Jazz live
Publié le 7 Août 2012

Jazz in Marciac. De l'Astrada au chapiteau

 

Sans vouloir enfoncer le clou, je me demande ce que penseraient les Persans de Montesquieu s’ils revenaient aujourd’hui parmi nous. Ils ne seraient pas au bout de leurs étonnements. Que diraient-ils d’une époque où il faut, au lieu de les ouvrir grandes, se boucher les oreilles pour entendre de la musique ? Où on couvre indifféremment toutes les marchandises, concert de jazz et rave party, sous le pavillon de la Culture ?

 

Leïla Martial Group. Leïla Martial (voc), Jean-Christophe Jacques (ts, ss), Laurent Chavois (b), Eric Perez (dm, samples, choeurs). L’Astrada, 5 août.

Avishai Cohen (b, voc), Omri Mor (p), Amir Bresler (dm). Chapiteau, 6 août.

John Zorn’s Book Of Angels.

Abraxas. Eyal Maoz, Aram Bazajian (g), Shanir Blumenkranz (b, gimbri), Kenny Grohowski (dm).

Aleph Trio. John Zorn (as), Shanir Blumenkranz (b), Ches Smith (dm).

Secret Chiefs 3. Trey Spuance (g, claviers), Gyan Riley (g), Timba Harris (vln), Matt Lebofsky (claviers), Toby Driver (b), Chess Smith (dm), April Centrone (perc). Chapiteau, 6 août.


Il paraît que la prestation de Marcus Miller, le 5, a atteint des sommets de puissance sonore. L’escalade continue. Où s’arrêtera-t-elle ? Je n’y étais pas, faute du don d’ubiquité. Je n’en parle donc que par ouï(e) dire. Réfugié à l’Astrada, j’y écoutais, dans de meilleures conditions, Leïla Martial, auréolée de son récent Prix du Jazz vocal obtenu à Crest. C’est une enfant du collège de Marciac, comme Emile Parisien dont elle est de peu d’années la cadette. Sa notoriété récente lui promet un bel avenir. Elle et ses complices débordent d’énergie. Ils composent leur répertoire, ensemble ou séparément. Leurs morceaux, où se glissent des bribes de standards – le Caravan de Juan Tizol – sont affublés de titres étranges, Petite Fêlure, Quitte la Cape ou encore Avant de sourire. En adéquation avec l’étrangeté de leur musique qui se joue des frontières. L’électronique y joue un rôle éminent, et l’expérimentation. Cette esthétique du dépassement et du paroxysme défie, il va sans dire, tout jugement de valeur. Elle est à prendre ou à laisser.

 

Le lendemain 6, sous le chapiteau, le trio d’Avishai Cohen. Jamais, sans doute, le contrebassiste n’a été aussi bien entouré que par ses partenaires actuels. On sait qu’il a l’art de les choisir, notamment les pianistes, comme en témoigne son dernier album, « Duende », en duo avec Nitai Hershkovits. Omri Mor, qui n’a pas encore vingt ans, ne le cède en rien à ce dernier. Il fait preuve d’une technique éprouvée, ce qui est désormais l’apanage de la plupart des jeunes musiciens, mais aussi, beaucoup plus rare, d’une maturité qui se manifeste dans un discours toujours équilibré, entre virtuosité et construction logique. Amir Bresler, vingt-deux ans, n’est pas en reste. Ecoute, art de la relance, interventions pertinentes. Un tremplin rêvé pour les envolées de Cohen dont le corps à corps avec sa contrebasse prend parfois des allures de joute amoureuse. Mélodies exposées pizzicato ou à l’archet, recherche constante de la musicalité, improvisations échevelées ponctuées par des percussions de la main sur la caisse de son instrument. Il chante peu, moins qu’à l’accoutumée, réservant pour la fin de son concert ses interventions vocales. D’un bout à l’autre, un rôle de catalyseur qui laisse toutefois à ses accompagnateurs de vastes espaces de liberté. Un véritable trio, une thématique où affleurent maintes réminiscences judeo-ibériques. Quatre rappels, dont un Besame Mucho inattendu et transfiguré.

