Jazz live
Publié le 28 Fév 2020

No Tongues : plus vrais que nature

Hier soir, No Tongues s'emparait du Lieu Unique à Nantes pour un concert de partage de ses dernières aventures musicales, résultat d’une plongée dans les musiques indigènes centenaires du Brésil et de Guyane.

Dans un précédent live report, nous quittions le quartette nantais après son concert mémorable de la soirée Jazz Migration à la Dynamo de Banlieues Bleues, en 2018. De retour avec un nouvel album, “Les Voies De L’Oyapock,”, No Tongues venait livrer les fruits d’un long travail de préparation de ce répertoire qui les a menés de Guyane au Brésil.

Les musiciens ne sont pas encore là mais déjà, la salle se remplit de chants d’oiseaux, d’insectes et du son du moteur de notre pirogue virtuelle, entremêlées comme les mailles d’une dense tapisserie sonore à laquelle se joignent les discussions du public qui s’installe. Les lumières baissent, et pendant quelques instants, nous voilà seuls devant les masques qui trônent sur l’estrade, baignés de la lueur vert émeraude qui nimbe la scène, et contemplent le public dans un silence parfait.

Ronan Prual (contrebasse), Ronan Courty (contrebasse préparée), Alan Regardin (trompettes, trompette préparée) et Matthieu Prual (saxes, clarinette basse) font leur entrée et s’emparent de leurs instruments pour guider cette traversée nocturne. La musique se déploie lentement, par pointillés de souffles et de frottements se fondant dans ces sons d’une jungle de plus en plus réelle, avant d’enfler et remplir tout l’espace. Les murmures de trompette et de saxophone, les pépiements de contrebasses se sont changés en un épais vrombissement ininterrompu et implacable.

On écoute avec une attention intense ces deux contrebasses, cette trompette, ces saxophones et cette clarinette basse, si familiers et pourtant méconnaissables, qui à force de multiples modes de jeux et de trésors d’inventivité se meuvent en insectes, en oiseaux, en percussions d’un autre monde. Il faudra souvent tendre le cou vers la scène pour essayer de rétablir ce lien d’ordinaire si évident entre la vue et l’ouïe, que viennent brouiller encore les samples, entre créations électroacoustiques et enregistrements de rencontres avec les musiciens guyanais ou brésiliens, donnant lieu à d’étonnants dialogues aux mises en place millimétrés. Entre les morceaux, le saxophoniste Matthieu Prual prend la parole pour conter avec humour leur histoire riche de rencontres et préparer le public à l’écoute de ces moments musicaux. 

Une heure et demi de musique plus tard, de rythmiques dansantes en méditations poétiques, les sons de cette nature inconnue grouillante de vie étaient devenus bien plus familiers que ceux des applaudissements, et les contours de la salle aux chaises bien alignées faisaient soudainement l’effet d’un étrange et difficile retour un réel. Signant une expérience de concert hors du commun, ces musiciens “sans langues”… laissent sans voix. Yazid Kouloughli