Jazz live
Publié le 12 Juil 2013

Jazz des Îles à Jazz à Vienne

21 h. Un grondement parti du ciel rebondit encore un peu diffus sur l’arc de pierres du Théâtre Antique. Yusef Lateef qui prolongeait son souffle dans différentes flûtes de bambou pointe alors un doigt vers le ciel. On pense à l’histoire chinoise du fou qui fixe le doigt lorsque le sage montre les étoiles. Cette fois pourtant la folie tombe du ciel. Dix secondes plus tard un déluge de gouttes drues s’abat sur les gradins. Les milliers de fidèles de Jazz à Vienne n’ont pas le temps d’enfiler capuchons ou ponchos multicolores. « La pli ka tombé » comme le dit un jour en créole Eddy Louiss lors d’une autre soirée de déluge, la pluie ce soir triomphe des notes bleues…

Cécile Mc Lorin (voc), Aaron Diehl (p), Paul Sikivie (b), Rodney Green (dm)

Ahmad Jamal (p), Elvin Riley (b), Manolo Badrena (perc) + invite : Yusef Lateef (ts, fl, perc)

Chucho Valdes (p), Ronaldo Melian (tp), Gaston Joya (b), Dreiser Durruthy (perc voix), Yaroldy Abreu (cong), Rodney Barretto (dm) + invitée : Concha Buika (voc)

Sony Troupé (dm, Ka), Gregory Privat (elp, keyb), Arnaud Dolmen (ka), Mike Armoogum (b)

 Franck Nicolas (tp, bug, coquillages, voc),  Sylvain Joseph(as), Arnaud Dolmen (dm)

 

Sonny Rollins n’est donc pas là, tournée estivale annulée pour cause de problème respiratoire. A sa place une icône du jazz moderne, Ahmad Jamal flanqué d’un invité exceptionel, Yusef Lateef. Jamal c’est la garantie d’un jazz qui groove. Une base instrumentale bâtie sur un triangle très percussif (batterie-percussions-piano) fait rouler à plaisir les mesures apparemment sans effort. Les reste est une question d’accords et de voicings très expressionnistes, avec en mode plus d’incessants échanges avec la basse comme pilier. Bien sur, leader incontesté, Ahmad Jamal donne le ton et la couleur à sa musique. Mais paradoxalement, dans l’exploration et la ponctuation permanente, Manolo Badrena, percussionniste brésilien à la barbiche très carrée y revient plus qu’à son tour. La formule fonctionne à plein dans théâtre romain. Question d’espace à occuper sans doute. Question d’attente de la part du public aussi puis qu’aussi bien Jamal, représente aujourd’hui dans le jazz une vraie tête d’affiche.

Yusef Lateef, arrive sur l’immense scène en vraie figure de guets star.. Seul au départ, il prend le temps de piocher dans sa panoplie de vents et de percussions. Les musiciens de l’orchestre d’Ahmad Jamal reviennent au fur et à mesure. Ainsi comme par ressacs successifs la musique s’installe, distillant des climats par touches successives. Pas de réelle construction, plutôt un décor planté comme au pochoir en forme de kaléidoscope. Et lorsque le poly-instrumentiste de légende pose son ténor pour saisir un flûtiau, les premiers roulements du tonnerre retentissent. De son index il désigne le ciel qui s’assombrit soudain. On connaît la suite…

