Jazz live
Publié le 12 Nov 2014

L'eCsTaSy de Raoul Björkenheim à Jazzycolors

Inauguré le 4 novembre par Bojan Z et Nils Wogram au Carreau du temple, ce dernier présentant son trio le lendemain au Goethe Institut, Jazzycolors, le festival des centres culturels étrangers à Paris, donnait hier son septième concert à l’Institut finlandais, avec le groupe finlandais eCsTaSy du guitariste Raoul Björkenheim, septième concert d’un programme de vingt-quatre dates jusqu’au 29 novembre

 


Retour sur un festival…

 

[Si vous êtes pressés de lire le compte rendu annoncé, filez plus loin, car j’ai des souvenirs.] Je me souviens en effet des premières années de ce festival créé en 2003. Nous étions quelques uns à arpenter le pavé parisien, curieux de voir ce qui nous arriverait de l’étranger, notamment des pays de l’Est, toujours nombreux à ce programme qui vit le jour dans la cave du centre culturel tchèque, rebaptisée tous les vendredis soir Paris-Prague Jazz Club, sous l’impulsion de son directeur Michael Werner Pospisil. Nous étions parfois plusieurs journalistes à assister au même concert ou à nous croiser, l’un sortant à la moitié d’une concert, tandis que l’autre y entrait, pour gagner un autre centre culturel avant la fin d’un autre concert qui s’y donnait simultanément, tout comme ce soir j’aurais pu tout aussi bien aller écouter à la même heure à l’Institut hongrois le Trio Folklore to Jazz du pianiste Radovan Tariska.

 

…et interrogation sur l’abondance

 

[Si vous êtes  pressés de lire le compte rendu annoncé, filez toujours plus loin, car j’ai des interrogations.] Il me semble que nos rangs se sont dispersés. Depuis que ce blog existe, trois comptes rendus en tout et pour tout et pas un seul concernant cette édition. Il faut dire qu’en créant ce blog alimentable au quotidien, et sans aucune rémunération pour leurs auteurs (et oui, la réalité d’internet, c’est ça), nous avons imposé un rythme d’enfer à nos collaborateurs parisiens qui, pour la plupart, ne sont journalistes qu’aux heures de loisir que leur laisse un travail n’ayant aucun rapport ni avec le journalisme, ni avec le jazz, qui enseignant, qui postier, qui cadreur, qui employé de bureau, etc. Bien plus, et c’est pourquoi je fais référence aux collaborateurs parisiens, la scène parisienne (au sens large, lorsque l’on passe le Périph jusqu’à la Dynamo de Pantin ou au Triton des Lilas) offre sept jours sur sept une abondance qui peut, au plus fort de l’année, quelque peu décourager. Or, novembre étant probablement l’un des moments forts de l’année si l’on considère que nous pouvons être tentés par les invitations qui nous sont faites par les festivals de Reims, de Nevers, de Strasbourg, l’arrivée d’une vingtaine de groupes, dont souvent nous ne savons rien, a de quoi décourager la curiosité. D’autant plus que l’originalité et la qualité n’ont pas toujours été au rendez-vous, les programmations ayant parfois été conduites par des directeurs de centre culturel ou des organes officiels moins informés sur les richesses jazzistiques de leurs pays que nous l’étions nous mêmes, lorsque toutefois cette richesse existait. Ainsi nous est-il arrivé d’essuyer l’écoute de petits Oscar Peterson sans saveur dressés à la discipline des conservatoires de l’Est, d’ethnojazz foireux sensés représenter une identité nationale, de lolita de la chansonnette jazzy et d’orchestres bop, fusion ou free à la limite de l’amateurisme.

 

Des limites et des vertus de l’import-export


[Si vous êtes encore pressés de lire le compte rendu annoncé, filez encore plus loin, car je me lance dans l’import-export.] Très vite pourtant, paradoxalement alors que nous nous désintéressions comme on se lasse de l’exotisme, le festival a gagné en maturité, tiré vers le haut par l’Institut Goethe (qui nous fit entendre Michael Wollny), l’Institut Cervantes (où le public parisien fit la connaissance d’Agusti Fernandez), etc. Mais l’abondance étant parfois l’ennemi du bien, cet accès soudain, concentré sur un mois, d’une multitude de nouveaux venus, dans l’hyperactivité parisienne et non pas dans ce temps de disponibilité qu’est un festival, a pu nous décourager, comme nous décourage parfois l’apparition continue chaque année d’un nombre croissants de nouveaux talents sortis des écoles (et loin de moi de dénigrer la sortie des écoles, elle fait, sans mauvais jeu de mots, une bonne partie de mon bonheur de jazz critic) et la livraison quotidienne, maintenant que les grands circuits de distribution spécialisés disparaissent un à un (ils constituaient une sorte de filtre que les plus pointus d’entre nous savaient d’ailleurs contourner), de disques de petits labels du monde entier que le petits distributeurs éphémères se refilent comme une patate chaude, voire d’autoproductions dont on ne sait jamais trop s’ils ont valeur de démo, de disque-souvenir destiné au public des concerts ou d’authentique production. Le jazz va bien, il est abondant, il est performant, hyper-compétent, voire excitant, mais l’originalité, qu’elle soit free, fusion, bop, voire vieux style ou manouche, n’est pas aussi fréquente qu’elle mérite systématiquement les grandes manœuvres de l’import-export.

