Jazz live
Publié le 15 Mai 2016

Les univers parallèles de Ping Machine

Hier, 14 mai, l’orchestre Ping Machine du compositeur Fred Maurin présentait, dans le cadre de Jazz sur le Vif pour France Musique, les deux programmes constitutifs de ses deux nouveaux disques “Easy Listening” et “Ubik”, comme passant d’un univers à l’autre.

Jazz sur le vif, studio 105, Maison de la Radio, Paris (75), le 14 mai 2016.

Ping Machine : Fred Maurin (composition, dir., elg, synth, prog), Fabien Norbert, Andrew Crocker, Quentin Ghomari (tp, bu), Bastien Ballaz (tb), Didier Havet (btb, tu), Florent Dupuit (flûtes, ts), Fabien Debellefontaine (fl, cl, as), Jean-Michel Couchet (as), Julien Soro (cl, ts), Guillaume Christophel (bars, bcl), Stéphan Caracci (vib, marimba, perc), Paul Lay (p), Raphaël Schwab (b), Rafaël Kœrner (dm).

La détection d’onde gravitationnelles à l’occasion de la collision de deux trous noirs semblent avoir relancé, si j’ai bien compris articles et émissions dépassant de très loin les limites de mon entendement, la théorie selon laquelle les trous noirs seraient reliés par des “trous de ver” à des “fontaines blanches” débouchant sur des univers parallèles pourtant inconciliables. C’est un peu ce que nous étions invités à observer hier lors du concert de Ping Machine à La Maison de la Radio… à moins qu’il ne se soit agi que d’une lubie personnelle, encore tout habité que j’étais par l’écoute de La Conversation scientifique d’Etienne Klein  écoutée, juste avant de rejoindre la Maison de la Radio dans mon vaisseau spatial, sans d’ailleurs rien y comprendre, mais simplement ravi par la magie d’un verbe, plein d’humour, qui nous invite à sourire et à rêver le monde tel qu’il est / tel qu’il n’est pas / à peu près tel qu’il est… (sans compter que la programmation musicale de cette émission est à peu près la seule un peu curieuse et éclairée sur une chaîne qui partage l’obscurantisme musical des médias contemporains.

Soit, deux univers parallèles, le jazz et la musique contemporaine. Soit deux façons de penser la musique où la tradition tonale relèverait de la physique classique et où le domaine spectral correspondrait à la physique quantique. Car tels sont les deux univers sur lesquels, un pied dans chacun d’eux, le compositeur et chef d’orchestre Fred Maurin pratique le grand écart. Ce qui l’a amené à signer simultanément deux disques : le bien nommé “Easy Listening”, encore que l’on puisse y observer des manifestations de l’autre, “Ubik”, qui ne renonce pourtant pas tout à fait à l’easy listening. Soit encore, d’un côté, la ligne claire mélodique dont les motifs alimentent des développements limpides sur des grooves irrésistibles où exposés orchestraux alternent avec les solos, de l’autre une espèce de rayonnement modulé où se dissoudraient les fonctions traditionnelles du jazz.

C’est dire que la première partie du concert consacrée à “Easy Listening” et ses trois mouvements (Kodama, Février, Pong) constituent un aboutissement possible de la tradition du big band. J’y entends en tout cas une sorte d’idéal du grand orchestre de jazz contemporain, où fusionnent le plaisir des sens et de l’esprit, du collectif et de l’individuel, du son et du rythme. L’appréciation de la seconde partie, et donc de ce supposé univers exotique, est moins évidente. Car si, comme je l’ai dit plus haut, il subsiste dans “Ubik” un peu de cet “Easy Listening”, c’est au prix d’une relatif compartimentage, avec une très longue portion réservée aux seuls cinq cuivres, pièce de chambre qui pourrait presque se trouver détachée du reste et confiée à un autre orchestre, des lecteurs de l’Intercontemporain par exemple, si le quintette n’était pas finalement rejoint par le reste de l’orchestre et par le “rythme” qui nous ramènent vers le monde du big band. Interrogé sur ce point à l’issue du concert, Fred Maurin me disait combien il avait été tenté, en découvrant l’espace du studio 105, de sortir la section de cuivres de l’orchestre et de la disposer sur un praticable distinct comme un authentique quintette de chambre. Nous tombions d’accord en tout cas sur la nécessité de fragmenter cette longue suite (une heure, ce qui est beaucoup exiger du public en une seule traite), dont on peine à relier tous les tenants et aboutissants et dont l’entendement tend à s’effilocher vers la fin.

