards, le compositeur, le guitariste et le trompettiste vont faire chanter leurs instruments avec chaleur et finesse. Changement de climat au thème suivant : ici ça groove, et remonte en moi le souvenir des groupes de Herbie Hancock au tournant des années 70, époque «Fat Albert Rotunda». Phantasme d’amateur vieillissant ? J’assume ! Et ma mémoire fait aussi resurgir La Fiesta de Chick Corea : serais-je un incorrigible nostalgique ? Après une composition du batteur évoquant son ami Giulio Libano, trompettiste arrangeur qui fit les belles heures de la pop italienne comme du jazz transalpin, nous aurons un solo de balais agrémenté de percussions à mains nues d’une belle intensité ; et ça débouchera sur un thème digne de la grande époque Blue Note, tendance Jazz Messengers, autour du blues, avec escapade vers des phrases et des harmonies sinueuses, et plus loin un solo de guitare tout en douceur qui tranche sur le climat initial. Il y aura dans la suite du programme de grands moments de bugle (Paolo Fresu est un orfèvre !) , et en rappel Carpe Diem, thème-titre du disque qui fournissait l’essentiel du programme. Beau groupe, belle cohésion, grands solistes, le tout agrémenté des présentations pleines d’humour (souvent pince-sans-rire) de Paolo Fresu, dans un français impeccable orné de quelques pirouettes transalpines : un régal. Belle soirée vraiment, avec ces deux parties contrastées, d’une égale densité dans des registres vraiment différents.

Xavier Prévost

Paolo Fresu sera en concert avec le groupe A Filetta le 14 juin à Châteauvallon-Scène Nationale, à Ollioules (Var)

On nous promet la diffusion des concerts ‘Jazz sur le Vif’ sur France Musique durant l’été : des précisions dès que possible.