Jazz live
Publié le 3 Août 2012

Jazz in Marciac. Les voix royales


Marciac a toujours manifesté une dilection particulière pour le jazz vocal. Les programmes des précédentes éditions le prouvent. Celle-ci ne faillit pas à la règle. Elle la renforcerait plutôt. Ainsi, trois bluesmen, Eric Bibb, Keith B. Brown et Keb’ Mo’, mais aussi Melody Gardot, Bobby McFerrin, Esperanza Spalding, Youn Sun Nah et Omara Portuondo se sont succédé depuis le début sous le chapiteau. Avant l’arrivée, dans la semaine à venir, d’une « nouvelle vague ».

 


Gregory Porter (voc), Don Castle (ts), Grant Windsor (p), Neville Malcolm (b), Richard Spavenb (dm). Chapiteau, 1er août.

 

Dianne Reeves et l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine dirigé par Kwame Ryan.

Dianne Reeves (voc), Peter Martin (p), Reginald Veal (b), Terron Gully (dm). Chapiteau, 1er août.

 

Claudia Solal Spoonbox.

Claudia Solal (voc), Benjamin Moussay (p, claviers, élec), Jean-Charles Richard (bs, ss), Joe Quitzke (dm). L’Astrada, 2 août.

 

Considéré comme l’étoile montante du jazz vocal décliné au masculin, Gregory Porter arrive, précédé d’une réputation flatteuse (ne fait-il pas, ce mois-ci, la couverture de votre magazine favori ?). Au demeurant, éloges non usurpés, même si, dans son domaine, la concurrence n’est guère pléthorique. Une belle voix de baryton, puissante, bien timbrée, rappelant, en plus d’une occurrence, celle de Joe Williams qui fit, en son temps, les beaux soirs de l’orchestre de Count Basie. Cela pour la filiation jazz. Mais Porter est aussi nourri de soul, tendance Marvin Gaye. De blues et de gospel, dont les inflexions colorent imperceptiblement ses interprétations. Autant d’influences qu’il a assimilées et qu’il met au service d’un répertoire éclectique. Ses propres compositions (Painted On Canvas, Way To Harlem, Be Good) y voisinent avec le Black Nile de Wayne Shorter, Work Song de Nat Adderley dont il donne une version poignante, et des standards comme Skylark ou God Bless The Child. Une présence scénique naturelle qui n’a recours, pour s’imposer, à aucun artifice. Parmi ses accompagnateurs, un ténor « rugueux », nourri, lui aussi, de tradition, Don Castle, auteur d’interventions tranchantes. Les autres, mieux qu’honorables – à l’exception toutefois du batteur, du genre éléphantesque.

 

On ne compte plus les apparitions de Dianne Reeves à Marciac. Elle est ici dans son jardin. Sauf que ce soir, un orchestre symphonique, celui de Bordeaux Aquitaine, s’est joint à son excellent quartette. Voici donc, après Wynton Marsalis, une formule qui en train de prendre racine. La différence avec le concert de la veille, c’est que l’ambition est moindre. Pas de fusion hasardeuse. Chacun reste dans son rôle, les musiciens classiques se contentant de fournir un écrin à un combo qui, de son côté, n’abdique jamais sa propre personnalité. Si bien que la chanteuse – voix chaude, capiteuse, art consommé du scat – développe, de Triste à Misty, de Speak Low à Lullaby Of Birdland, un programme dans lequel elle instille, à sa manière, des échos latins ou africains. Le rôle du grand orchestre, dans l’affaire ? Certaines mauvaises langues n’hésiteront pas à évoquer Helmut Zacharias et ses violons enchantés. Mais quoi ! Les plus grands, y compris Charlie Parker, ont succombé à la tentation des grandes nappes de cordes sirupeuses. Superfétatoires, en l’occurrence, mais pas vraiment gênantes. Un moindre mal.

 

