FILM #5-2 : le 13 mars, à l’Espace Cardin, le big band de Clark Terry.

Mon premier trompettiste ! Mes parents possédaient quatre disque 25cm de la collection “Jazz pour tous” présentée par Boris Vian. À vrai dire, sans avoir aucune idée de qui était Boris Vian, je me les étais rapidement accaparé. Il y avait notamment les Hot Five de Louis Armstrong et le Duke Ellington “Newport 1958”. Foutez moi la paix avec 1956, mon “Ellington at Newport”, c’était 1958, avec un répertoire tout neuf qu’il a très peu repris par la suite [NB : évitez la version stéréo qui livre la totalité du concert de 1958 et préférez l’original mono, qui comporte quelques-unes captations live, et d’autres morceaux du concerts refaits en studio avec de faux applaudissements. Et pour cause, les titres refaits sont bien meilleurs que les originaux… tempos, mise en place, qualité des solos].

Quant à Louis Armstrong, ç’aurait dû être mon premier trompettiste. Mais pour moi, c’était autre chose. Une voix, doublée d’un tambour.
Sur l’album “Newport 1958”, il y a deux grands moments de trompette, Jazz Festival Jazz et El Gato. El Gato !? Mais c’est Cat Anderson ! Certes, El Gato est une espèce d’hommage collectif que lui rendent ses voisins de section avant de lui laisser conclure par ses fusées vers des suraigus toujours plus extrêmes, à une altitude que lui-seul était capable d’entendre. Mais auparavant alternaient Clark Terry et Harold “Shorty” Baker (CT 16, HB 8, CT 8, HB 16, CT 8, HB 8), après quoi Ray Nance prenait 32 mesures. Et des trois, avec toute la considération qu’aurait dû m’inspirer le velouté d’Harold Shorty Baker et la gouaille de Ray Nance, Clark Terry était celui qui me mettait le plus en joie, et plus encore dans Jazz Festival Jazz qui lui offrait deux chorus entiers de bugle. Il y avait quelque chose d’infiniment joyeux associé au soyeux du bugle, quelque chose d’irrésistible (je n’avais pas compris à l’époque qu’il s’agissait d’un bugle) dans sa façon d’escalader et dégringoler les degrés avec une agilité et une précision crépitante qui me mettait en transe et qui en fit le premier trompettiste que je fus capable de reconnaître à l’oreille (quoique je sois resté assez médiocre pour reconnaître les trompettistes autres que lui).

Donc, Clark Terry, pour moi, c’était ça. Et c’est probablement pour lui que j’étais venu ce soir-là à l’Espace Cardin. Pour autant, je n’aurais gardé qu’un souvenir très vague de ce concert, si je n’étais pas retombé sur ces négatifs. En les examinant, j’y découvre une chanteuse, Michal Beckham, qui n’a laissé à ma connaissance d’autre trace que l’année précédente parmi le personnel du big band de la Berklee School. En comparant mes notes maladroites et celles plus complètes du compte rendu publié par Jazz Magazine, je relève encore le nom de Conrad Herwig qui se fera un nom plus tard (ici à gauche de la section de trombones) et, prenant un solo debout devant lui sur ce cliché, un certain “Bradford” Marsalis, dont on ne tarderait pas à orthographier correctement le prénom – Branford Marasalis, non sans lui avoir conservé quelques temps un “d” avant le f pour faire “Brandford”. Il est vrai que lors de la tournée des Jazz Messengers dans les festivals de l’été 1980, c’est son frère que l’on avait remarqué et dont on avait sans tarder appris à orthographier le prénom de Wynton.

On notera encore, la présence de l’altiste Chris Woods qui eut son rond de serviette chez Clark Terry dans les années 1970, tout en ayant ses habitudes à Paris où il enregistra notamment avec la rythmique de Georges Arvanitas, avec ou sans Ted Curson.
Mais si ma mémoire flanche concernant ce concert de Cardin, en revanche, je me souviens que le bruit avait couru que Clark Terry devait rejouer avec son big band au Théâtre Campagne Première, dans la rue du même nom vers Montparnasse, à la programmation éclectique puisque j’y avais quelques temps auparavant entendu un groupe de l’école dite de Canterburry, probablement National Health (si c’est le cas, ce devait être en mai 1979 et John Greaves devait être à la basse et Pip Pyle à la batterie) et probablement des musiques extra-européennes.
Mais revenons à Clark Terrry. Je me souviens de ce théâtre comme d’une sous-sol pas très haut de plafond évoquant plutôt les proportions d’un club de jazz de moyenne taille et je n’avais pas résisté à la perspective de réentendre un big band de cette trempe dans un tel espace. Son acoustique, l’orchestre de plein pied avec le public, la sensation du velouté des saxes et de l’upercut des cuivres en direct, sans sono, mais en toute proximité, partager le même espace que les musiciens travaillant sans façon devant nous, avait été une expérience sans pareille, vécue comme une initiation, dont je chercherai toujours à retrouver l’équivalent. Quel jour était-ce ? Le Clark Terry Big band semble avoir eu un trou dans son emploi du temps entre le 7 à Aulnay-sous-Bois (ou Sevran si j’en crois le compte rendu de Jazz Magazine). À Auxerre le lendemain de Cardin, puis le 17 à Mâcon et le 18 à Thonon. Aurait-il profité des deux jours de vacance entre Cardin et Mâcon. Franck Bergerot