Le 13 mars 1981, à l’Espace Cardin, concert de création du Tubapack de Marc Steckar / Film #5-2. - Jazz Magazine
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Publié le 22 Déc 2025

Le 13 mars 1981, à l’Espace Cardin, concert de création du Tubapack de Marc Steckar / Film #5-2.

Ce jour-là, Clark Terry est à l’affiche de l’Espace Cardin. Mais c’est un autre orchestre, surgi de (pas tout à fait) nulle part, qui défraie la chronique : le Tubapack de Marc Steckar (1935-2015) avec de gauche à droite Michel Godard, Daniel Landréat et Christian Jous, plus à l’arrière-plan Alain Bouchaux dont on aperçoit la “charlé”.



Sections spéciales de Jacques Denjean à Martial Solal

Marc Steckar apparaît pour la première fois dans la discographie du jazz en 1962 au sein du big band de Jacques Denjean parmi les trombonistes Raymond Fonsèque, François Guin et Michel Camicas ; en 1964, au sein de l’orchestre de Jef Gilson, il partage un double pupitre avec François Guin (“The Big Band Era”) et apparaît dans un big band dirigé par Daniel Janin chez chez qui il tient le trombone basse au sein d’une section de premier ordre (André et Michel Paquinet et Christian Guizien). En 1971, le voici au tuba chez Ivan Jullien (“Secret Service” et “Porgy & Bess”). Entre-temps, tout au long des années 1960, il a “fait le métier” auprès des chanteurs avec Aimé Barelli (Marlene Dietrich, Nat King Cole), l’orchestre de Paul Mauriat (Charles Aznavour), celui Daniel Janin (Edith Piaf, Gilbert Bécaud, Jacques Brel) ; dans les fosses d’orchestre (Moulin rouge, Casino de Paris), les plateaux télé (Midi chez vous, Thé dansant), les studios (chanteurs divers et musiques de film). Et il lui arrive aussi de s’amuser en signant trois 45-tours qui font encore le bonheur des chineurs : “Marc Steckar et son orchestre” et “Trombone New Sound”, 1967.


De 1973 à 1983, il fait partie de la bande à Nougaro (avec Eddy Louiss, Maurice Vander et Richard Galliano) et sort progressivement de l’anonymat des sections, côtoie Sonny Grey, Siegfried Kessler et Michel Graillier au sein de l’Hamsa Music de Richard Raux, double au trombone basse et au tuba aux côtés des trombones de Jacques Bolognesi et Hamid Belhocine au sein du Onztet de Patrice Caratin o(“Endeka”). À l’automne 1980, pour son nouveau big band, Martial Solal reprend la même section, mais en confinant Marc Steckar au seul tuba. (voir le film 3/2 de cette série photographique, le 30 janvier 1981 à la Chapelle des Lombards).

Paquet de tubes et tubilingus

Quelque chose se tramait alors, m’a raconté Alain Bouchaux qui fréquentait les mêmes studios. Alors que ce dernier venait de démissionner de l’orchestre du Casino de Paris, Marc lui proposa de rejoindre le quatuor de tubas qu’il était en train de faire répéter chez lui, à Bessancourt. Il faut croire qu’il en a touché deux mots à André Francis qui a profité de la venue du big band de Clark Terry pour programmer le premier le Tubapack en première partie ; non sans que le singulier combo n’ait été se rôder au Cardinal Paf six jours plus tôt comme en témoigne dans le Jazz Magazine d’avril (n°296) le compte rendu de François Billard, de cinq ans mon aîné, avec lequel je sympathisais bientôt pour le croiser autour des scènes que je fréquentais moi aussi et qui m’éclaira (parfois jusqu’à l’aveuglement) de ses avis péremptoires et paradoxaux. Je lui dois d’avoir éclairé et stimulé mon intérêt pour Lennie Tristano (il publiera en 1988 le seul livre français qui lui soit consacré), d’avoir attiré mon attention sur le monde de l’accordéon et de m’avoir présenté Didi Duprat dont je ferai le fil rouge des disques “Paris Musette”).

Fermons les parenthèses, ces malles aux trésors. Le succès du Tubapack est immédiat, on s’arrache ce drôle de quatuor et, dès le mois de mai, les quatre tubistes et leur batteur (plus quelques percussions ici et là de leur collègue du Casino, Gilles Perrin, fils de Mimi) passent cinq jours en studio pour enregistrer “In A Digital Mood”… On grave sur vinyle mais on enregistre en numérique – c’est écrit dessus – alors que Philips et Sony viennent tout juste de se mettre d’accord sur le format CD ; et tout cela se passe au Continental Studio dont l’ingénieur du son Dominique Blanc-Francard (ancien du Château d’Hérouville de Michel Magne; frère de Patrice, Rock & Folk, Pop 2, Les Enfants du rock, etc.) vient de prendre possession. Répertoire original signé Marc Steckar, plus quelques contributions de François Jeanneau, Patrice Caratini, Marc Fosset, Bob Quibel, et une cosignature en duo avec le pianiste Bernard Arcadio (accompagné duquel Steckar exploite toute la gamme des tubas sur l’album “Kantatian”).


L’année suivante, rebelote avec “Suite à suivre”. Marc cosigne avec son fils Franck, arrange Blue Monk ; Michel Godard, Jacques Bolognesi et Martial Solal y vont aussi de leur plume.