Tandis qu’une vague cubaine déferle le lendemain sur le chapiteau, Claudia Solal se produit à l’Astrada. Ce n’est pas elle, assurément, qui s’entourerait d’une cohorte symphonique. Elle dirige depuis des années un stage de chant durant le festival. Son quartette, Spoonbox, est, lui aussi, familier des lieux – mais relégué, jusqu’ici, sur la scène du Off (elle rappellera, non sans malice, cette ancienneté). Le voici donc enfin sous les projecteurs de la salle de cinq cents places dont Marciac s’enorgueillit. Non sans raison : l’acoustique y est parfaite. Adéquate à un projet auquel il serait difficile d’assigner une définition. Il se situe, résolument, à la marge. Du jazz, de l’improvisation libre, de la poésie, voire du théâtre. Car Claudia, à la manière d’une comédienne, insuffle la vie aux textes qu’elle a choisis. Par la voix, bien sûr, une voix incroyablement ductile, à la tessiture inouïe, dont elle use comme d’un instrument, mais aussi par le geste et les mimiques. Tour à tout mutine, ingénue, tragique, ironique, elle esquisse les contours d’un univers très personnel où James Joyce voisine avec Emily Dickenson, où le lapin – le double lapin ! – d’Alice croise la blonde Ophélie de Hamlet. Un univers qui se mérite. Insolite. Exigeant, à l’image des textes qui lui servent de support. Décalé, parodique. Gorgé d’humour, certes, mais aussi de poésie. On n’y pénètre pas facilement. Mais une fois entré, un parcours enchanté s’offre à l’auditeur, s’il consent à se laisser embarquer par les fulgurances de la voix et des saxophones, par les climats que Benjamin Moussay et ses sortilèges électroniques installent avec une déconcertante habileté. Ainsi se crée dans l’instant, pour peu que la magie opère, une musique qui joue sur les ressorts du contraste et de la surprise. Aventureuse, inclassable. Et séduisante à proportion.

 

Jacques Aboucaya

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Marciac a toujours manifesté une dilection particulière pour le jazz vocal. Les programmes des précédentes éditions le prouvent. Celle-ci ne faillit pas à la règle. Elle la renforcerait plutôt. Ainsi, trois bluesmen, Eric Bibb, Keith B. Brown et Keb’ Mo’, mais aussi Melody Gardot, Bobby McFerrin, Esperanza Spalding, Youn Sun Nah et Omara Portuondo se sont succédé depuis le début sous le chapiteau. Avant l’arrivée, dans la semaine à venir, d’une « nouvelle vague ».

 


Gregory Porter (voc), Don Castle (ts), Grant Windsor (p), Neville Malcolm (b), Richard Spavenb (dm). Chapiteau, 1er août.

 

Dianne Reeves et l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine dirigé par Kwame Ryan.

Dianne Reeves (voc), Peter Martin (p), Reginald Veal (b), Terron Gully (dm). Chapiteau, 1er août.

 

Claudia Solal Spoonbox.

Claudia Solal (voc), Benjamin Moussay (p, claviers, élec), Jean-Charles Richard (bs, ss), Joe Quitzke (dm). L’Astrada, 2 août.

 

Considéré comme l’étoile montante du jazz vocal décliné au masculin, Gregory Porter arrive, précédé d’une réputation flatteuse (ne fait-il pas, ce mois-ci, la couverture de votre magazine favori ?). Au demeurant, éloges non usurpés, même si, dans son domaine, la concurrence n’est guère pléthorique. Une belle voix de baryton, puissante, bien timbrée, rappelant, en plus d’une occurrence, celle de Joe Williams qui fit, en son temps, les beaux soirs de l’orchestre de Count Basie. Cela pour la filiation jazz. Mais Porter est aussi nourri de soul, tendance Marvin Gaye. De blues et de gospel, dont les inflexions colorent imperceptiblement ses interprétations. Autant d’influences qu’il a assimilées et qu’il met au service d’un répertoire éclectique. Ses propres compositions (Painted On Canvas, Way To Harlem, Be Good) y voisinent avec le Black Nile de Wayne Shorter, Work Song de Nat Adderley dont il donne une version poignante, et des standards comme Skylark ou God Bless The Child. Une présence scénique naturelle qui n’a recours, pour s’imposer, à aucun artifice. Parmi ses accompagnateurs, un ténor « rugueux », nourri, lui aussi, de tradition, Don Castle, auteur d’interventions tranchantes. Les autres, mieux qu’honorables – à l’exception toutefois du batteur, du genre éléphantesque.

 

On ne compte plus les apparitions de Dianne Reeves à Marciac. Elle est ici dans son jardin. Sauf que ce soir, un orchestre symphonique, celui de Bordeaux Aquitaine, s’est joint à son excellent quartette. Voici donc, après Wynton Marsalis, une formule qui en train de prendre racine. La différence avec le concert de la veille, c’est que l’ambition est moindre. Pas de fusion hasardeuse. Chacun reste dans son rôle, les musiciens classiques se contentant de fournir un écrin à un combo qui, de son côté, n’abdique jamais sa propre personnalité. Si bien que la chanteuse – voix chaude, capiteuse, art consommé du scat – développe, de Triste à Misty, de Speak Low à Lullaby Of Birdland, un programme dans lequel elle instille, à sa manière, des échos latins ou africains. Le rôle du grand orchestre, dans l’affaire ? Certaines mauvaises langues n’hésiteront pas à évoquer Helmut Zacharias et ses violons enchantés. Mais quoi ! Les plus grands, y compris Charlie Parker, ont succombé à la tentation des grandes nappes de cordes sirupeuses. Superfétatoires, en l’occurrence, mais pas vraiment gênantes. Un moindre mal.

