Jazz live
Publié le 10 Nov 2012

Luigi Grasso au cabaret de Rueil-Malmaison

Ce 10 novembre, le quartette de Luigi Grasso inaugurait la nouvelle programmation du cabaret jazz de Rueil-Malmaison. Du bop parkérien porté à un niveau d’expression exceptionnel dans une salle qui mérite le détour.

 

Un jour, enfant, je suis entré dans mon bain les pantoufles aux pieds. Je me souviens de ces deux secondes d’un malaise extrêmement étrange, avant que j’analyse cette sensation d’étau spongieux, que j’en localise la pesanteur à mes pieds et que j’en identifie la cause. C’est un peu ce qui m’est arrivé ce soir en réalisant que venu en voisin, j’assistais en pantoufles à un concert de jazz. Je m’étais déjà laissé surprendre la saison dernière en me rendant au même endroit au concert du trio de Julie Saury mais, à part ce concert, la programmation en était alors trop fade pour m’attirer à nouveau dans ce lieu et je n’ai pas eu le temps de m’habituer à cette situation de proximité du jazz à mon domicile. Ce qui risque de changer, c’est la bonne idée qu’a eue le Service des affaires culturelles (Mme Florence Joterar-Jacquier et sa chargée de mission Annick Dewit), qui depuis un certain nombre d’années se passionne pour le jazz avec autant de bonne volonté et d’enthousiasme que de candeur, de confier la programmation à un connaisseur (ce qui est finalement le contraire de la candeur). Une démarche pas très éloignée, toutes proportions gardées, de la démarche revendiquée par l’association Grands Formats lors de son prochain rendez-vous annuel du 1er décembre au Centre des Bords de Marne du Perreux, dont un publi-reportage encarté au centre de notre numéro de novembre actuellement en kiosque se fait l’écho et sur lequel le chef d’orchestre, compositeur et pianiste Jean-Marie Machado reviendra dans un vif entretien de notre numéro de décembre.

 

Une programmateur associé

C’est donc au saxophoniste Alexis Avakian qu’a été confiée la tâche de concevoir une affiche pour le Cabaret Jazz de Rueil-Malmaison. Alexis Avakian est très impliqué en ville à travers son association Blow in Jazz qui fournit un important travail d’enseignement et de promotion du jazz. Le Cabaret de Rueil-Malmaison est une petite salle à l’étage du Cinéma Ariel de Rueil dont j’ignorais l’existence jusqu’au printemps dernier après plus de 20 ans de vie en ville. Conviviale avec son bar et ses petites tables, elle est dotée d’une scène qui permet tout à la fois une vraie proximité à la musique et une acoustique presque idéale, un rien mate, mais qui hier permit à Luigi Grasso de jouer sans micro. Et lorsque l’on a un alto comme celui-ci sous les yeux à moins de 8 mètres, pourquoi interposer un gamelle de haut parleur plus ou mois fidèle.

C’est en effet Luigi Grasso qui faisait l’ouverture de la première programmation conçue par Alexis Avakian pour ce cabaret jazz et inscrite au programme du théâtre André Malraux sis à quelques dizaines de mètres. Une première très classique, dans un registre très bop. Un classicisme adoubé par Wynton Marsalis et Barry Harris, puisque Luigi et son frère, le guitariste Pasquale Grasso, ont étudié avec le pianiste et que Luigi, alors âgé de 14 ans, s’est vu qualifié par le trompettiste « l’un des plus jeunes et les plus talentueux qu’il ait pu entendre ces 20 dernières annés. »


Que faire du revival ?

