Jazz live
Publié le 12 Juil 2013

Terence Blanchard au matin clair et Tim Berne au couchant

 

Virée parisienne hier, du New Morning où Terence Blanchard présentait son quintette, au Sunset-Sunside où Tim Berne dirigeait son Snakeoil.

 

Du New Morning au Sunside, Paris (75), le 11 juillet 2013.

 

J’avais prévu déserter Paris pour aller brouter l’herbe du Pays Pourlet, mais me voilà retenu aux abords de la capitale. J’ai fini par retrouver Sigmund le chat, plutôt mal en point, ne s’étant pas si bien tiré que ça de l’affaire des “Griffes du chat perché” , le ventre ouvert par un vilain coup de patte des félins d’Olrik, dans un buisson de Jouy-en-Josas où il s’était réfugié après le dénouement, espérant soigner sa plaie à sa manière, de simples coups de langues. Je l’ai recueilli et ai dû lui imposer la collerette. Vous imaginez, Sigmund avec un collerette ! En attendant que ça s’arrange, j’en ai profite pour m’avancer pour la rentrée qui s’annonce déjà chargée et pour faire la tournée des clubs. Hier, du New Morning au Sunside, on ne pouvait pas faire plus contrasté.

 

New Morning, le Terence Banchard Quintet : Terence Blanchard (trompette), Brice Winston (saxophone ténor), Fabian Almazan (piano), Johsua Crumbly (contrebasse), Kendrick Scott (batterie).

 

Au New Morning, même s’il n’en a pas la tchatche, Terence Blanchard aime se souvenir des premières fois qu’il est venu en ce lieu avec Art Blakey. Même si l’on sait rester sobre, on a le sens du show. Corpulence de notaire, autorité de notable, tenue décontractée toutefois (la décontraction n’est d’ailleurs chez lui pas question de costume, elle est comme un accent du pays) contrairement à son batteur dont le nœud pap’ et la pochette pourrait faire penser qu’il s’est habillé pour un portrait chez le photographe… De loin, il me fait penser à Freddie Keppard. On attendait Tain Watts et c’est Kendrick Scott… et l’on n’est pas déçu. À la batterie, il est moins tight que ne l’était Keppard au cornet et sa tension sanguine doit être moins élevée que celle de Watts. Toujours cette décontraction, même s’il ne vient pas du Croissant comme son leader. Il est de Houston, passé par Berklee. Comme tous les batteurs de sa génération, il a ce goût de la décomposition, mais ça ne vous saute pas au visage. Ça lui vient d’un geste tellement désinvolte que vous ne vous en apercevez qu’au bout d’un moment. Il a des gestes simples, dépouillés, économes et ça groove avec beaucoup de couleurs timbrales, d’espace et de dynamique. Ça participe d’un vrai son de groupe. Belle sonorisation, telle que je la perçois, debout, du coin du bar, dans un New Morning où l’on peinerait à trouver place assise, mais plein sans excès. Belle sonorisation dont il faut certainement crédité la sonorisatrice, mais très certainement aussi le groupe lui-même. Ce quintette a le son et Kendrick Scott y est pour quelque chose. Il s’entend à merveille avec le jeune Joshua Crumbly qui partage son sens de l’économie dans la polyrythmie. Le maître de céans a un drôle de son cependant, comme si ça saturait, mais ça semble être un effet choisi, sorte d’harmonizer qui timbre sa trompette (comme on fait vibrer le timbre d’une caisse claire contre sa peau inférieur, ou comme on le fait sur les gamelans et les koras en Afrique), avec un delay qui n’est apparu que dans certains morceaux.

 

Après un premier morceau relativement conventionnel qui met en valeur l’esprit de chauffe de Brice Winston, nous aurons droit à deux longues suites, finement scénarisées, aux dimensions épiques qui révèleront notamment le pianiste Fabian Almazan. Originaire de Cuba et la musique classique, il ne donne pas cette fâcheuse impression qu’ont d’autres pianistes caribéens d’être passé par l’école de piano russe et de ne savoir transcender le vocabulaire du montuno que par une lourde artillerie pianistique. En accompagnement comme en solo, son jeu est alerte, spacieux, avec d’impressionnants phrasés à plusieurs voix, d’une discontinuité et d’une angularité qui surprennent constamment et nous repose des habituels enfileurs de perles qui se croient héritiers de Bill Evans et Chick Corea. J’entends du Monk dans ce piano. Pas les gimmicks de Thelonious, mais son esprit. Et Bach inévitable dans le choral ouvrant une pièce de sa composition dont il ponctuera les développements d’une main s’égarant sur un piano électrique comme, en tapant cet article, ma main se laisse irrésistiblement attirer vers la tablette de chocolat posée à portée de mon clavier.

