Jazz live
Publié le 2 Juil 2015

Vienne à l’heure de La Nouvelle-Orléans

Jazz à Vienne 2015 a débuté en fanfare avec trois journées dédiées à La Nouvelle- Orléans.


Jazz New Orleans : un mot magique chez les profanes. « Je n’aime pas le jazz moderne mais le New Orleans oui… ». Combien de fois avons-nous entendu cette antienne lorsqu’on est présenté comme spécialiste du djaze à des relations, des amis ou des membres de la famille… Que de quiproquos et de malentendus derrière cette proclamation… En fait, 99 fois sur 100 c’est du Dixieland (ou de Sidney Bechet post 1945) dont on nous parle…

Le jazz “préhistorique” (rien de péjoratif mais un simple constat) de King Oliver et Jelly Roll Morton fait d’influences multiformes (ragtime, fanfares, gospel, blues… entre autres) de 1900 à 1925 (en gros), puis le Jazz Nouvelle Orléans né à Chicago (hé oui…) à partir de 1925 avec Louis Armstrong… nos profanes ne les connaissent généralement absolument pas.

Certains ont participé en tant que touristes à des parades à La Nouvelle-Orléans (en « second line »), sont allés faire un tour au Preservation Hall et sont revenus chez nous « spécialistes » auto-proclamés du jazz authentique… Philippe Carles, dans le Dictionnaire du Jazz, évoque même l’hypertouristisée Bourbon Street considérée par Frank Ténot comme « la lie et l’écume du jazz » !


(Depuis quelques années je donne un cours d’histoire du jazz à l’Université du Temps Libre de Pau. A la fin d’un cours, une dame très élégante est venue me demander si j’avais déjà été à La Nouvelle-Orléans… Ma réponse: « Non, jamais …» l’a visiblement effarée et elle n’est jamais revenue ! Elle a dit à des personnes qui suivaient ce cours qu’il lui paraissait « totalement  invraisemblable de faire un cours sur le jazz en n’ayant jamais mis les pieds à La Nouvelle-Orléans» !)

 

Mais revenons à Vienne 2015, où était programmé un bel échantillonnage des musiques d’hier et d’aujourd’hui venues du Delta du Mississippi.

 

Le vendredi 26 juin grande parade dans la ville avec les enfants des écoles très joyeux, des fanfares et des groupes (une dizaine, dont les Hollandais du Broken Brass Band et le French Preservation Hall Jazz New Orleans de Jean Pierre Alessi) jouant un peu partout sur des scènes implantées dans tout le centre ville. Tout gratuit. Bonne ambiance. Public visiblement ravi. Très gros succès pour cette journée inaugurale.

 

Samedi 27  (Théâtre Antique). Lilian Boutté & Satchmo Gumbo : Lilian Boutté (voc), Jérôme Etcheberry (tp), Jean-Claude Onesta (tb), Jean-François Bonnel (cl), David Blenkhorn (g), Sébastien Girardot (b) Guillaume Nouaux (dr). Guest : Tanya Boutté (voc)

 

Satchmo Gumbo joue (fort bien) la musique du sextette d’Armstrong des années 1950 et 1960. Qui n’est pas à proprement parler du “vrai ” style New Orleans… Mais un style “inventé ” par Louis Armstrong et porté au plus haut niveau de popularité dans le monde entier lors de milliers de concerts de Satchmo.

Ici la guitare remplace le piano… Mais le son et le répertoire sont là et bien là. Jerôme Etcheberry (ex-Haricots Rouges) est un disciple de haut niveau d’Armstrong (phrasé, puissance) et Guillaume Nouaux a démontré, une fois de plus, et de manière éclatante, qu’il est certainement le meilleur batteur européen de jazz traditionnel et mainstrean.

Lillian Boutté ambassadrice musicale de La Nouvelle Orléans depuis 1986, a collaboré entre autres avec Allen Toussaint et Dr John. Frêle silhouette mais chanteuse dynamique et charismatique. Dans ses interprétations du répertoire d’Armstrong elle dégage une émotion rare. Invitée surprise sur quelques morceaux Tanya Boutté (sa nièce?) a dialogué avec vigueur avec Lillian.

