Jazz live
Publié le 19 Juil 2021

MEMORIES of BARNEY

En cette période où l’on parle beaucoup de l’édition de luxe «Barney Wilen, La Note Bleue» (Elemental), qui vient de paraître, les souvenirs refluent en masse. J’écoute Barney depuis des décennies : d’abord la musique du film Ascenseur pour l’échafaud, que j’ai découverte par un 33 tours 25 cm vers l’âge de 12 ans, 3 ans après l’enregistrement ; puis une foule de disques («Afternoon in Paris» de John Lewis & Sacha Distel, le ‘Free Rock Group’, «Tragic Destiny of Lorenzo Bandini», «Moshi» ….).

C’est au tout début de 1981 que j’ai fait la connaissance de Barney, qui vivait encore du côté de Nice où il avait inventé le Burodujazz (sic), structure destinée à promouvoir le jazz, notamment par des concerts sur une scène mobile, héritage du Jazzmobile états-unien (un concept qui revivra des années plus tard chez nous, en Normandie, avec le Camion Jazz). Barney déjà légendaire, mystérieux, affable et bienveillant. Je participais, de l’autre côté de la frontière, à San Remo, à une radio francophone indépendante, professionnelle (j’étais l’un des très rares novices) et autogérée qui s’appelait ‘Radio K’. Entre autres activités j’y animais-produisais chaque semaine deux émissions, de jazz et autres musiques de son entour. Barney vint nous voir, je nouais avec lui des relations amicales, et il me proposa une idée : improviser en direct sur des mixages de musiques. Je lui proposais de mêler à ces musiques des ambiances sonores dans un esprit de chasseur de son. Je lui confiais une cassette de mixages (Steve Hillage, Bartók, musique Toma de Guinée, etc….) pour qu’il teste chez lui l’expérience. Le 30 août 1981, on procéda à un essai en studio, sur des musiques que je mixais au fur et à mesure, sans qu’il sache ce qui allait lui être proposé (Archie Shepp, Carey Bell Harrington….). Et le 25 septembre, ce fut un direct de 20h30 à 23h30, direct interrompu brièvement par un orage qui nous privait momentanément de la liaison hertzienne vers l’émetteur. Barney arborait la gamme complète des saxophones, du soprano au baryton, que venait de lui confier un facteur japonais dont il était devenu l’emblème. J’étais en même temps au micro et à la console (radio façon disc jockey que connaissaient bien les radios-pirates, où j’avais fait mes débuts, puis les radios présumées ‘libres’). Barney commença avant le ‘top départ’, pendant que je diffusais le nouveau big band de Martial Solal. Puis il improvisa pêle-mêle sur Bill Evans, Heaven Seventeen, Richard Strauss, Ornette Coleman, Gustav Mahler, Dexter Gordon, Albert Mangelsdorff…. et quelques Musiques du Monde, le tout mixé parfois avec le chant des grenouilles d’un bassin voisin, et d’autres ambiances, urbaines ou saisies dans la nature.

Barney avait parlé de moi à Philippe Carles, lequel me proposa de narrer l’événement dans les colonnes de Jazz Magazine. Ce qui fut fait dans le n° 304 de février 1982. Et je n’ai pas cessé depuis de collaborer à cette publication puisqu’aujourd’hui vous me lisez sur le site de ce journal….