 

Au Sunside, le Snakeoil de Tim Berne : Tim Berne (sax alto), Oscar Noriega (clarinette, clarinette basse), Matt Mitchell (piano), Ches Smith (batterie).

 

Était-ce une si bonne idée que de sortir d’un concert de Terence Blanchard pour passer directement à la musique de Tim Berne ? Douche froide. L’anti-show. Tim Berne marmonnant entre ses dents pour un premier rang anglophone et laissant entendre en fin de set que quel que soit la vigueur des applaudissements, un rappel est inenvisageable. On rappellera que Miles n’était guère plus aimable. C’était à prendre ou à laisser. Oui, mais c’était Miles. Oui, mais c’est Tim Berne et on vous emmerde. Où ils sont passés d’ailleurs les fans de Tim Berne qui autrefois remplissaient le Sunset pour deux sets consécutifs ? Le Sunside est vide. Venaient-ils exclusivement pour le guitar heroe Marc Ducret et ses pantalons moulants ? Ou pour Tom Rajney ? Rafaël Koerner (le batteur de Ping Machine et Big Four) est là pour Ches Smith et il ne s’en cache pas. Moi, je suis venu pour Snakeoil que j’ai aimé à la Dynamo du temps où il s’appelait Los Totopos et sur le disque produit par Manfred Eicher (avec des effets sur la musique de Berne que j’apprécie rarement lorsqu’ils s’appliquent à d’autres, mais qui lui donne ici des largesses qu’on ne lui connaissait pas). Mais l’ambiance est sinistre, dans le bruit ambiant où se mêlent les bruits de la rue et de vaisselle. Jamais entendu laver tant de verres dans un club aussi vide. Teigneux, Tim Berne semble parfois désespéré de n’entendre que ça. Mais progressivement l’on s’abîme dans les labyrinthes de ces longues suites à tiroirs dont les motifs reviennent toujours déroutants, jamais tout à fait les mêmes, dans une polyphonie qui égare l’entendement, sur un drumming plus dépouillé que c
elui de Tom Raney mais tout aussi captivant (ce pourrait être le seul point commun de cette soirée… Ches Smith serait à Tom Rainey, ce que Kendrick Scott est à Tain Watts). Je regrette un peu l’influence d’Eicher, qui sur le disque accentue les nuances, apporte de l’espace (mais de l’espace au Sunside un soir d’été, les portes grandes ouvertes sur la rue, ça n’est pas tout à fait le même), met en valeur le boisé de la clarinette d’Oscar Noriega et le piano de Matt Mitchell que j’aurais préféré plus entendre. Mais finalement, ce club quasi vide, fait un triomphe presque aussi sonore que celui fait à Terence Blanchard par un New Morning plein. Et j’y adhère. Allez, les fans de Tim Berne… Il est encore là, ce soir, vendredi 12 juillet. Venez couvrir le bruit de la rue des Lombards.

 

Franck Bergerot

 

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Virée parisienne hier, du New Morning où Terence Blanchard présentait son quintette, au Sunset-Sunside où Tim Berne dirigeait son Snakeoil.

 

Du New Morning au Sunside, Paris (75), le 11 juillet 2013.

 

J’avais prévu déserter Paris pour aller brouter l’herbe du Pays Pourlet, mais me voilà retenu aux abords de la capitale. J’ai fini par retrouver Sigmund le chat, plutôt mal en point, ne s’étant pas si bien tiré que ça de l’affaire des “Griffes du chat perché” , le ventre ouvert par un vilain coup de patte des félins d’Olrik, dans un buisson de Jouy-en-Josas où il s’était réfugié après le dénouement, espérant soigner sa plaie à sa manière, de simples coups de langues. Je l’ai recueilli et ai dû lui imposer la collerette. Vous imaginez, Sigmund avec un collerette ! En attendant que ça s’arrange, j’en ai profite pour m’avancer pour la rentrée qui s’annonce déjà chargée et pour faire la tournée des clubs. Hier, du New Morning au Sunside, on ne pouvait pas faire plus contrasté.