 

Bref portrait d’un exportateur-importateur vertueux

 

[Patience, on y est presque] Installé en Finlande où il a fondé Voix et Sons libres (Vapaat äänet) dans les années 1990 après avoir fait ses débuts professionnels au service de l’Arfi comme administrateur, Charles Gil est un spécialiste de l’import-export. À l’initiative de tournées de musiciens français en Finlande et de tournées de musiciens finlandais, voire scandinaves, en France, il fait plutôt dans le haut de gamme : trio de Marc Ducret, Lousadzak de Claude Tchamitchian, Kartet, groupes de l’Arfi, François Corneloup, Sacre du Tympan, Journal Intime, Laurent Dehors… et en retour Pepa Païvinen, Mikko Innanen, Teppo Hauta-Aho, mais aussi le Danois Stefan Pasborg ou le norvégien Terje Isungset, des noms que, il faut bien le dire, on a encore du mal à assimiler, le dispositif le plus marquant ayant été la tournée française l’an passé Tower de Marc Ducret qui révéla au public français au sein du volet Thing #1 deux formidables musiciens danois, le trompettiste Kasper Tranberg et le batteur Peter Bruun.

 

Bref, l’action de Charles Gil n’a pas été étrangère à la qualité de la présence finlandaise à Jazzycolors et c’est sur ses conseils que je me suis rendu ce soir 12 novembre au Centre cul
turel finlandais pour écouter le guitariste Raoul Björkenheim, légende en son pays, et son quartette eCsTaSy. [Nous y voilà !]

 

Centre culturel finlandais, Paris (75), le 12 novembre 2014

 

Raoul Björkenheim eCsTaSy : Pauli Lyytinen (saxes soprano et ténor) Raoul Björkenheim (guitare), Jori Huhtala (contrebasse), Markku Ounaskari (batterie).

 

La salle se remplit rapidement d’un public sobre malgré l’annonce à l’entrée que le bar est ouvert au fond de cette accueillante et lumineuse salle haute de plafond, et j’aperçois de petits coussins ronds qui circulent pour le confort de ceux qui commencent à s’installer parterre. Il n’est pas rare de voir ces concerts de Jazzycolors faire le plein d’un public qui se partage entre les habitués des centres culturels et cette partie du public parisien qui répond, malgré notre indifférence, avec avidité à cet afflux de musiciens étrangers. Un bon public, donc, répondant rapidement à l’enthousiasme de ce leader qui se lance dans un français maladroit, mais sans complexe, vif et plein d’esprit, comme il se lance tout aussitôt dans une musique qui a ses racines orchestrales et ses jouages chez Ornette Coleman sur un rubato quasiment permanent, ou déguisé lorsque l’on y devine de ces jeux rythmiques bien d’aujourd’hui entre la contrebasse (très post-hadenienne) et la batterie. Ceux qui seraient venus pour le batteur Markku Ounaskari en espérant retrouver la musique de son album ECM “Kuara, Psalms and Folk Songs” en seront pour leur frais. À la “batterie-taïchi” qu’ils souhaitaient entendre s’est substitué un hyperactif, mais qui respecte l’équilibre acoustique de ce groupe d’une grande cohésion de son et de jeu, dans des cadres compositionnels aussi finement bâtis qu’ils sont concis. De cet étrang mélange de gaîté et de tristesse que constitue la musique d’Ornette Coleman, le gai Raoul retient plutôt la première, même si cette gaîté peut prendre dans les moments de paroxysme quelque chose de rageur. Le leader est une boule d’énergie et de positivisme dont la guitare ultra-lyrique évoque la fluidité saxophonistique du Allan Holdsworth des années 1970 (respiration et relief en plus), avec ici et là quelque chose dans le dessin mélodique du John Abercrombie du premier “Gateway”. En une heure, deux rappels compris pour répondre à un public enthousiaste, c’est plié et l’on sort enchanté.

 

Si je me fie à la sélection d’extraits phonographiques distribuée à la presse en guise de promotion, je ne saurais m’interdire de conseiller plus particulièrement quelques-uns des autres concerts de cette édition Jazzycolors : le 14 novembre au Goethe Institut la chanteuse portugaise Sofia Ribeiro (qui tout en restant dans son rôle de chanteuse de chanson a su se créer un univers original entre le fado, le cabaret, le Brésil et le jazz [Révélation Jazz Magazine]) , le 16 novembre à l’Institut finlandais le trio K Trio (qui semble secouer avec beaucoup d’humour les conventions du supertrio contemporain piano-basse-batterie), le 17 novembre au Centre Wallonie-Bruxelles le trio Chlopcy Kontra Basia (dont la “chanteuse-Lolita” Barbara Derlak n’est pour une fois pas “jazzy”, mais construit un univers original et un rien givré à base de traditions populaires polonaises sur une rythmique contrebasse-batterie), le 18 novembre aux Archives Nationales la Corporation luxembourgeoise du batteur Jeff Herr (trio dont le saxophoniste Maxime Bender a déjà été salué sur ce blog et qu’on ne tardera pas à entendre sur le label Laborie), le 19 novembre le trio norvégien du contrebassiste Mats Eilertsen avec le pianiste Harmen Fraanje et le batteur Thomas Stronen ([Choc Jazz Magazine], Ludovic Florin vous explique pourquoi dans notre numéro de décembre) et le 25 au Service culturel de l’ambassade d’Azerbaïdjan le pianiste autrichien David Helbock dont les vidéos visibles sur le net sauront peut-peut-être vous convaincre car, j’y pense, tout est sur le site de Jazzycolors dont il est recommandé de feuilleter l’onglet “concert” et les différents liens, même s’il est un peu lent à réagir. Franck Bergerot