Lorsque j’écris « pourrait presque se trouver confiée à un autre orchestre », tout est dans le “presque”, tant l’écriture est adressée par Maurin à chacun des membres de son orchestre dont il tire le meilleur et parfois plus, les attirant en toute confiance dans cet univers “quantique” où leur formation de jazzman devrait les rendre inhabiles. Quel parti pris sait-il ainsi tirer des côtés “jungle” d’Andrew Crocker ! Comme il sait s’approprier la fluidité magistrale de Bastien Ballaz ou le vocabulaire pos-bop de Jean-Michel Couchet ! Et si l’on s’interroge sur la difficulté à faire passer tout son effectif par ce trou de ver conduisant à l’autre univers qu’il vise – les deux qui s’y engouffrent le plus naturellement du monde sont probablement Julien Soro et Stéphan Caracci –, on se réjouit de voir comme son équipe paraît solidaire de ses rêves de relativité générale, de courbure de l’espace-temps, de trous noirs et de colimaçons dérobés vers l’ailleurs du son et de la musique, et comme elle se laisse traverser de bonne grâce et même avec une certaine jubilation par les “ondes gravitationnelles” et les collisions micro-tonales surgies des programmes informatiques de son ordinateur.

Autant d’impressions à vérifier lors de la diffusion de ce concert sur France Musique mercredi prochain, 18 mai, à 20h dans les Mercredis du jazz. Franck Bergerot

 |Hier, 14 mai, l’orchestre Ping Machine du compositeur Fred Maurin présentait, dans le cadre de Jazz sur le Vif pour France Musique, les deux programmes constitutifs de ses deux nouveaux disques “Easy Listening” et “Ubik”, comme passant d’un univers à l’autre.

Jazz sur le vif, studio 105, Maison de la Radio, Paris (75), le 14 mai 2016.

Ping Machine : Fred Maurin (composition, dir., elg, synth, prog), Fabien Norbert, Andrew Crocker, Quentin Ghomari (tp, bu), Bastien Ballaz (tb), Didier Havet (btb, tu), Florent Dupuit (flûtes, ts), Fabien Debellefontaine (fl, cl, as), Jean-Michel Couchet (as), Julien Soro (cl, ts), Guillaume Christophel (bars, bcl), Stéphan Caracci (vib, marimba, perc), Paul Lay (p), Raphaël Schwab (b), Rafaël Kœrner (dm).

La détection d’onde gravitationnelles à l’occasion de la collision de deux trous noirs semblent avoir relancé, si j’ai bien compris articles et émissions dépassant de très loin les limites de mon entendement, la théorie selon laquelle les trous noirs seraient reliés par des “trous de ver” à des “fontaines blanches” débouchant sur des univers parallèles pourtant inconciliables. C’est un peu ce que nous étions invités à observer hier lors du concert de Ping Machine à La Maison de la Radio… à moins qu’il ne se soit agi que d’une lubie personnelle, encore tout habité que j’étais par l’écoute de La Conversation scientifique d’Etienne Klein  écoutée, juste avant de rejoindre la Maison de la Radio dans mon vaisseau spatial, sans d’ailleurs rien y comprendre, mais simplement ravi par la magie d’un verbe, plein d’humour, qui nous invite à sourire et à rêver le monde tel qu’il est / tel qu’il n’est pas / à peu près tel qu’il est… (sans compter que la programmation musicale de cette émission est à peu près la seule un peu curieuse et éclairée sur une chaîne qui partage l’obscurantisme musical des médias contemporains.