 

New Morning, le Terence Banchard Quintet : Terence Blanchard (trompette), Brice Winston (saxophone ténor), Fabian Almazan (piano), Johsua Crumbly (contrebasse), Kendrick Scott (batterie).

 

Au New Morning, même s’il n’en a pas la tchatche, Terence Blanchard aime se souvenir des premières fois qu’il est venu en ce lieu avec Art Blakey. Même si l’on sait rester sobre, on a le sens du show. Corpulence de notaire, autorité de notable, tenue décontractée toutefois (la décontraction n’est d’ailleurs chez lui pas question de costume, elle est comme un accent du pays) contrairement à son batteur dont le nœud pap’ et la pochette pourrait faire penser qu’il s’est habillé pour un portrait chez le photographe… De loin, il me fait penser à Freddie Keppard. On attendait Tain Watts et c’est Kendrick Scott… et l’on n’est pas déçu. À la batterie, il est moins tight que ne l’était Keppard au cornet et sa tension sanguine doit être moins élevée que celle de Watts. Toujours cette décontraction, même s’il ne vient pas du Croissant comme son leader. Il est de Houston, passé par Berklee. Comme tous les batteurs de sa génération, il a ce goût de la décomposition, mais ça ne vous saute pas au visage. Ça lui vient d’un geste tellement désinvolte que vous ne vous en apercevez qu’au bout d’un moment. Il a des gestes simples, dépouillés, économes et ça groove avec beaucoup de couleurs timbrales, d’espace et de dynamique. Ça participe d’un vrai son de groupe. Belle sonorisation, telle que je la perçois, debout, du coin du bar, dans un New Morning où l’on peinerait à trouver place assise, mais plein sans excès. Belle sonorisation dont il faut certainement crédité la sonorisatrice, mais très certainement aussi le groupe lui-même. Ce quintette a le son et Kendrick Scott y est pour quelque chose. Il s’entend à merveille avec le jeune Joshua Crumbly qui partage son sens de l’économie dans la polyrythmie. Le maître de céans a un drôle de son cependant, comme si ça saturait, mais ça semble être un effet choisi, sorte d’harmonizer qui timbre sa trompette (comme on fait vibrer le timbre d’une caisse claire contre sa peau inférieur, ou comme on le fait sur les gamelans et les koras en Afrique), avec un delay qui n’est apparu que dans certains morceaux.

 

Après un premier morceau relativement conventionnel qui met en valeur l’esprit de chauffe de Brice Winston, nous aurons droit à deux longues suites, finement scénarisées, aux dimensions épiques qui révèleront notamment le pianiste Fabian Almazan. Originaire de Cuba et la musique classique, il ne donne pas cette fâcheuse impression qu’ont d’autres pianistes caribéens d’être passé par l’école de piano russe et de ne savoir transcender le vocabulaire du montuno que par une lourde artillerie pianistique. En accompagnement comme en solo, son jeu est alerte, spacieux, avec d’impressionnants phrasés à plusieurs voix, d’une discontinuité et d’une angularité qui surprennent constamment et nous repose des habituels enfileurs de perles qui se croient héritiers de Bill Evans et Chick Corea. J’entends du Monk dans ce piano. Pas les gimmicks de Thelonious, mais son esprit. Et Bach inévitable dans le choral ouvrant une pièce de sa composition dont il ponctuera les développements d’une main s’égarant sur un piano électrique comme, en tapant cet article, ma main se laisse irrésistiblement attirer vers la tablette de chocolat posée à portée de mon clavier.

 

Au Sunside, le Snakeoil de Tim Berne : Tim Berne (sax alto), Oscar Noriega (clarinette, clarinette basse), Matt Mitchell (piano), Ches Smith (batterie).