Une demie heure d’averse tropicale plus tard Chucho Valdes, stature immense mais très élégant dans une tenue de soie crème, lance une séquence solo de Dreiser Durruthy. Le jeune percussionniste au look de rappeur fait rouler ses mains de part et d’autres des tambours batas. A coup de mouvements circulaires, paumes de mains ouvertes, il catapulte des polyrythmies plus savantes les unes que les autres l’air de rien, avec un naturel désarmant. Puis aux sonorités rondes du tambour qui roule s’ajoute un chant en langue Yoruba. Bientôt tous les musiciens lui font chœur. Le rituel afro cubain transperce la nuit viennoise et son décor d’histoire romaine. Chucho justifierait presque à ce seul moment le choix du nom de son orchestre « Afro Cuban Messengers » Mais à l’image des séquences composées pour son dernier CD, Border Free le show laisse éclater des échos (Conga Danza, Julian, Yansa) de musiques multiples : son, bolero, rumba et jazz bien entendu « Parce que Chucho Valdes le démontre ici une fois de plus si besoin était : il reste un formidable pianiste de jazz » affirme d’ailleurs non sans plaisir Jean-Paul Boutellier, un des programmateurs du festival, le regard rivé sur les murs d’image. Là encore l’orchestre trouve son fondement dans un substrat de percussions, aiguillonnées sans cesse par la force du piano. Ce qui n’empêchera pas, manière d’écrin dans la furia des breaks et relances,   un moment d’étonnant apaisement à l’occasion d’un beau duo basse piano traitant une fugue de Bach « un des morceaux préférés de ma grand-mère »  nous confiait-il récemment (cf Jazzmag jazzman, juin 2013). Concha Buika intervient alors au beau milieu du concert. Dans un tel contexte chanter trois thèmes (Siboney, My one and only love en duo voix/piano également, Santa Cruz) relève un peu du pari. Il faut toute la force et la présence, physique, vocale, le culot surtout du phénomène Buika pour s’imposer ainsi au collectif cubain. Reste que ce quart d’heure servi chaud, au final –dommage !- s’apparente à une parenthèse trop brève.

Le Jazz Mix au bord du Rhône clôture chaque jour au cœur de la nuit le chapelet de concerts viennois. Le chapiteau sert ce soir un menu également très épicé. Plat musical caraïbe toujours, mais version Antilles françaises. Deux heures du mat : sous le chapiteau surchauffé : Dreiser Durruthy, maitre es tambour bata et Yaroldy Abreu, les deux percussionnistes de Chucho observent d’un œil très intéressé la démonstration de gwo ka « Nous avons des tambours nous aussi à Cuba, bien sur. Mais ceux là sonnent de façon particulière » remarque impressionné le spécialiste des congas. Sonny Troupé, le batteur et percussionniste guadeloupéen vient de se lancer sur son tambour dans une démonstration saisissante de frappes et roulements en accéléré. Sur cet instrument traditionnel comme sur la batterie il privilégie les frappes de peaux. Sur une telle base de rebonds incessants la musique du quartet prend du volume et de l’intensité. L’apport mélodique autant que rythmique des pianos électrifiés à haut voltage par Grégory Privat porte au chant et appelle à la danse. La chaleur tropicale du Baiser Salé (leur fief parisien) s’est répandue sur les quais de du Rhône. Les accents électriques et le beat métronomique transportent le (jeune) public vers un Big Fun (Miles) des sevnties ou un Black Market (Weather Report) des eighties. Aussi lorsqu’au final la trompette de Franck Nicolas, convié en tant que musicien « pays », s’invite dans l’orchestre antillais le jazz en mode ilien s’incru
ste un peu plus profondément. Au final de cette nuit d’archipels caraïbe les syncopes et décalages du trompettiste guadeloupéen installé à New York bouclent la boucle. Entre biguine et zouk Franck Nicolas fait vivre sa Jazz Ka Philosophy. « Dommage que d’autres festivals ne pensent pas à programmer des musiciens aussi originaux » regrette à juste titre Reza Ackbaraly responsable de la scène du Jazz Mix.

En flash back et par comparaison fortuite, il est permis alors de penser que les tranches de jazz offertes la veille sur deux scènes différentes (Théâtre Antique et Théâtre de Vienne) et poussées par deux orchestres distincts (quartet et septet), bref l’art vocal de Cecile McLorin Salvant porte carence d’un assaisonnement adéquat. Bien préparé, bien servi certes. Mais manquant d’une saveur, de celles que l’on ne saurait oublier, la nuit passée.