 

Tandis qu’une vague cubaine déferle le lendemain sur le chapiteau, Claudia Solal se produit à l’Astrada. Ce n’est pas elle, assurément, qui s’entourerait d’une cohorte symphonique. Elle dirige depuis des années un stage de chant durant le festival. Son quartette, Spoonbox, est, lui aussi, familier des lieux – mais relégué, jusqu’ici, sur la scène du Off (elle rappellera, non sans malice, cette ancienneté). Le voici donc enfin sous les projecteurs de la salle de cinq cents places dont Marciac s’enorgueillit. Non sans raison : l’acoustique y est parfaite. Adéquate à un projet auquel il serait difficile d’assigner une définition. Il se situe, résolument, à la marge. Du jazz, de l’improvisation libre, de la poésie, voire du théâtre. Car Claudia, à la manière d’une comédienne, insuffle la vie aux textes qu’elle a choisis. Par la voix, bien sûr, une voix incroyablement ductile, à la tessiture inouïe, dont elle use comme d’un instrument, mais aussi par le geste et les mimiques. Tour à tout mutine, ingénue, tragique, ironique, elle esquisse les contours d’un univers très personnel où James Joyce voisine avec Emily Dickenson, où le lapin – le double lapin ! – d’Alice croise la blonde Ophélie de Hamlet. Un univers qui se mérite. Insolite. Exigeant, à l’image des textes qui lui servent de support. Décalé, parodique. Gorgé d’humour, certes, mais aussi de poésie. On n’y pénètre pas facilement. Mais une fois entré, un parcours enchanté s’offre à l’auditeur, s’il consent à se laisser embarquer par les fulgurances de la voix et des saxophones, par les climats que Benjamin Moussay et ses sortilèges électroniques installent avec une déconcertante habileté. Ainsi se crée dans l’instant, pour peu que la magie opère, une musique qui joue sur les ressorts du contraste et de la surprise. Aventureuse, inclassable. Et séduisante à proportion.

 

Jacques Aboucaya

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Marciac a toujours manifesté une dilection particulière pour le jazz vocal. Les programmes des précédentes éditions le prouvent. Celle-ci ne faillit pas à la règle. Elle la renforcerait plutôt. Ainsi, trois bluesmen, Eric Bibb, Keith B. Brown et Keb’ Mo’, mais aussi Melody Gardot, Bobby McFerrin, Esperanza Spalding, Youn Sun Nah et Omara Portuondo se sont succédé depuis le début sous le chapiteau. Avant l’arrivée, dans la semaine à venir, d’une « nouvelle vague ».

 


Gregory Porter (voc), Don Castle (ts), Grant Windsor (p), Neville Malcolm (b), Richard Spavenb (dm). Chapiteau, 1er août.

 

Dianne Reeves et l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine dirigé par Kwame Ryan.

Dianne Reeves (voc), Peter Martin (p), Reginald Veal (b), Terron Gully (dm). Chapiteau, 1er août.

 

Claudia Solal Spoonbox.

Claudia Solal (voc), Benjamin Moussay (p, claviers, élec), Jean-Charles Richard (bs, ss), Joe Quitzke (dm). L’Astrada, 2 août.

 

Considéré comme l’étoile montante du jazz vocal décliné au masculin, Gregory Porter arrive, précédé d’une réputation flatteuse (ne fait-il pas, ce mois-ci, la couverture de votre magazine favori ?). Au demeurant, éloges non usurpés, même si, dans son domaine, la concurrence n’est guère pléthorique. Une belle voix de baryton, puissante, bien timbrée, rappelant, en plus d’une occurrence, celle de Joe Williams qui fit, en son temps, les beaux soirs de l’orchestre de Count Basie. Cela pour la filiation jazz. Mais Porter est aussi nourri de soul, tendance Marvin Gaye. De blues et de gospel, dont les inflexions colorent imperceptiblement ses interprétations. Autant d’influences qu’il a assimilées et qu’il met au service d’un répertoire éclectique. Ses propres compositions (Painted On Canvas, Way To Harlem, Be Good) y voisinent avec le Black Nile de Wayne Shorter, Work Song de Nat Adderley dont il donne une version poignante, et des standards comme Skylark ou God Bless The Child. Une présence scénique naturelle qui n’a recours, pour s’imposer, à aucun artifice. Parmi ses accompagnateurs, un ténor « rugueux », nourri, lui aussi, de tradition, Don Castle, auteur d’interventions tranchantes. Les autres, mieux qu’honorables – à l’exception toutefois du batteur, du genre éléphantesque.