 

Était-ce une si bonne idée que de sortir d’un concert de Terence Blanchard pour passer directement à la musique de Tim Berne ? Douche froide. L’anti-show. Tim Berne marmonnant entre ses dents pour un premier rang anglophone et laissant entendre en fin de set que quel que soit la vigueur des applaudissements, un rappel est inenvisageable. On rappellera que Miles n’était guère plus aimable. C’était à prendre ou à laisser. Oui, mais c’était Miles. Oui, mais c’est Tim Berne et on vous emmerde. Où ils sont passés d’ailleurs les fans de Tim Berne qui autrefois remplissaient le Sunset pour deux sets consécutifs ? Le Sunside est vide. Venaient-ils exclusivement pour le guitar heroe Marc Ducret et ses pantalons moulants ? Ou pour Tom Rajney ? Rafaël Koerner (le batteur de Ping Machine et Big Four) est là pour Ches Smith et il ne s’en cache pas. Moi, je suis venu pour Snakeoil que j’ai aimé à la Dynamo du temps où il s’appelait Los Totopos et sur le disque produit par Manfred Eicher (avec des effets sur la musique de Berne que j’apprécie rarement lorsqu’ils s’appliquent à d’autres, mais qui lui donne ici des largesses qu’on ne lui connaissait pas). Mais l’ambiance est sinistre, dans le bruit ambiant où se mêlent les bruits de la rue et de vaisselle. Jamais entendu laver tant de verres dans un club aussi vide. Teigneux, Tim Berne semble parfois désespéré de n’entendre que ça. Mais progressivement l’on s’abîme dans les labyrinthes de ces longues suites à tiroirs dont les motifs reviennent toujours déroutants, jamais tout à fait les mêmes, dans une polyphonie qui égare l’entendement, sur un drumming plus dépouillé que c
elui de Tom Raney mais tout aussi captivant (ce pourrait être le seul point commun de cette soirée… Ches Smith serait à Tom Rainey, ce que Kendrick Scott est à Tain Watts). Je regrette un peu l’influence d’Eicher, qui sur le disque accentue les nuances, apporte de l’espace (mais de l’espace au Sunside un soir d’été, les portes grandes ouvertes sur la rue, ça n’est pas tout à fait le même), met en valeur le boisé de la clarinette d’Oscar Noriega et le piano de Matt Mitchell que j’aurais préféré plus entendre. Mais finalement, ce club quasi vide, fait un triomphe presque aussi sonore que celui fait à Terence Blanchard par un New Morning plein. Et j’y adhère. Allez, les fans de Tim Berne… Il est encore là, ce soir, vendredi 12 juillet. Venez couvrir le bruit de la rue des Lombards.

 

Franck Bergerot

 

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Virée parisienne hier, du New Morning où Terence Blanchard présentait son quintette, au Sunset-Sunside où Tim Berne dirigeait son Snakeoil.

 

Du New Morning au Sunside, Paris (75), le 11 juillet 2013.

 

J’avais prévu déserter Paris pour aller brouter l’herbe du Pays Pourlet, mais me voilà retenu aux abords de la capitale. J’ai fini par retrouver Sigmund le chat, plutôt mal en point, ne s’étant pas si bien tiré que ça de l’affaire des “Griffes du chat perché” , le ventre ouvert par un vilain coup de patte des félins d’Olrik, dans un buisson de Jouy-en-Josas où il s’était réfugié après le dénouement, espérant soigner sa plaie à sa manière, de simples coups de langues. Je l’ai recueilli et ai dû lui imposer la collerette. Vous imaginez, Sigmund avec un collerette ! En attendant que ça s’arrange, j’en ai profite pour m’avancer pour la rentrée qui s’annonce déjà chargée et pour faire la tournée des clubs. Hier, du New Morning au Sunside, on ne pouvait pas faire plus contrasté.

 

New Morning, le Terence Banchard Quintet : Terence Blanchard (trompette), Brice Winston (saxophone ténor), Fabian Almazan (piano), Johsua Crumbly (contrebasse), Kendrick Scott (batterie).

 