 

C’est dire que le public, dont l’enthousiasme et la pression n’ont cessé de monter, se trouve dans les meilleures dispositions pour accueillir John Zorn, lequel est en passe de devenir un permanent du festival. Ses fans, nombreux, guettent le moment où ils pourront se masser, comme de coutume, au pied de la scène pour voir de près leur idole (pour l’entendre, pas besoin de s’approcher…). Certains ne dissimuleront pas leur désappointement à l’issue des inévitables rappels, alors que le chapiteau s’est déjà aux trois quarts vidé, au fur et à mesure du concert. Il est vrai que la formule adoptée, trois groupes successifs avec les interruptions et les temps morts que cela suppose, ne favorise pas la montée en puissance habituelle. Zorn lui-même n’est présent sur scène qu’au sein de son Aleph Trio qu’il galvanise du geste. Etalage de technique, pratique spectaculaire du souffle continu, montées paroxystiques, délire contrôlé, tous les ingrédients habituels sont réunis. La transe collective attendue, espérée, peine pourtant à se produire.

C’est que, outre la succession inopportune des groupes, évoquée plus haut, cette musique, fût-elle inspirée par les anges, montre ses limites. Mélodies répétitives, génératrices d’une insidieuse monotonie, construction stéréotypée (attente, tension, détente), effets attendus, prévisibles, de sidération. Ce disant, j’ai bien conscience d’enfreindre, une fois de plus, les tabous. Mais quoi : il faut parfois appeler un chat, un chat. Et John Zorn, un habile illusionniste.

 

Jacques Aboucaya

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Sans vouloir enfoncer le clou, je me demande ce que penseraient les Persans de Montesquieu s’ils revenaient aujourd’hui parmi nous. Ils ne seraient pas au bout de leurs étonnements. Que diraient-ils d’une époque où il faut, au lieu de les ouvrir grandes, se boucher les oreilles pour entendre de la musique ? Où on couvre indifféremment toutes les marchandises, concert de jazz et rave party, sous le pavillon de la Culture ?

 

Leïla Martial Group. Leïla Martial (voc), Jean-Christophe Jacques (ts, ss), Laurent Chavois (b), Eric Perez (dm, samples, choeurs). L’Astrada, 5 août.

Avishai Cohen (b, voc), Omri Mor (p), Amir Bresler (dm). Chapiteau, 6 août.

John Zorn’s Book Of Angels.

Abraxas. Eyal Maoz, Aram Bazajian (g), Shanir Blumenkranz (b, gimbri), Kenny Grohowski (dm).

Aleph Trio. John Zorn (as), Shanir Blumenkranz (b), Ches Smith (dm).

Secret Chiefs 3. Trey Spuance (g, claviers), Gyan Riley (g), Timba Harris (vln), Matt Lebofsky (claviers), Toby Driver (b), Chess Smith (dm), April Centrone (perc). Chapiteau, 6 août.


Il paraît que la prestation de Marcus Miller, le 5, a atteint des sommets de puissance sonore. L’escalade continue. Où s’arrêtera-t-elle ? Je n’y étais pas, faute du don d’ubiquité. Je n’en parle donc que par ouï(e) dire. Réfugié à l’Astrada, j’y écoutais, dans de meilleures conditions, Leïla Martial, auréolée de son récent Prix du Jazz vocal obtenu à Crest. C’est une enfant du collège de Marciac, comme Emile Parisien dont elle est de peu d’années la cadette. Sa notoriété récente lui promet un bel avenir. Elle et ses complices débordent d’énergie. Ils composent leur répertoire, ensemble ou séparément. Leurs morceaux, où se glissent des bribes de standards – le Caravan de Juan Tizol – sont affublés de titres étranges, Petite Fêlure, Quitte la Cape ou encore Avant de sourire. En adéquation avec l’étrangeté de leur musique qui se joue des frontières. L’électronique y joue un rôle éminent, et l’expérimentation. Cette esthétique du dépassement et du paroxysme défie, il va sans dire, tout jugement de valeur. Elle est à prendre ou à laisser.

 

Le lendemain 6, sous le chapiteau, le trio d’Avishai Cohen. Jamais, sans doute, le contrebassiste n’a été aussi bien entouré que par ses partenaires actuels. On sait qu’il a l’art de les choisir, notamment les pianistes, comme en témoigne son dernier album, « Duende », en duo avec Nitai Hershkovits. Omri Mor, qui n’a pas encore vingt ans, ne le cède en rien à ce dernier. Il fait preuve d’une technique éprouvée, ce qui est désormais l’apanage de la plupart des jeunes musiciens, mais aussi, beaucoup plus rare, d’une maturité qui se manifeste dans un discours toujours équilibré, entre virtuosité et construction logique. Amir Bresler, vingt-deux ans, n’est pas en reste. Ecoute, art de la relance, interventions pertinentes. Un tremplin rêvé pour les envolées de Cohen dont le corps à corps avec sa contrebasse prend parfois des allures de joute amoureuse. Mélodies exposées pizzicato ou à l’archet, recherche constante de la musicalité, improvisations échevelées ponctuées par des percussions de la main sur la caisse de son instrument. Il chante peu, moins qu’à l’accoutumée, réservant pour la fin de son concert ses interventions vocales. D’un bout à l’autre, un rôle de catalyseur qui laisse toutefois à ses accompagnateurs de vastes espaces de liberté. Un véritable trio, une thématique où affleurent maintes réminiscences judeo-ibériques. Quatre rappels, dont un Besame Mucho inattendu et transfiguré.