Autrefois réservé au “New Orleans”, le revival a porté les casquettes les plus variées : swing, bop, hard bop, free, fusion, et toutes sortes de musiques prétendument créatives radotant des histoires vieilles de 30 ans. Alors que l’Occident a tout essayé, du bruit blanc au retraitement de bruits quotidiens en passant pour toutes les déclinaisons possibles de la dissonance et de l’informel, l’avant-garde est-elle encore possible ? Qui échappe encore au revivalisme sans tomber dans les effets de “l’installation” cher à nos salons d’art contemporain. Quelques personnalités rares inventent encore “purement et simplement”, tels Tim Berne ou Steve Lehmann, encore que ce dernier n’échappe pas totalement aux effets de recyclage. Dès que l’on recycle – et la quasi totalité du jazz contemporain est un art, plus ou moins passionnant, du recyclage –, où se situe la ligne de démarcation entre revivalisme et recyclage ? Peut-être se trouve-t-elle dans cette attitude d’intolérance qui faisait dire à un saxophoniste bop-revivaliste pur jus à l’écoute d’un jeune orchestre pas très bop : « ils ne connaissent pas le langage. » Comme si le langage devait à un moment donné de l’histoire être définitivement fixé. Comme si l’improvisateur polonais grandi dans les années 90 était condamné à improviser dans un langage forgé dans les années 50 entre Detroit (ville et communauté musicale où Barry Harris s’est formé) et New York. comme si revendiquant un autre langage, il devait être place au-delà de ce cordon sanitaire inventé par Hugues Panassié qu’il appela « le vrai jazz »… cordon sanitaire dans lequel il s’emmêla les pinceaux en préférant Coleman Hawkins à Lester Young alors que ce dernier défendait plus certainement les racines du blues chères à Panassié que ne le faisait Hawk, l’intellectuel de l’harmonie nourri de musique savante occidental. Cordon sanitaire, au nom duquel Wynton Marsalis crut bon de saluer l’intervention de la police espagnole pour interrompre un concert jugé par “un” spectateur non conforme à la nature “jazz” de son affiche.


Charlie Parker réinventé

Qu’est-ce qu’on attend d’un revivaliste ou qu’est-ce que l’on pourrait lui reprocher ? On attend de lui qu’il rejoue une musique qui fut improvisée dans le feu de l’histoire. Tout du moins de l’improviser dans l’esprit… En ce cas, on est en droit d’exiger d’elle un niveau de jeu qui ne nous renvoie pas directement à nos chers vieux disques. Si c’est pour entendre du sous-Kenny Dorham ou du sous-George Coleman, merci… nous avons les disques. D’autres musiciens nous proposent une mixture insipide où se superposent le plus savamment du monde, sous les saintes injonctions de Barry Harris ou quelque autre gourou, les héritages de Bud, Thelonious, Bill Evans, McCoy, Rachmaninov et quelques autres. Pouah !

 

Et c’est là que survient Luigi Grasso pour nous élever au-dessus de ce dilemme et nous le faire oublier par la grâce de son jeu d’alto. Charlie Parker évidemment, c’est le nom qu’il nous fait venir à l’esprit, mais pas pour nous le faire regretter et nous donner envier de retourner à ses disques, mais pour nous asseoir là, cloué, à ne plus pouvoir décoller de notre siège. Et pourtant, bien qu’il en partage la grâce virtuose, il ne rejoue pas Parker, mais il le réinvente par-delà ses clichés, avec dans les ballades une pointe de Johnny Hodges. À une exception près, son répertoire se tient à l’écart de celui composé par son idole mais affiche une prédilection pour Cole Porter que l’on ne saurait lui reprocher. Cole Porter, aux ponts jamais “obligés”, qui concevait tout du A des thèmes au Z des paroles de ses chansons douces amères.

Le quartette de Luigi Grasso est la version modifiée de celui qui figure sur un disque à paraître (“Ça marche”) avec son phénoménal frangin, le guitariste Pasquale Grasso, le contrebassiste Mathias Allamane et le batteur texan Keith Balla. Hier soir, c’était Yves Brouqui qui remplaçait à la guitare avec le sérieux et la musicalité qu’on lui connaît et Mourad Benhamou qui tenait baguettes et balais. Une grosse caisse, une charleston, une cymbale de tempo et une caisse claire suffisent à son bonheur et au nôtre tan
t de la sobriété de son jeu il sait tirer de subtilités rythmiques et timbrales, toujours à l’écoute, extrêmement réactif aux propositions de son leader (et c’est bien réciproque). Avec un tempo et une attaque de la corde en parfaite osmose avec cette musique, Mathias Alamane ferme la cohésion du groupe dont il connaît dans le moindre détail le répertoire et ses petits arrangements originaux, tutti, stop times, séquence à trois temps, codas, etc.

 

Prochainement: Zool Fleischer et Denis Leloup

Franc succès auprès d’une public qui avait réservé toutes les places à l’avance. Ne tardez donc pas à réserver pour le prochain cabaret du 7 décembre avec l’un des plus singuliers compositeurs de la scène française, le pianiste Zool Fleischer en duo avec l’un des plus grands trombonistes actuels, Denis Leloup.