 

On ne compte plus les apparitions de Dianne Reeves à Marciac. Elle est ici dans son jardin. Sauf que ce soir, un orchestre symphonique, celui de Bordeaux Aquitaine, s’est joint à son excellent quartette. Voici donc, après Wynton Marsalis, une formule qui en train de prendre racine. La différence avec le concert de la veille, c’est que l’ambition est moindre. Pas de fusion hasardeuse. Chacun reste dans son rôle, les musiciens classiques se contentant de fournir un écrin à un combo qui, de son côté, n’abdique jamais sa propre personnalité. Si bien que la chanteuse – voix chaude, capiteuse, art consommé du scat – développe, de Triste à Misty, de Speak Low à Lullaby Of Birdland, un programme dans lequel elle instille, à sa manière, des échos latins ou africains. Le rôle du grand orchestre, dans l’affaire ? Certaines mauvaises langues n’hésiteront pas à évoquer Helmut Zacharias et ses violons enchantés. Mais quoi ! Les plus grands, y compris Charlie Parker, ont succombé à la tentation des grandes nappes de cordes sirupeuses. Superfétatoires, en l’occurrence, mais pas vraiment gênantes. Un moindre mal.

 

Tandis qu’une vague cubaine déferle le lendemain sur le chapiteau, Claudia Solal se produit à l’Astrada. Ce n’est pas elle, assurément, qui s’entourerait d’une cohorte symphonique. Elle dirige depuis des années un stage de chant durant le festival. Son quartette, Spoonbox, est, lui aussi, familier des lieux – mais relégué, jusqu’ici, sur la scène du Off (elle rappellera, non sans malice, cette ancienneté). Le voici donc enfin sous les projecteurs de la salle de cinq cents places dont Marciac s’enorgueillit. Non sans raison : l’acoustique y est parfaite. Adéquate à un projet auquel il serait difficile d’assigner une définition. Il se situe, résolument, à la marge. Du jazz, de l’improvisation libre, de la poésie, voire du théâtre. Car Claudia, à la manière d’une comédienne, insuffle la vie aux textes qu’elle a choisis. Par la voix, bien sûr, une voix incroyablement ductile, à la tessiture inouïe, dont elle use comme d’un instrument, mais aussi par le geste et les mimiques. Tour à tout mutine, ingénue, tragique, ironique, elle esquisse les contours d’un univers très personnel où James Joyce voisine avec Emily Dickenson, où le lapin – le double lapin ! – d’Alice croise la blonde Ophélie de Hamlet. Un univers qui se mérite. Insolite. Exigeant, à l’image des textes qui lui servent de support. Décalé, parodique. Gorgé d’humour, certes, mais aussi de poésie. On n’y pénètre pas facilement. Mais une fois entré, un parcours enchanté s’offre à l’auditeur, s’il consent à se laisser embarquer par les fulgurances de la voix et des saxophones, par les climats que Benjamin Moussay et ses sortilèges électroniques installent avec une déconcertante habileté. Ainsi se crée dans l’instant, pour peu que la magie opère, une musique qui joue sur les ressorts du contraste et de la surprise. Aventureuse, inclassable. Et séduisante à proportion.

 

Jacques Aboucaya

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Marciac a toujours manifesté une dilection particulière pour le jazz vocal. Les programmes des précédentes éditions le prouvent. Celle-ci ne faillit pas à la règle. Elle la renforcerait plutôt. Ainsi, trois bluesmen, Eric Bibb, Keith B. Brown et Keb’ Mo’, mais aussi Melody Gardot, Bobby McFerrin, Esperanza Spalding, Youn Sun Nah et Omara Portuondo se sont succédé depuis le début sous le chapiteau. Avant l’arrivée, dans la semaine à venir, d’une « nouvelle vague ».

 


Gregory Porter (voc), Don Castle (ts), Grant Windsor (p), Neville Malcolm (b), Richard Spavenb (dm). Chapiteau, 1er août.

 

Dianne Reeves et l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine dirigé par Kwame Ryan.

Dianne Reeves (voc), Peter Martin (p), Reginald Veal (b), Terron Gully (dm). Chapiteau, 1er août.

 

Claudia Solal Spoonbox.

Claudia Solal (voc), Benjamin Moussay (p, claviers, élec), Jean-Charles Richard (bs, ss), Joe Quitzke (dm). L’Astrada, 2 août.