 

Dee Dee Bridgewater/Irvin Mayfield & The New Orleans Orchestra : Dee Dee Bridgewater ( voc), Irvin Mayfield (tp, voc), Barney Floyd, James Williams, Glenn Hall, Leon Brown, Ashlin Parker (tp), Michael Watson, Emily Fredrickson, David Harris (tb), Ed Petersen, Khari Lee, Jeronne Ansari, Ricardo Pascal, Jason Marshall sax), Carl LeBlanc (g, bjo), Victor Atkins (p), Jasen Weaver (b), Adonis Rose (dm).

 

Dee Dee Bridgewater a triomphé de nombreuses fois dans l’amphithéâtre viennois où elle est adulée… Idem en 2015. Présentée longuement (trop peut-être ?) par Irvin Mayfield en MC volubile comme « la plus sexy et la plus grande chanteuse actuelle »… A 65 ans – elle en paraît vingt moins… – Dee Dee est toujours aussi explosive. Sa descente, pour le rappel, dans la foule avec quelques musiciens sur Oh When the Saints a mis le public debout, en extase…


TheNew Orleans Orchestra, très grand orchestre de18 musiciens créé par Irvin Mayfield en 2002, est propulsé avec énergie par AdonisRose batteur louisianais emblématique. Dans ce big band beaucoup d’excellents solistes, qui visiblement piaffent d’impatience dans l’attente de leurs chorus. Plusieurs iront d’ailleurs faire joyeusement le bœuf au Jazz Mix à une heure du matin avec la figure légendaire de la soul/salsa Joe Bataan… Mayfield lui-même, intervient beaucoup à la trompette et dialogue souvent vocalement avec Dee Dee. Jacques Aboucaya qui a entendu ce programme à Ascona écrit avec sa pertinence habituelle : « La grande formation de Mayfield, dont on pouvait craindre, au début, qu’elle ne verse dans la variété jazzy, possède l
es atouts susceptibles de clouer le bec aux sceptiques. Un son d’ensemble, des arrangements fouillés, l’art des nuances. Un écrin de choix pour une Dee Dee au scat toujours ravageur, tour à tour mutine et jouant sur l’émotion (What A Wonderful World, Do You Know What It Means To Miss New Orleans). »
Merci Jacques.

 

Dimanche 28  (Théâtre Antique)

 

Légère déception des programmateurs de Jazz à Vienne, le théâtre antique n’a accueilli que deux milliers de spectateurs ( beaucoup de festivals rêvent d’un tel score… qui est ici considéré comme modeste! tout est relatif…) pour un programme populaire et fort agréable avec deux figures de la musique néo-orléanaise : un monument (Allen Toussaint) et un jeune qui monte (Davell Crawford).

 

Davell Crawford : To Fats With Love. Darell Crawford (p, voc), Wendell Brunious (tp), Gregory Agid (cl, ts), Stephen Gladney (ts), Elliott “Stackman” Callier (ts), Nicholas Snyder (g, bjo), Barry Stephenson (b), Le Shawn Elliot Lee (dm).

 

Fats Domino figure historique et emblématique de La Nouvelle-Orléans a été bien honoré par Davell Crawford. Comme chez Fats de nombreuses musiques, habilement mixées, sont sollicitées : gospel, Rythm and Blues, soul, funk, jazz… Davell est sympathique et virevoltant. Pêchu pour tout dire.

 

Allen Toussaint (voc, p), Renard Roche (g), Herman LeBeaux (dr), Roland Guerin (b).

 

Il y a maintenant dix ans, l’ouragan Katrina a détruit la maison d’Allen Toussaint (celle de Fats Domino aussi, comme des milliers d’autres). A 77 ans, toujours élégant, cet héritier de la tradition de Professeur Longhair, est depuis près de cinquante ans le grand architecte du son moderne de La Nouvelle-Orléans. A la fois, producteur, arrangeur, compositeur, pianiste et chanteur. Le plus souvent homme de l’ombre dans les studios ou sideman de luxe aux côtés de chanteurs la scène lui convient aussi parfaitement. A Vienne, il a construit son passage autour d’un pot pourri de ses thèmes préférés qu’il truffe de citations drôles et enjouées. Au piano il est aérien tout en groovant sans effets appuyés. Tranquille et serein : la grande classe.

 

Bien sûr comme toujours ici il se passe beaucoup de choses toute la journée en dehors du Théâtre Antique : scène et kiosque Cybèle, Théâtre (à minuit), Jazz Mix (programmé de main de maître par Reza Ackbaraly de Mezzo, avec chaque soir vers 1 heure du matin des créations/rencontres étonnantes).