Franck Bergerot.
          

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Ce 10 novembre, le quartette de Luigi Grasso inaugurait la nouvelle programmation du cabaret jazz de Rueil-Malmaison. Du bop parkérien porté à un niveau d’expression exceptionnel dans une salle qui mérite le détour.

 

Un jour, enfant, je suis entré dans mon bain les pantoufles aux pieds. Je me souviens de ces deux secondes d’un malaise extrêmement étrange, avant que j’analyse cette sensation d’étau spongieux, que j’en localise la pesanteur à mes pieds et que j’en identifie la cause. C’est un peu ce qui m’est arrivé ce soir en réalisant que venu en voisin, j’assistais en pantoufles à un concert de jazz. Je m’étais déjà laissé surprendre la saison dernière en me rendant au même endroit au concert du trio de Julie Saury mais, à part ce concert, la programmation en était alors trop fade pour m’attirer à nouveau dans ce lieu et je n’ai pas eu le temps de m’habituer à cette situation de proximité du jazz à mon domicile. Ce qui risque de changer, c’est la bonne idée qu’a eue le Service des affaires culturelles (Mme Florence Joterar-Jacquier et sa chargée de mission Annick Dewit), qui depuis un certain nombre d’années se passionne pour le jazz avec autant de bonne volonté et d’enthousiasme que de candeur, de confier la programmation à un connaisseur (ce qui est finalement le contraire de la candeur). Une démarche pas très éloignée, toutes proportions gardées, de la démarche revendiquée par l’association Grands Formats lors de son prochain rendez-vous annuel du 1er décembre au Centre des Bords de Marne du Perreux, dont un publi-reportage encarté au centre de notre numéro de novembre actuellement en kiosque se fait l’écho et sur lequel le chef d’orchestre, compositeur et pianiste Jean-Marie Machado reviendra dans un vif entretien de notre numéro de décembre.

 

Une programmateur associé

C’est donc au saxophoniste Alexis Avakian qu’a été confiée la tâche de concevoir une affiche pour le Cabaret Jazz de Rueil-Malmaison. Alexis Avakian est très impliqué en ville à travers son association Blow in Jazz qui fournit un important travail d’enseignement et de promotion du jazz. Le Cabaret de Rueil-Malmaison est une petite salle à l’étage du Cinéma Ariel de Rueil dont j’ignorais l’existence jusqu’au printemps dernier après plus de 20 ans de vie en ville. Conviviale avec son bar et ses petites tables, elle est dotée d’une scène qui permet tout à la fois une vraie proximité à la musique et une acoustique presque idéale, un rien mate, mais qui hier permit à Luigi Grasso de jouer sans micro. Et lorsque l’on a un alto comme celui-ci sous les yeux à moins de 8 mètres, pourquoi interposer un gamelle de haut parleur plus ou mois fidèle.

C’est en effet Luigi Grasso qui faisait l’ouverture de la première programmation conçue par Alexis Avakian pour ce cabaret jazz et inscrite au programme du théâtre André Malraux sis à quelques dizaines de mètres. Une première très classique, dans un registre très bop. Un classicisme adoubé par Wynton Marsalis et Barry Harris, puisque Luigi et son frère, le guitariste Pasquale Grasso, ont étudié avec le pianiste et que Luigi, alors âgé de 14 ans, s’est vu qualifié par le trompettiste « l’un des plus jeunes et les plus talentueux qu’il ait pu entendre ces 20 dernières annés. »


Que faire du revival ?