 

Robert Latxague

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21 h. Un grondement parti du ciel rebondit encore un peu diffus sur l’arc de pierres du Théâtre Antique. Yusef Lateef qui prolongeait son souffle dans différentes flûtes de bambou pointe alors un doigt vers le ciel. On pense à l’histoire chinoise du fou qui fixe le doigt lorsque le sage montre les étoiles. Cette fois pourtant la folie tombe du ciel. Dix secondes plus tard un déluge de gouttes drues s’abat sur les gradins. Les milliers de fidèles de Jazz à Vienne n’ont pas le temps d’enfiler capuchons ou ponchos multicolores. « La pli ka tombé » comme le dit un jour en créole Eddy Louiss lors d’une autre soirée de déluge, la pluie ce soir triomphe des notes bleues…

Cécile Mc Lorin (voc), Aaron Diehl (p), Paul Sikivie (b), Rodney Green (dm)

Ahmad Jamal (p), Elvin Riley (b), Manolo Badrena (perc) + invite : Yusef Lateef (ts, fl, perc)

Chucho Valdes (p), Ronaldo Melian (tp), Gaston Joya (b), Dreiser Durruthy (perc voix), Yaroldy Abreu (cong), Rodney Barretto (dm) + invitée : Concha Buika (voc)

Sony Troupé (dm, Ka), Gregory Privat (elp, keyb), Arnaud Dolmen (ka), Mike Armoogum (b)

 Franck Nicolas (tp, bug, coquillages, voc),  Sylvain Joseph(as), Arnaud Dolmen (dm)

 

Sonny Rollins n’est donc pas là, tournée estivale annulée pour cause de problème respiratoire. A sa place une icône du jazz moderne, Ahmad Jamal flanqué d’un invité exceptionel, Yusef Lateef. Jamal c’est la garantie d’un jazz qui groove. Une base instrumentale bâtie sur un triangle très percussif (batterie-percussions-piano) fait rouler à plaisir les mesures apparemment sans effort. Les reste est une question d’accords et de voicings très expressionnistes, avec en mode plus d’incessants échanges avec la basse comme pilier. Bien sur, leader incontesté, Ahmad Jamal donne le ton et la couleur à sa musique. Mais paradoxalement, dans l’exploration et la ponctuation permanente, Manolo Badrena, percussionniste brésilien à la barbiche très carrée y revient plus qu’à son tour. La formule fonctionne à plein dans théâtre romain. Question d’espace à occuper sans doute. Question d’attente de la part du public aussi puis qu’aussi bien Jamal, représente aujourd’hui dans le jazz une vraie tête d’affiche.

Yusef Lateef, arrive sur l’immense scène en vraie figure de guets star.. Seul au départ, il prend le temps de piocher dans sa panoplie de vents et de percussions. Les musiciens de l’orchestre d’Ahmad Jamal reviennent au fur et à mesure. Ainsi comme par ressacs successifs la musique s’installe, distillant des climats par touches successives. Pas de réelle construction, plutôt un décor planté comme au pochoir en forme de kaléidoscope. Et lorsque le poly-instrumentiste de légende pose son ténor pour saisir un flûtiau, les premiers roulements du tonnerre retentissent. De son index il désigne le ciel qui s’assombrit soudain. On connaît la suite…

