Jazz live
Publié le 16 Oct 2019

Jazz sur Seine : les Lombards en fête

Mardi 15 Octobre, Jazz sur Seine, le festival des lieux adhérents à l’association Paris Jazz Club, célébrait la diversité du jazz français au travers un “showcase” marathon où l’on pouvait entendre gratuitement dix-huit formations réparties sur six lieux de 19h30 à 23h en trois tranches horaires.

Rendez-vous est donné à la profession – journalistes, organisateurs venus faire leurs courses – au rez-de-chaussée du Baiser salé où l’on me passe au poignet un bracelet jaune me donnant un accès prioritaire aux différents programme. Le temps de saluer quelques mains et claquer quelques bises dans un espace fort confiné, j’ose le trio Sweet Dog de Julien Soro (sax ténor, électonique), Paul Jarret (guitare électrique) et Ariel Tessier (batterie) qui invite la clarinettiste Elodie Pasquier à se joindre à leurs exercices d’improvisation collective sans préalable. D’emblée ça grince, ça frotte, ça sature, ça growl, ça hurle, ça déborde devant les buveurs de bière du Guinness habitués à des musiques rudes mais plus limpides, et passablement interloqués de se voir rejoints pas un autre public plus habitué au Sunset-Sunside, au Baiser Salé et au Duc des Lombards. D’un bord comme de l’autre, on fuit rapidement ce furieux chaos sonore pour aller boire sa bière dans le brouhaha de la rue ou pour essayer un autre programme, ou l’on reste, les uns intrigués les autres en amateurs, tandis qu’aux premières clameurs musicales lancées comme on se jette dans une eau trop froide succède l’ébauche d’un récit collectif où chacun évolue à l’écoute de l’autre, glissant d’une proposition timbrale à une esquisse mélodique, d’un bruissement à un semblant de rythme, d’une action momentanée à une nappe sonore… et le concert se termine sans que l’on ait eu le temps de s’ennuyer.

Devant le Duc des Lombards, mon bracelet jaune me permet de couper un longue queue suffisamment discrètement pour ne pas soulever de protestation et au lieu de Lou Tavano que j’espérais voir, je tombe sur le pianiste-chanteur Maher Beauroy dont le set a pris quelque retard. Après le Sweet Dog pas si sweet que ça que je viens de fréquenter, le contraste est saisissant. Charme antillais de la voix et des mélodies soulignées d’un violon ductile (Robin Antunes), précision des arrangements, créolité du piano mêlant sa dextérité rythmique aux souples entrelacs de contrebasse (Sélène Saint-Aimé) et batterie (Tilo Bertholo), alchimie des timbres mêlés du vibraphone (Alexis Valet) et du steel band (la guest star Andy Narell).

Mais il faut finir et céder la place à Lou Tavano rejointe, sur la scène du Duc où beaucoup l’ont découverte, par son fidèle pianiste Alexey Asantcheeff, le violoncelliste Guillaume Latil, le contrebassiste Alexandre Perrot naturellement en tandem avec… Ariel Tessier qui sort hirsute de son set avec Sweet Dog pour servir l’univers précieux de la chanteuse. Car de préciosité il est question, qui pourrait être vue sous un angle péjoratif. L’abord peut surprendre et déplaire. Ils sont trop beaux, trop charmants, trop souriants, trop heureux… E l’on trouvera bientôt qu’elle en fait trop, trop de manières, trop de délicatesse du geste, du corps, des expressions qui se dessinent sur ce visage de porcelaine. On peut voir les choses ainsi, quelques uns ne s’en privent pas autour de moi et ça m’est arrivé. Mais, en trois refrains, elle m’a toujours “chippé”, comme l’est la majorité du public qui faisait tout à l’heure la queue pour elle. Préciosité, certes, mais exacte, maîtrise de l’émotion, comme du timbre, des nuances, du placement, de la dicton, et quelque chose qui n’est pas sans rappeler la puissance dramatique de Joni Mitchell, une certaine sauvagerie en moins.

Deux morceaux, mais me voilà déjà reparti… On ne traine pas rue des Lombards à deux jours du bouclage de son journal sans lui faire prendre quelque risque, mais si j’y avais trainé et circulé plus rapidement d’une salle à l’autre, j’aurais encore pu entendre le Tropical Jazz trio, le duo claviers-batterie Obradovic-Tixier, le trio de Julie Saury-Bonnefoy-Cabrera, le Warm Canto de Leila Martial, la suite Andamane de Leïla Olivesi, les invitations faites à Florin Niculescu et Mathias Levy respectivement par Hugo Lippi et Ellinoa, le quintette Ishkero, la flûtiste Ludivine Issambourg et ses Antiloops, le trio NEC+ d’Etienne Mbappé, les quartettes Flash Pig et Pig, le trio Bloom, Magic Malik et la bande d’Oxyd et le duo hurlant Bakos. Denis Lebas à qui j’ai marché sur le pied en quittant le Duc des Lombards, sans pouvoir m’en excuser dans l’atmosphère recueillie du lieu, a bien dû y trouver quelques idées pour le prochain Jazz sous les pommiers. En attendant, Jazz sur Seine continue avec ce soir 17 octobre le quartette de l’harmoniciste Laurent Maur au Baiser Salé, le trompettiste Theo Croker au Duc des Lombards, le tromboniste Ryan Porter au New Morning, la chanteuse Sarah Lenka au Sunside… Allez, demandez le programme. Franck Bergerot