 

C’est dire que le public, dont l’enthousiasme et la pression n’ont cessé de monter, se trouve dans les meilleures dispositions pour accueillir John Zorn, lequel est en passe de devenir un permanent du festival. Ses fans, nombreux, guettent le moment où ils pourront se masser, comme de coutume, au pied de la scène pour voir de près leur idole (pour l’entendre, pas besoin de s’approcher…). Certains ne dissimuleront pas leur désappointement à l’issue des inévitables rappels, alors que le chapiteau s’est déjà aux trois quarts vidé, au fur et à mesure du concert. Il est vrai que la formule adoptée, trois groupes successifs avec les interruptions et les temps morts que cela suppose, ne favorise pas la montée en puissance habituelle. Zorn lui-même n’est présent sur scène qu’au sein de son Aleph Trio qu’il galvanise du geste. Etalage de technique, pratique spectaculaire du souffle continu, montées paroxystiques, délire contrôlé, tous les ingrédients habituels sont réunis. La transe collective attendue, espérée, peine pourtant à se produire.

C’est que, outre la succession inopportune des groupes, évoquée plus haut, cette musique, fût-elle inspirée par les anges, montre ses limites. Mélodies répétitives, génératrices d’une insidieuse monotonie, construction stéréotypée (attente, tension, détente), effets attendus, prévisibles, de sidération. Ce disant, j’ai bien conscience d’enfreindre, une fois de plus, les tabous. Mais quoi : il faut parfois appeler un chat, un chat. Et John Zorn, un habile illusionniste.

 

Jacques Aboucaya

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Sans vouloir enfoncer le clou, je me demande ce que penseraient les Persans de Montesquieu s’ils revenaient aujourd’hui parmi nous. Ils ne seraient pas au bout de leurs étonnements. Que diraient-ils d’une époque où il faut, au lieu de les ouvrir grandes, se boucher les oreilles pour entendre de la musique ? Où on couvre indifféremment toutes les marchandises, concert de jazz et rave party, sous le pavillon de la Culture ?

 

Leïla Martial Group. Leïla Martial (voc), Jean-Christophe Jacques (ts, ss), Laurent Chavois (b), Eric Perez (dm, samples, choeurs). L’Astrada, 5 août.

Avishai Cohen (b, voc), Omri Mor (p), Amir Bresler (dm). Chapiteau, 6 août.

John Zorn’s Book Of Angels.

Abraxas. Eyal Maoz, Aram Bazajian (g), Shanir Blumenkranz (b, gimbri), Kenny Grohowski (dm).

Aleph Trio. John Zorn (as), Shanir Blumenkranz (b), Ches Smith (dm).

Secret Chiefs 3. Trey Spuance (g, claviers), Gyan Riley (g), Timba Harris (vln), Matt Lebofsky (claviers), Toby Driver (b), Chess Smith (dm), April Centrone (perc). Chapiteau, 6 août.


Il paraît que la prestation de Marcus Miller, le 5, a atteint des sommets de puissance sonore. L’escalade continue. Où s’arrêtera-t-elle ? Je n’y étais pas, faute du don d’ubiquité. Je n’en parle donc que par ouï(e) dire. Réfugié à l’Astrada, j’y écoutais, dans de meilleures conditions, Leïla Martial, auréolée de son récent Prix du Jazz vocal obtenu à Crest. C’est une enfant du collège de Marciac, comme Emile Parisien dont elle est de peu d’années la cadette. Sa notoriété récente lui promet un bel avenir. Elle et ses complices débordent d’énergie. Ils composent leur répertoire, ensemble ou séparément. Leurs morceaux, où se glissent des bribes de standards – le Caravan de Juan Tizol – sont affublés de titres étranges, Petite Fêlure, Quitte la Cape ou encore Avant de sourire. En adéquation avec l’étrangeté de leur musique qui se joue des frontières. L’électronique y joue un rôle éminent, et l’expérimentation. Cette esthétique du dépassement et du paroxysme défie, il va sans dire, tout jugement de valeur. Elle est à prendre ou à laisser.