Une demie heure d’averse tropicale plus tard Chucho Valdes, stature immense mais très élégant dans une tenue de soie crème, lance une séquence solo de Dreiser Durruthy. Le jeune percussionniste au look de rappeur fait rouler ses mains de part et d’autres des tambours batas. A coup de mouvements circulaires, paumes de mains ouvertes, il catapulte des polyrythmies plus savantes les unes que les autres l’air de rien, avec un naturel désarmant. Puis aux sonorités rondes du tambour qui roule s’ajoute un chant en langue Yoruba. Bientôt tous les musiciens lui font chœur. Le rituel afro cubain transperce la nuit viennoise et son décor d’histoire romaine. Chucho justifierait presque à ce seul moment le choix du nom de son orchestre « Afro Cuban Messengers » Mais à l’image des séquences composées pour son dernier CD, Border Free le show laisse éclater des échos (Conga Danza, Julian, Yansa) de musiques multiples : son, bolero, rumba et jazz bien entendu « Parce que Chucho Valdes le démontre ici une fois de plus si besoin était : il reste un formidable pianiste de jazz » affirme d’ailleurs non sans plaisir Jean-Paul Boutellier, un des programmateurs du festival, le regard rivé sur les murs d’image. Là encore l’orchestre trouve son fondement dans un substrat de percussions, aiguillonnées sans cesse par la force du piano. Ce qui n’empêchera pas, manière d’écrin dans la furia des breaks et relances,   un moment d’étonnant apaisement à l’occasion d’un beau duo basse piano traitant une fugue de Bach « un des morceaux préférés de ma grand-mère »  nous confiait-il récemment (cf Jazzmag jazzman, juin 2013). Concha Buika intervient alors au beau milieu du concert. Dans un tel contexte chanter trois thèmes (Siboney, My one and only love en duo voix/piano également, Santa Cruz) relève un peu du pari. Il faut toute la force et la présence, physique, vocale, le culot surtout du phénomène Buika pour s’imposer ainsi au collectif cubain. Reste que ce quart d’heure servi chaud, au final –dommage !- s’apparente à une parenthèse trop brève.

Le Jazz Mix au bord du Rhône clôture chaque jour au cœur de la nuit le chapelet de concerts viennois. Le chapiteau sert ce soir un menu également très épicé. Plat musical caraïbe toujours, mais version Antilles françaises. Deux heures du mat : sous le chapiteau surchauffé : Dreiser Durruthy, maitre es tambour bata et Yaroldy Abreu, les deux percussionnistes de Chucho observent d’un œil très intéressé la démonstration de gwo ka « Nous avons des tambours nous aussi à Cuba, bien sur. Mais ceux là sonnent de façon particulière » remarque impressionné le spécialiste des congas. Sonny Troupé, le batteur et percussionniste guadeloupéen vient de se lancer sur son tambour dans une démonstration saisissante de frappes et roulements en accéléré. Sur cet instrument traditionnel comme sur la batterie il privilégie les frappes de peaux. Sur une telle base de rebonds incessants la musique du quartet prend du volume et de l’intensité. L’apport mélodique autant que rythmique des pianos électrifiés à haut voltage par Grégory Privat porte au chant et appelle à la danse. La chaleur tropicale du Baiser Salé (leur fief parisien) s’est répandue sur les quais de du Rhône. Les accents électriques et le beat métronomique transportent le (jeune) public vers un Big Fun (Miles) des sevnties ou un Black Market (Weather Report) des eighties. Aussi lorsqu’au final la trompette de Franck Nicolas, convié en tant que musicien « pays », s’invite dans l’orchestre antillais le jazz en mode ilien s’incru
ste un peu plus profondément. Au final de cette nuit d’archipels caraïbe les syncopes et décalages du trompettiste guadeloupéen installé à New York bouclent la boucle. Entre biguine et zouk Franck Nicolas fait vivre sa Jazz Ka Philosophy. « Dommage que d’autres festivals ne pensent pas à programmer des musiciens aussi originaux » regrette à juste titre Reza Ackbaraly responsable de la scène du Jazz Mix.

En flash back et par comparaison fortuite, il est permis alors de penser que les tranches de jazz offertes la veille sur deux scènes différentes (Théâtre Antique et Théâtre de Vienne) et poussées par deux orchestres distincts (quartet et septet), bref l’art vocal de Cecile McLorin Salvant porte carence d’un assaisonnement adéquat. Bien préparé, bien servi certes. Mais manquant d’une saveur, de celles que l’on ne saurait oublier, la nuit passée.

