Jazz live
Publié le 3 Août 2022

Une note bleue pour Jean-Pierre Tahmazian

Poducteur chevronné qui se consacra à la diffusion de certains pans de la musique afro-américaine assez peu servis en leur temps par l’industrie phonographique, Jean-Pierre Tahmazian est décédé le 31 juillet.

Né en 1944, amateur de jazz formé à la lecture de Jazz Hot et à la fréquentation du Hot Club de France, il fit ses premières armes en 1966 comme road manager pour le compte du HCF lors d’une tournée d’Earl Hines. C’est à cette occasion qu’il rencontra à Bordeaux Jean-Marie Monestier, son aîné de six ans. Ce dernier s’était lancé dans le commerce par correspondance de disques rares avant d’ouvrir à Bordeaux en 1960 son magasin La Boîte à musique. D’import en licence de production, Monestier en arrive, le 7 décembre 1967, à emmener au studio Pathé Marconi le saxophoniste Buddy Tate, l’organiste Milt Buckner et le batteur Wallace Bishop, pour une séance fleuve de seize titres. Six d’entre eux inaugurèrent le catalogue Black & Blue, avec un “Buddy Tate Featuring Milt Buckner” illustré d’une photo de couverture qui, sur des éditions ultérieures, fut créditée au nom de Jean-Pierre Tahmazian, par ailleurs passionné de photographie.

Ce dernier, de retour en 1967 d’un séjour au Sénégal dans le cadre de la coopération, devient bientôt partenaire de Monestier comme road manager au volant d’un minibus Volkswagen poussif, pour des tournées de bluesmen et jazzmen oubliés d’un public entièrement tourné vers le rock et les formes les plus modernes du jazz. Monestier et Tahmazian finissent par s’associer à la tête de Black & Blue devenu SARL en 1973, bientôt rejoints par Jean-Pierre Vignola et Didier Tricard, produisant jusqu’à une époque récente de jeunes musiciens comme Julie Saury et Laurent Marode.

La partie historique du catalogue pour le versant jazz fut digitalisée par Jean-Marc Fritz et Jean-Michel Proust dans les années 1990 (“The Definitive Black and Blue Sessions”) ou compilée pour le versant blues par Jacques Périn en deux doubles albums chez Frémeaux en 1994 (“The Story of Black & Blue” “1963-1976” et “1976-1989”). Si la première plage du premier de ces volumes témoigne d’une activité de Monestier antérieure à 1967 avec une captation d’un concert de Memphis Slim et Matt Murphy à Limoges en mars 1963, la partie culte du catalogue, jazz et blues, relève d’une époque, les années 1970, où les enregistrements se faisaient au gré des tournées parfois rocambolesques et des festivals tels que l’itinérant Chicago Blues Festivals et la légendaire Grande Parade. Qui donc s’intéressait à Doc Cheatham, Sy Oliver, Rex Stewart, Curtis Fuller, Illinois Jacquet, Arnett Cobb, Guy Lafitte, Jimmy Rowles, Hank Jones, Mary Lou Williams, Major Holley, Milt Hinton, George Duvivier, Jo Jones, Bobby Durham et Panama Francis ? Qui pouvait se vanter sur le continent européen d’avoir à son catalogue T-Bone Walker, Jay McShann, John Lee hoker, Homesick James, Big Joe Turner, Jimmy Dawkins, Koko Taylor, Lloyd Glenn, Otis Rush, Luther Allison, Buddy Guy, Pinetop Perkins, etc. Une fois encore, je réécouterai les premières plages Black & Blue entrées dans ma discothèque il y a une quarantaine d’années, pas forcément les plus fondamentales, mais qui restèrent pour moi d’authentiques petites madeleines : le Bonsoir Jolie Madame de Charles Trenet repris par Guy Lafitte en 1978 sur son album “Body and Soul” et le « Pompidou des sous ! » scandé en 1972 par Luther Johnson sur son album solo “Impressions of France”. Franck Bergerot