Jazz live
Publié le 27 Juil 2014

Bordeaux, belle au bois dormant, Blanche Neige et les 7 nains. Et Alexandra Grimal !

C’est tentant : rapprocher « Toons » (Les 7 nains) de « La Belle au bois dormant » et cette dernière de la ville de Bordeaux, avec Alain Juppé dans le rôle du preux chevalier censé réveiller la belle de son sommeil profond. Quant à Alexandra Grimal, elle viendra à point nommé pour nous sortir de ces impasses. Allons-y.

Et d’abord remercier les organisateurs de « Jazz@botanic » de m’avoir invité dans cette ville superbe, où réside mon confrère Philippe Méziat, qui ne laisse pas souvent à d’autres le soin de commenter ce à quoi il est lui-même intéressé. Ancien professeur, il a la réputation (pas tout à fait fausse, mais pas vraiment attestée non plus) d’être un donneur de leçons, toujours prêt à fustiger ceux qui ne répondent pas à son attente, ou à ses désirs. Plusieurs opérateurs locaux en auraient fait les frais, y compris des plus connus. Passons. L’histoire jugera. En tous cas, il continue à soutenir l’idée que le jazz, à Bordeaux, en Gironde et en Aquitaine, a été traité depuis longtemps comme il l’est en ce moment au plan national (voir suppression du bureau du jazz à France-Musiques, suppression du Centre d’Information du Jazz, les budgets culture réduits, etc.), c’est à dire comme une musique juste bonne à ranger dans la catégorie des accessoires dispendieux et élitistes. Et d’en conclure qu’on aurait bien fait de l’écouter quand il tirait les signaux d’alarme à partir de ce qu’il vivait en région Aquitaine, la sinistrée en avance sur son temps.

 

Car Bordeaux (mais le dit-on assez ?) est une ville superbe, avec sa façade XVIII°, entièrement blanchie (je ne parle pas de l’argent de la traite), son pont de pierre légèrement rosé (on sent déjà la présence du vin, mais un peu dilué), et sa délicieuse habitude d’être capitale de la France vaincue. D’où l’on comprendra que les bordelais n’aiment pas la rive droite, celle par où arrivent les troupes en débandade et les politiques apeurés. Cette ville de la défaite, Alain Juppé, dans une parole interprétative que les psychanalystes lacaniens admirent, l’a transformée en ville des fêtes : fête du vin, du fleuve, du croissant, du confluent, du tramway, de la place des Quinconces, du CAPC, des petits rats de l’opéra. Fêtes qui se succèdent en juillet au rythme des nombreux, superbes et coûteux feux d’artifices, un art dont monsieur le maire est friand. Au passage, et nous en resterons là, un maire qui tente aujourd’hui d’échapper au syndrôme Chaban – qui veut qu’un maire de Bordeaux échoue toujours à être Président de la République – en multipliant les signes de déférence vis à vis du grand résistant : un pont, un stade, une statue, bientôt un boulevard et qui sait, un réduit, une impasse ?

 

Voilà donc cette ville dont il faut admirer la beauté, le sommeil et le vin (ces deux derniers éléments très liés) qui se dote – enfin qui accepte l’idée – d’un festival de jazz contemporain, situé rive droite, au creux du jardin botanique, là où les bordelais ne vont jamais, et encore moins les touristes qui passent dans la belle capitale pour ce qu’elle peut donner : son vin. Vous connaissez beaucoup de villes qui ont ce privilège ? Porto ? Et après ? Et donc hier soir :

 

« Toons » : Théo Ceccaldi (vln), Valentin Ceccaldi (cello, el-b), Gabriel Lemaire (bs, as, alto-cl), Guillaume Aknine (el-g), Florian Satche (dm)

 

Lee Konitz (as), Dan Tepfer (p)

 

Alexandra Grimal (ts), Jozef Dumoulin (p), Dré Pallemaerts (dm)

 

Et disons d’abord que, comme la veille et dans un souci légitime de paix sociale, la participation (pourtant souhaitée) de Lee Konitz au trio d’Alexandra Grimal a été remplacée par un avant-goût par ailleurs fort agréable du concert de ce soir, duo entre Lee et son pianiste attitré Dan Tepfer. Stella By Starlight, c’était grand, et tout le monde en est resté bouche bée. 

