Jazz live
Publié le 24 Jan 2019

LE SACRE DU TYMPAN : Carton plein à Morlaix

Photographie : Walden Gauthier

 

 

Cartoons, Le Sacre du Tympan : Fred Pallem (direction, arrangements, basse électrique), Jérémie Piazza (batterie), Stéphane Bartelt (guitare électrique), Guillaume Lantonnet (percussions), Fred Escoffier (claviers), Sylvain Bardiau (trompette, bugle), Claude Egea (trompette, bugle), Matthias Mahler (trombone ténor), Lionel Ségui (trombone basse), Fabien Debellefontaine (flûtes, saxophone alto), Fred Gastard (saxophones ténor et basse).

Épique plus que jamais, Fred Pallem poursuit ses odyssées (le mot fut donné à sa dernière publication) à travers la France, transportant avec lui, en musicien de grand chemin, l’éventail de ses programmes.

Ceux-ci, presque innombrables, définissent ses inclinaisons qui constituent une remise en question profonde et radicale de la monotonie. Ses goûts vont notamment à Neil Young et à François de Roubaix, à la Soul et aux musiques de dessins animés et de jeux vidéos, ce qui en fait un transversaliste, ou si l’on préfère un jazzman oblique.

Cette dernière catégorie (les musiques de dessins animés, etc.), nullement imperméable à toutes les autres, fut représentée trois jours de suite au Théâtre de Morlaix dans différentes formes, du quintet au onztet. « Cartoons », le programme en question, destiné aux enfants de tous âges, investissait un lieu véritablement unique, puisque bâti en 1887 sur le modèle des théâtres à l’italienne.

Le samedi 19 janvier, sous les ors de ce monument historique et sur sa scène juste un peu exiguë, Le Sacre du Tympan (actif depuis plus de 20 ans) rejoua ce programme désormais gravé sur disque (Train Fantôme, 2017) devant un parterre acquis au blind test et autres jeux de la mémoire et de l’interaction.

 

 

Photographie : Walden Gauthier

Revêtu d’un t-shirt noir portant l’inscription Quincy Jones, Fred Pallem ne disait rien, ou presque rien. Ça jouait. C’était au public de deviner le titre du dessin animé ou du jeu vidéo dont l’indicatif emplissait la salle à ras-bord comme une boisson de fête énergisante.

Les plus jeunes (6 à 12 ans), hurlant à tue-tête, devinaient aisément La Reine des neiges, Inspecteur Gadget, Les Simpsons ou encore Scooby-Doo. Les autres (13 à 93 ans), plus discrètement et souvent in petto, identifiaient les auteurs de ces musiques que Fred Pallem hisse aussi haut que Ligeti ou Charles Ives.

Car dans ce programme apparemment enfantin, il y avait matière à répondre aux attentes d’un public qui s’intéresse autant à Camille Saint-Saëns, qu’à Duke Ellington et Henry Mancini.

Quant à cette frange de mélomanes épanouis comme la fraxilumèle de Claude Roy, vibrant d’une émotion jamais retombée depuis qu’elle a vu, en 1967, Les Aventuriers de Robert Enrico, et entendu sa bande originale sans cesser de la fredonner, elle est positivement ravie. Son inventeur prodige, François de Roubaix, n’y a pas été oublié et Le Sacre du Tympan le rend une fois de plus grandiose et insurpassable en interprétant Chapi Chapo, générique d’une série télévisée que le public galvanisé en 1970, et électrisé en 2019, reprend en chœur et en braillements.

Il faut dire que l’ambiance est foldingo dans ce théâtre à l’italienne. Fred Pallem se doute-t-il des gazouillis et clameurs qu’il a suscités. Alors que jouait à brio-que-veux-tu Le Sacre du Tympan, ne manquaient plus dans ce monument historique transfiguré que les présences d’Arletty, de Jean-Louis Barrault et de Pierre Brasseur pour reconstituer, au son et à la lettre près, l’atmosphère (car nous avions tous une gueule d’atmosphère) du Théâtre des Funambules immortalisé dans Les Enfants du Paradis, le film-phare de Marcel Carné.

C’est dire qu’il y avait des enfants et du paradis dans l’alcôve morlaisienne, ce samedi soir où Fred Pallem, musicien de grand chemin, fit barrage aux puissances du déclin en usant de divers stratagèmes et notamment de Shunsuke Kikuchi, le compositeur des musiques de Goldorak, d’Albator et de Dragon Ball Z, comme d’une arme fatale, afin de combattre définitivement l’ennui et de persévérer dans la voie de l’outre-jazz cinématique.

Guy Darol