 

Le lendemain 6, sous le chapiteau, le trio d’Avishai Cohen. Jamais, sans doute, le contrebassiste n’a été aussi bien entouré que par ses partenaires actuels. On sait qu’il a l’art de les choisir, notamment les pianistes, comme en témoigne son dernier album, « Duende », en duo avec Nitai Hershkovits. Omri Mor, qui n’a pas encore vingt ans, ne le cède en rien à ce dernier. Il fait preuve d’une technique éprouvée, ce qui est désormais l’apanage de la plupart des jeunes musiciens, mais aussi, beaucoup plus rare, d’une maturité qui se manifeste dans un discours toujours équilibré, entre virtuosité et construction logique. Amir Bresler, vingt-deux ans, n’est pas en reste. Ecoute, art de la relance, interventions pertinentes. Un tremplin rêvé pour les envolées de Cohen dont le corps à corps avec sa contrebasse prend parfois des allures de joute amoureuse. Mélodies exposées pizzicato ou à l’archet, recherche constante de la musicalité, improvisations échevelées ponctuées par des percussions de la main sur la caisse de son instrument. Il chante peu, moins qu’à l’accoutumée, réservant pour la fin de son concert ses interventions vocales. D’un bout à l’autre, un rôle de catalyseur qui laisse toutefois à ses accompagnateurs de vastes espaces de liberté. Un véritable trio, une thématique où affleurent maintes réminiscences judeo-ibériques. Quatre rappels, dont un Besame Mucho inattendu et transfiguré.

 

C’est dire que le public, dont l’enthousiasme et la pression n’ont cessé de monter, se trouve dans les meilleures dispositions pour accueillir John Zorn, lequel est en passe de devenir un permanent du festival. Ses fans, nombreux, guettent le moment où ils pourront se masser, comme de coutume, au pied de la scène pour voir de près leur idole (pour l’entendre, pas besoin de s’approcher…). Certains ne dissimuleront pas leur désappointement à l’issue des inévitables rappels, alors que le chapiteau s’est déjà aux trois quarts vidé, au fur et à mesure du concert. Il est vrai que la formule adoptée, trois groupes successifs avec les interruptions et les temps morts que cela suppose, ne favorise pas la montée en puissance habituelle. Zorn lui-même n’est présent sur scène qu’au sein de son Aleph Trio qu’il galvanise du geste. Etalage de technique, pratique spectaculaire du souffle continu, montées paroxystiques, délire contrôlé, tous les ingrédients habituels sont réunis. La transe collective attendue, espérée, peine pourtant à se produire.

C’est que, outre la succession inopportune des groupes, évoquée plus haut, cette musique, fût-elle inspirée par les anges, montre ses limites. Mélodies répétitives, génératrices d’une insidieuse monotonie, construction stéréotypée (attente, tension, détente), effets attendus, prévisibles, de sidération. Ce disant, j’ai bien conscience d’enfreindre, une fois de plus, les tabous. Mais quoi : il faut parfois appeler un chat, un chat. Et John Zorn, un habile illusionniste.

 

Jacques Aboucaya

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Sans vouloir enfoncer le clou, je me demande ce que penseraient les Persans de Montesquieu s’ils revenaient aujourd’hui parmi nous. Ils ne seraient pas au bout de leurs étonnements. Que diraient-ils d’une époque où il faut, au lieu de les ouvrir grandes, se boucher les oreilles pour entendre de la musique ? Où on couvre indifféremment toutes les marchandises, concert de jazz et rave party, sous le pavillon de la Culture ?

 

Leïla Martial Group. Leïla Martial (voc), Jean-Christophe Jacques (ts, ss), Laurent Chavois (b), Eric Perez (dm, samples, choeurs). L’Astrada, 5 août.

Avishai Cohen (b, voc), Omri Mor (p), Amir Bresler (dm). Chapiteau, 6 août.

John Zorn’s Book Of Angels.

Abraxas. Eyal Maoz, Aram Bazajian (g), Shanir Blumenkranz (b, gimbri), Kenny Grohowski (dm).

Aleph Trio. John Zorn (as), Shanir Blumenkranz (b), Ches Smith (dm).