Soit, deux univers parallèles, le jazz et la musique contemporaine. Soit deux façons de penser la musique où la tradition tonale relèverait de la physique classique et où le domaine spectral correspondrait à la physique quantique. Car tels sont les deux univers sur lesquels, un pied dans chacun d’eux, le compositeur et chef d’orchestre Fred Maurin pratique le grand écart. Ce qui l’a amené à signer simultanément deux disques : le bien nommé “Easy Listening”, encore que l’on puisse y observer des manifestations de l’autre, “Ubik”, qui ne renonce pourtant pas tout à fait à l’easy listening. Soit encore, d’un côté, la ligne claire mélodique dont les motifs alimentent des développements limpides sur des grooves irrésistibles où exposés orchestraux alternent avec les solos, de l’autre une espèce de rayonnement modulé où se dissoudraient les fonctions traditionnelles du jazz.

C’est dire que la première partie du concert consacrée à “Easy Listening” et ses trois mouvements (Kodama, Février, Pong) constituent un aboutissement possible de la tradition du big band. J’y entends en tout cas une sorte d’idéal du grand orchestre de jazz contemporain, où fusionnent le plaisir des sens et de l’esprit, du collectif et de l’individuel, du son et du rythme. L’appréciation de la seconde partie, et donc de ce supposé univers exotique, est moins évidente. Car si, comme je l’ai dit plus haut, il subsiste dans “Ubik” un peu de cet “Easy Listening”, c’est au prix d’une relatif compartimentage, avec une très longue portion réservée aux seuls cinq cuivres, pièce de chambre qui pourrait presque se trouver détachée du reste et confiée à un autre orchestre, des lecteurs de l’Intercontemporain par exemple, si le quintette n’était pas finalement rejoint par le reste de l’orchestre et par le “rythme” qui nous ramènent vers le monde du big band. Interrogé sur ce point à l’issue du concert, Fred Maurin me disait combien il avait été tenté, en découvrant l’espace du studio 105, de sortir la section de cuivres de l’orchestre et de la disposer sur un praticable distinct comme un authentique quintette de chambre. Nous tombions d’accord en tout cas sur la nécessité de fragmenter cette longue suite (une heure, ce qui est beaucoup exiger du public en une seule traite), dont on peine à relier tous les tenants et aboutissants et dont l’entendement tend à s’effilocher vers la fin.

Lorsque j’écris « pourrait presque se trouver confiée à un autre orchestre », tout est dans le “presque”, tant l’écriture est adressée par Maurin à chacun des membres de son orchestre dont il tire le meilleur et parfois plus, les attirant en toute confiance dans cet univers “quantique” où leur formation de jazzman devrait les rendre inhabiles. Quel parti pris sait-il ainsi tirer des côtés “jungle” d’Andrew Crocker ! Comme il sait s’approprier la fluidité magistrale de Bastien Ballaz ou le vocabulaire pos-bop de Jean-Michel Couchet ! Et si l’on s’interroge sur la difficulté à faire passer tout son effectif par ce trou de ver conduisant à l’autre univers qu’il vise – les deux qui s’y engouffrent le plus naturellement du monde sont probablement Julien Soro et Stéphan Caracci –, on se réjouit de voir comme son équipe paraît solidaire de ses rêves de relativité générale, de courbure de l’espace-temps, de trous noirs et de colimaçons dérobés vers l’ailleurs du son et de la musique, et comme elle se laisse traverser de bonne grâce et même avec une certaine jubilation par les “ondes gravitationnelles” et les collisions micro-tonales surgies des programmes informatiques de son ordinateur.