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Inauguré le 4 novembre par Bojan Z et Nils Wogram au Carreau du temple, ce dernier présentant son trio le lendemain au Goethe Institut, Jazzycolors, le festival des centres culturels étrangers à Paris, donnait hier son septième concert à l’Institut finlandais, avec le groupe finlandais eCsTaSy du guitariste Raoul Björkenheim, septième concert d’un programme de vingt-quatre dates jusqu’au 29 novembre

 


Retour sur un festival…

 

[Si vous êtes pressés de lire le compte rendu annoncé, filez plus loin, car j’ai des souvenirs.] Je me souviens en effet des premières années de ce festival créé en 2003. Nous étions quelques uns à arpenter le pavé parisien, curieux de voir ce qui nous arriverait de l’étranger, notamment des pays de l’Est, toujours nombreux à ce programme qui vit le jour dans la cave du centre culturel tchèque, rebaptisée tous les vendredis soir Paris-Prague Jazz Club, sous l’impulsion de son directeur Michael Werner Pospisil. Nous étions parfois plusieurs journalistes à assister au même concert ou à nous croiser, l’un sortant à la moitié d’une concert, tandis que l’autre y entrait, pour gagner un autre centre culturel avant la fin d’un autre concert qui s’y donnait simultanément, tout comme ce soir j’aurais pu tout aussi bien aller écouter à la même heure à l’Institut hongrois le Trio Folklore to Jazz du pianiste Radovan Tariska.

 

…et interrogation sur l’abondance

 

[Si vous êtes  pressés de lire le compte rendu annoncé, filez toujours plus loin, car j’ai des interrogations.] Il me semble que nos rangs se sont dispersés. Depuis que ce blog existe, trois comptes rendus en tout et pour tout et pas un seul concernant cette édition. Il faut dire qu’en créant ce blog alimentable au quotidien, et sans aucune rémunération pour leurs auteurs (et oui, la réalité d’internet, c’est ça), nous avons imposé un rythme d’enfer à nos collaborateurs parisiens qui, pour la plupart, ne sont journalistes qu’aux heures de loisir que leur laisse un travail n’ayant aucun rapport ni avec le journalisme, ni avec le jazz, qui enseignant, qui postier, qui cadreur, qui employé de bureau, etc. Bien plus, et c’est pourquoi je fais référence aux collaborateurs parisiens, la scène parisienne (au sens large, lorsque l’on passe le Périph jusqu’à la Dynamo de Pantin ou au Triton des Lilas) offre sept jours sur sept une abondance qui peut, au plus fort de l’année, quelque peu décourager. Or, novembre étant probablement l’un des moments forts de l’année si l’on considère que nous pouvons être tentés par les invitations qui nous sont faites par les festivals de Reims, de Nevers, de Strasbourg, l’arrivée d’une vingtaine de groupes, dont souvent nous ne savons rien, a de quoi décourager la curiosité. D’autant plus que l’originalité et la qualité n’ont pas toujours été au rendez-vous, les programmations ayant parfois été conduites par des directeurs de centre culturel ou des organes officiels moins informés sur les richesses jazzistiques de leurs pays que nous l’étions nous mêmes, lorsque toutefois cette richesse existait. Ainsi nous est-il arrivé d’essuyer l’écoute de petits Oscar Peterson sans saveur dressés à la discipline des conservatoires de l’Est, d’ethnojazz foireux sensés représenter une identité nationale, de lolita de la chansonnette jazzy et d’orchestres bop, fusion ou free à la limite de l’amateurisme.

 

Des limites et des vertus de l’import-export


[Si vous êtes encore pressés de lire le compte rendu annoncé, filez encore plus loin, car je me lance dans l’import-export.] Très vite pourtant, paradoxalement alors que nous nous désintéressions comme on se lasse de l’exotisme, le festival a gagné en maturité, tiré vers le haut par l’Institut Goethe (qui nous fit entendre Michael Wollny), l’Institut Cervantes (où le public parisien fit la connaissance d’Agusti Fernandez), etc. Mais l’abondance étant parfois l’ennemi du bien, cet accès soudain, concentré sur un mois, d’une multitude de nouveaux venus, dans l’hyperactivité parisienne et non pas dans ce temps de disponibilité qu’est un festival, a pu nous décourager, comme nous décourage parfois l’apparition continue chaque année d’un nombre croissants de nouveaux talents sortis des écoles (et loin de moi de dénigrer la sortie des écoles, elle fait, sans mauvais jeu de mots, une bonne partie de mon bonheur de jazz critic) et la livraison quotidienne, maintenant que les grands circuits de distribution spécialisés disparaissent un à un (ils constituaient une sorte de filtre que les plus pointus d’entre nous savaient d’ailleurs contourner), de disques de petits labels du monde entier que le petits distributeurs éphémères se refilent comme une patate chaude, voire d’autoproductions dont on ne sait jamais trop s’ils ont valeur de démo, de disque-souvenir destiné au public des concerts ou d’authentique production. Le jazz va bien, il est abondant, il est performant, hyper-compétent, voire excitant, mais l’originalité, qu’elle soit free, fusion, bop, voire vieux style ou manouche, n’est pas aussi fréquente qu’elle mérite systématiquement les grandes manœuvres de l’import-export.

