Gautier Garrigue et Kris Davis à D’Jazz Nevers
À peine débarqué à Nevers ce soir du 14 novembre, cap vers la grande salle de « La Maison » (on ne dit plus « de la Culture ») pour une double affiche alléchante et contrastée.

En relisant les comptes-rendus de mes estimés collègues qui ont émaillé la première semaine du festival, je constate que D’Jazz Nevers – et c’est heureux – rend plus que jamais compte du bouillonnement esthétique de la scène contemporaine et des interrogations qui inévitablement l’accompagnent : qu’est-ce que le jazz en 2025 ? Qui est-il ? Où va-t-il ? Dans cet océan de questions, Gautier Garrigue et son quartette apportent sinon des certitudes, du moins une intention esthétique clairement formulée : car si cette « Traversée » fait parfois mine de se perdre dans l’immensité des océans, il n’en est pas moins clair qu’elle suit en réalité un cheminement mûrement réfléchi, une dramaturgie finement pensée. Reprenant les trois quarts du groupe Flash Pig (le leader à la batterie, le toujours profond Florent Nisse à la contrebasse, et le brillant Maxime Sanchez au piano) en y adjoignant à la guitare ce virtuose discret et modeste qu’est Federico Casagrande, le groupe évoque une certaine esthétique « ecmienne », d’ailleurs revendiquée à travers un hommage à Kenny Wheeler. Témoignant d’un sens très sûr de l’espace et des dynamiques, la musique se déploie tout en dégradé de nuances chambristes, rendant les rares embardées d’autant plus intenses. Ponctuant le tout avec finesse tout en distillant un groove tout en retenue, Gautier Garrigue impose sa marque avec naturel et conviction.

Place ensuite à Kris Davis, sur le point d’achever une tournée européenne dont l’étape strasbourgeoise à Jazzdor a été chroniquée ici-même par Stéphane Ollivier. Incontestablement, celle qu’on a longtemps considérée comme une avant-gardiste renoue à travers ce trio avec certains fondamentaux de la tradition afro-américaine : impressionnant par son groove sans effort, l’imagination de ses solos et sa parfaite maîtrise de l’archet, Robert Hurst s’est fait connaître dans les années 80 comme le contrebassiste de Wynton Marsalis ; quant à Johnathan Blake, n’est-il pas depuis 2008 le batteur attitré de Kenny Barron ? Malgré un curriculum qui force le respect, il faut admettre que ce dernier ne fait pas toujours l’unanimité parmi les amateurs (voir par exemple ce compte-rendu de ma plume vieux de déjà treize ans) : on lui reproche parfois un jeu trop fourni (« too busy » comme on dit anglais), et surtout une force de frappe qui peut parfois dominer excessivement le son du groupe. Après une entrée en matière toute en finesse, on a de fait pu craindre le pire durant un morceau ou deux, où l’on n’entendait littéralement que lui (quel groove, soit dit en passant). Mais fort heureusement, il revint par la suite à une gestion plus fine des dynamiques où son sens de l’à-propos fit merveille. Résultat : une mémorable leçon de trio !
Pascal Rozat