Autant d’impressions à vérifier lors de la diffusion de ce concert sur France Musique mercredi prochain, 18 mai, à 20h dans les Mercredis du jazz. Franck Bergerot

 |Hier, 14 mai, l’orchestre Ping Machine du compositeur Fred Maurin présentait, dans le cadre de Jazz sur le Vif pour France Musique, les deux programmes constitutifs de ses deux nouveaux disques “Easy Listening” et “Ubik”, comme passant d’un univers à l’autre.

Jazz sur le vif, studio 105, Maison de la Radio, Paris (75), le 14 mai 2016.

Ping Machine : Fred Maurin (composition, dir., elg, synth, prog), Fabien Norbert, Andrew Crocker, Quentin Ghomari (tp, bu), Bastien Ballaz (tb), Didier Havet (btb, tu), Florent Dupuit (flûtes, ts), Fabien Debellefontaine (fl, cl, as), Jean-Michel Couchet (as), Julien Soro (cl, ts), Guillaume Christophel (bars, bcl), Stéphan Caracci (vib, marimba, perc), Paul Lay (p), Raphaël Schwab (b), Rafaël Kœrner (dm).

La détection d’onde gravitationnelles à l’occasion de la collision de deux trous noirs semblent avoir relancé, si j’ai bien compris articles et émissions dépassant de très loin les limites de mon entendement, la théorie selon laquelle les trous noirs seraient reliés par des “trous de ver” à des “fontaines blanches” débouchant sur des univers parallèles pourtant inconciliables. C’est un peu ce que nous étions invités à observer hier lors du concert de Ping Machine à La Maison de la Radio… à moins qu’il ne se soit agi que d’une lubie personnelle, encore tout habité que j’étais par l’écoute de La Conversation scientifique d’Etienne Klein  écoutée, juste avant de rejoindre la Maison de la Radio dans mon vaisseau spatial, sans d’ailleurs rien y comprendre, mais simplement ravi par la magie d’un verbe, plein d’humour, qui nous invite à sourire et à rêver le monde tel qu’il est / tel qu’il n’est pas / à peu près tel qu’il est… (sans compter que la programmation musicale de cette émission est à peu près la seule un peu curieuse et éclairée sur une chaîne qui partage l’obscurantisme musical des médias contemporains.

Soit, deux univers parallèles, le jazz et la musique contemporaine. Soit deux façons de penser la musique où la tradition tonale relèverait de la physique classique et où le domaine spectral correspondrait à la physique quantique. Car tels sont les deux univers sur lesquels, un pied dans chacun d’eux, le compositeur et chef d’orchestre Fred Maurin pratique le grand écart. Ce qui l’a amené à signer simultanément deux disques : le bien nommé “Easy Listening”, encore que l’on puisse y observer des manifestations de l’autre, “Ubik”, qui ne renonce pourtant pas tout à fait à l’easy listening. Soit encore, d’un côté, la ligne claire mélodique dont les motifs alimentent des développements limpides sur des grooves irrésistibles où exposés orchestraux alternent avec les solos, de l’autre une espèce de rayonnement modulé où se dissoudraient les fonctions traditionnelles du jazz.

C’est dire que la première partie du concert consacrée à “Easy Listening” et ses trois mouvements (Kodama, Février, Pong) constituent un aboutissement possible de la tradition du big band. J’y entends en tout cas une sorte d’idéal du grand orchestre de jazz contemporain, où fusionnent le plaisir des sens et de l’esprit, du collectif et de l’individuel, du son et du rythme. L’appréciation de la seconde partie, et donc de ce supposé univers exotique, est moins évidente. Car si, comme je l’ai dit plus haut, il subsiste dans “Ubik” un peu de cet “Easy Listening”, c’est au prix d’une relatif compartimentage, avec une très longue portion réservée aux seuls cinq cuivres, pièce de chambre qui pourrait presque se trouver détachée du reste et confiée à un autre orchestre, des lecteurs de l’Intercontemporain par exemple, si le quintette n’était pas finalement rejoint par le reste de l’orchestre et par le “rythme” qui nous ramènent vers le monde du big band. Interrogé sur ce point à l’issue du concert, Fred Maurin me disait combien il avait été tenté, en découvrant l’espace du studio 105, de sortir la section de cuivres de l’orchestre et de la disposer sur un praticable distinct comme un authentique quintette de chambre. Nous tombions d’accord en tout cas sur la nécessité de fragmenter cette longue suite (une heure, ce qui est beaucoup exiger du public en une seule traite), dont on peine à relier tous les tenants et aboutissants et dont l’entendement tend à s’effilocher vers la fin.