 

Bref portrait d’un exportateur-importateur vertueux

 

[Patience, on y est presque] Installé en Finlande où il a fondé Voix et Sons libres (Vapaat äänet) dans les années 1990 après avoir fait ses débuts professionnels au service de l’Arfi comme administrateur, Charles Gil est un spécialiste de l’import-export. À l’initiative de tournées de musiciens français en Finlande et de tournées de musiciens finlandais, voire scandinaves, en France, il fait plutôt dans le haut de gamme : trio de Marc Ducret, Lousadzak de Claude Tchamitchian, Kartet, groupes de l’Arfi, François Corneloup, Sacre du Tympan, Journal Intime, Laurent Dehors… et en retour Pepa Païvinen, Mikko Innanen, Teppo Hauta-Aho, mais aussi le Danois Stefan Pasborg ou le norvégien Terje Isungset, des noms que, il faut bien le dire, on a encore du mal à assimiler, le dispositif le plus marquant ayant été la tournée française l’an passé Tower de Marc Ducret qui révéla au public français au sein du volet Thing #1 deux formidables musiciens danois, le trompettiste Kasper Tranberg et le batteur Peter Bruun.

 

Bref, l’action de Charles Gil n’a pas été étrangère à la qualité de la présence finlandaise à Jazzycolors et c’est sur ses conseils que je me suis rendu ce soir 12 novembre au Centre cul
turel finlandais pour écouter le guitariste Raoul Björkenheim, légende en son pays, et son quartette eCsTaSy. [Nous y voilà !]

 

Centre culturel finlandais, Paris (75), le 12 novembre 2014

 

Raoul Björkenheim eCsTaSy : Pauli Lyytinen (saxes soprano et ténor) Raoul Björkenheim (guitare), Jori Huhtala (contrebasse), Markku Ounaskari (batterie).

 

La salle se remplit rapidement d’un public sobre malgré l’annonce à l’entrée que le bar est ouvert au fond de cette accueillante et lumineuse salle haute de plafond, et j’aperçois de petits coussins ronds qui circulent pour le confort de ceux qui commencent à s’installer parterre. Il n’est pas rare de voir ces concerts de Jazzycolors faire le plein d’un public qui se partage entre les habitués des centres culturels et cette partie du public parisien qui répond, malgré notre indifférence, avec avidité à cet afflux de musiciens étrangers. Un bon public, donc, répondant rapidement à l’enthousiasme de ce leader qui se lance dans un français maladroit, mais sans complexe, vif et plein d’esprit, comme il se lance tout aussitôt dans une musique qui a ses racines orchestrales et ses jouages chez Ornette Coleman sur un rubato quasiment permanent, ou déguisé lorsque l’on y devine de ces jeux rythmiques bien d’aujourd’hui entre la contrebasse (très post-hadenienne) et la batterie. Ceux qui seraient venus pour le batteur Markku Ounaskari en espérant retrouver la musique de son album ECM “Kuara, Psalms and Folk Songs” en seront pour leur frais. À la “batterie-taïchi” qu’ils souhaitaient entendre s’est substitué un hyperactif, mais qui respecte l’équilibre acoustique de ce groupe d’une grande cohésion de son et de jeu, dans des cadres compositionnels aussi finement bâtis qu’ils sont concis. De cet étrang mélange de gaîté et de tristesse que constitue la musique d’Ornette Coleman, le gai Raoul retient plutôt la première, même si cette gaîté peut prendre dans les moments de paroxysme quelque chose de rageur. Le leader est une boule d’énergie et de positivisme dont la guitare ultra-lyrique évoque la fluidité saxophonistique du Allan Holdsworth des années 1970 (respiration et relief en plus), avec ici et là quelque chose dans le dessin mélodique du John Abercrombie du premier “Gateway”. En une heure, deux rappels compris pour répondre à un public enthousiaste, c’est plié et l’on sort enchanté.

 

Si je me fie à la sélection d’extraits phonographiques distribuée à la presse en guise de promotion, je ne saurais m’interdire de conseiller plus particulièrement quelques-uns des autres concerts de cette édition Jazzycolors : le 14 novembre au Goethe Institut la chanteuse portugaise Sofia Ribeiro (qui tout en restant dans son rôle de chanteuse de chanson a su se créer un univers original entre le fado, le cabaret, le Brésil et le jazz [Révélation Jazz Magazine]) , le 16 novembre à l’Institut finlandais le trio K Trio (qui semble secouer avec beaucoup d’humour les conventions du supertrio contemporain piano-basse-batterie), le 17 novembre au Centre Wallonie-Bruxelles le trio Chlopcy Kontra Basia (dont la “chanteuse-Lolita” Barbara Derlak n’est pour une fois pas “jazzy”, mais construit un univers original et un rien givré à base de traditions populaires polonaises sur une rythmique contrebasse-batterie), le 18 novembre aux Archives Nationales la Corporation luxembourgeoise du batteur Jeff Herr (trio dont le saxophoniste Maxime Bender a déjà été salué sur ce blog et qu’on ne tardera pas à entendre sur le label Laborie), le 19 novembre le trio norvégien du contrebassiste Mats Eilertsen avec le pianiste Harmen Fraanje et le batteur Thomas Stronen ([Choc Jazz Magazine], Ludovic Florin vous explique pourquoi dans notre numéro de décembre) et le 25 au Service culturel de l’ambassade d’Azerbaïdjan le pianiste autrichien David Helbock dont les vidéos visibles sur le net sauront peut-peut-être vous convaincre car, j’y pense, tout est sur le site de Jazzycolors dont il est recommandé de feuilleter l’onglet “concert” et les différents liens, même s’il est un peu lent à réagir. Franck Bergerot