Secret Chiefs 3. Trey Spuance (g, claviers), Gyan Riley (g), Timba Harris (vln), Matt Lebofsky (claviers), Toby Driver (b), Chess Smith (dm), April Centrone (perc). Chapiteau, 6 août.


Il paraît que la prestation de Marcus Miller, le 5, a atteint des sommets de puissance sonore. L’escalade continue. Où s’arrêtera-t-elle ? Je n’y étais pas, faute du don d’ubiquité. Je n’en parle donc que par ouï(e) dire. Réfugié à l’Astrada, j’y écoutais, dans de meilleures conditions, Leïla Martial, auréolée de son récent Prix du Jazz vocal obtenu à Crest. C’est une enfant du collège de Marciac, comme Emile Parisien dont elle est de peu d’années la cadette. Sa notoriété récente lui promet un bel avenir. Elle et ses complices débordent d’énergie. Ils composent leur répertoire, ensemble ou séparément. Leurs morceaux, où se glissent des bribes de standards – le Caravan de Juan Tizol – sont affublés de titres étranges, Petite Fêlure, Quitte la Cape ou encore Avant de sourire. En adéquation avec l’étrangeté de leur musique qui se joue des frontières. L’électronique y joue un rôle éminent, et l’expérimentation. Cette esthétique du dépassement et du paroxysme défie, il va sans dire, tout jugement de valeur. Elle est à prendre ou à laisser.

 

Le lendemain 6, sous le chapiteau, le trio d’Avishai Cohen. Jamais, sans doute, le contrebassiste n’a été aussi bien entouré que par ses partenaires actuels. On sait qu’il a l’art de les choisir, notamment les pianistes, comme en témoigne son dernier album, « Duende », en duo avec Nitai Hershkovits. Omri Mor, qui n’a pas encore vingt ans, ne le cède en rien à ce dernier. Il fait preuve d’une technique éprouvée, ce qui est désormais l’apanage de la plupart des jeunes musiciens, mais aussi, beaucoup plus rare, d’une maturité qui se manifeste dans un discours toujours équilibré, entre virtuosité et construction logique. Amir Bresler, vingt-deux ans, n’est pas en reste. Ecoute, art de la relance, interventions pertinentes. Un tremplin rêvé pour les envolées de Cohen dont le corps à corps avec sa contrebasse prend parfois des allures de joute amoureuse. Mélodies exposées pizzicato ou à l’archet, recherche constante de la musicalité, improvisations échevelées ponctuées par des percussions de la main sur la caisse de son instrument. Il chante peu, moins qu’à l’accoutumée, réservant pour la fin de son concert ses interventions vocales. D’un bout à l’autre, un rôle de catalyseur qui laisse toutefois à ses accompagnateurs de vastes espaces de liberté. Un véritable trio, une thématique où affleurent maintes réminiscences judeo-ibériques. Quatre rappels, dont un Besame Mucho inattendu et transfiguré.

 

C’est dire que le public, dont l’enthousiasme et la pression n’ont cessé de monter, se trouve dans les meilleures dispositions pour accueillir John Zorn, lequel est en passe de devenir un permanent du festival. Ses fans, nombreux, guettent le moment où ils pourront se masser, comme de coutume, au pied de la scène pour voir de près leur idole (pour l’entendre, pas besoin de s’approcher…). Certains ne dissimuleront pas leur désappointement à l’issue des inévitables rappels, alors que le chapiteau s’est déjà aux trois quarts vidé, au fur et à mesure du concert. Il est vrai que la formule adoptée, trois groupes successifs avec les interruptions et les temps morts que cela suppose, ne favorise pas la montée en puissance habituelle. Zorn lui-même n’est présent sur scène qu’au sein de son Aleph Trio qu’il galvanise du geste. Etalage de technique, pratique spectaculaire du souffle continu, montées paroxystiques, délire contrôlé, tous les ingrédients habituels sont réunis. La transe collective attendue, espérée, peine pourtant à se produire.

C’est que, outre la succession inopportune des groupes, évoquée plus haut, cette musique, fût-elle inspirée par les anges, montre ses limites. Mélodies répétitives, génératrices d’une insidieuse monotonie, construction stéréotypée (attente, tension, détente), effets attendus, prévisibles, de sidération. Ce disant, j’ai bien conscience d’enfreindre, une fois de plus, les tabous. Mais quoi : il faut parfois appeler un chat, un chat. Et John Zorn, un habile illusionniste.

 

Jacques Aboucaya