Lorsque j’écris « pourrait presque se trouver confiée à un autre orchestre », tout est dans le “presque”, tant l’écriture est adressée par Maurin à chacun des membres de son orchestre dont il tire le meilleur et parfois plus, les attirant en toute confiance dans cet univers “quantique” où leur formation de jazzman devrait les rendre inhabiles. Quel parti pris sait-il ainsi tirer des côtés “jungle” d’Andrew Crocker ! Comme il sait s’approprier la fluidité magistrale de Bastien Ballaz ou le vocabulaire pos-bop de Jean-Michel Couchet ! Et si l’on s’interroge sur la difficulté à faire passer tout son effectif par ce trou de ver conduisant à l’autre univers qu’il vise – les deux qui s’y engouffrent le plus naturellement du monde sont probablement Julien Soro et Stéphan Caracci –, on se réjouit de voir comme son équipe paraît solidaire de ses rêves de relativité générale, de courbure de l’espace-temps, de trous noirs et de colimaçons dérobés vers l’ailleurs du son et de la musique, et comme elle se laisse traverser de bonne grâce et même avec une certaine jubilation par les “ondes gravitationnelles” et les collisions micro-tonales surgies des programmes informatiques de son ordinateur.

Autant d’impressions à vérifier lors de la diffusion de ce concert sur France Musique mercredi prochain, 18 mai, à 20h dans les Mercredis du jazz. Franck Bergerot

 |Hier, 14 mai, l’orchestre Ping Machine du compositeur Fred Maurin présentait, dans le cadre de Jazz sur le Vif pour France Musique, les deux programmes constitutifs de ses deux nouveaux disques “Easy Listening” et “Ubik”, comme passant d’un univers à l’autre.

Jazz sur le vif, studio 105, Maison de la Radio, Paris (75), le 14 mai 2016.

Ping Machine : Fred Maurin (composition, dir., elg, synth, prog), Fabien Norbert, Andrew Crocker, Quentin Ghomari (tp, bu), Bastien Ballaz (tb), Didier Havet (btb, tu), Florent Dupuit (flûtes, ts), Fabien Debellefontaine (fl, cl, as), Jean-Michel Couchet (as), Julien Soro (cl, ts), Guillaume Christophel (bars, bcl), Stéphan Caracci (vib, marimba, perc), Paul Lay (p), Raphaël Schwab (b), Rafaël Kœrner (dm).

La détection d’onde gravitationnelles à l’occasion de la collision de deux trous noirs semblent avoir relancé, si j’ai bien compris articles et émissions dépassant de très loin les limites de mon entendement, la théorie selon laquelle les trous noirs seraient reliés par des “trous de ver” à des “fontaines blanches” débouchant sur des univers parallèles pourtant inconciliables. C’est un peu ce que nous étions invités à observer hier lors du concert de Ping Machine à La Maison de la Radio… à moins qu’il ne se soit agi que d’une lubie personnelle, encore tout habité que j’étais par l’écoute de La Conversation scientifique d’Etienne Klein  écoutée, juste avant de rejoindre la Maison de la Radio dans mon vaisseau spatial, sans d’ailleurs rien y comprendre, mais simplement ravi par la magie d’un verbe, plein d’humour, qui nous invite à sourire et à rêver le monde tel qu’il est / tel qu’il n’est pas / à peu près tel qu’il est… (sans compter que la programmation musicale de cette émission est à peu près la seule un peu curieuse et éclairée sur une chaîne qui partage l’obscurantisme musical des médias contemporains.