En décembre 1983, “Turbanisation” est enregistré en public (toujours en numérique) au Savoy, brasserie de la République où l’on découvre alors toute une génération qui va bientôt se faire connaître programmée par Danny Michel au Sunset. Que faire de cet enregistrement ? Ancien représentant pour Musica dont le patron a “disparu”, Philippe Vincent vient de monter sa propre société de distribution, OMD, et songe à monter son propre label. Le concert du Savoy sera la première référence d’Ida Records (double hommage à Ida Lupino et à Carla Bley) sous le titre “Turbanisation”. Les titres comme d’habitude ne manquent pas d’esprit : Tango la cruche à l’eau (qu’à la fin elle se break), Paquet de tubes, Tubilingus


Une horde de tubas
On attendra 1989 pour l’enregistrement chez Ida de “Tubakoustic”, mais deux ans plus tôt un nouveau monstre a surgi, l’Elephant Tuba Horde qui ne compte pas moins de onze tubas, certains transfuges occasionnels (le corniste Jean-Jacques Justafré que Marc côtoyait déjà chez Ivan Julien dans les années 1970 et qui anima un pupitre de trombone au sein du Pandemonium de François Jeanneau; et Jean-Louis Damant venu de la “République des trombones” qui côtoya Yves Robert dans l’ONJ 86 de François Jeanneau) ! C’est que Steckar et ses amis ont fait des émules et le tuba n’est plus une simple curiosité. Il compte désormais de véritable solistes. Philippe Legris s’est imposé dès 1981 au sein du nouveau big band Lumière de Laurent Cugny, sonne l’année suivante au sein d’Un Drame Instantané de Bernard Vitet, Jean-Jacques Birgé et Francis Gorge, double au tuba avec Steckar chez Solal en 1983. Michel Godard qui faisait section avec Legris au sein du Lumière avec flûtes de 1981, participe au big band d’Antoine Hervé, puis se rapproche de “l’avant-garde” représentée par Claude Barthélémy, Sylvain Kassap, Philippe Deschepper… et double bientôt au serpent, invention du 17ème siècle. Déjà adepte du tuba au sein de son Pandemonium (Steckar, Godard), François Jeanneau révèle Didier Havet au sein de son ONJ de 1986. Dans les années 1990, surgira François Thuillier au sein du big band Quoi de neuf Docteur de Serge Adam, depuis devenu irremplaçable au sein du MegaOctet d’Andy Emler… Ce n’est pas une porte qu’a ouverte Marc Steckar à l’instrument, mais un pont-levis d’où n’a cessé depuis de débouler une horde.

Souvenirs

Je me souviens d’une journée chez Marc à Bessancourt, avec Madame Steckar, le fiston Franck… (Récemment, dans une longue interview que j’ai entreprise du clarinettiste brestois Christophe Rocher – patience ! –, il me racontait avoir vécu à Bessancourt, en voisin de la maison Steckar, et que Marc venait conseiller voire fournir en partitions originales leur groupes adolescents de ce que l’on appelait pas encore “musiques actuelles”). Chez Steckar, lumineuse salle à manger à laquelle mon imagination sans borne associe je ne sais pourquoi une blanquette de veau. J’étais venu pour L’Agenda du jazz de 1989 : un interview d’un musicien différent chaque mois pour en ponctuer les pages. Pour ouvrir les pages de décembre, j’avais fait commenter à Marc différents confrères et je me souviens qu’il s’était particulièrement enthousiasmé pour Dave Bargeron dans Un écureuil à Central Park sur “Nougayork” de Claude Nougaro, attirant plus particulièrement mon attention sur le solo qu’il prend dans And When I Die sur l’album “Live and Improvised” de Blood, Sweet & Tears. C’est l’époque où je l’avais croisé avec des membres du Tubapack au sein de la Multicolor Fanfare d’Eddy Louiss. Lors de l’enregistrement à Sevran dans le cadre de Banlieues bleues en 1991, nous étions 100 sur scène et de la section de saxophones je pouvais voir une grappes de pavillons de tuba se balançant au rythme de la musique tel un gros bouquet de ballons comme balloté par le vent. Ce jour-là, Marc Steckar et Christian Jous étaient venus renforcer une section de onze tubas, et ça soufflait bien force 10 à l’échelle de Beaufort.

Mes derniers moments partagés avec Marc furent en 2005, dans un de ces domaines cloturés, hors du monde réel, et appelés “Pierres et vacances” – faux village provençal, fausse église, faux marché, faux paysage qui semble n’être qu’un immense green de golf impeccable parsemé de faux mas, dans une Provence asséchée – imaginé par Gérard Brémond, qui fut, pour Jazz Hot, l’un des premiers et excellents commentateurs en France de John Coltrane longtemps avant de racheter TSF Jazz et le Duc des Lombards. Dans cette étrange ambiance hors du temps et du monde, s’est tenu quelques années durant un concours de jazz qui n’eut d’européen guère que le nom, organisé par l’école de jazz IFMP. Cette année-là, le jury accueillait Marc Steckar, François Jeanneau et moi-même. Nous avions décerné à l’unanimité le premier prix à Fred Maurin et sa Ping Machine, le prix d’instrumentiste à son batteur, Rafaël Koerner. À cette époque, Marc ne jouait plus, affecté par un tremblement des lèvres qui m’avait beaucoup impressionné. J’ignorai alors tout de la dystonie, ce mal qui affecte parfois les cuivres, et j’ignorais que Marc Steckar n’avait plus que 10 ans à vivre. Il aurait aimé connaître Fanny Meteier qui, en 2005, n’avait que huit ans. Franck Bergerot