Jazz live
Publié le 1 Juil 2023

Respire 2023, 2ème soirée

Retrouvailles avec Christian Escoudé devant son premier public à la tête d’un Unit 5 tout juste éclos, rencontre du jazz avec la tradition du Châabi algérien sous la houlette de Khiredine Kati à la tête du groupe Azawan, jam session jusqu’à plus d’heure.

Christian Escoudé, un enfant du pays… né en 1947. Je crois me souvenir l’avoir entendu pour la première fois, déjà chez lui en Charente. C’était en mai 1976 au sein du sextette Confluence de Didier Levallet, au premier festival de jazz d’Angoulême, qui était aussi mon premier festival avec la casquette de journaliste. Joseph Dejean (également de 1947) devait mourir quelques jours plus tard dans un accident de voiture et tous deux – avec Gérard Marais, Boulou Ferré, le Bordelais Philippe Petit (entendu lors de cette même première édition) et, également d’Angoulême, Frédéric Sylvestre – représentaient alors un renouveau de la guitare jazz en France. Bientôt, on put apprécier Escoudé donner la réplique à Mickey Graillier sur un disque légendaire (« Libra » jamais réédité), auprès de John Lewis (« Mirjana »), en duo avec Charlie Haden (« Gitane ») et Jean-Charles Capon (« Gousti »), au sein du big band de Martial Solal, croisant le fer avec John McLaughlin, ou Philip Catherine et Didier Lockwood… On est là en 1983 et ça continue sur les décennies suivantes. Depuis quelques années, revenu au pays, Christian Escoudé s’était fait plus discret et c’est donc bel et bien en enfant du pays qu’il se présentait au Respire Jazz Festival, au sud d’Angoulême, où un public nombreux se pressait hier pour le réentendre.

Aussi a-t-il voulu faire une entrée à l’américaine, précédé par ses musiciens. Simon Goubert – levé le matin à 3h du matin à Manchester – lance un shuffle avec la férocité que procure parfois l’épuisement, aussitôt rejoint par l’orgue rugissant d’Antoine Hervier. Alors s’avance sur ce tapis sonore le vieux lion venu toiser puis saluer le public avant d’envoyer les premières mesures d’Hungaria de Django Reinhardt. L’héritage sans servilité que Christian Escoudé a toujours assumé sans l’once d’un revivalisme. Propulsée par un batteur qui sait mettre en valeur le soliste avec un métier de metteur en scène visionnaire, on retrouve cette fébrilité du phrasé que l’on avait aimé il y a une quarantaine d’années. La suite fait entrer en scène une frontline tout en contraste : Ludivine Issambourg (flûte) bouillonnante d’énergie, dans un rare mélange de rage et de joie ; Sophie Alour, plus intérieure, de la saturation des phrasés dans les tempos rapides à un tendre et élégant duo rubato avec le boss. Le répertoire se joue de l’anachronisme, notamment dans cette deuxième pièce dont le A aurait pu être au programme de Confluence et le B évoquerait plutôt Les Vacances de Monsieur Hulot. Il y aura un étrange hommage à Paul Desmond, une juxtaposition de chansons françaises, un final parkérien, soit un répertoire encore en rôdage – c’est le deuxième concert du groupe –, le boss retrouvant toute son autorité sur un standard interprété en solo à la Joe Pass.

Une pernicieuse bruine s’est invitée à l’affiche, de plus en plus insistante mais, tandis que l’on déploie des tivolis sur scène, le public tient bon, plus ou moins couvert, toujours présent lorsque le groupe Azawan succède à l’Escoudé Unit 5. Ancien élève de Normalsup et du Conservatoire national supérieur de Paris, brillant thésard, auteur de nombreux écrits (notamment quelques articles dans Jazz Magazine à la fin des années 2000), Martin Guerpin s’avère d’année en année comme un saxophoniste qui compte, notamment au sein du tentet de Laurent Cugny sur le récent album « Zeitgeist ». Maître de conférence en musicologie à l’Université Paris-Saclay, il a pris goût aux rencontres avec des étudiants de toutes origines et de toutes cultures, et sympathisé avec le joueur de mandole kabyle Khiredine Kati. Du plaisir qu’ils ont eu à échanger sur les points communs et les différences entre leurs conceptions des échelles modales, de la notion d’harmonie, de rythme, d’improvisation et d’interaction, tous deux ont imaginé ce quintette Azawan (« musique » en kabyle) en s’associant au pianiste Julien Lallier – que l’on sait, pour l’avoir déjà entendu à Respire Jazz, concerné par le « continent » arabo-andalou –, au contrebassiste Martin Berauer et au batteur Karim Ziad, pionnier dans l’adaptation de la batterie et sa gestuelle aux vertiges du chaâbi, cette musique populaire algéroise née au siècle dernier.

Des notes inspirées par ces vertiges, il ne reste rien sur les pages de mon carnet détrempées par la pluie, sauf ce sentiment d’authentique et charmante osmose, et de complémentarité entre ces phrasés de mandoles évoquant les variations modales des musiques de l’Inde savante, mais selon une rythmicité plus festive, enjoleuse ; et cette force de pénétration avec laquelle Martin Guerpin y plante son soprano. Souvenir aussi d’Indifférence de Tony Murena que nous entendions la veille par Daniel Zimmerman et Éric Seva, que nous avons entendu répéter dans la journée par les membres Guerpin et son compère et dont quelques notes surgissent soudain de la mandole, le saxophone reprenant à son compte cette brève citation. Ont-ils joué la valse en rappel ? Il me semble l’avoir entendue au loin alors que transi par le froid, j’avais filé me chercher une petite laine devenue indispensable.

Malgré la pluie, un public encore dense se pressait sur le lieu de la jam session. J’y ai entretenu avec Simon Goubert cette tradition de la conversation accoudé au bar des clubs, où le monde du jazz échange souvenirs et informations. Des souvenirs, Goubert n’en manque pas. Des informations non plus. Sans bouder notre plaisir de voir et d’entendre ces jeunes et talentueux musiciens se presser sous le auvent abritant la jam, nous partagions ce constat d’un art qui tend à s’oublier chez les batteurs, riches d’autres cultures (afro, latine, funk, balkaniques, etc.), celui de la noire sur laquelle (qu’elle soit jouée ou non) contrebassiste et batteur doivent partager un ancrage commun. Nous dressions ici et là l’oreille, alerté par l’apparition d’un nouveau soliste, n’avons pu manquer la délicieuse chanson de Julia (12 ans), la fille de Pierre Perchaud, mais nous nous sommes surtout laissé distraire par la judicieuse ponctuation d’une jeune pianiste dont le solo a fait une parenthèse à notre conversation, Nina Gat.

Ce soir de nouvelles jams, mais auparavant, à partir de 17h, les concerts de la saxophoniste Olga Amelchenko, du tromboniste Robinson Khoury et l’hommage à Dr. John d’Hugh Coltman et Mathis Pascaud (autre enfant du pays). Je vous quitte j’ai une conférence à 15h sur Carla Bley qu’il me faut relire après m’être trouvé une paire de chaussettes, article dont les canicules promises m’ont naïvement incité à alléger mon bagage de l’été.  Franck Bergerot