Soit, deux univers parallèles, le jazz et la musique contemporaine. Soit deux façons de penser la musique où la tradition tonale relèverait de la physique classique et où le domaine spectral correspondrait à la physique quantique. Car tels sont les deux univers sur lesquels, un pied dans chacun d’eux, le compositeur et chef d’orchestre Fred Maurin pratique le grand écart. Ce qui l’a amené à signer simultanément deux disques : le bien nommé “Easy Listening”, encore que l’on puisse y observer des manifestations de l’autre, “Ubik”, qui ne renonce pourtant pas tout à fait à l’easy listening. Soit encore, d’un côté, la ligne claire mélodique dont les motifs alimentent des développements limpides sur des grooves irrésistibles où exposés orchestraux alternent avec les solos, de l’autre une espèce de rayonnement modulé où se dissoudraient les fonctions traditionnelles du jazz.

C’est dire que la première partie du concert consacrée à “Easy Listening” et ses trois mouvements (Kodama, Février, Pong) constituent un aboutissement possible de la tradition du big band. J’y entends en tout cas une sorte d’idéal du grand orchestre de jazz contemporain, où fusionnent le plaisir des sens et de l’esprit, du collectif et de l’individuel, du son et du rythme. L’appréciation de la seconde partie, et donc de ce supposé univers exotique, est moins évidente. Car si, comme je l’ai dit plus haut, il subsiste dans “Ubik” un peu de cet “Easy Listening”, c’est au prix d’une relatif compartimentage, avec une très longue portion réservée aux seuls cinq cuivres, pièce de chambre qui pourrait presque se trouver détachée du reste et confiée à un autre orchestre, des lecteurs de l’Intercontemporain par exemple, si le quintette n’était pas finalement rejoint par le reste de l’orchestre et par le “rythme” qui nous ramènent vers le monde du big band. Interrogé sur ce point à l’issue du concert, Fred Maurin me disait combien il avait été tenté, en découvrant l’espace du studio 105, de sortir la section de cuivres de l’orchestre et de la disposer sur un praticable distinct comme un authentique quintette de chambre. Nous tombions d’accord en tout cas sur la nécessité de fragmenter cette longue suite (une heure, ce qui est beaucoup exiger du public en une seule traite), dont on peine à relier tous les tenants et aboutissants et dont l’entendement tend à s’effilocher vers la fin.

Lorsque j’écris « pourrait presque se trouver confiée à un autre orchestre », tout est dans le “presque”, tant l’écriture est adressée par Maurin à chacun des membres de son orchestre dont il tire le meilleur et parfois plus, les attirant en toute confiance dans cet univers “quantique” où leur formation de jazzman devrait les rendre inhabiles. Quel parti pris sait-il ainsi tirer des côtés “jungle” d’Andrew Crocker ! Comme il sait s’approprier la fluidité magistrale de Bastien Ballaz ou le vocabulaire pos-bop de Jean-Michel Couchet ! Et si l’on s’interroge sur la difficulté à faire passer tout son effectif par ce trou de ver conduisant à l’autre univers qu’il vise – les deux qui s’y engouffrent le plus naturellement du monde sont probablement Julien Soro et Stéphan Caracci –, on se réjouit de voir comme son équipe paraît solidaire de ses rêves de relativité générale, de courbure de l’espace-temps, de trous noirs et de colimaçons dérobés vers l’ailleurs du son et de la musique, et comme elle se laisse traverser de bonne grâce et même avec une certaine jubilation par les “ondes gravitationnelles” et les collisions micro-tonales surgies des programmes informatiques de son ordinateur.

Autant d’impressions à vérifier lors de la diffusion de ce concert sur France Musique mercredi prochain, 18 mai, à 20h dans les Mercredis du jazz. Franck Bergerot