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Inauguré le 4 novembre par Bojan Z et Nils Wogram au Carreau du temple, ce dernier présentant son trio le lendemain au Goethe Institut, Jazzycolors, le festival des centres culturels étrangers à Paris, donnait hier son septième concert à l’Institut finlandais, avec le groupe finlandais eCsTaSy du guitariste Raoul Björkenheim, septième concert d’un programme de vingt-quatre dates jusqu’au 29 novembre

 


Retour sur un festival…

 

[Si vous êtes pressés de lire le compte rendu annoncé, filez plus loin, car j’ai des souvenirs.] Je me souviens en effet des premières années de ce festival créé en 2003. Nous étions quelques uns à arpenter le pavé parisien, curieux de voir ce qui nous arriverait de l’étranger, notamment des pays de l’Est, toujours nombreux à ce programme qui vit le jour dans la cave du centre culturel tchèque, rebaptisée tous les vendredis soir Paris-Prague Jazz Club, sous l’impulsion de son directeur Michael Werner Pospisil. Nous étions parfois plusieurs journalistes à assister au même concert ou à nous croiser, l’un sortant à la moitié d’une concert, tandis que l’autre y entrait, pour gagner un autre centre culturel avant la fin d’un autre concert qui s’y donnait simultanément, tout comme ce soir j’aurais pu tout aussi bien aller écouter à la même heure à l’Institut hongrois le Trio Folklore to Jazz du pianiste Radovan Tariska.

 

…et interrogation sur l’abondance

 

[Si vous êtes  pressés de lire le compte rendu annoncé, filez toujours plus loin, car j’ai des interrogations.] Il me semble que nos rangs se sont dispersés. Depuis que ce blog existe, trois comptes rendus en tout et pour tout et pas un seul concernant cette édition. Il faut dire qu’en créant ce blog alimentable au quotidien, et sans aucune rémunération pour leurs auteurs (et oui, la réalité d’internet, c’est ça), nous avons imposé un rythme d’enfer à nos collaborateurs parisiens qui, pour la plupart, ne sont journalistes qu’aux heures de loisir que leur laisse un travail n’ayant aucun rapport ni avec le journalisme, ni avec le jazz, qui enseignant, qui postier, qui cadreur, qui employé de bureau, etc. Bien plus, et c’est pourquoi je fais référence aux collaborateurs parisiens, la scène parisienne (au sens large, lorsque l’on passe le Périph jusqu’à la Dynamo de Pantin ou au Triton des Lilas) offre sept jours sur sept une abondance qui peut, au plus fort de l’année, quelque peu décourager. Or, novembre étant probablement l’un des moments forts de l’année si l’on considère que nous pouvons être tentés par les invitations qui nous sont faites par les festivals de Reims, de Nevers, de Strasbourg, l’arrivée d’une vingtaine de groupes, dont souvent nous ne savons rien, a de quoi décourager la curiosité. D’autant plus que l’originalité et la qualité n’ont pas toujours été au rendez-vous, les programmations ayant parfois été conduites par des directeurs de centre culturel ou des organes officiels moins informés sur les richesses jazzistiques de leurs pays que nous l’étions nous mêmes, lorsque toutefois cette richesse existait. Ainsi nous est-il arrivé d’essuyer l’écoute de petits Oscar Peterson sans saveur dressés à la discipline des conservatoires de l’Est, d’ethnojazz foireux sensés représenter une identité nationale, de lolita de la chansonnette jazzy et d’orchestres bop, fusion ou free à la limite de l’amateurisme.

 

Des limites et des vertus de l’import-export


[Si vous êtes encore pressés de lire le compte rendu annoncé, filez encore plus loin, car je me lance dans l’import-export.] Très vite pourtant, paradoxalement alors que nous nous désintéressions comme on se lasse de l’exotisme, le festival a gagné en maturité, tiré vers le haut par l’Institut Goethe (qui nous fit entendre Michael Wollny), l’Institut Cervantes (où le public parisien fit la connaissance d’Agusti Fernandez), etc. Mais l’abondance étant parfois l’ennemi du bien, cet accès soudain, concentré sur un mois, d’une multitude de nouveaux venus, dans l’hyperactivité parisienne et non pas dans ce temps de disponibilité qu’est un festival, a pu nous décourager, comme nous décourage parfois l’apparition continue chaque année d’un nombre croissants de nouveaux talents sortis des écoles (et loin de moi de dénigrer la sortie des écoles, elle fait, sans mauvais jeu de mots, une bonne partie de mon bonheur de jazz critic) et la livraison quotidienne, maintenant que les grands circuits de distribution spécialisés disparaissent un à un (ils constituaient une sorte de filtre que les plus pointus d’entre nous savaient d’ailleurs contourner), de disques de petits labels du monde entier que le petits distributeurs éphémères se refilent comme une patate chaude, voire d’autoproductions dont on ne sait jamais trop s’ils ont valeur de démo, de disque-souvenir destiné au public des concerts ou d’authentique production. Le jazz va bien, il est abondant, il est performant, hyper-compétent, voire excitant, mais l’originalité, qu’elle soit free, fusion, bop, voire vieux style ou manouche, n’est pas aussi fréquente qu’elle mérite systématiquement les grandes manœuvres de l’import-export.