 

Robert Latxague

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21 h. Un grondement parti du ciel rebondit encore un peu diffus sur l’arc de pierres du Théâtre Antique. Yusef Lateef qui prolongeait son souffle dans différentes flûtes de bambou pointe alors un doigt vers le ciel. On pense à l’histoire chinoise du fou qui fixe le doigt lorsque le sage montre les étoiles. Cette fois pourtant la folie tombe du ciel. Dix secondes plus tard un déluge de gouttes drues s’abat sur les gradins. Les milliers de fidèles de Jazz à Vienne n’ont pas le temps d’enfiler capuchons ou ponchos multicolores. « La pli ka tombé » comme le dit un jour en créole Eddy Louiss lors d’une autre soirée de déluge, la pluie ce soir triomphe des notes bleues…

Cécile Mc Lorin (voc), Aaron Diehl (p), Paul Sikivie (b), Rodney Green (dm)

Ahmad Jamal (p), Elvin Riley (b), Manolo Badrena (perc) + invite : Yusef Lateef (ts, fl, perc)

Chucho Valdes (p), Ronaldo Melian (tp), Gaston Joya (b), Dreiser Durruthy (perc voix), Yaroldy Abreu (cong), Rodney Barretto (dm) + invitée : Concha Buika (voc)

Sony Troupé (dm, Ka), Gregory Privat (elp, keyb), Arnaud Dolmen (ka), Mike Armoogum (b)

 Franck Nicolas (tp, bug, coquillages, voc),  Sylvain Joseph(as), Arnaud Dolmen (dm)

 

Sonny Rollins n’est donc pas là, tournée estivale annulée pour cause de problème respiratoire. A sa place une icône du jazz moderne, Ahmad Jamal flanqué d’un invité exceptionel, Yusef Lateef. Jamal c’est la garantie d’un jazz qui groove. Une base instrumentale bâtie sur un triangle très percussif (batterie-percussions-piano) fait rouler à plaisir les mesures apparemment sans effort. Les reste est une question d’accords et de voicings très expressionnistes, avec en mode plus d’incessants échanges avec la basse comme pilier. Bien sur, leader incontesté, Ahmad Jamal donne le ton et la couleur à sa musique. Mais paradoxalement, dans l’exploration et la ponctuation permanente, Manolo Badrena, percussionniste brésilien à la barbiche très carrée y revient plus qu’à son tour. La formule fonctionne à plein dans théâtre romain. Question d’espace à occuper sans doute. Question d’attente de la part du public aussi puis qu’aussi bien Jamal, représente aujourd’hui dans le jazz une vraie tête d’affiche.

Yusef Lateef, arrive sur l’immense scène en vraie figure de guets star.. Seul au départ, il prend le temps de piocher dans sa panoplie de vents et de percussions. Les musiciens de l’orchestre d’Ahmad Jamal reviennent au fur et à mesure. Ainsi comme par ressacs successifs la musique s’installe, distillant des climats par touches successives. Pas de réelle construction, plutôt un décor planté comme au pochoir en forme de kaléidoscope. Et lorsque le poly-instrumentiste de légende pose son ténor pour saisir un flûtiau, les premiers roulements du tonnerre retentissent. De son index il désigne le ciel qui s’assombrit soudain. On connaît la suite…