 

Car les « Toons » venaient de frapper un grand coup : coup de tonnerre dans un ciel clair, coup de bambou, coup de sang, presque coup de poing. Musique qui sait associer le plus grand déménagement (l’avant dernière pièce), le lyrisme le plus débridé, le minimalisme le plus à ras de terre, le débordement des cordes et le raffinement des anches, le violoncelle à l’arraché, la guitare sous-saturée et surlignée, la percussion rebondissante et la batterie joyeuse. Et le violon ! Cet instrument du diable, si petit, si modeste, et cependant tellement sonore ! Une découverte, moins pour mon estimé confrère qui jouissait modestement d’avoir déjà eu largement connaissance de la chose (faut dire qu’il voyage, le bougre !), que pour tous ceux qui venaient juste de prendre ça : que le jazz vif ça existe et ça consiste. Et même que ça vous élève. Et même que ça peut être dangereux de voir des artistes si peu alignés.

 

IMG 8362

 

Alors Alexandra est arrivée. Pour remettre les choses dans le même sens, mais en plus « janséniste » comme s’est permis de le dire l’ancien prof de philo. Une petite heure de musique à la fois très improvisée mais aussi très construite, un Body And Soul qui avait sans doute été préparé pour un duo avec « vous-savez-qui », et pour finir des pièces étonnamment suspendues, avec des parties où la saxophoniste se contente de tenir des notes murmurées, d’autres ou elle est volubile d’une manière très coltranienne, un son qui parfois évoque Benny Golson, ou Charlie Rouse, qui n’est qu’à elle bien sûr. Un public parfait, qui n’avait quasiment pas bougé. La belle en sera-t-elle réveillée ? 

 

IMG 8378

Alexandra Grimal, Didier Lasserre

(qui joue ce soir avec Jobic Le Masson

et Benjamin Duboc)

 

René-André Marcel

|

C’est tentant : rapprocher « Toons » (Les 7 nains) de « La Belle au bois dormant » et cette dernière de la ville de Bordeaux, avec Alain Juppé dans le rôle du preux chevalier censé réveiller la belle de son sommeil profond. Quant à Alexandra Grimal, elle viendra à point nommé pour nous sortir de ces impasses. Allons-y.

Et d’abord remercier les organisateurs de « Jazz@botanic » de m’avoir invité dans cette ville superbe, où réside mon confrère Philippe Méziat, qui ne laisse pas souvent à d’autres le soin de commenter ce à quoi il est lui-même intéressé. Ancien professeur, il a la réputation (pas tout à fait fausse, mais pas vraiment attestée non plus) d’être un donneur de leçons, toujours prêt à fustiger ceux qui ne répondent pas à son attente, ou à ses désirs. Plusieurs opérateurs locaux en auraient fait les frais, y compris des plus connus. Passons. L’histoire jugera. En tous cas, il continue à soutenir l’idée que le jazz, à Bordeaux, en Gironde et en Aquitaine, a été traité depuis longtemps comme il l’est en ce moment au plan national (voir suppression du bureau du jazz à France-Musiques, suppression du Centre d’Information du Jazz, les budgets culture réduits, etc.), c’est à dire comme une musique juste bonne à ranger dans la catégorie des accessoires dispendieux et élitistes. Et d’en conclure qu’on aurait bien fait de l’écouter quand il tirait les signaux d’alarme à partir de ce qu’il vivait en région Aquitaine, la sinistrée en avance sur son temps.