 

Quelques belles découvertes et/ou confirmations des 3 premiers jours :

  • Leyla Mc Calla vocaliste mixant à sa manière blues, folk et chansons créoles (au banjo et au violoncelle) accompagnée de manière aérienne et étonnante par Raphael Imbert à la clarinette basse.

  • Laurent Coulondre (musicien Generation Spedidam et Talent Jazz Adami) aux claviers : l’homme qui monte (booké un peu partout dans les festivals d’été 2015)…

  • – Le Colin Vallon Trio de l’écurie ECM. Du splendide jazz helvétique serein.

 

Jazz à Vienne, sur ses trois premiers jours, avait vraiment bien lancé son édition 2015.


Le mardi 30 Marcus Miller a fait un triomphe que vous narre sur ce même site Frédéric Goaty.


 Pierre-Henri Ardonceau

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Jazz à Vienne 2015 a débuté en fanfare avec trois journées dédiées à La Nouvelle- Orléans.


Jazz New Orleans : un mot magique chez les profanes. « Je n’aime pas le jazz moderne mais le New Orleans oui… ». Combien de fois avons-nous entendu cette antienne lorsqu’on est présenté comme spécialiste du djaze à des relations, des amis ou des membres de la famille… Que de quiproquos et de malentendus derrière cette proclamation… En fait, 99 fois sur 100 c’est du Dixieland (ou de Sidney Bechet post 1945) dont on nous parle…

Le jazz “préhistorique” (rien de péjoratif mais un simple constat) de King Oliver et Jelly Roll Morton fait d’influences multiformes (ragtime, fanfares, gospel, blues… entre autres) de 1900 à 1925 (en gros), puis le Jazz Nouvelle Orléans né à Chicago (hé oui…) à partir de 1925 avec Louis Armstrong… nos profanes ne les connaissent généralement absolument pas.

Certains ont participé en tant que touristes à des parades à La Nouvelle-Orléans (en « second line »), sont allés faire un tour au Preservation Hall et sont revenus chez nous « spécialistes » auto-proclamés du jazz authentique… Philippe Carles, dans le Dictionnaire du Jazz, évoque même l’hypertouristisée Bourbon Street considérée par Frank Ténot comme « la lie et l’écume du jazz » !


(Depuis quelques années je donne un cours d’histoire du jazz à l’Université du Temps Libre de Pau. A la fin d’un cours, une dame très élégante est venue me demander si j’avais déjà été à La Nouvelle-Orléans… Ma réponse: « Non, jamais …» l’a visiblement effarée et elle n’est jamais revenue ! Elle a dit à des personnes qui suivaient ce cours qu’il lui paraissait « totalement  invraisemblable de faire un cours sur le jazz en n’ayant jamais mis les pieds à La Nouvelle-Orléans» !)

 

Mais revenons à Vienne 2015, où était programmé un bel échantillonnage des musiques d’hier et d’aujourd’hui venues du Delta du Mississippi.

 

Le vendredi 26 juin grande parade dans la ville avec les enfants des écoles très joyeux, des fanfares et des groupes (une dizaine, dont les Hollandais du Broken Brass Band et le French Preservation Hall Jazz New Orleans de Jean Pierre Alessi) jouant un peu partout sur des scènes implantées dans tout le centre ville. Tout gratuit. Bonne ambiance. Public visiblement ravi. Très gros succès pour cette journée inaugurale.

 

Samedi 27  (Théâtre Antique). Lilian Boutté & Satchmo Gumbo : Lilian Boutté (voc), Jérôme Etcheberry (tp), Jean-Claude Onesta (tb), Jean-François Bonnel (cl), David Blenkhorn (g), Sébastien Girardot (b) Guillaume Nouaux (dr). Guest : Tanya Boutté (voc)

 

Satchmo Gumbo joue (fort bien) la musique du sextette d’Armstrong des années 1950 et 1960. Qui n’est pas à proprement parler du “vrai ” style New Orleans… Mais un style “inventé ” par Louis Armstrong et porté au plus haut niveau de popularité dans le monde entier lors de milliers de concerts de Satchmo.

Ici la guitare remplace le piano… Mais le son et le répertoire sont là et bien là. Jerôme Etcheberry (ex-Haricots Rouges) est un disciple de haut niveau d’Armstrong (phrasé, puissance) et Guillaume Nouaux a démontré, une fois de plus, et de manière éclatante, qu’il est certainement le meilleur batteur européen de jazz traditionnel et mainstrean.