Une demie heure d’averse tropicale plus tard Chucho Valdes, stature immense mais très élégant dans une tenue de soie crème, lance une séquence solo de Dreiser Durruthy. Le jeune percussionniste au look de rappeur fait rouler ses mains de part et d’autres des tambours batas. A coup de mouvements circulaires, paumes de mains ouvertes, il catapulte des polyrythmies plus savantes les unes que les autres l’air de rien, avec un naturel désarmant. Puis aux sonorités rondes du tambour qui roule s’ajoute un chant en langue Yoruba. Bientôt tous les musiciens lui font chœur. Le rituel afro cubain transperce la nuit viennoise et son décor d’histoire romaine. Chucho justifierait presque à ce seul moment le choix du nom de son orchestre « Afro Cuban Messengers » Mais à l’image des séquences composées pour son dernier CD, Border Free le show laisse éclater des échos (Conga Danza, Julian, Yansa) de musiques multiples : son, bolero, rumba et jazz bien entendu « Parce que Chucho Valdes le démontre ici une fois de plus si besoin était : il reste un formidable pianiste de jazz » affirme d’ailleurs non sans plaisir Jean-Paul Boutellier, un des programmateurs du festival, le regard rivé sur les murs d’image. Là encore l’orchestre trouve son fondement dans un substrat de percussions, aiguillonnées sans cesse par la force du piano. Ce qui n’empêchera pas, manière d’écrin dans la furia des breaks et relances,   un moment d’étonnant apaisement à l’occasion d’un beau duo basse piano traitant une fugue de Bach « un des morceaux préférés de ma grand-mère »  nous confiait-il récemment (cf Jazzmag jazzman, juin 2013). Concha Buika intervient alors au beau milieu du concert. Dans un tel contexte chanter trois thèmes (Siboney, My one and only love en duo voix/piano également, Santa Cruz) relève un peu du pari. Il faut toute la force et la présence, physique, vocale, le culot surtout du phénomène Buika pour s’imposer ainsi au collectif cubain. Reste que ce quart d’heure servi chaud, au final –dommage !- s’apparente à une parenthèse trop brève.

Le Jazz Mix au bord du Rhône clôture chaque jour au cœur de la nuit le chapelet de concerts viennois. Le chapiteau sert ce soir un menu également très épicé. Plat musical caraïbe toujours, mais version Antilles françaises. Deux heures du mat : sous le chapiteau surchauffé : Dreiser Durruthy, maitre es tambour bata et Yaroldy Abreu, les deux percussionnistes de Chucho observent d’un œil très intéressé la démonstration de gwo ka « Nous avons des tambours nous aussi à Cuba, bien sur. Mais ceux là sonnent de façon particulière » remarque impressionné le spécialiste des congas. Sonny Troupé, le batteur et percussionniste guadeloupéen vient de se lancer sur son tambour dans une démonstration saisissante de frappes et roulements en accéléré. Sur cet instrument traditionnel comme sur la batterie il privilégie les frappes de peaux. Sur une telle base de rebonds incessants la musique du quartet prend du volume et de l’intensité. L’apport mélodique autant que rythmique des pianos électrifiés à haut voltage par Grégory Privat porte au chant et appelle à la danse. La chaleur tropicale du Baiser Salé (leur fief parisien) s’est répandue sur les quais de du Rhône. Les accents électriques et le beat métronomique transportent le (jeune) public vers un Big Fun (Miles) des sevnties ou un Black Market (Weather Report) des eighties. Aussi lorsqu’au final la trompette de Franck Nicolas, convié en tant que musicien « pays », s’invite dans l’orchestre antillais le jazz en mode ilien s’incru
ste un peu plus profondément. Au final de cette nuit d’archipels caraïbe les syncopes et décalages du trompettiste guadeloupéen installé à New York bouclent la boucle. Entre biguine et zouk Franck Nicolas fait vivre sa Jazz Ka Philosophy. « Dommage que d’autres festivals ne pensent pas à programmer des musiciens aussi originaux » regrette à juste titre Reza Ackbaraly responsable de la scène du Jazz Mix.

En flash back et par comparaison fortuite, il est permis alors de penser que les tranches de jazz offertes la veille sur deux scènes différentes (Théâtre Antique et Théâtre de Vienne) et poussées par deux orchestres distincts (quartet et septet), bref l’art vocal de Cecile McLorin Salvant porte carence d’un assaisonnement adéquat. Bien préparé, bien servi certes. Mais manquant d’une saveur, de celles que l’on ne saurait oublier, la nuit passée.

