Jazz live
Publié le 13 Mar 2024

Tarnos: Groove de New York et voix d’Aimée

Il est des organisateurs de festival qui ne tarissent pas d:effforts pour attirer leurs édiles au pied des scènes d’un rendez vous jazzistique annuel. En mode de retour sur investissement ou simplement par plaisir musical à partager. On en a connu qui n’ont jamais vu pour autant la tête de leur cher maire au début du moindre concert…À Tarnos, ville «frontalière» des Landes aux portes de la Côte Basque, ce problème n’existe pas. Cette fois encore le premier magistrat d’une commune qui ne cesse d’engranger de nouveaux habitants eu égard au prix du m2 dans l’agglomération bayinnaise contiguë, a volontiers occupé sa place au premier rang. Logique certes pour un rendez vous que propose la ville à propos de jazz. On le notera pourtant favorablement chez ce personnage politique local, en gage de fidélité à l’intérêt qu’il entend porter à cette musique même s’il lui fait crédit surtout de sa tendance «swing».

Jazz en Mars, Tarnos (40220)

Nick Hempton (ts , ss ) Dado Moroni (p), Dave Blenkhorn (g), Dave Green (b), Steve Brown (dm)

Nick Hempton

L’orchestre «américain»  – simple figure de style puisqu’aussi bien le saxophoniste qui vit à New York depuis 2004 est australien de naissance- ne présente justement pas de « figura» -terme usité ici dans la région issu du vocabulaire tauromachique- du jazz.  Pourtant, satisficecit sans doute pour revenir aux goûts du maire, le répertoire abordé s’avère tout de suite très sixties, De quoi offrir dès le départ du plaisir à foison dans un rendu musical aussi dense que immédiatement appréhensible. Des standards bien sur au menu du soir. « Shadow of your smile» par exemple, place Dado Moroni en mesure de valoriser son jeu de piano en passage d’accords travaillés au cordeau. Tout au long du concert ce pianiste singulier apprécié de spécialistes à l’image d’un Jimy Rowles autrefois, voire d’un Gordon Beck dans un autre genre, marquera son territoire notamment via une main droite  volubile en diable. Ou  ce « lover come back to me » apte à valoriser chez  Nick Hempton un son de ténor on ne peut plus mainstream, notes lancées en rafales, avec beaucoup de citations plaquées en autant de petites sculptures intégrées.« My romance» ensuite,  composition en climat  cool de Gene Ammons « un de mes saxophonistes préférés» avoue Hempton, carrure de cow boy élégant derrière sa cravate bien mise, le temps d’exposer une balade d’un beau son détendu de pleins et de déliés. Dans le flux de phrases cuivrées l’on perçoit nettement chaque note jouée dans son naturel, portée par des accents qui vont bien avec la rondeur du ténor.

Dave Blenkhorn (g), Dave Green (b)


On sent poindre chez ces musiciens  l’habileté du savoir faire de vieux routiers des scènes jazz new yorkaises. Ils se régalent à explorer ces titres d’un certain répertoire des sixties. Continuum de signatures de jazzmen figures emblématiques du moment. En illustration des talents du pianiste Horace Silver héraut des «Jazz Messengers » ce sera d’abord l’emprunt d’un juteux « Juicy Lucy » lancé en duo avec la basse sur un tempo médium, le  sax évoluant plein de grain avec attaques sur notes à angle droit truffé de quelques effets. notoires de vibrato.  Histoire de rester sur un bon gros feeling. Autre composition du même acabit, histoire de clore le chapitre évocateur de cette  même époque des années soixante, vient  ce «Loose walk » signé d’un autre saxophoniste de renom, Sonny Stitt, thème livré cash pur groove (un jazz susceptible de faire danser) sur un mode blues avec tempo élevé.

Dado Moroni

Moment de plaisir « swing» monsieur le Maire marqué par l’intervention pianistique virtuose, dans le genre de la part de Dado Moroni, sa grande carasse  pliée vers le clavier, alors à fond dans son jeu, à plein dans son jus jazz. Le public de la soirée fleuri de nombre de crinières blanches, lesquelles  étaient sans nul doute dans les années de leurs vingts ans en ce temps des sixties évoqués, ce public fidèle donc du festival comme de ce jazz es-qualité, goûtait ainsi à sa part des anges…

Cyrille Aimée (voc, ukulele baryton), Carl Henri Morisset (p), Mateo Bertone (b) Pedro Segundo dm)

Cyrille Aimée , ukulele baryton

Avec la voie suivie par  Cyrille Aimée à l’occasion de la sortie récente de son nouvel album,  À fleur de peau (Wirlwindre Recordings),  on change de genre, bien évidemment. Et pourtant…sur l’entame de son show la chanteuse d’origine république dominicaine passée par Paris puis New York  choisit d’interpréter une chanson datant des années soixante:  «For the love of you» des  Isley Brothers sonne logiquement soul plein feux. Le contenu de ce nouveau disque fait la part belle à un certain éclectisme musical. Il y a ainsi comme  des échos de ritournelle dans ce Back to you sensé évoquer des hauts et des bas dans la relation amoureuse.

Carl Henri Morisset (photo Maryvonne Coublant)

Autres formes, autres couleurs à suivre. Avec d’abord la résonance plutôt carrée du cajon cette caisse-siège frappée à main ouverte, instrument protheé des musiques latines et/ou fllamencas (Pedro Segundo, percussionniste portugais parti vivre à La Nouvelle Orléans) curieusement suivi d’un schéma de piano stride (Carl Henri Morisset, pianiste d’origine haïtienne) avec wash board (planche à laver métal typique de la Louisiane) venu en soutien. En guise de conclusion:  un duo d’échange direct voix/tambourin. Séquence de tempo binaire au total très dansant façon musique de rue new orleans (ville où Cyrille Aimée vit elle aussi désormais)  S’il faut se fier à un autre de ses choix la chanteuse tient â honorer la chanson dans sa plus simple expression : sa version de Ma préférence, mélodie à succès de Julien Clerc ne fait appel que à des accords dépouillés du piano. Ne me quitte pas de Brel convoque ce même piano également, cette fois pourtant en un jeu de miroirs plutôt savant générateur de reliefs saillants . Du coup la dite chanson culte enfile des habits de lumière tamisée, la mélancolie d’un son cubain, d’une milonga argentine. «Beautiful   Way », peut-être de par l’énoncé optimiste de la formule, cette chanson figure le premier titre de son dernier album. Sur scène, via une mélodie attirante exposée dans une version orchestrale resserrée – le piano comme marque page privilégié du rythme- le quartet va chercher un plus de cohésion, un vrai effet de groupe.

Voix/tambourin Cyrille Aimée, Pedro Segundo

Côté éclairage moins «forte», lumière moins diffuse à apporter en réflexion à présent, deux points de détail méritent un examen suivi in fine. Subjectivement certes, mais…Primo: le petit moment de démonstration voix et machine, effets de loops, boucles et autres sinusoïdes électroniques  figure avant tout un jeu un peu gadget, un sourire un tantinet forcé disons, hors des fondamentaux du genre comme l’on dit en matière de jeu, ici au pays du rugby. Secundo, livrons une impression première, immédiate : en live, en direct la voix de Cyrille Aimée résonne de moins de présence, s’affiche moins performante que dans l’album enregistré (à l’exemple de certaines parties de scat)  Question de travail scénique pour une meilleure mise en valeur ? De qualité de la mise en son ? De choix de formule orchestrale ?

À suivre.

Robert Latxague 

Photos Robert Latxague