Baptiste Trotignon 2021/2022 Une saison féconde…
Un (trop) rapide survol de sa carrière…
Né en 1974 Baptiste Trotignon commence le piano à l’age de 8 ans.
Adolescent, il découvre le jazz et l’improvisation en autodidacte. En 1994, il est à la fois pianiste et comédien dans le film d’Alain Corneau “Le Nouveau Monde”.
Ses premiers albums le révèlent, à 26 ans, comme l’un des plus spectaculaires, complets et séduisants pianistes de la nouvelle génération.
Il se voit alors décerner plusieurs récompenses : Django d’Or, Prix Django Reinhardt de l’Académie de Jazz, Révélation française aux Victoires du Jazz 2003. Il avait obtenu en 2002 le Grand Prix du Concours International Martial Solal (un prix prestigieux).
Il est très vite dès lors présent sur la plupart des grandes scènes françaises et internationales : Salle Pleyel, Marciac, Montréal, Vienne, Nice, Montreux, Toronto, La Roque d’Anthéron, Piano aux Jacobins…
Il multiplie les rencontres éclectiques avec de grands jazzmen et … des pianistes classiques comme Nicholas Angelich ou Alexandre Tharaud. Musiques de films, direction artistique de soirées-hommages à Edith Piaf et Claude Nougaro à Montreux…
Hyper-actif, hyper-creatif, Baptiste aime expérimenter. Témoignage de son ouverture d’esprit : l’audacieux album “Song Song Song” de 2012 où il évoque son amour de la voix et invite une belle poignée d’artistes à se joindre à lui, dont Miossec (avec qui il co-écrit 2 titres) et Melody Gardot. La même année il compose son Concerto pour Piano (“Different Spaces” ) joué par Nicholas Angelich. C’est une commande de l’Orchestre National de Bordeaux Aquitaine, sa première pièce orchestrale d’envergure totalement écrite et sans improvisation possible. Oeuvre jouée plusieurs fois, entre autres à l’Astrada de Marciac en 2012 (chronique sur ce concert ici : https://www.jazzmagazine.com/jazzlive/trotignon-compositeur-classique/).
« Different Spaces » lui vaut d’être nommé aux Victoires de la Musique Classique 2014 en tant que Compositeur de l’année !
Depuis il n’a jamais cessé d’innover, entre autres: un projet original mêlant jazz et musique classique autour de Kurt Weill et deux albums étonnants exprimant son amour des traditions sud-américaines… Sans oublier son travail avec Maxime Le Forestier pour l’album Paraître ou ne pas être.
En 2018 il devient artiste Steinway et compose sa deuxième oeuvre symphonique (« L’air de rien »).
En même temps il a continué avec une incroyable vitalité à participer à de très nombreux concerts de jazz (en différentes formules : solos, duos…et plus…) et à enregistrer (sa discographie est actuellement d’une vingtaine d’albums).
Pour en apprendre plus (beaucoup plus… on l’a déjà dit il est hyper-actif et « tous terrains ») sur l’étonnant parcours de Baptiste Trotignon, son site internet (https://www.baptistetrotignon.com/) est tout à fait remarquable avec notamment une passionnante interview de 2019 avec Stéphane Olivier dans Jazz Maazine(file:///Users/pierre/Desktop/BaptisteTrotignonPressYouveChanged.pdf).
2021/2022 : artiste/compositeur en résidence à l’Orchestre de Pau Pays de Bearn
Les deux responsables de l’orchestre symphonique OPPB (Orchestre Pau Pays de Bearn), Frédéric Morando (directeur général) et Fayçal Karoui (directeur musical) aiment innover et surprendre les publics palois et béarnais des concerts classiques. En 2004 Didier Lockwood avait été programmé par l’OPPB. Son spectaculaire solo sur sa composition dite « les Mouettes » avec moult effets électroniques avait un peu « surpris » (euphémisme !) quelques « intégristes » de la « vraie » musique classique…
Pour la saison 2021/2022 l’OPPB a invité Baptiste Trotignon pour des projets et propositions très variés.
Par ordre chronologique… en septembre, création de Move concerto pour trompette et orchestre avec Romain Leleu (tp), en octobre un récital de piano jazz en solo, en janvier création d’Anima, en mars/avril, Au bout du petit matin pour choeur et orchestre et enfin en juin sur la Rhapsody in blue de Gerschwin, comme soliste au piano…
Impressionnant… surtout quand on sait que, parallèlement, Baptiste Trotignon a continué pendant tous ces mois à beaucoup se produire sur la scène jazz…
Créer une œuvre ou préparer une intervention comme soliste avec un orchestre symphonique nécessite d’être présent pendant de longues et méticuleuses répétitions.