 

Bref portrait d’un exportateur-importateur vertueux

 

[Patience, on y est presque] Installé en Finlande où il a fondé Voix et Sons libres (Vapaat äänet) dans les années 1990 après avoir fait ses débuts professionnels au service de l’Arfi comme administrateur, Charles Gil est un spécialiste de l’import-export. À l’initiative de tournées de musiciens français en Finlande et de tournées de musiciens finlandais, voire scandinaves, en France, il fait plutôt dans le haut de gamme : trio de Marc Ducret, Lousadzak de Claude Tchamitchian, Kartet, groupes de l’Arfi, François Corneloup, Sacre du Tympan, Journal Intime, Laurent Dehors… et en retour Pepa Païvinen, Mikko Innanen, Teppo Hauta-Aho, mais aussi le Danois Stefan Pasborg ou le norvégien Terje Isungset, des noms que, il faut bien le dire, on a encore du mal à assimiler, le dispositif le plus marquant ayant été la tournée française l’an passé Tower de Marc Ducret qui révéla au public français au sein du volet Thing #1 deux formidables musiciens danois, le trompettiste Kasper Tranberg et le batteur Peter Bruun.

 

Bref, l’action de Charles Gil n’a pas été étrangère à la qualité de la présence finlandaise à Jazzycolors et c’est sur ses conseils que je me suis rendu ce soir 12 novembre au Centre cul
turel finlandais pour écouter le guitariste Raoul Björkenheim, légende en son pays, et son quartette eCsTaSy. [Nous y voilà !]

 

Centre culturel finlandais, Paris (75), le 12 novembre 2014

 

Raoul Björkenheim eCsTaSy : Pauli Lyytinen (saxes soprano et ténor) Raoul Björkenheim (guitare), Jori Huhtala (contrebasse), Markku Ounaskari (batterie).

 

La salle se remplit rapidement d’un public sobre malgré l’annonce à l’entrée que le bar est ouvert au fond de cette accueillante et lumineuse salle haute de plafond, et j’aperçois de petits coussins ronds qui circulent pour le confort de ceux qui commencent à s’installer parterre. Il n’est pas rare de voir ces concerts de Jazzycolors faire le plein d’un public qui se partage entre les habitués des centres culturels et cette partie du public parisien qui répond, malgré notre indifférence, avec avidité à cet afflux de musiciens étrangers. Un bon public, donc, répondant rapidement à l’enthousiasme de ce leader qui se lance dans un français maladroit, mais sans complexe, vif et plein d’esprit, comme il se lance tout aussitôt dans une musique qui a ses racines orchestrales et ses jouages chez Ornette Coleman sur un rubato quasiment permanent, ou déguisé lorsque l’on y devine de ces jeux rythmiques bien d’aujourd’hui entre la contrebasse (très post-hadenienne) et la batterie. Ceux qui seraient venus pour le batteur Markku Ounaskari en espérant retrouver la musique de son album ECM “Kuara, Psalms and Folk Songs” en seront pour leur frais. À la “batterie-taïchi” qu’ils souhaitaient entendre s’est substitué un hyperactif, mais qui respecte l’équilibre acoustique de ce groupe d’une grande cohésion de son et de jeu, dans des cadres compositionnels aussi finement bâtis qu’ils sont concis. De cet étrang mélange de gaîté et de tristesse que constitue la musique d’Ornette Coleman, le gai Raoul retient plutôt la première, même si cette gaîté peut prendre dans les moments de paroxysme quelque chose de rageur. Le leader est une boule d’énergie et de positivisme dont la guitare ultra-lyrique évoque la fluidité saxophonistique du Allan Holdsworth des années 1970 (respiration et relief en plus), avec ici et là quelque chose dans le dessin mélodique du John Abercrombie du premier “Gateway”. En une heure, deux rappels compris pour répondre à un public enthousiaste, c’est plié et l’on sort enchanté.

 

Si je me fie à la sélection d’extraits phonographiques distribuée à la presse en guise de promotion, je ne saurais m’interdire de conseiller plus particulièrement quelques-uns des autres concerts de cette édition Jazzycolors : le 14 novembre au Goethe Institut la chanteuse portugaise Sofia Ribeiro (qui tout en restant dans son rôle de chanteuse de chanson a su se créer un univers original entre le fado, le cabaret, le Brésil et le jazz [Révélation Jazz Magazine]) , le 16 novembre à l’Institut finlandais le trio K Trio (qui semble secouer avec beaucoup d’humour les conventions du supertrio contemporain piano-basse-batterie), le 17 novembre au Centre Wallonie-Bruxelles le trio Chlopcy Kontra Basia (dont la “chanteuse-Lolita” Barbara Derlak n’est pour une fois pas “jazzy”, mais construit un univers original et un rien givré à base de traditions populaires polonaises sur une rythmique contrebasse-batterie), le 18 novembre aux Archives Nationales la Corporation luxembourgeoise du batteur Jeff Herr (trio dont le saxophoniste Maxime Bender a déjà été salué sur ce blog et qu’on ne tardera pas à entendre sur le label Laborie), le 19 novembre le trio norvégien du contrebassiste Mats Eilertsen avec le pianiste Harmen Fraanje et le batteur Thomas Stronen ([Choc Jazz Magazine], Ludovic Florin vous explique pourquoi dans notre numéro de décembre) et le 25 au Service culturel de l’ambassade d’Azerbaïdjan le pianiste autrichien David Helbock dont les vidéos visibles sur le net sauront peut-peut-être vous convaincre car, j’y pense, tout est sur le site de Jazzycolors dont il est recommandé de feuilleter l’onglet “concert” et les différents liens, même s’il est un peu lent à réagir. Franck Bergerot