Autrefois réservé au “New Orleans”, le revival a porté les casquettes les plus variées : swing, bop, hard bop, free, fusion, et toutes sortes de musiques prétendument créatives radotant des histoires vieilles de 30 ans. Alors que l’Occident a tout essayé, du bruit blanc au retraitement de bruits quotidiens en passant pour toutes les déclinaisons possibles de la dissonance et de l’informel, l’avant-garde est-elle encore possible ? Qui échappe encore au revivalisme sans tomber dans les effets de “l’installation” cher à nos salons d’art contemporain. Quelques personnalités rares inventent encore “purement et simplement”, tels Tim Berne ou Steve Lehmann, encore que ce dernier n’échappe pas totalement aux effets de recyclage. Dès que l’on recycle – et la quasi totalité du jazz contemporain est un art, plus ou moins passionnant, du recyclage –, où se situe la ligne de démarcation entre revivalisme et recyclage ? Peut-être se trouve-t-elle dans cette attitude d’intolérance qui faisait dire à un saxophoniste bop-revivaliste pur jus à l’écoute d’un jeune orchestre pas très bop : « ils ne connaissent pas le langage. » Comme si le langage devait à un moment donné de l’histoire être définitivement fixé. Comme si l’improvisateur polonais grandi dans les années 90 était condamné à improviser dans un langage forgé dans les années 50 entre Detroit (ville et communauté musicale où Barry Harris s’est formé) et New York. comme si revendiquant un autre langage, il devait être place au-delà de ce cordon sanitaire inventé par Hugues Panassié qu’il appela « le vrai jazz »… cordon sanitaire dans lequel il s’emmêla les pinceaux en préférant Coleman Hawkins à Lester Young alors que ce dernier défendait plus certainement les racines du blues chères à Panassié que ne le faisait Hawk, l’intellectuel de l’harmonie nourri de musique savante occidental. Cordon sanitaire, au nom duquel Wynton Marsalis crut bon de saluer l’intervention de la police espagnole pour interrompre un concert jugé par “un” spectateur non conforme à la nature “jazz” de son affiche.


Charlie Parker réinventé

Qu’est-ce qu’on attend d’un revivaliste ou qu’est-ce que l’on pourrait lui reprocher ? On attend de lui qu’il rejoue une musique qui fut improvisée dans le feu de l’histoire. Tout du moins de l’improviser dans l’esprit… En ce cas, on est en droit d’exiger d’elle un niveau de jeu qui ne nous renvoie pas directement à nos chers vieux disques. Si c’est pour entendre du sous-Kenny Dorham ou du sous-George Coleman, merci… nous avons les disques. D’autres musiciens nous proposent une mixture insipide où se superposent le plus savamment du monde, sous les saintes injonctions de Barry Harris ou quelque autre gourou, les héritages de Bud, Thelonious, Bill Evans, McCoy, Rachmaninov et quelques autres. Pouah !

 

Et c’est là que survient Luigi Grasso pour nous élever au-dessus de ce dilemme et nous le faire oublier par la grâce de son jeu d’alto. Charlie Parker évidemment, c’est le nom qu’il nous fait venir à l’esprit, mais pas pour nous le faire regretter et nous donner envier de retourner à ses disques, mais pour nous asseoir là, cloué, à ne plus pouvoir décoller de notre siège. Et pourtant, bien qu’il en partage la grâce virtuose, il ne rejoue pas Parker, mais il le réinvente par-delà ses clichés, avec dans les ballades une pointe de Johnny Hodges. À une exception près, son répertoire se tient à l’écart de celui composé par son idole mais affiche une prédilection pour Cole Porter que l’on ne saurait lui reprocher. Cole Porter, aux ponts jamais “obligés”, qui concevait tout du A des thèmes au Z des paroles de ses chansons douces amères.

Le quartette de Luigi Grasso est la version modifiée de celui qui figure sur un disque à paraître (“Ça marche”) avec son phénoménal frangin, le guitariste Pasquale Grasso, le contrebassiste Mathias Allamane et le batteur texan Keith Balla. Hier soir, c’était Yves Brouqui qui remplaçait à la guitare avec le sérieux et la musicalité qu’on lui connaît et Mourad Benhamou qui tenait baguettes et balais. Une grosse caisse, une charleston, une cymbale de tempo et une caisse claire suffisent à son bonheur et au nôtre tan
t de la sobriété de son jeu il sait tirer de subtilités rythmiques et timbrales, toujours à l’écoute, extrêmement réactif aux propositions de son leader (et c’est bien réciproque). Avec un tempo et une attaque de la corde en parfaite osmose avec cette musique, Mathias Alamane ferme la cohésion du groupe dont il connaît dans le moindre détail le répertoire et ses petits arrangements originaux, tutti, stop times, séquence à trois temps, codas, etc.

 

Prochainement: Zool Fleischer et Denis Leloup

Franc succès auprès d’une public qui avait réservé toutes les places à l’avance. Ne tardez donc pas à réserver pour le prochain cabaret du 7 décembre avec l’un des plus singuliers compositeurs de la scène française, le pianiste Zool Fleischer en duo avec l’un des plus grands trombonistes actuels, Denis Leloup.