Au New Morning, même s’il n’en a pas la tchatche, Terence Blanchard aime se souvenir des premières fois qu’il est venu en ce lieu avec Art Blakey. Même si l’on sait rester sobre, on a le sens du show. Corpulence de notaire, autorité de notable, tenue décontractée toutefois (la décontraction n’est d’ailleurs chez lui pas question de costume, elle est comme un accent du pays) contrairement à son batteur dont le nœud pap’ et la pochette pourrait faire penser qu’il s’est habillé pour un portrait chez le photographe… De loin, il me fait penser à Freddie Keppard. On attendait Tain Watts et c’est Kendrick Scott… et l’on n’est pas déçu. À la batterie, il est moins tight que ne l’était Keppard au cornet et sa tension sanguine doit être moins élevée que celle de Watts. Toujours cette décontraction, même s’il ne vient pas du Croissant comme son leader. Il est de Houston, passé par Berklee. Comme tous les batteurs de sa génération, il a ce goût de la décomposition, mais ça ne vous saute pas au visage. Ça lui vient d’un geste tellement désinvolte que vous ne vous en apercevez qu’au bout d’un moment. Il a des gestes simples, dépouillés, économes et ça groove avec beaucoup de couleurs timbrales, d’espace et de dynamique. Ça participe d’un vrai son de groupe. Belle sonorisation, telle que je la perçois, debout, du coin du bar, dans un New Morning où l’on peinerait à trouver place assise, mais plein sans excès. Belle sonorisation dont il faut certainement crédité la sonorisatrice, mais très certainement aussi le groupe lui-même. Ce quintette a le son et Kendrick Scott y est pour quelque chose. Il s’entend à merveille avec le jeune Joshua Crumbly qui partage son sens de l’économie dans la polyrythmie. Le maître de céans a un drôle de son cependant, comme si ça saturait, mais ça semble être un effet choisi, sorte d’harmonizer qui timbre sa trompette (comme on fait vibrer le timbre d’une caisse claire contre sa peau inférieur, ou comme on le fait sur les gamelans et les koras en Afrique), avec un delay qui n’est apparu que dans certains morceaux.

 

Après un premier morceau relativement conventionnel qui met en valeur l’esprit de chauffe de Brice Winston, nous aurons droit à deux longues suites, finement scénarisées, aux dimensions épiques qui révèleront notamment le pianiste Fabian Almazan. Originaire de Cuba et la musique classique, il ne donne pas cette fâcheuse impression qu’ont d’autres pianistes caribéens d’être passé par l’école de piano russe et de ne savoir transcender le vocabulaire du montuno que par une lourde artillerie pianistique. En accompagnement comme en solo, son jeu est alerte, spacieux, avec d’impressionnants phrasés à plusieurs voix, d’une discontinuité et d’une angularité qui surprennent constamment et nous repose des habituels enfileurs de perles qui se croient héritiers de Bill Evans et Chick Corea. J’entends du Monk dans ce piano. Pas les gimmicks de Thelonious, mais son esprit. Et Bach inévitable dans le choral ouvrant une pièce de sa composition dont il ponctuera les développements d’une main s’égarant sur un piano électrique comme, en tapant cet article, ma main se laisse irrésistiblement attirer vers la tablette de chocolat posée à portée de mon clavier.

 

Au Sunside, le Snakeoil de Tim Berne : Tim Berne (sax alto), Oscar Noriega (clarinette, clarinette basse), Matt Mitchell (piano), Ches Smith (batterie).

 

Était-ce une si bonne idée que de sortir d’un concert de Terence Blanchard pour passer directement à la musique de Tim Berne ? Douche froide. L’anti-show. Tim Berne marmonnant entre ses dents pour un premier rang anglophone et laissant entendre en fin de set que quel que soit la vigueur des applaudissements, un rappel est inenvisageable. On rappellera que Miles n’était guère plus aimable. C’était à prendre ou à laisser. Oui, mais c’était Miles. Oui, mais c’est Tim Berne et on vous emmerde. Où ils sont passés d’ailleurs les fans de Tim Berne qui autrefois remplissaient le Sunset pour deux sets consécutifs ? Le Sunside est vide. Venaient-ils exclusivement pour le guitar heroe Marc Ducret et ses pantalons moulants ? Ou pour Tom Rajney ? Rafaël Koerner (le batteur de Ping Machine et Big Four) est là pour Ches Smith et il ne s’en cache pas. Moi, je suis venu pour Snakeoil que j’ai aimé à la Dynamo du temps où il s’appelait Los Totopos et sur le disque produit par Manfred Eicher (avec des effets sur la musique de Berne que j’apprécie rarement lorsqu’ils s’appliquent à d’autres, mais qui lui donne ici des largesses qu’on ne lui connaissait pas). Mais l’ambiance est sinistre, dans le bruit ambiant où se mêlent les bruits de la rue et de vaisselle. Jamais entendu laver tant de verres dans un club aussi vide. Teigneux, Tim Berne semble parfois désespéré de n’entendre que ça. Mais progressivement l’on s’abîme dans les labyrinthes de ces longues suites à tiroirs dont les motifs reviennent toujours déroutants, jamais tout à fait les mêmes, dans une polyphonie qui égare l’entendement, sur un drumming plus dépouillé que c
elui de Tom Raney mais tout aussi captivant (ce pourrait être le seul point commun de cette soirée… Ches Smith serait à Tom Rainey, ce que Kendrick Scott est à Tain Watts). Je regrette un peu l’influence d’Eicher, qui sur le disque accentue les nuances, apporte de l’espace (mais de l’espace au Sunside un soir d’été, les portes grandes ouvertes sur la rue, ça n’est pas tout à fait le même), met en valeur le boisé de la clarinette d’Oscar Noriega et le piano de Matt Mitchell que j’aurais préféré plus entendre. Mais finalement, ce club quasi vide, fait un triomphe presque aussi sonore que celui fait à Terence Blanchard par un New Morning plein. Et j’y adhère. Allez, les fans de Tim Berne… Il est encore là, ce soir, vendredi 12 juillet. Venez couvrir le bruit de la rue des Lombards.