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Inauguré le 4 novembre par Bojan Z et Nils Wogram au Carreau du temple, ce dernier présentant son trio le lendemain au Goethe Institut, Jazzycolors, le festival des centres culturels étrangers à Paris, donnait hier son septième concert à l’Institut finlandais, avec le groupe finlandais eCsTaSy du guitariste Raoul Björkenheim, septième concert d’un programme de vingt-quatre dates jusqu’au 29 novembre

 


Retour sur un festival…

 

[Si vous êtes pressés de lire le compte rendu annoncé, filez plus loin, car j’ai des souvenirs.] Je me souviens en effet des premières années de ce festival créé en 2003. Nous étions quelques uns à arpenter le pavé parisien, curieux de voir ce qui nous arriverait de l’étranger, notamment des pays de l’Est, toujours nombreux à ce programme qui vit le jour dans la cave du centre culturel tchèque, rebaptisée tous les vendredis soir Paris-Prague Jazz Club, sous l’impulsion de son directeur Michael Werner Pospisil. Nous étions parfois plusieurs journalistes à assister au même concert ou à nous croiser, l’un sortant à la moitié d’une concert, tandis que l’autre y entrait, pour gagner un autre centre culturel avant la fin d’un autre concert qui s’y donnait simultanément, tout comme ce soir j’aurais pu tout aussi bien aller écouter à la même heure à l’Institut hongrois le Trio Folklore to Jazz du pianiste Radovan Tariska.

 

…et interrogation sur l’abondance

 

[Si vous êtes  pressés de lire le compte rendu annoncé, filez toujours plus loin, car j’ai des interrogations.] Il me semble que nos rangs se sont dispersés. Depuis que ce blog existe, trois comptes rendus en tout et pour tout et pas un seul concernant cette édition. Il faut dire qu’en créant ce blog alimentable au quotidien, et sans aucune rémunération pour leurs auteurs (et oui, la réalité d’internet, c’est ça), nous avons imposé un rythme d’enfer à nos collaborateurs parisiens qui, pour la plupart, ne sont journalistes qu’aux heures de loisir que leur laisse un travail n’ayant aucun rapport ni avec le journalisme, ni avec le jazz, qui enseignant, qui postier, qui cadreur, qui employé de bureau, etc. Bien plus, et c’est pourquoi je fais référence aux collaborateurs parisiens, la scène parisienne (au sens large, lorsque l’on passe le Périph jusqu’à la Dynamo de Pantin ou au Triton des Lilas) offre sept jours sur sept une abondance qui peut, au plus fort de l’année, quelque peu décourager. Or, novembre étant probablement l’un des moments forts de l’année si l’on considère que nous pouvons être tentés par les invitations qui nous sont faites par les festivals de Reims, de Nevers, de Strasbourg, l’arrivée d’une vingtaine de groupes, dont souvent nous ne savons rien, a de quoi décourager la curiosité. D’autant plus que l’originalité et la qualité n’ont pas toujours été au rendez-vous, les programmations ayant parfois été conduites par des directeurs de centre culturel ou des organes officiels moins informés sur les richesses jazzistiques de leurs pays que nous l’étions nous mêmes, lorsque toutefois cette richesse existait. Ainsi nous est-il arrivé d’essuyer l’écoute de petits Oscar Peterson sans saveur dressés à la discipline des conservatoires de l’Est, d’ethnojazz foireux sensés représenter une identité nationale, de lolita de la chansonnette jazzy et d’orchestres bop, fusion ou free à la limite de l’amateurisme.

 

Des limites et des vertus de l’import-export


[Si vous êtes encore pressés de lire le compte rendu annoncé, filez encore plus loin, car je me lance dans l’import-export.] Très vite pourtant, paradoxalement alors que nous nous désintéressions comme on se lasse de l’exotisme, le festival a gagné en maturité, tiré vers le haut par l’Institut Goethe (qui nous fit entendre Michael Wollny), l’Institut Cervantes (où le public parisien fit la connaissance d’Agusti Fernandez), etc. Mais l’abondance étant parfois l’ennemi du bien, cet accès soudain, concentré sur un mois, d’une multitude de nouveaux venus, dans l’hyperactivité parisienne et non pas dans ce temps de disponibilité qu’est un festival, a pu nous décourager, comme nous décourage parfois l’apparition continue chaque année d’un nombre croissants de nouveaux talents sortis des écoles (et loin de moi de dénigrer la sortie des écoles, elle fait, sans mauvais jeu de mots, une bonne partie de mon bonheur de jazz critic) et la livraison quotidienne, maintenant que les grands circuits de distribution spécialisés disparaissent un à un (ils constituaient une sorte de filtre que les plus pointus d’entre nous savaient d’ailleurs contourner), de disques de petits labels du monde entier que le petits distributeurs éphémères se refilent comme une patate chaude, voire d’autoproductions dont on ne sait jamais trop s’ils ont valeur de démo, de disque-souvenir destiné au public des concerts ou d’authentique production. Le jazz va bien, il est abondant, il est performant, hyper-compétent, voire excitant, mais l’originalité, qu’elle soit free, fusion, bop, voire vieux style ou manouche, n’est pas aussi fréquente qu’elle mérite systématiquement les grandes manœuvres de l’import-export.