 

Car Bordeaux (mais le dit-on assez ?) est une ville superbe, avec sa façade XVIII°, entièrement blanchie (je ne parle pas de l’argent de la traite), son pont de pierre légèrement rosé (on sent déjà la présence du vin, mais un peu dilué), et sa délicieuse habitude d’être capitale de la France vaincue. D’où l’on comprendra que les bordelais n’aiment pas la rive droite, celle par où arrivent les troupes en débandade et les politiques apeurés. Cette ville de la défaite, Alain Juppé, dans une parole interprétative que les psychanalystes lacaniens admirent, l’a transformée en ville des fêtes : fête du vin, du fleuve, du croissant, du confluent, du tramway, de la place des Quinconces, du CAPC, des petits rats de l’opéra. Fêtes qui se succèdent en juillet au rythme des nombreux, superbes et coûteux feux d’artifices, un art dont monsieur le maire est friand. Au passage, et nous en resterons là, un maire qui tente aujourd’hui d’échapper au syndrôme Chaban – qui veut qu’un maire de Bordeaux échoue toujours à être Président de la République – en multipliant les signes de déférence vis à vis du grand résistant : un pont, un stade, une statue, bientôt un boulevard et qui sait, un réduit, une impasse ?

 

Voilà donc cette ville dont il faut admirer la beauté, le sommeil et le vin (ces deux derniers éléments très liés) qui se dote – enfin qui accepte l’idée – d’un festival de jazz contemporain, situé rive droite, au creux du jardin botanique, là où les bordelais ne vont jamais, et encore moins les touristes qui passent dans la belle capitale pour ce qu’elle peut donner : son vin. Vous connaissez beaucoup de villes qui ont ce privilège ? Porto ? Et après ? Et donc hier soir :

 

« Toons » : Théo Ceccaldi (vln), Valentin Ceccaldi (cello, el-b), Gabriel Lemaire (bs, as, alto-cl), Guillaume Aknine (el-g), Florian Satche (dm)

 

Lee Konitz (as), Dan Tepfer (p)

 

Alexandra Grimal (ts), Jozef Dumoulin (p), Dré Pallemaerts (dm)

 

Et disons d’abord que, comme la veille et dans un souci légitime de paix sociale, la participation (pourtant souhaitée) de Lee Konitz au trio d’Alexandra Grimal a été remplacée par un avant-goût par ailleurs fort agréable du concert de ce soir, duo entre Lee et son pianiste attitré Dan Tepfer. Stella By Starlight, c’était grand, et tout le monde en est resté bouche bée. 

 

Car les « Toons » venaient de frapper un grand coup : coup de tonnerre dans un ciel clair, coup de bambou, coup de sang, presque coup de poing. Musique qui sait associer le plus grand déménagement (l’avant dernière pièce), le lyrisme le plus débridé, le minimalisme le plus à ras de terre, le débordement des cordes et le raffinement des anches, le violoncelle à l’arraché, la guitare sous-saturée et surlignée, la percussion rebondissante et la batterie joyeuse. Et le violon ! Cet instrument du diable, si petit, si modeste, et cependant tellement sonore ! Une découverte, moins pour mon estimé confrère qui jouissait modestement d’avoir déjà eu largement connaissance de la chose (faut dire qu’il voyage, le bougre !), que pour tous ceux qui venaient juste de prendre ça : que le jazz vif ça existe et ça consiste. Et même que ça vous élève. Et même que ça peut être dangereux de voir des artistes si peu alignés.

 

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Alors Alexandra est arrivée. Pour remettre les choses dans le même sens, mais en plus « janséniste » comme s’est permis de le dire l’ancien prof de philo. Une petite heure de musique à la fois très improvisée mais aussi très construite, un Body And Soul qui avait sans doute été préparé pour un duo avec « vous-savez-qui », et pour finir des pièces étonnamment suspendues, avec des parties où la saxophoniste se contente de tenir des notes murmurées, d’autres ou elle est volubile d’une manière très coltranienne, un son qui parfois évoque Benny Golson, ou Charlie Rouse, qui n’est qu’à elle bien sûr. Un public parfait, qui n’avait quasiment pas bougé. La belle en sera-t-elle réveillée ? 