 

Considéré comme l’étoile montante du jazz vocal décliné au masculin, Gregory Porter arrive, précédé d’une réputation flatteuse (ne fait-il pas, ce mois-ci, la couverture de votre magazine favori ?). Au demeurant, éloges non usurpés, même si, dans son domaine, la concurrence n’est guère pléthorique. Une belle voix de baryton, puissante, bien timbrée, rappelant, en plus d’une occurrence, celle de Joe Williams qui fit, en son temps, les beaux soirs de l’orchestre de Count Basie. Cela pour la filiation jazz. Mais Porter est aussi nourri de soul, tendance Marvin Gaye. De blues et de gospel, dont les inflexions colorent imperceptiblement ses interprétations. Autant d’influences qu’il a assimilées et qu’il met au service d’un répertoire éclectique. Ses propres compositions (Painted On Canvas, Way To Harlem, Be Good) y voisinent avec le Black Nile de Wayne Shorter, Work Song de Nat Adderley dont il donne une version poignante, et des standards comme Skylark ou God Bless The Child. Une présence scénique naturelle qui n’a recours, pour s’imposer, à aucun artifice. Parmi ses accompagnateurs, un ténor « rugueux », nourri, lui aussi, de tradition, Don Castle, auteur d’interventions tranchantes. Les autres, mieux qu’honorables – à l’exception toutefois du batteur, du genre éléphantesque.

 

On ne compte plus les apparitions de Dianne Reeves à Marciac. Elle est ici dans son jardin. Sauf que ce soir, un orchestre symphonique, celui de Bordeaux Aquitaine, s’est joint à son excellent quartette. Voici donc, après Wynton Marsalis, une formule qui en train de prendre racine. La différence avec le concert de la veille, c’est que l’ambition est moindre. Pas de fusion hasardeuse. Chacun reste dans son rôle, les musiciens classiques se contentant de fournir un écrin à un combo qui, de son côté, n’abdique jamais sa propre personnalité. Si bien que la chanteuse – voix chaude, capiteuse, art consommé du scat – développe, de Triste à Misty, de Speak Low à Lullaby Of Birdland, un programme dans lequel elle instille, à sa manière, des échos latins ou africains. Le rôle du grand orchestre, dans l’affaire ? Certaines mauvaises langues n’hésiteront pas à évoquer Helmut Zacharias et ses violons enchantés. Mais quoi ! Les plus grands, y compris Charlie Parker, ont succombé à la tentation des grandes nappes de cordes sirupeuses. Superfétatoires, en l’occurrence, mais pas vraiment gênantes. Un moindre mal.

 

Tandis qu’une vague cubaine déferle le lendemain sur le chapiteau, Claudia Solal se produit à l’Astrada. Ce n’est pas elle, assurément, qui s’entourerait d’une cohorte symphonique. Elle dirige depuis des années un stage de chant durant le festival. Son quartette, Spoonbox, est, lui aussi, familier des lieux – mais relégué, jusqu’ici, sur la scène du Off (elle rappellera, non sans malice, cette ancienneté). Le voici donc enfin sous les projecteurs de la salle de cinq cents places dont Marciac s’enorgueillit. Non sans raison : l’acoustique y est parfaite. Adéquate à un projet auquel il serait difficile d’assigner une définition. Il se situe, résolument, à la marge. Du jazz, de l’improvisation libre, de la poésie, voire du théâtre. Car Claudia, à la manière d’une comédienne, insuffle la vie aux textes qu’elle a choisis. Par la voix, bien sûr, une voix incroyablement ductile, à la tessiture inouïe, dont elle use comme d’un instrument, mais aussi par le geste et les mimiques. Tour à tout mutine, ingénue, tragique, ironique, elle esquisse les contours d’un univers très personnel où James Joyce voisine avec Emily Dickenson, où le lapin – le double lapin ! – d’Alice croise la blonde Ophélie de Hamlet. Un univers qui se mérite. Insolite. Exigeant, à l’image des textes qui lui servent de support. Décalé, parodique. Gorgé d’humour, certes, mais aussi de poésie. On n’y pénètre pas facilement. Mais une fois entré, un parcours enchanté s’offre à l’auditeur, s’il consent à se laisser embarquer par les fulgurances de la voix et des saxophones, par les climats que Benjamin Moussay et ses sortilèges électroniques installent avec une déconcertante habileté. Ainsi se crée dans l’instant, pour peu que la magie opère, une musique qui joue sur les ressorts du contraste et de la surprise. Aventureuse, inclassable. Et séduisante à proportion.

 

Jacques Aboucaya