Jazz live
Publié le 1 Fév 2019

Daniel Humair, un jeune octogénaire au Blomet

Hier 31 janvier, Daniel Humair présentait un nouveau trio – le guitariste Pierre Durand et le contrebassiste Jérôme Regard – au Bal Blomet, dans le cadre des Jeudis de Jazz Magazine. Et la maréchaussée avait bien fait les choses.

Pierre Durand, Daniel Humair et Jérôme Regard © X.Deher

À peine avait-il installé sa batterie que Daniel Humair apprenait l’enlèvement imminent de son véhicule stationné sur l’espace de livraison le plus proche du Blomet. Le voici parlementant dans le crachin avec le préposé à l’enlèvement en montrant l’affiche du concert où il est sensé jouer, mais dès lors que l’enlèvement a été demandé, le préposé est tenu à finir son travail, sauf à être soupçonné de corruption. Appel et attente sous la pluie des services de police concernés, nouveaux palabres. 20 heures étant passé, le véhicule peut rester mais l’amende de 150 € doit être payée… en liquide.

C’est donc un Daniel Humair un rien énervé qui monte sur scène. On sait que ce sont ces multiples tracasseries du quotidien du musicien qui l’ont rendu rare sur scène au début des années 1960, préférant consacrer son énergie à peindre dans son atelier. Depuis quelques mois, le voilà qui se remet à pratiquer l’instrument au quotidien et s’astreint à un régime alimentaire de sportif. Vingt kilos de moins, une forme de jeune homme, ne nous l’énervez pas ! Le trio également est tout neuf et, comme à un vingt ans face à un examen, le voici qui partage son anxiété au coin du bar au moment de monter sur scène. Perceptible sur la battue binaire de Good Mood de Joachim Kühn, elle fait rapidement place au bonheur de jouer, de jouer et de déjouer son savoir, refusant la routine, profitant de ce nouveau trio pour réinventer un répertoire qu’il pratique en partie depuis des lustres : Licorn In Captivity de Jane Ira Bloom, Mutinerie de Michel Portal, Genevamalgame, Jime Dime de sa propre plume en hommage au peintre du même nom… S’il revendique son attachement à la plasticité du swing, il reste chez lui un goût de l’abstraction, du jeu avec les formes, les matières sonores, les matières rythmiques qui ne sont pas sans rappeler à ceux qui l’ont vu peindre, notamment dans le formidable film En résonance de Thierry Le Nouvel, l’urgence juvénile de son geste sur la toile, mais aussi sa gourmandise de gastronome pour de nouvelles recettes, de nouvelles associations, pour peu qu’elles reposent sur un métier. Cet équilibre instable entre le métier et la virginité du geste, voici le bonheur de voir et entendre Daniel Humair, à quoi s’ajoute le goût du partage, notamment avec de plus jeunes générations susceptibles de le stimuler, de régénérer son art.

© Monsieur Wang

Pierre Durand, le guitariste, et Jérôme Regard, le contrebassiste, il les a connus étudiants au CNSM autrefois. De sa collaboration avec Jérôme Regard, on connaît notamment l’album “Sweet & Sour” avec Emile Parisien et Vincnet Peirani. Cette plasticité du swing mentionnée plus haut, c’est dans le choix de ses contrebassistes qu’Humair prend soin de la trouver, dans cette entente mutuelle, cette faculté qu’ont un batteur et un bassiste à ne faire qu’un seul son des impacts de l’olive de baguette sur la cymbale et du doigt sur la corde dans une walking bass. En outre, sur ces thèmes déjà joués avec Jean-Paul Céléa, Bruno Chevillon, Sébastien Boisseau, Stéphane Kerecki, Jérôme Regard sait apporter des propositions, des arrangements, des gestes nouveaux qui revitalisent ce répertoire. Pierre Durand y apporte son enracinement dans la tradition du blues louisianais, l’influence de John Scofield définitivement estompée par la sédimentation des expériences où l’on reconnaît parfois le John Abercrombie des années 1970 ou un certain Marc Ducret, le tout en un creuset qui porte sa marque désormais indélébile, en témoigne le profond feeling d’une ballade, Les Amants, qu’il offre au trio. Sur Ira Song de Daniel Humair, où le tambour militaire prend sous ses rudiments une dimension dramatique, le guitariste introduit une jig irlandaise de son crû évoquant cette espèce de transe que l’on peut connaître dans les sessions de musique irlandaise notamment lorsque la gigue fait rouler ses triolets. Les embarras de la circulation sont oubliés, le bonheur ruisselle sur le visage du batteur qui laisse sa baguette errer à la recherche de nouvelles sensations sonores et rythmiques sur les briques du fond de scène ou fouille soudain dans son attirail pour tirer un marteau-jouet couineur et donner le coup de grâce au dernier point d’orgue du concert. • Franck Bergerot

© Monsieur Wang