 

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Alexandra Grimal, Didier Lasserre

(qui joue ce soir avec Jobic Le Masson

et Benjamin Duboc)

 

René-André Marcel

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C’est tentant : rapprocher « Toons » (Les 7 nains) de « La Belle au bois dormant » et cette dernière de la ville de Bordeaux, avec Alain Juppé dans le rôle du preux chevalier censé réveiller la belle de son sommeil profond. Quant à Alexandra Grimal, elle viendra à point nommé pour nous sortir de ces impasses. Allons-y.

Et d’abord remercier les organisateurs de « Jazz@botanic » de m’avoir invité dans cette ville superbe, où réside mon confrère Philippe Méziat, qui ne laisse pas souvent à d’autres le soin de commenter ce à quoi il est lui-même intéressé. Ancien professeur, il a la réputation (pas tout à fait fausse, mais pas vraiment attestée non plus) d’être un donneur de leçons, toujours prêt à fustiger ceux qui ne répondent pas à son attente, ou à ses désirs. Plusieurs opérateurs locaux en auraient fait les frais, y compris des plus connus. Passons. L’histoire jugera. En tous cas, il continue à soutenir l’idée que le jazz, à Bordeaux, en Gironde et en Aquitaine, a été traité depuis longtemps comme il l’est en ce moment au plan national (voir suppression du bureau du jazz à France-Musiques, suppression du Centre d’Information du Jazz, les budgets culture réduits, etc.), c’est à dire comme une musique juste bonne à ranger dans la catégorie des accessoires dispendieux et élitistes. Et d’en conclure qu’on aurait bien fait de l’écouter quand il tirait les signaux d’alarme à partir de ce qu’il vivait en région Aquitaine, la sinistrée en avance sur son temps.

 

Car Bordeaux (mais le dit-on assez ?) est une ville superbe, avec sa façade XVIII°, entièrement blanchie (je ne parle pas de l’argent de la traite), son pont de pierre légèrement rosé (on sent déjà la présence du vin, mais un peu dilué), et sa délicieuse habitude d’être capitale de la France vaincue. D’où l’on comprendra que les bordelais n’aiment pas la rive droite, celle par où arrivent les troupes en débandade et les politiques apeurés. Cette ville de la défaite, Alain Juppé, dans une parole interprétative que les psychanalystes lacaniens admirent, l’a transformée en ville des fêtes : fête du vin, du fleuve, du croissant, du confluent, du tramway, de la place des Quinconces, du CAPC, des petits rats de l’opéra. Fêtes qui se succèdent en juillet au rythme des nombreux, superbes et coûteux feux d’artifices, un art dont monsieur le maire est friand. Au passage, et nous en resterons là, un maire qui tente aujourd’hui d’échapper au syndrôme Chaban – qui veut qu’un maire de Bordeaux échoue toujours à être Président de la République – en multipliant les signes de déférence vis à vis du grand résistant : un pont, un stade, une statue, bientôt un boulevard et qui sait, un réduit, une impasse ?

 

Voilà donc cette ville dont il faut admirer la beauté, le sommeil et le vin (ces deux derniers éléments très liés) qui se dote – enfin qui accepte l’idée – d’un festival de jazz contemporain, situé rive droite, au creux du jardin botanique, là où les bordelais ne vont jamais, et encore moins les touristes qui passent dans la belle capitale pour ce qu’elle peut donner : son vin. Vous connaissez beaucoup de villes qui ont ce privilège ? Porto ? Et après ? Et donc hier soir :

 

« Toons » : Théo Ceccaldi (vln), Valentin Ceccaldi (cello, el-b), Gabriel Lemaire (bs, as, alto-cl), Guillaume Aknine (el-g), Florian Satche (dm)

 

Lee Konitz (as), Dan Tepfer (p)

 

Alexandra Grimal (ts), Jozef Dumoulin (p), Dré Pallemaerts (dm)

 

Et disons d’abord que, comme la veille et dans un souci légitime de paix sociale, la participation (pourtant souhaitée) de Lee Konitz au trio d’Alexandra Grimal a été remplacée par un avant-goût par ailleurs fort agréable du concert de ce soir, duo entre Lee et son pianiste attitré Dan Tepfer. Stella By Starlight, c’était grand, et tout le monde en est resté bouche bée. 