Franck Bergerot.
          

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Ce 10 novembre, le quartette de Luigi Grasso inaugurait la nouvelle programmation du cabaret jazz de Rueil-Malmaison. Du bop parkérien porté à un niveau d’expression exceptionnel dans une salle qui mérite le détour.

 

Un jour, enfant, je suis entré dans mon bain les pantoufles aux pieds. Je me souviens de ces deux secondes d’un malaise extrêmement étrange, avant que j’analyse cette sensation d’étau spongieux, que j’en localise la pesanteur à mes pieds et que j’en identifie la cause. C’est un peu ce qui m’est arrivé ce soir en réalisant que venu en voisin, j’assistais en pantoufles à un concert de jazz. Je m’étais déjà laissé surprendre la saison dernière en me rendant au même endroit au concert du trio de Julie Saury mais, à part ce concert, la programmation en était alors trop fade pour m’attirer à nouveau dans ce lieu et je n’ai pas eu le temps de m’habituer à cette situation de proximité du jazz à mon domicile. Ce qui risque de changer, c’est la bonne idée qu’a eue le Service des affaires culturelles (Mme Florence Joterar-Jacquier et sa chargée de mission Annick Dewit), qui depuis un certain nombre d’années se passionne pour le jazz avec autant de bonne volonté et d’enthousiasme que de candeur, de confier la programmation à un connaisseur (ce qui est finalement le contraire de la candeur). Une démarche pas très éloignée, toutes proportions gardées, de la démarche revendiquée par l’association Grands Formats lors de son prochain rendez-vous annuel du 1er décembre au Centre des Bords de Marne du Perreux, dont un publi-reportage encarté au centre de notre numéro de novembre actuellement en kiosque se fait l’écho et sur lequel le chef d’orchestre, compositeur et pianiste Jean-Marie Machado reviendra dans un vif entretien de notre numéro de décembre.

 

Une programmateur associé

C’est donc au saxophoniste Alexis Avakian qu’a été confiée la tâche de concevoir une affiche pour le Cabaret Jazz de Rueil-Malmaison. Alexis Avakian est très impliqué en ville à travers son association Blow in Jazz qui fournit un important travail d’enseignement et de promotion du jazz. Le Cabaret de Rueil-Malmaison est une petite salle à l’étage du Cinéma Ariel de Rueil dont j’ignorais l’existence jusqu’au printemps dernier après plus de 20 ans de vie en ville. Conviviale avec son bar et ses petites tables, elle est dotée d’une scène qui permet tout à la fois une vraie proximité à la musique et une acoustique presque idéale, un rien mate, mais qui hier permit à Luigi Grasso de jouer sans micro. Et lorsque l’on a un alto comme celui-ci sous les yeux à moins de 8 mètres, pourquoi interposer un gamelle de haut parleur plus ou mois fidèle.

C’est en effet Luigi Grasso qui faisait l’ouverture de la première programmation conçue par Alexis Avakian pour ce cabaret jazz et inscrite au programme du théâtre André Malraux sis à quelques dizaines de mètres. Une première très classique, dans un registre très bop. Un classicisme adoubé par Wynton Marsalis et Barry Harris, puisque Luigi et son frère, le guitariste Pasquale Grasso, ont étudié avec le pianiste et que Luigi, alors âgé de 14 ans, s’est vu qualifié par le trompettiste « l’un des plus jeunes et les plus talentueux qu’il ait pu entendre ces 20 dernières annés. »


Que faire du revival ?