Lillian Boutté ambassadrice musicale de La Nouvelle Orléans depuis 1986, a collaboré entre autres avec Allen Toussaint et Dr John. Frêle silhouette mais chanteuse dynamique et charismatique. Dans ses interprétations du répertoire d’Armstrong elle dégage une émotion rare. Invitée surprise sur quelques morceaux Tanya Boutté (sa nièce?) a dialogué avec vigueur avec Lillian.

 

Dee Dee Bridgewater/Irvin Mayfield & The New Orleans Orchestra : Dee Dee Bridgewater ( voc), Irvin Mayfield (tp, voc), Barney Floyd, James Williams, Glenn Hall, Leon Brown, Ashlin Parker (tp), Michael Watson, Emily Fredrickson, David Harris (tb), Ed Petersen, Khari Lee, Jeronne Ansari, Ricardo Pascal, Jason Marshall sax), Carl LeBlanc (g, bjo), Victor Atkins (p), Jasen Weaver (b), Adonis Rose (dm).

 

Dee Dee Bridgewater a triomphé de nombreuses fois dans l’amphithéâtre viennois où elle est adulée… Idem en 2015. Présentée longuement (trop peut-être ?) par Irvin Mayfield en MC volubile comme « la plus sexy et la plus grande chanteuse actuelle »… A 65 ans – elle en paraît vingt moins… – Dee Dee est toujours aussi explosive. Sa descente, pour le rappel, dans la foule avec quelques musiciens sur Oh When the Saints a mis le public debout, en extase…


TheNew Orleans Orchestra, très grand orchestre de18 musiciens créé par Irvin Mayfield en 2002, est propulsé avec énergie par AdonisRose batteur louisianais emblématique. Dans ce big band beaucoup d’excellents solistes, qui visiblement piaffent d’impatience dans l’attente de leurs chorus. Plusieurs iront d’ailleurs faire joyeusement le bœuf au Jazz Mix à une heure du matin avec la figure légendaire de la soul/salsa Joe Bataan… Mayfield lui-même, intervient beaucoup à la trompette et dialogue souvent vocalement avec Dee Dee. Jacques Aboucaya qui a entendu ce programme à Ascona écrit avec sa pertinence habituelle : « La grande formation de Mayfield, dont on pouvait craindre, au début, qu’elle ne verse dans la variété jazzy, possède l
es atouts susceptibles de clouer le bec aux sceptiques. Un son d’ensemble, des arrangements fouillés, l’art des nuances. Un écrin de choix pour une Dee Dee au scat toujours ravageur, tour à tour mutine et jouant sur l’émotion (What A Wonderful World, Do You Know What It Means To Miss New Orleans). »
Merci Jacques.

 

Dimanche 28  (Théâtre Antique)

 

Légère déception des programmateurs de Jazz à Vienne, le théâtre antique n’a accueilli que deux milliers de spectateurs ( beaucoup de festivals rêvent d’un tel score… qui est ici considéré comme modeste! tout est relatif…) pour un programme populaire et fort agréable avec deux figures de la musique néo-orléanaise : un monument (Allen Toussaint) et un jeune qui monte (Davell Crawford).

 

Davell Crawford : To Fats With Love. Darell Crawford (p, voc), Wendell Brunious (tp), Gregory Agid (cl, ts), Stephen Gladney (ts), Elliott “Stackman” Callier (ts), Nicholas Snyder (g, bjo), Barry Stephenson (b), Le Shawn Elliot Lee (dm).

 

Fats Domino figure historique et emblématique de La Nouvelle-Orléans a été bien honoré par Davell Crawford. Comme chez Fats de nombreuses musiques, habilement mixées, sont sollicitées : gospel, Rythm and Blues, soul, funk, jazz… Davell est sympathique et virevoltant. Pêchu pour tout dire.

 

Allen Toussaint (voc, p), Renard Roche (g), Herman LeBeaux (dr), Roland Guerin (b).

 

Il y a maintenant dix ans, l’ouragan Katrina a détruit la maison d’Allen Toussaint (celle de Fats Domino aussi, comme des milliers d’autres). A 77 ans, toujours élégant, cet héritier de la tradition de Professeur Longhair, est depuis près de cinquante ans le grand architecte du son moderne de La Nouvelle-Orléans. A la fois, producteur, arrangeur, compositeur, pianiste et chanteur. Le plus souvent homme de l’ombre dans les studios ou sideman de luxe aux côtés de chanteurs la scène lui convient aussi parfaitement. A Vienne, il a construit son passage autour d’un pot pourri de ses thèmes préférés qu’il truffe de citations drôles et enjouées. Au piano il est aérien tout en groovant sans effets appuyés. Tranquille et serein : la grande classe.

