Jazz live
Publié le 24 Nov 2024

Stéphan Oliva et Sébastien Boisseau, l’art du duo

Stéphan Oliva (p), Sébastien Boisseau (b), en concert privé chez Hélène Haziza, le 19 novembre 2024, ont donné une master-class sur l’art du duo.

J’écris chez moi ce texte, deux jours après le concert donné par Stéphan Oliva et Sébastien Boisseau à l’occasion de la sortie de leur disque, Hubble Dreams (label Vision Fugitive, sublime peinture d’Emmanuel Guibert en illustration). Je lève le nez, je regarde tomber la neige, j’écoute en même temps tomber goutte à goutte les accords de piano de Stéphan Oliva, et je cherche à formuler la spécificité de cette musique.

Je note cette impression d’une musique entendue de l’autre côté de quelque chose. D’une montagne, d’une vitre, ou d’une volute de nuages. De quelque chose qui tamise. On sent une distance, voulue par les deux musiciens puisque le titre de l’album, Hubble Dreams, ainsi que de plusieurs morceaux (dancing for the quarks, Sidereal Time) se réfère à des phénomènes astronomiques. Comme pour signifier la volonté de se décentrer, de perdre les repères habituels, de modifier les lois physiques du duo.

Parmi les caractéristiques de cette musique, je relève aussi son ouverture aux dérivations, sa capacité à inventer de nouveaux chemins, tout en retombant sur ses pattes. Un alliage original entre l’errance et la densité. La genèse de cet album explique sans doute cette juxtaposition des contraires. Dans les notes de pochette du disque, Stéphane Olivier raconte tout le processus. Stéphan Oliva et Sébastien Boisseau, réunis dans l’antre magique du studio La Buissonne de Gérard de Haro, ont improvisé pendant deux jours, saisissant au bond les suggestions de Philippe Ghielmetti et de Stéphane Oskéritzian, les deux producteurs. Ensuite, un travail d’écoute a sélectionné les moments de grâce. Ils constituent l’ossature du disque.

En live, les deux musiciens jouent à broder sur les pépites dénichées pendant ces deux jours. C’est de l’impro sur de l’impro, en quelque sorte. Pas pour pasticher les miracles, mais pour broder autour, et pour tenter d’en inventer d’autres. On évite les routes toutes tracées, mais on peut se rejoindre sur certaines structures, comme on se raccrocherait non pas à des locomotives mais à des lambeaux de nuages. Les thèmes sont effleurés plutôt qu’énoncés. On reconnaît des effluves de Sometimes I feel like a motherless child, mais aussi de Where Flamingo Fly, ou de Law years/ Light years d’Ornette Coleman. C’est une musique d’esquive et d’esquisse.

Parfois la musique cesse d’être vue de l’espace pour s’incarner, par exemple dans Dancing fo the quarks, ou dans Law years/ Light years. Entre les deux musiciens, la communication est si rapide, si facile qu’on a l’impression d’entendre moins des questions et des réponses, qu’un discours commun sans cesse affiné, modulé, corrigé, par l’un ou par l’autre. C’est ensemble que les deux musiciens progressent ou retournent sur leurs pas.

La réussite de ce disque, c’est donc celle d’une rencontre entre Sébastien Boisseau, maître des ostinato poétiques, et Stéphan Oliva, maître de la dissonance lyrique. Ils se croisent depuis 25 ans. On leur doit des disques formidables, comme ce Echoes of Spring, consacré à la musique de Willie the Lion Smith (avec Christophe Monniot, Christophe Marguet, François Raulin, grand complice de Stéphan Oliva). Et plus récemment les deux disques en trio avec Tom Rainey, Orbit, et Invisibility, qui avaient si fortement impressionné mon camarade Franck Bergerot, qui pourtant en a vus d’autres.

Au téléphone, Stéphan Oliva résume d’une phrase toute simple les qualités humaines et musicales de son partenaire : « Seb est dans la musique comme dans la vie, il dit ce qu’il a à dire, et il met en valeur ce que disent les autres, tout est facile avec lui ». De fait, on entend dans la musique jouée l’autre soir cette capacité de Sébastien Boisseau à faire sonner les musiciens qui l’entourent. En une note (forte ou esquissée), placée avec une justesse d’acupuncteur, il sait démultiplier la musique. Les mille nuances du jeu de Stéphan Oliva sont sublimées par son jeu. Ses dissonances sensibles (« J’essaie d’harmoniser les sons, il y a toujours un moyen de réunir des notes très opposées »), mais aussi ses incursions dans le swing et dans le blues (« j’aime le blues, il te force à chanter tes phrases »). Le jeu de Stéphan Oliva est aujourd’hui d’une densité et d’une force impressionnante. Quand il joue avec Sébastien Boisseau, on entend toutes les facettes de son jeu: «Je me sens très à l’aise dans les duos, et spécialement avec celui-ci. On peut aller au fond de ce qu’on a à dire. On a le plaisir du solo… tout en n’étant pas seul ».

Texte JF Mondot

Dessins AC Alvoët (autres dessins, peintures, à découvrir sur son site www.annie-claire.com)