Jazz live
Publié le 30 Août 2021

Tallin, JazzKaar Festival(2) : Des jeunes pour public cible

Deux festivals coexistent en Estonie. Déplacé en août cette année pour cause de Covid-19, Jazzkaar le festival de jazz à proprement parler se tient normalement en avril. En Novembre se tient un autre manifestation musicale autour de la voix non spécifiquement jazz. JazzKaar à Tallinn à rassemblé 20000 spectateurs dans sa dernière version normale en 2019. Le staff comporte cinq personnes. Cent cinquante bénévoles travaillent sur les différents sites une douzaine de jours durant. « La programmation se fait autour de projets musicaux que nous jugeons intéressants à faire découvrir. Nous cherchons du côté des musiciens estoniens bien sûr en partenariat avec l’Estonian Jazz Union qui rassemble désormais près de 150 membres. L’Europe représente aussi un focus privilégié. À ce titre le jazz français nous paraît assez riche depuis quelques années en matière de propositions artistiques » affirme Eva Saar productrice du festival. Lequel poursuit à ses yeux un double objectif « Élargir l’audience pour couvrir les frais avec le maximum d’entrées. Et promouvoir le jazz auprès d’un public jeune. Il ne faut pas oublier que cette musique est restée interdite pendant toute la période de domination soviétique. Aussi nous faut-il encore casser des barrières, éduquer, faire connaître, apprécier le jazz en tant que musique vivante »

Il s’agit d’un constat forgé au fur et à mesure d’expériences vécues au long de concerts ces dernières années. Les guitares vivent désormais avec au pied de leurs complices guitaristes un parterre de pédales d’effets de plus en plus fourni. Les dites pédales fleurissent en nombre croissant quelle que soit la période de l’année du concert. En scène de plein air comme en plancher de salle d’ailleurs.  Tous ces petits massifs électroniques autant que luminescents sont censés apporter des couleurs nouvelles, inédites certaines, au son né sous les doigts plus ou moins experts des guitaristes. Partis des cordes, nés en résonance de caisse ou en bout de manche, les notes ou accords naturels s’en trouvent, par ces filtres électroniques aussitôt métamorphosés. De chrysalide en papillon. D’ailleurs désormais les guitaristes en action sur scène vous ne les voyez  plus debout ou assis sur un tabouret. Mais souvent penchés vers leurs nouveaux jouets, voire à genoux devant leur alignement.

Ah au fait: hier, au pied d’un guitariste estonien, des dites pédales où boîtiers j’en ai compté pas moins de seize !

Torun Eriksen (voc), Eyolf Dale (p, elp), Audun Erlien (elb), Andres Engen (dm)

  JazzKaarVaba Lava,, Tallin, 26 août 

 

Torun Eriksen

Sa voix est douce, fort mouvante. Mais  jamais placée en position de force même dans le contexte d’un genre plus pop-rock, rythme appuyé. Torun Eriksen joue sur la subtilité question accentuations,  en souplesse de timbre, de flux pour utiliser au mieux les lignes d’appui rythmique. On en a vu sortir du chapeau il est vrai ces années passés des chanteuses étiquetées jazz nordique pur, voix éthérées souvent, soft de trop,  sans beaucoup d’épaisseur ni de couleurs, de matière.  La sienne vaut pour antithèse « C’est un tout nouveau quartet, un environnement musical inédit pour moi » La chanteuse norvégienne bénéficie d’un vrai backgroud de piano jazz, source de beaux échanges. D’ailleurs dans la suite d’un duo voix/piano, Eyolf Dale, en guise de preuve, s’offre une longue séquence solo finement ciselée sur des figures mélodiques en tempo médium. Accents de finesse que l’on retrouve dans le phrasé de Torun Eriksen. Comme des échos, volontaires ou non de l’art de Joni Mitchell. De quoi broder finement des phrases épousant la thèse de « nécessaires histoires d’amour » (sic)

Modulshtein : Aleksander Zedejdjov (g’ synthé, electro), Martin Altrov(cl, bcl, synthé), DJ Bandit (plat, sampl)

Fotografiska, 26 août 

 

Modulshtein

 