Assister à l’une de ces répétitions est assez fascinant. Le compositeur devant l’imposant volume de la partition posé sur un pupitre dans la salle, face à l’orchestre, écoute attentivement, en tournant les grandes pages des scores, passage par passage, l’exécution des différentes séquences. Dialogues multiples avec le chef. Approbations et/ou demandes de rectifications (tempo, nuances…) sont délivrées en direct aux musiciens via le chef, interface fondamentale entre eux et le compositeur.
Le compositeur en répétition devant sa partition face à l’orchestre (Photo PHA)
Dialogue avec Fayçal Karoui pour calages, ajustements, choix définitifs de tempos
Dans un texte publié dans le programme de la saison 2021/2022 de l’OPPB Trotignon explique pourquoi il a accepté avec plaisir cette résidence à Pau.
« L’idée d’une résidence avec un ensemble instrumental réunit deux de mes priorités dans mon parcours artistique depuis maintenant une vingtaine d’années. D’une part le partage, des savoirs, des connaissances, des cultures, des esthétiques… et d’autre part l’entretien d’un lien dans le temps, une sorte de fidélité créatrice, avec des artistes qu’on aime et avec qui on a envie de faire du son ensemble, tout simplement.
Ma vie de musicien a toujours été nourrie de rencontres.
Ma rencontre en 2019 avec Frédéric Morando et Fayçal Karoui, pour l’interprétation d’une des mes oeuvres symphoniques, a abouti pour la saison qui vient de se terminer à un menu de festivités musicales aux multiples saveurs. Très vite j’ai compris les belles possibilités que permettait ce superbe écrin de l’’OPPB.
C’est un vrai bonheur pour un artiste de pouvoir présenter toute la palette de ce qu’il peut proposer… Mon parcours de pianiste jazzman, tout en improvisation et références afro-américaines, a été présent à travers un concert intimiste de jazz en piano solo et j’ai pu me régaler aussi en improvisant avec l’Orchestre sur la “Rhapsody in blue”, pièce populaire d’une grande richesse. J’ai utilisé les étonnantes possibilités que permettent cette oeuvre pour un musicien de jazz »
Une tradition à l’OPPB est de présenter les œuvres programmées lors d’une rencontre « pédagogique » précédant le concert. Pour la présentation de la Rhapsody in Blue, Fayçal évoqua avec beaucoup d’humour le fait qu’était prévu un long solo de Baptiste Trotignon. Improvisé… Sans connaître à l’avance la durée et la construction du solo… Le soir du concert, pendant le superbe et inventif solo du pianiste, Fayçal attendait visiblement un signe, une indication… Très en forme et très inspiré Trotignon offrit un très long et brillant passage improvisé… Le chef écoutait souriant se demandant visiblement quand relancer les musiciens sur la partition écrite. Avec humour Trotignon à la fin de son solo fit un signe de la main, bien visible de tous, en direction du chef pour lui indiquer qu’on « repartait » sur les chemins balisés de l’univers du classique… Toute la salle avait bien vu le geste du pianiste et offrit un triomphe au soliste, au chef et à l’orchestre. Standing ovation. Des rappels surprenants suivirent….
Un des temps forts de la résidence de Trotignon fut la création mondiale d’Anima, une grande pièce symphonique dont l’OPPB était commanditaire. Considérée par le compositeur comme son projet « le plus ambitieux à ce jour. »
Pour B.T. : « Anima n’est pas une œuvre de jazz symphonique ».
Il précise et explique. « J’ai toujours été assez double dans mes inspirations avec d’un côté un amour de la tradition afro-américaine que j’utilise et pratique dans le jazz et l’improvisation, de l’autre côté une identité profondément européenne dans ma culture génétique et esthétique que j’applique à mon travail de compositeur. Anima est composée de couleurs harmoniques communes aux deux univers, car c’est là plus que dans la mélodie et le rythme que les deux mondes peuvent parler le même langage. Par ailleurs mon parcours de jazzman – et donc rythmicien – m’a souvent amené à écrire une musique très volubile rythmiquement, en perpétuel mouvement et c’est tout à fait dans cet esprit que j’ai écrit Anima. Jouer sur tension et détente comme les deux versants d’une même pièce.
J’avais la volonté de briser quelques frontières entre musique dite «savante » et musique dite populaire, ayant toujours été fasciné par les musiques qui arrivent à réunir à la fois une réelle sophistication du langage musical ET une lisibilité et clarté mélodique et/ou rythmique suffisante pour parler à un auditeur qui n’aurait peut-être pas toutes les clés nécessaires à la compréhension du langage d’une œuvre dite de jazz symphonique ».
Ici, le chroniqueur prend un risque : il lui semble clairement que Trotignon ne se situe pas dans la logique des œuvres dites de « cross over »… Cross over défini par le même chroniqueur comme « assemblage trop souvent hétéroclite, et décevant, entre jazz et classique mal superposés ou fusionnés artificiellement. » (in chronique jazzmagazine.com de 2012 déjà évoquée supra).