Autrefois réservé au “New Orleans”, le revival a porté les casquettes les plus variées : swing, bop, hard bop, free, fusion, et toutes sortes de musiques prétendument créatives radotant des histoires vieilles de 30 ans. Alors que l’Occident a tout essayé, du bruit blanc au retraitement de bruits quotidiens en passant pour toutes les déclinaisons possibles de la dissonance et de l’informel, l’avant-garde est-elle encore possible ? Qui échappe encore au revivalisme sans tomber dans les effets de “l’installation” cher à nos salons d’art contemporain. Quelques personnalités rares inventent encore “purement et simplement”, tels Tim Berne ou Steve Lehmann, encore que ce dernier n’échappe pas totalement aux effets de recyclage. Dès que l’on recycle – et la quasi totalité du jazz contemporain est un art, plus ou moins passionnant, du recyclage –, où se situe la ligne de démarcation entre revivalisme et recyclage ? Peut-être se trouve-t-elle dans cette attitude d’intolérance qui faisait dire à un saxophoniste bop-revivaliste pur jus à l’écoute d’un jeune orchestre pas très bop : « ils ne connaissent pas le langage. » Comme si le langage devait à un moment donné de l’histoire être définitivement fixé. Comme si l’improvisateur polonais grandi dans les années 90 était condamné à improviser dans un langage forgé dans les années 50 entre Detroit (ville et communauté musicale où Barry Harris s’est formé) et New York. comme si revendiquant un autre langage, il devait être place au-delà de ce cordon sanitaire inventé par Hugues Panassié qu’il appela « le vrai jazz »… cordon sanitaire dans lequel il s’emmêla les pinceaux en préférant Coleman Hawkins à Lester Young alors que ce dernier défendait plus certainement les racines du blues chères à Panassié que ne le faisait Hawk, l’intellectuel de l’harmonie nourri de musique savante occidental. Cordon sanitaire, au nom duquel Wynton Marsalis crut bon de saluer l’intervention de la police espagnole pour interrompre un concert jugé par “un” spectateur non conforme à la nature “jazz” de son affiche.


Charlie Parker réinventé

Qu’est-ce qu’on attend d’un revivaliste ou qu’est-ce que l’on pourrait lui reprocher ? On attend de lui qu’il rejoue une musique qui fut improvisée dans le feu de l’histoire. Tout du moins de l’improviser dans l’esprit… En ce cas, on est en droit d’exiger d’elle un niveau de jeu qui ne nous renvoie pas directement à nos chers vieux disques. Si c’est pour entendre du sous-Kenny Dorham ou du sous-George Coleman, merci… nous avons les disques. D’autres musiciens nous proposent une mixture insipide où se superposent le plus savamment du monde, sous les saintes injonctions de Barry Harris ou quelque autre gourou, les héritages de Bud, Thelonious, Bill Evans, McCoy, Rachmaninov et quelques autres. Pouah !

 

Et c’est là que survient Luigi Grasso pour nous élever au-dessus de ce dilemme et nous le faire oublier par la grâce de son jeu d’alto. Charlie Parker évidemment, c’est le nom qu’il nous fait venir à l’esprit, mais pas pour nous le faire regretter et nous donner envier de retourner à ses disques, mais pour nous asseoir là, cloué, à ne plus pouvoir décoller de notre siège. Et pourtant, bien qu’il en partage la grâce virtuose, il ne rejoue pas Parker, mais il le réinvente par-delà ses clichés, avec dans les ballades une pointe de Johnny Hodges. À une exception près, son répertoire se tient à l’écart de celui composé par son idole mais affiche une prédilection pour Cole Porter que l’on ne saurait lui reprocher. Cole Porter, aux ponts jamais “obligés”, qui concevait tout du A des thèmes au Z des paroles de ses chansons douces amères.

Le quartette de Luigi Grasso est la version modifiée de celui qui figure sur un disque à paraître (“Ça marche”) avec son phénoménal frangin, le guitariste Pasquale Grasso, le contrebassiste Mathias Allamane et le batteur texan Keith Balla. Hier soir, c’était Yves Brouqui qui remplaçait à la guitare avec le sérieux et la musicalité qu’on lui connaît et Mourad Benhamou qui tenait baguettes et balais. Une grosse caisse, une charleston, une cymbale de tempo et une caisse claire suffisent à son bonheur et au nôtre tan
t de la sobriété de son jeu il sait tirer de subtilités rythmiques et timbrales, toujours à l’écoute, extrêmement réactif aux propositions de son leader (et c’est bien réciproque). Avec un tempo et une attaque de la corde en parfaite osmose avec cette musique, Mathias Alamane ferme la cohésion du groupe dont il connaît dans le moindre détail le répertoire et ses petits arrangements originaux, tutti, stop times, séquence à trois temps, codas, etc.

 

Prochainement: Zool Fleischer et Denis Leloup

Franc succès auprès d’une public qui avait réservé toutes les places à l’avance. Ne tardez donc pas à réserver pour le prochain cabaret du 7 décembre avec l’un des plus singuliers compositeurs de la scène française, le pianiste Zool Fleischer en duo avec l’un des plus grands trombonistes actuels, Denis Leloup.