Il faut l’écouter bien sûr pour y croire. Mieux vaut le voir pour comprendre la manière du « faire » de ce trio singulier. Le sentir qui sait aussi ? Des boucles, des lignes de basse en séquences modifiées dans des programmes d’ordinateurs, des ondes de synthés, le tout filtré dans le ventre d’ordis et autre consoles. On perçoit aussi des scratchs en arrière plan en complément d’informations audibles. Dans cet univers compressé la clarinette dans le registre aigu ou sa version basse lancent des phrases courtes, hachurées comme autant de flèches décochées vers un cœur de cible. Entre les quatre piliers de béton Fotografiska, de salle de concert a muté en club de nuit. Dans ce décor stroboscopé sous les coups sourds le DJ et le clarinettiste, tous deux également drapés de noir demeurent figés dans l’ombre pour ne laisser apparaître qu’une paire de silhouettes. Juste le souffle boisé de la clarinette vient-il accrocher quelques notes d’une danse tzigane, ou de petits accents jazz mainstream. Puis au hasard, une mélodie simple surgit-elle une minute dans les cordes d’une guitare pourpre doublée par la clarinette basse.

Let’ s dance qui veut qui peut au son de ce jazz version clubbing in Tallin

Jesse Markin (voc), Jeanne Kasurinen (g), Totte Rautiainen (elb, synthé)

Fotografuska, 26 août

 

 

Jesse Markin, rap’ n dance

 

Lui c’est un rappeur avoué. Il arpente de long en large la grand scène de La Vaba Lava, hall aménagé dans une ancienne usine d’une friche industrielle de l’ère soviétique, réhabilitée et réaménagée en salle de spectacle modulable. Il lance ses tirades, ses formules, ses enfilades de punchlines tour à tour d’une voix grave ou d’une voix de tête. Et toujours s’approche du public pour qui l’on a évacué tout siège. Derrière lui, un vrombissement tourne non stop, guitare en accords saturés, basse et lignes de synthé en boucle.

Jesse Markin c’est d’abord un personnage. Né à Moravia au Liberia. Parti à quatre ans pour le Ghana. Et arrivé à huit en Finlande où il a choisi de vivre loin de la capitale dans une petite ville proche de la forêt. Émigré un temps au Canada il s’est définitivement fait un nom dans son pays d’adoption « Je suis un vrai finlandais ! » dans le monde des musiques urbaines. Et sa silhouette, sa voix, sa musique mâtinée de rock, soul et R&B se diffusent désormais bien au delà de la zone baltique via les réseaux sociaux. Sur scène c’est d’abord  une énergie à haut voltage qui se dégage. Voix chaude, feeling garanti, message actuel pour une fraternité revendiquée émergent dans un background électrique très carré, c’est peu de le dire. Le public de Tallin, plus jeune, en majorité féminin ce soir, a cédé à son injonction, son invitation à la danse. Dont acte.

 

Rap plébiscite

 

Argo Valls (g, synthé), Karl Petti (g, synthé), Kaie Olmre (synthé), Karl-Markus Kohv ( dm)

Fotografuska, 26 août

 

 

Les pédales fleurissent sous les guitaristes

 

 Il est annoncé comme étant un guitariste qui compte dans le pays. Pourtant Argo Valls ne livre d’abord que un zeste de guitare. Il impose ensuite au public une longue séquence de phrases produites au synthétiseur pour être mises en boucles en simultané encore et toujours avec un complice, lui aussi guitariste mais d’abord branché sur clavier. Derrière cette paire de numérisateurs en action à cent mille volts de volume quatre guitare alignées manche tourné vers le haut attendent sagement leur tour.. De fait seule la batterie officie en quasi son naturel n’était le boost de la  sono, soit autant de frappes lourdes, binaires, répétitives.

Enfin les deux tenants des synthés prennent une guitare chacun. Notes saturées agressives en majeure partie. Question de climat. Rarement légères. Toutes les notes procèdent d’un trafic sonore. Chassez le non naturel il revient au galop.

On s’y attend mais, non, décidément pas de solo d’échappée belle à l’horizon sur le manche pour se/nous libérer. Le fil musical demeurera en surtension permanente. On rêve ce soir, nostalgie oblige, au bord de la Baltique de cet air nordique profond, léger,  inventé un jour pour/par ECM, le dit « plus beau son après le silence »…

 

Les guitares s’ennuient…

 

 

Mino Cinelu Niels Peter Molvaer

Vaba Lava, 27 août

 

Niels Peter Molvaer

 

La prestation s’organise en séquences distinctes. La première déroule une longue pièce comme une sorte d’approche à deux voix. Frappes naturelles ou génératrices de sons synthétisées pour l’un.  Trompette en vents de douceurs crémée de réverbération pour l’autre. Soit un échanges de sons,  un petit moment de rencontre dans un espace ouvert. Suivent deux séquences livrées en solo.  NPM assis sur sa chaise en reste à sa recette minimaliste: peu de notes jaillissent de sa trompette, mais toutes très choisies, tenues en longueur pour certaines comme s’il fallait qu’elles demeurent en suspension. Mino lui au delà des mots, c’est aussi du rythme, des attitudes, un théâtre du corps, du visage. Il reste fidèle à son personnage. Imprévisible, démonstratif: guitare en bandoulière, debout devant le micro le voilà qui lance à la salle un chant langoureux. Au bout du compte la trompette vient prolonger cette mélopée sous accords simples, clairs, évidents.