Tout ce que justement Trotignon évite avec talent dans ses compositions classiques…
En 2019, le chroniqueur jazz du quotidien Le Monde, avait titré un bel et brillant article sur B.T., d’une manière, pour le moins « surprenante » (en tous cas pour ceux qui ne connaissaient pas toutes les facettes de son talent): « Baptiste Trotignon pianiste le cul entre deux tabourets » !
« Baptiste Trotignon pianiste le cul entre deux tabourets » (Le Monde)
Puisque nous avons évoqué supra (bien trop rapidement) le tabouret « classique » quid du tabouret « jazz » en 2021/2022 ?
Constat (de nombreux compte-rendus et informations publiés sur internet en témoignent) : ses résidences dans l’univers du classique à Pau, fort chronophages pourtant, n’ont pas empêché Trotignon d’avoir une saison jazz fort dense. Comme toujours d’ailleurs depuis ses débuts.
Symboliquement, nous allons évoquer son activité jazzistique… à partir d’un concert auquel il a participé à Marciac (60 kms de Pau !) le 1er août avec l’étonnant quartet de pianistes Piano Forte.
Piano Forte à Marciac
Piano Forte c’est une belle idée : réunir quatre des plus grands pianistes de jazz de la scène française autour de deux pianos à queue format grand concert et deux claviers électriques « Fender Rhodes ».
Pierre de Bethmann (57 ans), Bojan Z (54ans), Eric Legnini (52 ans) et Baptiste Trotignon (48 ans) : des CV de rêve et des personnalités bien affirmées et originales (aucun « clone » de grands noms du jazz).
Piano Forte : Baptiste Trotignon, Pierre de Bethmann, Bojan Z, Eric Legnigni Photo de Laurent Sabathé
« Tous leaders, accompagnateurs de gros calibres, baroudeurs tout-terrain, avec une discographie à eux quatre plus qu’éloquente. Bref, des partenaires de luxe. Répertoire, distribution, ce fut du cousu main. » (F.M. Le Monde)
Tous sont souvent venus jouer à Marciac en des contextes divers (au « bis » sur la place, sous le chapiteau -au restaurant- ou sur la grande scène et à l’Astrada). Au petit concours des souvenirs « quantitatifs » c’est Baptiste qui semble être celui qui a été le plus programmé ici. Pourtant c’est le plus jeune !
Température caniculaire pour un sound check long et méticuleux sous le chapiteau géant de Jazz in Marciac. Pas facile en effet d’équilibrer le mix de quatre claviers où chaque instrument doit rester « lisible » tout en participant à un son global généreux et puissant… L’ingénieur du son a beaucoup travaillé mais le résultat fut remarquable…
BT, pendant les balances au Fender Rhodes et au piano à queue grand concert
D’autant plus que les 4 pianistes « tournent », changeant d’instruments suivant les morceaux et les climats. Comme un joyeux jeu des chaises musicales… Chacun avec son phrasé et sa « frappe » spécifique du clavier, bien identifiables.
Le soir les thèmes s’enchainent d’une manière fluide. Climats et phrasés variés : La Lenteur, Boda Boda, Parker’s Mood, Barbados, Zingaro, Seeds, Caravan, Chorinho…
Le risque majeur de cette réunion de quatre grands pianistes:un concours d’ego ? une avalanches de notes ? un exercice de démonstration de virtuosité? Du style «le premier arrivé attend les autres au tas de sable… ».
Rien de tout çà ici, car les 4 pianistes avaient soigneusement pensé et préparé leur projet pour leur plaisir et pour celui du public.
Photo Laurent Sabathé
Le public Marciacais est friand de rappels. D’une manière souvent immodérée. Mais ce soir l’ovation finale sonne juste. « We are the champions » de Queen en premier rappel clin d’oeil, puis un délicat et subtil Um Anjo d’ Egberto Gismonti vont combler ce public si chaleureux…
Pas encore évoqué : Gregory Porter, tête d’affiche de la seconde partie, n’était pas là. Problème de passeport pour quitter la Bulgarie où il jouait la veille… Donc pas de musique live après l’entracte… La prestation de Piano Forte a clôturé la soirée. Mais elle fut si passionnante et originale qu’en sortant du chapiteau les présents parlaient avec ferveur et jubilation du concert.
Le salut final. Merci à Francis Vernhet pour son autorisation de publier cette photo
Quand au « héros » de notre chronique Baptiste Trotignon il a quitté la scène épuisé, « en nage », sa belle tunique bleue en soie « trempée »… Mais visiblement ravi…
Pierre-Henri Ardonceau