Franck Bergerot.
          

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Ce 10 novembre, le quartette de Luigi Grasso inaugurait la nouvelle programmation du cabaret jazz de Rueil-Malmaison. Du bop parkérien porté à un niveau d’expression exceptionnel dans une salle qui mérite le détour.

 

Un jour, enfant, je suis entré dans mon bain les pantoufles aux pieds. Je me souviens de ces deux secondes d’un malaise extrêmement étrange, avant que j’analyse cette sensation d’étau spongieux, que j’en localise la pesanteur à mes pieds et que j’en identifie la cause. C’est un peu ce qui m’est arrivé ce soir en réalisant que venu en voisin, j’assistais en pantoufles à un concert de jazz. Je m’étais déjà laissé surprendre la saison dernière en me rendant au même endroit au concert du trio de Julie Saury mais, à part ce concert, la programmation en était alors trop fade pour m’attirer à nouveau dans ce lieu et je n’ai pas eu le temps de m’habituer à cette situation de proximité du jazz à mon domicile. Ce qui risque de changer, c’est la bonne idée qu’a eue le Service des affaires culturelles (Mme Florence Joterar-Jacquier et sa chargée de mission Annick Dewit), qui depuis un certain nombre d’années se passionne pour le jazz avec autant de bonne volonté et d’enthousiasme que de candeur, de confier la programmation à un connaisseur (ce qui est finalement le contraire de la candeur). Une démarche pas très éloignée, toutes proportions gardées, de la démarche revendiquée par l’association Grands Formats lors de son prochain rendez-vous annuel du 1er décembre au Centre des Bords de Marne du Perreux, dont un publi-reportage encarté au centre de notre numéro de novembre actuellement en kiosque se fait l’écho et sur lequel le chef d’orchestre, compositeur et pianiste Jean-Marie Machado reviendra dans un vif entretien de notre numéro de décembre.

 

Une programmateur associé

C’est donc au saxophoniste Alexis Avakian qu’a été confiée la tâche de concevoir une affiche pour le Cabaret Jazz de Rueil-Malmaison. Alexis Avakian est très impliqué en ville à travers son association Blow in Jazz qui fournit un important travail d’enseignement et de promotion du jazz. Le Cabaret de Rueil-Malmaison est une petite salle à l’étage du Cinéma Ariel de Rueil dont j’ignorais l’existence jusqu’au printemps dernier après plus de 20 ans de vie en ville. Conviviale avec son bar et ses petites tables, elle est dotée d’une scène qui permet tout à la fois une vraie proximité à la musique et une acoustique presque idéale, un rien mate, mais qui hier permit à Luigi Grasso de jouer sans micro. Et lorsque l’on a un alto comme celui-ci sous les yeux à moins de 8 mètres, pourquoi interposer un gamelle de haut parleur plus ou mois fidèle.

C’est en effet Luigi Grasso qui faisait l’ouverture de la première programmation conçue par Alexis Avakian pour ce cabaret jazz et inscrite au programme du théâtre André Malraux sis à quelques dizaines de mètres. Une première très classique, dans un registre très bop. Un classicisme adoubé par Wynton Marsalis et Barry Harris, puisque Luigi et son frère, le guitariste Pasquale Grasso, ont étudié avec le pianiste et que Luigi, alors âgé de 14 ans, s’est vu qualifié par le trompettiste « l’un des plus jeunes et les plus talentueux qu’il ait pu entendre ces 20 dernières annés. »


Que faire du revival ?