 

Car les « Toons » venaient de frapper un grand coup : coup de tonnerre dans un ciel clair, coup de bambou, coup de sang, presque coup de poing. Musique qui sait associer le plus grand déménagement (l’avant dernière pièce), le lyrisme le plus débridé, le minimalisme le plus à ras de terre, le débordement des cordes et le raffinement des anches, le violoncelle à l’arraché, la guitare sous-saturée et surlignée, la percussion rebondissante et la batterie joyeuse. Et le violon ! Cet instrument du diable, si petit, si modeste, et cependant tellement sonore ! Une découverte, moins pour mon estimé confrère qui jouissait modestement d’avoir déjà eu largement connaissance de la chose (faut dire qu’il voyage, le bougre !), que pour tous ceux qui venaient juste de prendre ça : que le jazz vif ça existe et ça consiste. Et même que ça vous élève. Et même que ça peut être dangereux de voir des artistes si peu alignés.

 

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Alors Alexandra est arrivée. Pour remettre les choses dans le même sens, mais en plus « janséniste » comme s’est permis de le dire l’ancien prof de philo. Une petite heure de musique à la fois très improvisée mais aussi très construite, un Body And Soul qui avait sans doute été préparé pour un duo avec « vous-savez-qui », et pour finir des pièces étonnamment suspendues, avec des parties où la saxophoniste se contente de tenir des notes murmurées, d’autres ou elle est volubile d’une manière très coltranienne, un son qui parfois évoque Benny Golson, ou Charlie Rouse, qui n’est qu’à elle bien sûr. Un public parfait, qui n’avait quasiment pas bougé. La belle en sera-t-elle réveillée ? 

 

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Alexandra Grimal, Didier Lasserre

(qui joue ce soir avec Jobic Le Masson

et Benjamin Duboc)

 

René-André Marcel

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C’est tentant : rapprocher « Toons » (Les 7 nains) de « La Belle au bois dormant » et cette dernière de la ville de Bordeaux, avec Alain Juppé dans le rôle du preux chevalier censé réveiller la belle de son sommeil profond. Quant à Alexandra Grimal, elle viendra à point nommé pour nous sortir de ces impasses. Allons-y.

Et d’abord remercier les organisateurs de « Jazz@botanic » de m’avoir invité dans cette ville superbe, où réside mon confrère Philippe Méziat, qui ne laisse pas souvent à d’autres le soin de commenter ce à quoi il est lui-même intéressé. Ancien professeur, il a la réputation (pas tout à fait fausse, mais pas vraiment attestée non plus) d’être un donneur de leçons, toujours prêt à fustiger ceux qui ne répondent pas à son attente, ou à ses désirs. Plusieurs opérateurs locaux en auraient fait les frais, y compris des plus connus. Passons. L’histoire jugera. En tous cas, il continue à soutenir l’idée que le jazz, à Bordeaux, en Gironde et en Aquitaine, a été traité depuis longtemps comme il l’est en ce moment au plan national (voir suppression du bureau du jazz à France-Musiques, suppression du Centre d’Information du Jazz, les budgets culture réduits, etc.), c’est à dire comme une musique juste bonne à ranger dans la catégorie des accessoires dispendieux et élitistes. Et d’en conclure qu’on aurait bien fait de l’écouter quand il tirait les signaux d’alarme à partir de ce qu’il vivait en région Aquitaine, la sinistrée en avance sur son temps.