 

Robert Latxague

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21 h. Un grondement parti du ciel rebondit encore un peu diffus sur l’arc de pierres du Théâtre Antique. Yusef Lateef qui prolongeait son souffle dans différentes flûtes de bambou pointe alors un doigt vers le ciel. On pense à l’histoire chinoise du fou qui fixe le doigt lorsque le sage montre les étoiles. Cette fois pourtant la folie tombe du ciel. Dix secondes plus tard un déluge de gouttes drues s’abat sur les gradins. Les milliers de fidèles de Jazz à Vienne n’ont pas le temps d’enfiler capuchons ou ponchos multicolores. « La pli ka tombé » comme le dit un jour en créole Eddy Louiss lors d’une autre soirée de déluge, la pluie ce soir triomphe des notes bleues…

Cécile Mc Lorin (voc), Aaron Diehl (p), Paul Sikivie (b), Rodney Green (dm)

Ahmad Jamal (p), Elvin Riley (b), Manolo Badrena (perc) + invite : Yusef Lateef (ts, fl, perc)

Chucho Valdes (p), Ronaldo Melian (tp), Gaston Joya (b), Dreiser Durruthy (perc voix), Yaroldy Abreu (cong), Rodney Barretto (dm) + invitée : Concha Buika (voc)

Sony Troupé (dm, Ka), Gregory Privat (elp, keyb), Arnaud Dolmen (ka), Mike Armoogum (b)

 Franck Nicolas (tp, bug, coquillages, voc),  Sylvain Joseph(as), Arnaud Dolmen (dm)

 

Sonny Rollins n’est donc pas là, tournée estivale annulée pour cause de problème respiratoire. A sa place une icône du jazz moderne, Ahmad Jamal flanqué d’un invité exceptionel, Yusef Lateef. Jamal c’est la garantie d’un jazz qui groove. Une base instrumentale bâtie sur un triangle très percussif (batterie-percussions-piano) fait rouler à plaisir les mesures apparemment sans effort. Les reste est une question d’accords et de voicings très expressionnistes, avec en mode plus d’incessants échanges avec la basse comme pilier. Bien sur, leader incontesté, Ahmad Jamal donne le ton et la couleur à sa musique. Mais paradoxalement, dans l’exploration et la ponctuation permanente, Manolo Badrena, percussionniste brésilien à la barbiche très carrée y revient plus qu’à son tour. La formule fonctionne à plein dans théâtre romain. Question d’espace à occuper sans doute. Question d’attente de la part du public aussi puis qu’aussi bien Jamal, représente aujourd’hui dans le jazz une vraie tête d’affiche.

Yusef Lateef, arrive sur l’immense scène en vraie figure de guets star.. Seul au départ, il prend le temps de piocher dans sa panoplie de vents et de percussions. Les musiciens de l’orchestre d’Ahmad Jamal reviennent au fur et à mesure. Ainsi comme par ressacs successifs la musique s’installe, distillant des climats par touches successives. Pas de réelle construction, plutôt un décor planté comme au pochoir en forme de kaléidoscope. Et lorsque le poly-instrumentiste de légende pose son ténor pour saisir un flûtiau, les premiers roulements du tonnerre retentissent. De son index il désigne le ciel qui s’assombrit soudain. On connaît la suite…