 

Bref portrait d’un exportateur-importateur vertueux

 

[Patience, on y est presque] Installé en Finlande où il a fondé Voix et Sons libres (Vapaat äänet) dans les années 1990 après avoir fait ses débuts professionnels au service de l’Arfi comme administrateur, Charles Gil est un spécialiste de l’import-export. À l’initiative de tournées de musiciens français en Finlande et de tournées de musiciens finlandais, voire scandinaves, en France, il fait plutôt dans le haut de gamme : trio de Marc Ducret, Lousadzak de Claude Tchamitchian, Kartet, groupes de l’Arfi, François Corneloup, Sacre du Tympan, Journal Intime, Laurent Dehors… et en retour Pepa Païvinen, Mikko Innanen, Teppo Hauta-Aho, mais aussi le Danois Stefan Pasborg ou le norvégien Terje Isungset, des noms que, il faut bien le dire, on a encore du mal à assimiler, le dispositif le plus marquant ayant été la tournée française l’an passé Tower de Marc Ducret qui révéla au public français au sein du volet Thing #1 deux formidables musiciens danois, le trompettiste Kasper Tranberg et le batteur Peter Bruun.

 

Bref, l’action de Charles Gil n’a pas été étrangère à la qualité de la présence finlandaise à Jazzycolors et c’est sur ses conseils que je me suis rendu ce soir 12 novembre au Centre cul
turel finlandais pour écouter le guitariste Raoul Björkenheim, légende en son pays, et son quartette eCsTaSy. [Nous y voilà !]

 

Centre culturel finlandais, Paris (75), le 12 novembre 2014

 

Raoul Björkenheim eCsTaSy : Pauli Lyytinen (saxes soprano et ténor) Raoul Björkenheim (guitare), Jori Huhtala (contrebasse), Markku Ounaskari (batterie).

 

La salle se remplit rapidement d’un public sobre malgré l’annonce à l’entrée que le bar est ouvert au fond de cette accueillante et lumineuse salle haute de plafond, et j’aperçois de petits coussins ronds qui circulent pour le confort de ceux qui commencent à s’installer parterre. Il n’est pas rare de voir ces concerts de Jazzycolors faire le plein d’un public qui se partage entre les habitués des centres culturels et cette partie du public parisien qui répond, malgré notre indifférence, avec avidité à cet afflux de musiciens étrangers. Un bon public, donc, répondant rapidement à l’enthousiasme de ce leader qui se lance dans un français maladroit, mais sans complexe, vif et plein d’esprit, comme il se lance tout aussitôt dans une musique qui a ses racines orchestrales et ses jouages chez Ornette Coleman sur un rubato quasiment permanent, ou déguisé lorsque l’on y devine de ces jeux rythmiques bien d’aujourd’hui entre la contrebasse (très post-hadenienne) et la batterie. Ceux qui seraient venus pour le batteur Markku Ounaskari en espérant retrouver la musique de son album ECM “Kuara, Psalms and Folk Songs” en seront pour leur frais. À la “batterie-taïchi” qu’ils souhaitaient entendre s’est substitué un hyperactif, mais qui respecte l’équilibre acoustique de ce groupe d’une grande cohésion de son et de jeu, dans des cadres compositionnels aussi finement bâtis qu’ils sont concis. De cet étrang mélange de gaîté et de tristesse que constitue la musique d’Ornette Coleman, le gai Raoul retient plutôt la première, même si cette gaîté peut prendre dans les moments de paroxysme quelque chose de rageur. Le leader est une boule d’énergie et de positivisme dont la guitare ultra-lyrique évoque la fluidité saxophonistique du Allan Holdsworth des années 1970 (respiration et relief en plus), avec ici et là quelque chose dans le dessin mélodique du John Abercrombie du premier “Gateway”. En une heure, deux rappels compris pour répondre à un public enthousiaste, c’est plié et l’on sort enchanté.

 

Si je me fie à la sélection d’extraits phonographiques distribuée à la presse en guise de promotion, je ne saurais m’interdire de conseiller plus particulièrement quelques-uns des autres concerts de cette édition Jazzycolors : le 14 novembre au Goethe Institut la chanteuse portugaise Sofia Ribeiro (qui tout en restant dans son rôle de chanteuse de chanson a su se créer un univers original entre le fado, le cabaret, le Brésil et le jazz [Révélation Jazz Magazine]) , le 16 novembre à l’Institut finlandais le trio K Trio (qui semble secouer avec beaucoup d’humour les conventions du supertrio contemporain piano-basse-batterie), le 17 novembre au Centre Wallonie-Bruxelles le trio Chlopcy Kontra Basia (dont la “chanteuse-Lolita” Barbara Derlak n’est pour une fois pas “jazzy”, mais construit un univers original et un rien givré à base de traditions populaires polonaises sur une rythmique contrebasse-batterie), le 18 novembre aux Archives Nationales la Corporation luxembourgeoise du batteur Jeff Herr (trio dont le saxophoniste Maxime Bender a déjà été salué sur ce blog et qu’on ne tardera pas à entendre sur le label Laborie), le 19 novembre le trio norvégien du contrebassiste Mats Eilertsen avec le pianiste Harmen Fraanje et le batteur Thomas Stronen ([Choc Jazz Magazine], Ludovic Florin vous explique pourquoi dans notre numéro de décembre) et le 25 au Service culturel de l’ambassade d’Azerbaïdjan le pianiste autrichien David Helbock dont les vidéos visibles sur le net sauront peut-peut-être vous convaincre car, j’y pense, tout est sur le site de Jazzycolors dont il est recommandé de feuilleter l’onglet “concert” et les différents liens, même s’il est un peu lent à réagir. Franck Bergerot