 

Car Bordeaux (mais le dit-on assez ?) est une ville superbe, avec sa façade XVIII°, entièrement blanchie (je ne parle pas de l’argent de la traite), son pont de pierre légèrement rosé (on sent déjà la présence du vin, mais un peu dilué), et sa délicieuse habitude d’être capitale de la France vaincue. D’où l’on comprendra que les bordelais n’aiment pas la rive droite, celle par où arrivent les troupes en débandade et les politiques apeurés. Cette ville de la défaite, Alain Juppé, dans une parole interprétative que les psychanalystes lacaniens admirent, l’a transformée en ville des fêtes : fête du vin, du fleuve, du croissant, du confluent, du tramway, de la place des Quinconces, du CAPC, des petits rats de l’opéra. Fêtes qui se succèdent en juillet au rythme des nombreux, superbes et coûteux feux d’artifices, un art dont monsieur le maire est friand. Au passage, et nous en resterons là, un maire qui tente aujourd’hui d’échapper au syndrôme Chaban – qui veut qu’un maire de Bordeaux échoue toujours à être Président de la République – en multipliant les signes de déférence vis à vis du grand résistant : un pont, un stade, une statue, bientôt un boulevard et qui sait, un réduit, une impasse ?

 

Voilà donc cette ville dont il faut admirer la beauté, le sommeil et le vin (ces deux derniers éléments très liés) qui se dote – enfin qui accepte l’idée – d’un festival de jazz contemporain, situé rive droite, au creux du jardin botanique, là où les bordelais ne vont jamais, et encore moins les touristes qui passent dans la belle capitale pour ce qu’elle peut donner : son vin. Vous connaissez beaucoup de villes qui ont ce privilège ? Porto ? Et après ? Et donc hier soir :

 

« Toons » : Théo Ceccaldi (vln), Valentin Ceccaldi (cello, el-b), Gabriel Lemaire (bs, as, alto-cl), Guillaume Aknine (el-g), Florian Satche (dm)

 

Lee Konitz (as), Dan Tepfer (p)

 

Alexandra Grimal (ts), Jozef Dumoulin (p), Dré Pallemaerts (dm)

 

Et disons d’abord que, comme la veille et dans un souci légitime de paix sociale, la participation (pourtant souhaitée) de Lee Konitz au trio d’Alexandra Grimal a été remplacée par un avant-goût par ailleurs fort agréable du concert de ce soir, duo entre Lee et son pianiste attitré Dan Tepfer. Stella By Starlight, c’était grand, et tout le monde en est resté bouche bée. 

 

Car les « Toons » venaient de frapper un grand coup : coup de tonnerre dans un ciel clair, coup de bambou, coup de sang, presque coup de poing. Musique qui sait associer le plus grand déménagement (l’avant dernière pièce), le lyrisme le plus débridé, le minimalisme le plus à ras de terre, le débordement des cordes et le raffinement des anches, le violoncelle à l’arraché, la guitare sous-saturée et surlignée, la percussion rebondissante et la batterie joyeuse. Et le violon ! Cet instrument du diable, si petit, si modeste, et cependant tellement sonore ! Une découverte, moins pour mon estimé confrère qui jouissait modestement d’avoir déjà eu largement connaissance de la chose (faut dire qu’il voyage, le bougre !), que pour tous ceux qui venaient juste de prendre ça : que le jazz vif ça existe et ça consiste. Et même que ça vous élève. Et même que ça peut être dangereux de voir des artistes si peu alignés.

 

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Alors Alexandra est arrivée. Pour remettre les choses dans le même sens, mais en plus « janséniste » comme s’est permis de le dire l’ancien prof de philo. Une petite heure de musique à la fois très improvisée mais aussi très construite, un Body And Soul qui avait sans doute été préparé pour un duo avec « vous-savez-qui », et pour finir des pièces étonnamment suspendues, avec des parties où la saxophoniste se contente de tenir des notes murmurées, d’autres ou elle est volubile d’une manière très coltranienne, un son qui parfois évoque Benny Golson, ou Charlie Rouse, qui n’est qu’à elle bien sûr. Un public parfait, qui n’avait quasiment pas bougé. La belle en sera-t-elle réveillée ? 

 

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Alexandra Grimal, Didier Lasserre

(qui joue ce soir avec Jobic Le Masson

et Benjamin Duboc)

 

René-André Marcel