Jazz live
Publié le 11 Nov 2022

NEVERS D’JAZZ : Musiques, textes et photographie

Soirée singulière à La Maison (de la Culture) de Nevers, car D’JAZZ NEVERS FESTIVAL accueillait deux propositions artistiques où le jazz s’associait aux textes, et aussi pour la seconde à une photographie (et non des moindres, signée Guy Le Querrec). On n’est pas dans le contexte où l’institution culturelle sacrifie le désir artistique (et sa concrétisation) sur le sacro-saint autel du projet opportuniste. Éric Truffaz, grand passionné de littérature, avait déjà proposé deux autres ‘concerts-lectures’, autour d’autres textes, avec la comédienne Sandrine Bonnaire. Et François Corneloup a publié cette année Seuils, un livre de ses photographies (car il est aussi photographe), avec des textes de Jean Rochard, et dont la postface est un entretien avec Le Querrec. Cohérence artistique donc, qui conduit à ce concert multimédia autour d’une photo signée Guy Le Querrec, laquelle a inspiré à Jean Rochard un texte, interprété par la comédienne Anne Alvaro.

ÉRIC TRUFFAZ / SANDRINE BONNAIRE «La Clameur des lucioles»

Éric Truffaz (trompette, électronique, piano), Sandrine Bonnaire (voix), texte de Joël Bastard, La Clameur des lucioles (éditions Virgile)

Nevers, La Maison, grande salle, 9 novembre 2022, 20h30

le duo pendant la répétition, ©Maxim François

On entend une trompette avec sourdine, puis le musicien arrive sur scène en jouant : le micro sans fil permet cette entrée en douceur. La sonorité bien sûr rappelle à tout le public le son de Miles Davis, mais pas que…. Le trompettiste active de sa console, en jouant, un drôle de son répétitif, comme une alarme. Quand la comédienne entre en scène et commence la lecture, ce son obsédant masque un peu sa diction, pourtant claire. Mais peu après Éric Truffaz pilotera l’effacement en douceur de cette boucle envahissante. Sandrine Bonnaire lit cette évocation mélancolique de Montréal avec une sorte de détachement, propice à nous faire entrevoir la teneur du texte. Musique et parole sont entre alternance et tuilage , alternance et polyphonie, et il émane aussi de la musique une sorte de nostalgie, même quand le trompettiste abandonne la sourdine pour un son qui conserve, dans le timbre naturel de l’instrument, un caractère diaphane. Soudain dans le texte le narrateur fait intervenir une jeune femme, que l’on devine conquérante et lascive. Alors la comédienne s’anime et incarne le personnage. Quand Éric Truffaz s’installe au piano, il paraît avoir le souvenir des mélodies faussement simples de Carla Bley. Mélancolie encore, qui revient quand le duo se joue pour conclure entre texte et trompette. D’un bout à l’autre, une belle connivence de la musique et du texte, de la comédienne et du musicien : évidence de l’Art, en somme.

©Maxim François

NOCES TRANSLUCIDES

François Corneloup (saxophones baryton & soprano), Anne Alvaro (voix), Jacky Molard (violon), Sophia Domancich (piano électrique), Joachim Florent (contrebasse)

Nevers, La Maison, grande salle, 9 novembre 2022, 22h

©Maxim François

Dans l’immense fonds consacré à la Bretagne de Guy Le Querrec, François Corneloup a choisi une photo d’un mariage à Auray (Morbihan) en 1978. Festival de gris, comme le permet le noir et blanc quand il est maîtrisé. En arrière-plan le marié embrasse la mariée qu’il porte dans ses bras ; en premier plan une femme qui paraît chargé du poids des ans, mélange de lassitude et de mélancolie. La musique est d’une grande richesse et d’une réelle beauté. François Corneloup, en la composant, a réservé un bel espace à Jacky Molard et à sa tradition de violon celtique nimbée de jazz, mais le groupe n’est pas oublié, où chacune et chacun trouve son espace d’expression. Le saxophoniste est particulièrement en verve, et il nous émerveillera par son inspiration dans le finale. Le texte de Jean Rochard, par de grandes circonvolutions, crée autour de la photo une sorte de nébuleuse d’où surgissent d’autres images, des évocations, des moments de mémoire collective. Et Anne Alvaro, plus que d’interpréter, habite littéralement cet univers visuel, textuel et musical qui se déploie devant nous. Comme dans la première partie, l’Art collectif et transversal triomphe.

Xavier Prévost

©Maxim François

 

En suivant ce lien, la chronique par Franck Bergerot de la création de ce concert-spectacle, en mars 2021

https://www.jazzmagazine.com/jazzlive/francois-corneloup-les-noces-translucides-sur-une-photo-de-guy-le-querrec-et-un-texte-de-jean-rochard/