Autrefois réservé au “New Orleans”, le revival a porté les casquettes les plus variées : swing, bop, hard bop, free, fusion, et toutes sortes de musiques prétendument créatives radotant des histoires vieilles de 30 ans. Alors que l’Occident a tout essayé, du bruit blanc au retraitement de bruits quotidiens en passant pour toutes les déclinaisons possibles de la dissonance et de l’informel, l’avant-garde est-elle encore possible ? Qui échappe encore au revivalisme sans tomber dans les effets de “l’installation” cher à nos salons d’art contemporain. Quelques personnalités rares inventent encore “purement et simplement”, tels Tim Berne ou Steve Lehmann, encore que ce dernier n’échappe pas totalement aux effets de recyclage. Dès que l’on recycle – et la quasi totalité du jazz contemporain est un art, plus ou moins passionnant, du recyclage –, où se situe la ligne de démarcation entre revivalisme et recyclage ? Peut-être se trouve-t-elle dans cette attitude d’intolérance qui faisait dire à un saxophoniste bop-revivaliste pur jus à l’écoute d’un jeune orchestre pas très bop : « ils ne connaissent pas le langage. » Comme si le langage devait à un moment donné de l’histoire être définitivement fixé. Comme si l’improvisateur polonais grandi dans les années 90 était condamné à improviser dans un langage forgé dans les années 50 entre Detroit (ville et communauté musicale où Barry Harris s’est formé) et New York. comme si revendiquant un autre langage, il devait être place au-delà de ce cordon sanitaire inventé par Hugues Panassié qu’il appela « le vrai jazz »… cordon sanitaire dans lequel il s’emmêla les pinceaux en préférant Coleman Hawkins à Lester Young alors que ce dernier défendait plus certainement les racines du blues chères à Panassié que ne le faisait Hawk, l’intellectuel de l’harmonie nourri de musique savante occidental. Cordon sanitaire, au nom duquel Wynton Marsalis crut bon de saluer l’intervention de la police espagnole pour interrompre un concert jugé par “un” spectateur non conforme à la nature “jazz” de son affiche.


Charlie Parker réinventé

Qu’est-ce qu’on attend d’un revivaliste ou qu’est-ce que l’on pourrait lui reprocher ? On attend de lui qu’il rejoue une musique qui fut improvisée dans le feu de l’histoire. Tout du moins de l’improviser dans l’esprit… En ce cas, on est en droit d’exiger d’elle un niveau de jeu qui ne nous renvoie pas directement à nos chers vieux disques. Si c’est pour entendre du sous-Kenny Dorham ou du sous-George Coleman, merci… nous avons les disques. D’autres musiciens nous proposent une mixture insipide où se superposent le plus savamment du monde, sous les saintes injonctions de Barry Harris ou quelque autre gourou, les héritages de Bud, Thelonious, Bill Evans, McCoy, Rachmaninov et quelques autres. Pouah !

 

Et c’est là que survient Luigi Grasso pour nous élever au-dessus de ce dilemme et nous le faire oublier par la grâce de son jeu d’alto. Charlie Parker évidemment, c’est le nom qu’il nous fait venir à l’esprit, mais pas pour nous le faire regretter et nous donner envier de retourner à ses disques, mais pour nous asseoir là, cloué, à ne plus pouvoir décoller de notre siège. Et pourtant, bien qu’il en partage la grâce virtuose, il ne rejoue pas Parker, mais il le réinvente par-delà ses clichés, avec dans les ballades une pointe de Johnny Hodges. À une exception près, son répertoire se tient à l’écart de celui composé par son idole mais affiche une prédilection pour Cole Porter que l’on ne saurait lui reprocher. Cole Porter, aux ponts jamais “obligés”, qui concevait tout du A des thèmes au Z des paroles de ses chansons douces amères.

Le quartette de Luigi Grasso est la version modifiée de celui qui figure sur un disque à paraître (“Ça marche”) avec son phénoménal frangin, le guitariste Pasquale Grasso, le contrebassiste Mathias Allamane et le batteur texan Keith Balla. Hier soir, c’était Yves Brouqui qui remplaçait à la guitare avec le sérieux et la musicalité qu’on lui connaît et Mourad Benhamou qui tenait baguettes et balais. Une grosse caisse, une charleston, une cymbale de tempo et une caisse claire suffisent à son bonheur et au nôtre tan
t de la sobriété de son jeu il sait tirer de subtilités rythmiques et timbrales, toujours à l’écoute, extrêmement réactif aux propositions de son leader (et c’est bien réciproque). Avec un tempo et une attaque de la corde en parfaite osmose avec cette musique, Mathias Alamane ferme la cohésion du groupe dont il connaît dans le moindre détail le répertoire et ses petits arrangements originaux, tutti, stop times, séquence à trois temps, codas, etc.

 

Prochainement: Zool Fleischer et Denis Leloup

Franc succès auprès d’une public qui avait réservé toutes les places à l’avance. Ne tardez donc pas à réserver pour le prochain cabaret du 7 décembre avec l’un des plus singuliers compositeurs de la scène française, le pianiste Zool Fleischer en duo avec l’un des plus grands trombonistes actuels, Denis Leloup.

Franck Bergerot.