 

Franck Bergerot

 

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Virée parisienne hier, du New Morning où Terence Blanchard présentait son quintette, au Sunset-Sunside où Tim Berne dirigeait son Snakeoil.

 

Du New Morning au Sunside, Paris (75), le 11 juillet 2013.

 

J’avais prévu déserter Paris pour aller brouter l’herbe du Pays Pourlet, mais me voilà retenu aux abords de la capitale. J’ai fini par retrouver Sigmund le chat, plutôt mal en point, ne s’étant pas si bien tiré que ça de l’affaire des “Griffes du chat perché” , le ventre ouvert par un vilain coup de patte des félins d’Olrik, dans un buisson de Jouy-en-Josas où il s’était réfugié après le dénouement, espérant soigner sa plaie à sa manière, de simples coups de langues. Je l’ai recueilli et ai dû lui imposer la collerette. Vous imaginez, Sigmund avec un collerette ! En attendant que ça s’arrange, j’en ai profite pour m’avancer pour la rentrée qui s’annonce déjà chargée et pour faire la tournée des clubs. Hier, du New Morning au Sunside, on ne pouvait pas faire plus contrasté.

 

New Morning, le Terence Banchard Quintet : Terence Blanchard (trompette), Brice Winston (saxophone ténor), Fabian Almazan (piano), Johsua Crumbly (contrebasse), Kendrick Scott (batterie).

 

Au New Morning, même s’il n’en a pas la tchatche, Terence Blanchard aime se souvenir des premières fois qu’il est venu en ce lieu avec Art Blakey. Même si l’on sait rester sobre, on a le sens du show. Corpulence de notaire, autorité de notable, tenue décontractée toutefois (la décontraction n’est d’ailleurs chez lui pas question de costume, elle est comme un accent du pays) contrairement à son batteur dont le nœud pap’ et la pochette pourrait faire penser qu’il s’est habillé pour un portrait chez le photographe… De loin, il me fait penser à Freddie Keppard. On attendait Tain Watts et c’est Kendrick Scott… et l’on n’est pas déçu. À la batterie, il est moins tight que ne l’était Keppard au cornet et sa tension sanguine doit être moins élevée que celle de Watts. Toujours cette décontraction, même s’il ne vient pas du Croissant comme son leader. Il est de Houston, passé par Berklee. Comme tous les batteurs de sa génération, il a ce goût de la décomposition, mais ça ne vous saute pas au visage. Ça lui vient d’un geste tellement désinvolte que vous ne vous en apercevez qu’au bout d’un moment. Il a des gestes simples, dépouillés, économes et ça groove avec beaucoup de couleurs timbrales, d’espace et de dynamique. Ça participe d’un vrai son de groupe. Belle sonorisation, telle que je la perçois, debout, du coin du bar, dans un New Morning où l’on peinerait à trouver place assise, mais plein sans excès. Belle sonorisation dont il faut certainement crédité la sonorisatrice, mais très certainement aussi le groupe lui-même. Ce quintette a le son et Kendrick Scott y est pour quelque chose. Il s’entend à merveille avec le jeune Joshua Crumbly qui partage son sens de l’économie dans la polyrythmie. Le maître de céans a un drôle de son cependant, comme si ça saturait, mais ça semble être un effet choisi, sorte d’harmonizer qui timbre sa trompette (comme on fait vibrer le timbre d’une caisse claire contre sa peau inférieur, ou comme on le fait sur les gamelans et les koras en Afrique), avec un delay qui n’est apparu que dans certains morceaux.