 

Bien sûr comme toujours ici il se passe beaucoup de choses toute la journée en dehors du Théâtre Antique : scène et kiosque Cybèle, Théâtre (à minuit), Jazz Mix (programmé de main de maître par Reza Ackbaraly de Mezzo, avec chaque soir vers 1 heure du matin des créations/rencontres étonnantes).

 

Quelques belles découvertes et/ou confirmations des 3 premiers jours :

  • Leyla Mc Calla vocaliste mixant à sa manière blues, folk et chansons créoles (au banjo et au violoncelle) accompagnée de manière aérienne et étonnante par Raphael Imbert à la clarinette basse.

  • Laurent Coulondre (musicien Generation Spedidam et Talent Jazz Adami) aux claviers : l’homme qui monte (booké un peu partout dans les festivals d’été 2015)…

  • – Le Colin Vallon Trio de l’écurie ECM. Du splendide jazz helvétique serein.

 

Jazz à Vienne, sur ses trois premiers jours, avait vraiment bien lancé son édition 2015.


Le mardi 30 Marcus Miller a fait un triomphe que vous narre sur ce même site Frédéric Goaty.


 Pierre-Henri Ardonceau

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Jazz à Vienne 2015 a débuté en fanfare avec trois journées dédiées à La Nouvelle- Orléans.


Jazz New Orleans : un mot magique chez les profanes. « Je n’aime pas le jazz moderne mais le New Orleans oui… ». Combien de fois avons-nous entendu cette antienne lorsqu’on est présenté comme spécialiste du djaze à des relations, des amis ou des membres de la famille… Que de quiproquos et de malentendus derrière cette proclamation… En fait, 99 fois sur 100 c’est du Dixieland (ou de Sidney Bechet post 1945) dont on nous parle…

Le jazz “préhistorique” (rien de péjoratif mais un simple constat) de King Oliver et Jelly Roll Morton fait d’influences multiformes (ragtime, fanfares, gospel, blues… entre autres) de 1900 à 1925 (en gros), puis le Jazz Nouvelle Orléans né à Chicago (hé oui…) à partir de 1925 avec Louis Armstrong… nos profanes ne les connaissent généralement absolument pas.

Certains ont participé en tant que touristes à des parades à La Nouvelle-Orléans (en « second line »), sont allés faire un tour au Preservation Hall et sont revenus chez nous « spécialistes » auto-proclamés du jazz authentique… Philippe Carles, dans le Dictionnaire du Jazz, évoque même l’hypertouristisée Bourbon Street considérée par Frank Ténot comme « la lie et l’écume du jazz » !


(Depuis quelques années je donne un cours d’histoire du jazz à l’Université du Temps Libre de Pau. A la fin d’un cours, une dame très élégante est venue me demander si j’avais déjà été à La Nouvelle-Orléans… Ma réponse: « Non, jamais …» l’a visiblement effarée et elle n’est jamais revenue ! Elle a dit à des personnes qui suivaient ce cours qu’il lui paraissait « totalement  invraisemblable de faire un cours sur le jazz en n’ayant jamais mis les pieds à La Nouvelle-Orléans» !)

 

Mais revenons à Vienne 2015, où était programmé un bel échantillonnage des musiques d’hier et d’aujourd’hui venues du Delta du Mississippi.

 

Le vendredi 26 juin grande parade dans la ville avec les enfants des écoles très joyeux, des fanfares et des groupes (une dizaine, dont les Hollandais du Broken Brass Band et le French Preservation Hall Jazz New Orleans de Jean Pierre Alessi) jouant un peu partout sur des scènes implantées dans tout le centre ville. Tout gratuit. Bonne ambiance. Public visiblement ravi. Très gros succès pour cette journée inaugurale.

 

Samedi 27  (Théâtre Antique). Lilian Boutté & Satchmo Gumbo : Lilian Boutté (voc), Jérôme Etcheberry (tp), Jean-Claude Onesta (tb), Jean-François Bonnel (cl), David Blenkhorn (g), Sébastien Girardot (b) Guillaume Nouaux (dr). Guest : Tanya Boutté (voc)

 

Satchmo Gumbo joue (fort bien) la musique du sextette d’Armstrong des années 1950 et 1960. Qui n’est pas à proprement parler du “vrai ” style New Orleans… Mais un style “inventé ” par Louis Armstrong et porté au plus haut niveau de popularité dans le monde entier lors de milliers de concerts de Satchmo.