Une demie heure d’averse tropicale plus tard Chucho Valdes, stature immense mais très élégant dans une tenue de soie crème, lance une séquence solo de Dreiser Durruthy. Le jeune percussionniste au look de rappeur fait rouler ses mains de part et d’autres des tambours batas. A coup de mouvements circulaires, paumes de mains ouvertes, il catapulte des polyrythmies plus savantes les unes que les autres l’air de rien, avec un naturel désarmant. Puis aux sonorités rondes du tambour qui roule s’ajoute un chant en langue Yoruba. Bientôt tous les musiciens lui font chœur. Le rituel afro cubain transperce la nuit viennoise et son décor d’histoire romaine. Chucho justifierait presque à ce seul moment le choix du nom de son orchestre « Afro Cuban Messengers » Mais à l’image des séquences composées pour son dernier CD, Border Free le show laisse éclater des échos (Conga Danza, Julian, Yansa) de musiques multiples : son, bolero, rumba et jazz bien entendu « Parce que Chucho Valdes le démontre ici une fois de plus si besoin était : il reste un formidable pianiste de jazz » affirme d’ailleurs non sans plaisir Jean-Paul Boutellier, un des programmateurs du festival, le regard rivé sur les murs d’image. Là encore l’orchestre trouve son fondement dans un substrat de percussions, aiguillonnées sans cesse par la force du piano. Ce qui n’empêchera pas, manière d’écrin dans la furia des breaks et relances,   un moment d’étonnant apaisement à l’occasion d’un beau duo basse piano traitant une fugue de Bach « un des morceaux préférés de ma grand-mère »  nous confiait-il récemment (cf Jazzmag jazzman, juin 2013). Concha Buika intervient alors au beau milieu du concert. Dans un tel contexte chanter trois thèmes (Siboney, My one and only love en duo voix/piano également, Santa Cruz) relève un peu du pari. Il faut toute la force et la présence, physique, vocale, le culot surtout du phénomène Buika pour s’imposer ainsi au collectif cubain. Reste que ce quart d’heure servi chaud, au final –dommage !- s’apparente à une parenthèse trop brève.

Le Jazz Mix au bord du Rhône clôture chaque jour au cœur de la nuit le chapelet de concerts viennois. Le chapiteau sert ce soir un menu également très épicé. Plat musical caraïbe toujours, mais version Antilles françaises. Deux heures du mat : sous le chapiteau surchauffé : Dreiser Durruthy, maitre es tambour bata et Yaroldy Abreu, les deux percussionnistes de Chucho observent d’un œil très intéressé la démonstration de gwo ka « Nous avons des tambours nous aussi à Cuba, bien sur. Mais ceux là sonnent de façon particulière » remarque impressionné le spécialiste des congas. Sonny Troupé, le batteur et percussionniste guadeloupéen vient de se lancer sur son tambour dans une démonstration saisissante de frappes et roulements en accéléré. Sur cet instrument traditionnel comme sur la batterie il privilégie les frappes de peaux. Sur une telle base de rebonds incessants la musique du quartet prend du volume et de l’intensité. L’apport mélodique autant que rythmique des pianos électrifiés à haut voltage par Grégory Privat porte au chant et appelle à la danse. La chaleur tropicale du Baiser Salé (leur fief parisien) s’est répandue sur les quais de du Rhône. Les accents électriques et le beat métronomique transportent le (jeune) public vers un Big Fun (Miles) des sevnties ou un Black Market (Weather Report) des eighties. Aussi lorsqu’au final la trompette de Franck Nicolas, convié en tant que musicien « pays », s’invite dans l’orchestre antillais le jazz en mode ilien s’incru
ste un peu plus profondément. Au final de cette nuit d’archipels caraïbe les syncopes et décalages du trompettiste guadeloupéen installé à New York bouclent la boucle. Entre biguine et zouk Franck Nicolas fait vivre sa Jazz Ka Philosophy. « Dommage que d’autres festivals ne pensent pas à programmer des musiciens aussi originaux » regrette à juste titre Reza Ackbaraly responsable de la scène du Jazz Mix.

En flash back et par comparaison fortuite, il est permis alors de penser que les tranches de jazz offertes la veille sur deux scènes différentes (Théâtre Antique et Théâtre de Vienne) et poussées par deux orchestres distincts (quartet et septet), bref l’art vocal de Cecile McLorin Salvant porte carence d’un assaisonnement adéquat. Bien préparé, bien servi certes. Mais manquant d’une saveur, de celles que l’on ne saurait oublier, la nuit passée.

 

Robert Latxague