Tarnos: Matthieu Chazarenc, jazz liberté égalité en fraternité
À l’occasion d’un concert de Matthieu Chazarenc cet automne dans le cadre de la programmation « Les 4 saisons du Jazz » de la ville de Tarnos, le directeur de l’Ecole de Musique de la cité sud landaise jouxtant l’agglomération bayonnaise, Arnaud Labstie, avait décidé en accord avec l’aîné de la famille Luc, Gérard -désormais dernier représentant de cette fratrie de musiciens- de consacrer cette soirée à un hommage à Sylvain Luc brutalement disparu en mars dernier. D’où là présence en première partie du concert de Gérard Luc, accordéoniste, accompagné au débotté par Chazarenc, compagnon de route et ami de longue date du guitariste.
Gérard Luc (acco): Matthieu Chazarenc (dm)
salle Maurice Thorez, Tarnos (40220)
Une première série en mode pot-pourri histoire de visiter des thèmes de Michel Legrand dont Sylvain Luc, faut-il le rappeler, avait rejoint l’orchestre ces dernières années à l’invitation du compositeur notamment â l’occasion d’une émission télévisée. Un certain lyrisme dans l’expression, une fidélité aux lignes des chansons dans leur exposition; plus un swing simple, sans plus d’artifices. L’accordéoniste, une des figures musicales de la Côte Basque, bals, musette, concerts, versé dans l’enseignement depuis de nombreuses années offre ce soir particulier sur la scène landaise les gages d’une façon très nature de donner raison à la mélodie, de lui insuffler tout l’air des souffles de l’instrument. Derrière, discret, très attentif au volume de son instrument, le batteur cisèle ses rythmes dans un fond de velours. Douceur dans la voix également, fruit d’une émotion perceptible dans le souvenir évoqué lorsque l’aîné annonce : « Je vais vous jouer maintenant une petite romance que j’ai composée. Je sais que la partition est restée su la table de nuit de mon frère…» En point d’orgue il reprend un thème de Marcel Azzola qui fut son mentor et qu’il eut l’occasion de rejoindre sur scène à plusieurs reprises « avec la guitare de Sylvain sur des airs dont il se régalait » L’accordéon placé en étendard, le swing qui revient, nature ,toujours présent, des parfums d’airs populaires, une langue musicale vernaculaire parlée en pays jazz: la fratrie Luc revit â cet instant.
Matthieu Chazarenc (dm), Laurent Derache (accor) Sylvain Gontard (bug), Christophe Wallemme (b)
Le quartet présente une forme instrumentale pas si commune dans laquelle l’accordéon fait le lien harmonique. Le son global privilégie l’acoustique « C’est ton côté un peu bio me charriait le Sylvain piquant à son habitude. On était presque voisin à Paris, Il était mon ami. Il m’a toujours donné le bon conseil au bon moment dans mon parcours » Le bugle de Sylvain Gontard au premier abord pointe vers les sommets de la tessiture. On note un lot de sonorités douces étalées sur le discours support d’une basse belle rondeur sonore. Pourtant sans plus trainer le contexte évolue, modifiant la palette des couleurs. L’échange valorise des sons pleins placés dans le registre des basses. La mélodie glisse tel un vol à voile. Le bugle y inscrit un courant. le batteur leader agit entre douceur et fermeté en sculpteur de reliefs sans épissures ( « Deux anges » )
Sans doute faut-il voir là l’originalité du propos de son groupe, de la musique de ce projet qui s’étire le long de trois albums gravés en cinq années de travail mis en commun:.Matthieu Chazarenc laisse une grande liberté d’expression à chacun des musiciens, valorisant ainsi la pratique de chaque instrument. Le passage du studio à la scène amplifie le phénomène. Singularité du contenu comme de la forme dans l’expression musicale. Ainsi, à cette part de matière tracée en sillons profonds ( « Lagun « , une « chanson douce » composée justement par Sylvain Luc), Sylvain Gointard suite à une étonnante saillie rageuse seul au bugle sur un air d’orchestre de chambre, ajoute aussitôt ici et là, les pincées de de sel ou poivre de petites percussions. Sur quoi, manière d’élan commun, la batterie cadre ce tableau contrasté en grosses frappes de tambours ( « La Madone » )
Matthieu Chazarenc et ses musiciens jouent donc volontiers sur l’inattendu, la surprise, les contrastes. Long monologue de l’accordéon de Laurent Derache, sans formule toute faite sur un instrument pourtant très connoté aujourd’hui dans le jazz hexagonal. Nées de l’improvisation, la séquence accordéon enchaine nombre de découpages, de jaillissements…pour lancer in fine une valse basique (« Rue Marcel » ) Même désir de trouvaille, même effet dans un espace temps quelque part entre foro et fandango ( « Mascagne » ) sur les contours duquel le batteur, inspiré, volubile dans son jeu sur les temps, se fait plaisir.
il restait à revenir à (la petite et grande) histoire de l’hommage initial : « Estate » standard des standards de la chanson brésilienne qu’appréciait le petit dernier des Luc réunit pour l’occasion les deux accordéons de la soirée. De quoi terminer en doigté délicat su les touches de celui de l’ainé.
Robert Latxague