 

Mino et ses mélopées

 

Retour aux percussions prises cette fois pleines paumes « C’est là, dans cette chair que souvent ma musique se joue » Mino se veut créateur de sons autant que de rythmique. Il improvise en structures, en architecture de rythmes lorsqu’il les génère, les mobilise, les organise. Le trompettiste norvégien fondu de paysages électroniques on le sent, en première intention écouter son partenaire. Alors seulement il rejoint le tableau en autant d’échos de couleurs, à coup de notes tenues, de phrases précisément incisées.  De quoi envelopper l’entrelacs des rythmes envoyés dans l’air. Avec en écho du rire, des  sourires. Car entre le cuivre du nord et les peaux caressés des suds il y a du jeu, du défi complice.

Lindon Tallin Bridge PM: Alina Bzhezhinska (hp), Jack Sooäär (g), Raul Vaigla(b), Karl-Juan Laanesaarr(dm)

Fotografiska, 27 août 

 

Aliña Bzhezhinska, harpe hommage à Alice Coltrane

 

Son dernier album est dédié à John Coltrane. Voilà déjà un signe. De fait elle affiche une façon plutôt singulière de traiter sa harpe. Au delà du mouvement coordonné, habituellement plutôt souple des mains pour pincer le rideau de cordes de son instrument, en fonction du degré d’intensité voulu, de la densité rythmique, la harpiste ukrainienne use de traits rageurs sur ses cordes pour souligner la force de sa musique. Attention! Cette harpe ajoute du beat sérieux sur les thèmes funky.  Elle, tout sourire témoigne d’un jeu engagé, physique si besoin. Ceci dit là musique du groupe crée pour le festival se dévoile aussi riche en harmonies avec un guitariste estonien original.  Il procède par touches, formules mélodiques ou accords de soutien. Témoin un long thème composé aux fortes réminiscences d’Afro blue.  Occasion d’un chorus surprenant de sa part, plus proche d’un Robert Fripp que de Joe Pass… Ce London-Tallin Bridge terminera par une impro collective plutôt débridée en hommage à…Alice Coltrane au dire de Alina B.

 

The Motown Sound: Rita Ray, Robert Linna (voc), Victoria Hedman, Éline Martinson, Meelis Kesperi (voc, chœur),  Rasmussen Raal (g), Kaspar Tambur (cla), Joonatan Nögisto (b), Ot Adamson (dm), Luis Black (perc),  Ingvar Leerimaa (tb), Ingrek Varend (ts), Jason Hunter (tp)

Vaba Lava, 27 août 

 

Rita Ray, voix Motown

 

Cela aurait pu donner lieu à un concert de clôture. Car c’était le début du we, les rues de Tallin étaient lors disait-on fort encombrées. Il s’agissait du seul concert sold out. La salle avait été judicieusement vidée de toutes ses chaises.  Avec un objectif majeur: finie la semaine de boulot, la danse s’invite au programme en tête de gondole. Ça tombe pile: tous les hits de la Motown se trouvent convoqués.

Et là, lorsqu’ils entrent en scène sous les spots de couleurs en infernal kaléidoscope..ils sont tous tous blonds, blondes ou presque. Mais bon, dès la première mesure de Papa was a rolling stone, cette bande de jeunes déboule avec une pêche d’enfer. Avec un trio de contrechants contrefaits soul plus vrais que nature. À franchement parler des deux voix on avouera préfère celle de la chanteuse, filiforme, blonde platine, prête à plonger dans le public des danseurs (au féminin surtout ) pour les motiver avec en arme absolue cette voix incroyable, puissante, experte en attaques de phrases, en accroches de force autant que de conviction sur les hits si chauds de la Motown. Car ici, c’est sur, en bordure de la Baltique à basse température, août compris,  chacune chacun paraît les connaître par cœur.  Un dernier aveu: cette voie lactée d’échos funky plus plus, le plus étrange, le plus décalé pour un étranger au pays,  reste d’entendre la présentation de ses titres typiques « black music » assurée en langue locale.

 

Chœur à blanc pour black music

 

 

Robert Latxague