Barney ne m’a pas seulement ouvert les portes de Jazz Magazine, mais aussi, sans le savoir, celles de France Musique. ‘Radio K’ ayant fermé ses portes fin janvier, j’ai envoyé des CV aux trois grandes radios nationales de l’époque, dont Radio France. Michèle Cotta (la deuxième pédégère de Radio France après Jacqueline Baudrier : il fallut ensuite attendre plus de 30 ans pour qu’une femme prenne à nouveau la direction de cette grande maison), Michèle Cotta donc avait transmis mon CV à René Koering, directeur de France Musique. Et à peine deux semaines après l’envoi du CV, je fus contacté par son secrétariat : il souhaitait me rencontrer…. J’arrive, tout auréolé de ma très fraîche collaboration à Jazz Magazine (dont le rédacteur en chef, et plusieurs collaborateurs, officiaient sur son antenne), et je lui parle de ce que j’ai fait à Radio K, et de ce que j’aimerais faire à France Musique. Je lui laisse une K7 du direct avec Barney, en lui expliquant bien que je n’avais été que l’instrument d’une idée conçue par le saxophoniste…. et moins de deux mois plus tard je fus engagé. Ce qui était inespéré pour un petit gars de la ruralité picarde passé par les universités de Lille, et que personne ne connaissait dans le microcosme du jazz parisien. Donc deux fois merci à Barney, qui m’a ouvert les portes d’une profession que j’ai exercée, avec bonheur, pendant plus de 3 décennies. L’autre ‘ange gardien’ de ma vocation professionnelle aura été Martial Solal, que j’avais écouté en trio aux JMF vers 1962-1963 (j’avais alors 13 ou 14 ans), et à qui j’ai ensuite consacré mes premiers articles dans la presse (régionale) à l’âge de 20 ans.

Ce qui me revient aussi, c’est la manière dont on réécrit un peu rapidement l’histoire de Barney Wilen. À la faveur de la publication du coffret de luxe autour de La Note Bleue, on dit et on écrit que la parution de la BD, et du disque éponyme, relancèrent la carrière du saxophoniste. Ce qui est en partie vrai. Mais Barney n’avait alors pas disparu. En janvier 1982, si ma mémoire est bonne, il participait à l’un des premiers ‘Jazz Club’ des Amis Claude Carrière et Jean Delmas, sur France Musique. Et il y revint souvent, en juillet de la même année, en direct du Hot Brass d’Aix-en-Provence, et en d’autres occasions avant la publication de la BD. Mais il y fut encore ensuite, puisque ledit coffret comporte un CD qui fait revivre un ‘Jazz Club’ torride, toujours au Petit Opp’, en 1987.

Le 4 septembre 1986, Barney était sur les Champs-Élysées, en trio avec Philippe Petit et Yves Torchinsky, devant un triptyque peint sur carton de Marie Möör. Il venait signifier, sous les fenêtres du bureau de Philippe Paringaux (le scénariste de la BD, alors fraîchement parue en feuilleton dans À Suivre ), qu’il n’était pas mort, contrairement à ce qu’évoquait la bande dessinée. J’étais là avec mon magnétophone Sony TCD 5 M, et j’ai capté l’ambiance de ce moment. L’Ami Alex Dutilh a diffusé ce document sur France Musique en juin dernier. On peut le réécouter ici, à 9 minutes et 53 secondes du début de l’émission.

Avant donc sa présumée résurrection médiatique, Barney était toujours bien présent pour France Musique et ses producteurs d’émissions de Jazz. Au début de l’année 1986, l’Ami André Francis l’avait programmé pour un concert en duo avec le guitariste Philippe Petit, au Festival de Radio France & Montpellier. Le 19 juillet j’étais le Monsieur Loyal de ce concert, et aussi le producteur délégué de son enregistrement et de sa diffusion sur France Musique. Cela fait, aujourd’hui 19 juillet 2021, tout juste 35 ans !

En 2002 ce concert est devenu un CD («Flash Back», sous le label Paris Jazz Corner). Retour d’un grand souvenir pour moi. Philippe Petit avait déserté les scènes de jazz un peu plus tard, et durant quelques années. Mon bonheur fut d’organiser son grand retour, à Montpellier encore, mais dans un autre lieu, beaucoup plus vaste, le 17 juillet 2008, en duo avec Stéphane Kerecki. Vous l’aurez compris, tous ces moments sont demeurés chers à mon cœur. So long, Barney.

Xavier Prévost, à Montpellier le 19 juillet 2021