Jazz live
Publié le 9 Juil 2022

JAZZ À COUCHES 2022, soirée d’ouverture

Première soirée de l’édition 2022 du festival, avec le rituel concert du Big Band de Couches, dans un nouveau programme, et un quartette aux accents West Coast d’une très belle qualité. Le chroniqueur ne pourra pas rester les jours suivants (escapades festivalières ailleurs). Et il manquera donc Richard Bona, Alfredo Rodriguez, Biréli Lagrène avec Charlier-Sourisse Multiquarium, l’Orchestre Franck Tortiller, et quelques autres ; mais il va, comme de coutume, tenter d’évoquer pour vous ce premier soir.

L’Esprit de Jazz à Couches : sur un fût le programme du festival, et un verre de Côtes du Couchois rouge, cuvée ‘Expression’

Comme toujours, le groupe de jazz traditionnel ‘Les Sourdines à l’huile’, donne une aubade (ou plutôt une vespérade) au public, en attendant le concert ; puis en jouant, version marching band, il précède le public vers l’entrée du chapiteau et conclut cet impromptu devant la scène dans l’attente du premier groupe.

BLUE 4tet ‘Tribute to Gerry Mulligan’

Benoît Keller (contrebasse), Samuel André (trompette), Philippe Simonet (saxophone baryton), Denis Desbrières( batterie)

Couches, zone de loisirs, 6 juillet 2022, 20h

Blue Quartet pendant la balance

Le groupe a été rassemblé par le contrebassiste Benoît Keller. Quand il était étudiant au conservatoire avec le saxophoniste baryton Philippe Simonet, ils travaillaient ensemble le répertoire de Gerry Mulligan. Et l’idée a germé de constituer un quartet ‘à la Mulligan’, sans piano, avec un batteur qui est comme eux membre du Big Band Chalon-Bourgogne, et en faisant appel à un trompettiste issu du Conservatoire Royal de Bruxelles, et très actif en Bourgogne : Samuel André. Le saxophoniste avait déjà voici une dizaine d’années monté un quartette de ce type, mais avec un trombone (l’autre version du quartette Mulligan, avec Bob Brookmeyer au lieu de Chet Baker).

Le répertoire est très majoritairement celui composé par Mulligan, avec ses trésors de contrepoint qui font le charme du style West Coast (Mulligan, New Yorkais de naissance, fut pourtant un emblème du jazz de la Côte Ouest….). L’esprit est là : un jeu de batterie qui souligne, sans fracas, le phrasé des thèmes ; une contrebasse qui distribue les fondations mais dont les commentaires abondent, et se mêlent au tissu harmonico-mélodique très fourni des souffleurs ; un sax baryton qui joue le jeu, dans la nuance et la douceur du contour comme dans les éclats incisifs ; et un trompettiste qui se joue des circonvolutions funambulesques du phrasé, et mêle aux douceurs induites par le style des éclats dignes du jazz hot de l’entre-deux guerres (avec en prime des effets de glissando à la Lester Bowie). Ce fut un régal de bout en bout, fidèle à l’esprit, sans aucune servilité, avec la fraîcheur d’un monde neuf. En cours de concert, le bassiste et le sax baryton firent un pas de côté en quittant Mulligan pour Oscar Pettiford, jouant en duo Tricotism, si délicieusement compatible avec cet univers.

Et en conclusion ils nous offrirent un Bernie’s Tune explosif, la trompette s’envolant vers la stratosphère avant que le baryton, enchaînant par un chorus retenu, ne brise ses entraves pour une virulence très réjouissante. Bref ce fut un très beau moment de musique, de musique de jazz ; de musique vivante, tout simplement.

À l’entracte, pendant le changement de plateau conséquent qui installe le big band, le public s’égaille du côté du bar, à l’extérieur du chapiteau, sur le terrain de rugby. Sur l’un des tirages très grands formats des photographies de Laure Villain affichés sur le site, un souvenir de la battle qui, en 2016, opposa en une joute amicale le big band de Couches et celui de Chalon-Bourgogne.

Le big band de Couches pendant la balance-répétition

Big Band de COUCHES, direction-compositions-arrangements Franck Tortiller

Sylvain Augy, Stéphane Desvignes, Alain Dard, Bob Pleinet (trompettes), Hervé Gonneaud, Christian Demonmerot, Philippe Choquet, Didier Chabridon (trombones), Fabien Esthor (saxophones alto & soprano), Patrick Seurre, Jean-Claude Royet (saxophones altos), Yves Boyer, Anne Duchêne (saxophones ténors), Richard Legouhy (saxophone baryton), Céline Guillemet (guitare), Mathieu Choquet (clavier), Serge Blanot (guitare basse), Bernard Foudrot (batterie)

Couches, zone de loisirs, 6 juillet 2022, 21h30

Depuis que le big band existe, il a joué une foule de programmes différents, empruntés à de grandes figures de cette musique ; mais il n’avait jamais consacré tout un concert à la musique de l’enfant du pays, l’un des initiateurs de ce festival, le vibraphoniste Franck Tortiller. Ce fut envisagé en 2020, mais l’épidémie différa le projet. C’est maintenant chose faite. Sans son vibraphone, mais à la direction, à une bonne partie des compositions et aux arrangements, Franck Tortiller a réalisé le souhait de l’orchestre. Il a arrangé et composé sur mesure pour cette belle phalange d’amateurs, prenant en compte les moyens d’expression de chacune et de chacun.

Le concert commence avec un thème de Charles Mingus, Hobo Ho, que Franck avait déjà arrangé pour une effectif plus restreint (une douzaine de musiciens) pour un disque publié voici près de quatre ans. L’arrangement, et l’enchaînement torride des solos, sont bien dans l’esprit de cette musique. Vient ensuite une version très singulière de The Mooche, de Duke Ellington. On démarre binaire, avec un jeu de batterie marqué par le rock, pour ensuite développer l’expressivité si particulière de cette musique, héritage du style jungle pratiqué par le Maître à la fin des années vingt. Vient ensuite une première composition originale, qui commence sur un tempo lent, et pour les souffleurs des harmonies serrées et tendues. Après ce moment délicat pour les amateurs qui composent l’orchestre, les énergies se libèrent, et l’expression reprend ses droits. Suivra un autre thème ellingtonien, Portrait of Louis Armstrong (issu de la New Orleans Suite), qui sollicite plusieurs trompettistes de l’orchestre dans un festival d’ascensions vertigineuses. Puis ce sera un thème dédié à l’un des saxophonistes de l’orchestre, brillant soliste, sobrement intitulé du prénom de son dédicataire : Fabien. Le soliste nous fera entendre qu’il méritait cette dédicace. Le titre suivant, au début très marqué par l’esprit funky jazz de la fin des sixties (pulsation très marquée, riffs façon Muscle Shoals Horns), tournera ensuite à la ballade, avant un retour en force d’une pulsation irrépressible.

Et pour le bouquet final, Franck Tortiller invite à se joindre au big band des membres des Sourdines à l’huile, et aussi le trompettiste, le saxophoniste et le batteur (qui se fera percussionniste) de Blue Quartet. Version torride, en jam session explosive, de Saint Louis Blues. Une fois de plus, à Couches, le jazz est une fête !

Xavier Prévost