 

Après un premier morceau relativement conventionnel qui met en valeur l’esprit de chauffe de Brice Winston, nous aurons droit à deux longues suites, finement scénarisées, aux dimensions épiques qui révèleront notamment le pianiste Fabian Almazan. Originaire de Cuba et la musique classique, il ne donne pas cette fâcheuse impression qu’ont d’autres pianistes caribéens d’être passé par l’école de piano russe et de ne savoir transcender le vocabulaire du montuno que par une lourde artillerie pianistique. En accompagnement comme en solo, son jeu est alerte, spacieux, avec d’impressionnants phrasés à plusieurs voix, d’une discontinuité et d’une angularité qui surprennent constamment et nous repose des habituels enfileurs de perles qui se croient héritiers de Bill Evans et Chick Corea. J’entends du Monk dans ce piano. Pas les gimmicks de Thelonious, mais son esprit. Et Bach inévitable dans le choral ouvrant une pièce de sa composition dont il ponctuera les développements d’une main s’égarant sur un piano électrique comme, en tapant cet article, ma main se laisse irrésistiblement attirer vers la tablette de chocolat posée à portée de mon clavier.

 

Au Sunside, le Snakeoil de Tim Berne : Tim Berne (sax alto), Oscar Noriega (clarinette, clarinette basse), Matt Mitchell (piano), Ches Smith (batterie).

 

Était-ce une si bonne idée que de sortir d’un concert de Terence Blanchard pour passer directement à la musique de Tim Berne ? Douche froide. L’anti-show. Tim Berne marmonnant entre ses dents pour un premier rang anglophone et laissant entendre en fin de set que quel que soit la vigueur des applaudissements, un rappel est inenvisageable. On rappellera que Miles n’était guère plus aimable. C’était à prendre ou à laisser. Oui, mais c’était Miles. Oui, mais c’est Tim Berne et on vous emmerde. Où ils sont passés d’ailleurs les fans de Tim Berne qui autrefois remplissaient le Sunset pour deux sets consécutifs ? Le Sunside est vide. Venaient-ils exclusivement pour le guitar heroe Marc Ducret et ses pantalons moulants ? Ou pour Tom Rajney ? Rafaël Koerner (le batteur de Ping Machine et Big Four) est là pour Ches Smith et il ne s’en cache pas. Moi, je suis venu pour Snakeoil que j’ai aimé à la Dynamo du temps où il s’appelait Los Totopos et sur le disque produit par Manfred Eicher (avec des effets sur la musique de Berne que j’apprécie rarement lorsqu’ils s’appliquent à d’autres, mais qui lui donne ici des largesses qu’on ne lui connaissait pas). Mais l’ambiance est sinistre, dans le bruit ambiant où se mêlent les bruits de la rue et de vaisselle. Jamais entendu laver tant de verres dans un club aussi vide. Teigneux, Tim Berne semble parfois désespéré de n’entendre que ça. Mais progressivement l’on s’abîme dans les labyrinthes de ces longues suites à tiroirs dont les motifs reviennent toujours déroutants, jamais tout à fait les mêmes, dans une polyphonie qui égare l’entendement, sur un drumming plus dépouillé que c
elui de Tom Raney mais tout aussi captivant (ce pourrait être le seul point commun de cette soirée… Ches Smith serait à Tom Rainey, ce que Kendrick Scott est à Tain Watts). Je regrette un peu l’influence d’Eicher, qui sur le disque accentue les nuances, apporte de l’espace (mais de l’espace au Sunside un soir d’été, les portes grandes ouvertes sur la rue, ça n’est pas tout à fait le même), met en valeur le boisé de la clarinette d’Oscar Noriega et le piano de Matt Mitchell que j’aurais préféré plus entendre. Mais finalement, ce club quasi vide, fait un triomphe presque aussi sonore que celui fait à Terence Blanchard par un New Morning plein. Et j’y adhère. Allez, les fans de Tim Berne… Il est encore là, ce soir, vendredi 12 juillet. Venez couvrir le bruit de la rue des Lombards.

 

Franck Bergerot