Ici la guitare remplace le piano… Mais le son et le répertoire sont là et bien là. Jerôme Etcheberry (ex-Haricots Rouges) est un disciple de haut niveau d’Armstrong (phrasé, puissance) et Guillaume Nouaux a démontré, une fois de plus, et de manière éclatante, qu’il est certainement le meilleur batteur européen de jazz traditionnel et mainstrean.

Lillian Boutté ambassadrice musicale de La Nouvelle Orléans depuis 1986, a collaboré entre autres avec Allen Toussaint et Dr John. Frêle silhouette mais chanteuse dynamique et charismatique. Dans ses interprétations du répertoire d’Armstrong elle dégage une émotion rare. Invitée surprise sur quelques morceaux Tanya Boutté (sa nièce?) a dialogué avec vigueur avec Lillian.

 

Dee Dee Bridgewater/Irvin Mayfield & The New Orleans Orchestra : Dee Dee Bridgewater ( voc), Irvin Mayfield (tp, voc), Barney Floyd, James Williams, Glenn Hall, Leon Brown, Ashlin Parker (tp), Michael Watson, Emily Fredrickson, David Harris (tb), Ed Petersen, Khari Lee, Jeronne Ansari, Ricardo Pascal, Jason Marshall sax), Carl LeBlanc (g, bjo), Victor Atkins (p), Jasen Weaver (b), Adonis Rose (dm).

 

Dee Dee Bridgewater a triomphé de nombreuses fois dans l’amphithéâtre viennois où elle est adulée… Idem en 2015. Présentée longuement (trop peut-être ?) par Irvin Mayfield en MC volubile comme « la plus sexy et la plus grande chanteuse actuelle »… A 65 ans – elle en paraît vingt moins… – Dee Dee est toujours aussi explosive. Sa descente, pour le rappel, dans la foule avec quelques musiciens sur Oh When the Saints a mis le public debout, en extase…


TheNew Orleans Orchestra, très grand orchestre de18 musiciens créé par Irvin Mayfield en 2002, est propulsé avec énergie par AdonisRose batteur louisianais emblématique. Dans ce big band beaucoup d’excellents solistes, qui visiblement piaffent d’impatience dans l’attente de leurs chorus. Plusieurs iront d’ailleurs faire joyeusement le bœuf au Jazz Mix à une heure du matin avec la figure légendaire de la soul/salsa Joe Bataan… Mayfield lui-même, intervient beaucoup à la trompette et dialogue souvent vocalement avec Dee Dee. Jacques Aboucaya qui a entendu ce programme à Ascona écrit avec sa pertinence habituelle : « La grande formation de Mayfield, dont on pouvait craindre, au début, qu’elle ne verse dans la variété jazzy, possède l
es atouts susceptibles de clouer le bec aux sceptiques. Un son d’ensemble, des arrangements fouillés, l’art des nuances. Un écrin de choix pour une Dee Dee au scat toujours ravageur, tour à tour mutine et jouant sur l’émotion (What A Wonderful World, Do You Know What It Means To Miss New Orleans). »
Merci Jacques.

 

Dimanche 28  (Théâtre Antique)

 

Légère déception des programmateurs de Jazz à Vienne, le théâtre antique n’a accueilli que deux milliers de spectateurs ( beaucoup de festivals rêvent d’un tel score… qui est ici considéré comme modeste! tout est relatif…) pour un programme populaire et fort agréable avec deux figures de la musique néo-orléanaise : un monument (Allen Toussaint) et un jeune qui monte (Davell Crawford).

 

Davell Crawford : To Fats With Love. Darell Crawford (p, voc), Wendell Brunious (tp), Gregory Agid (cl, ts), Stephen Gladney (ts), Elliott “Stackman” Callier (ts), Nicholas Snyder (g, bjo), Barry Stephenson (b), Le Shawn Elliot Lee (dm).

 

Fats Domino figure historique et emblématique de La Nouvelle-Orléans a été bien honoré par Davell Crawford. Comme chez Fats de nombreuses musiques, habilement mixées, sont sollicitées : gospel, Rythm and Blues, soul, funk, jazz… Davell est sympathique et virevoltant. Pêchu pour tout dire.

 

Allen Toussaint (voc, p), Renard Roche (g), Herman LeBeaux (dr), Roland Guerin (b).

 

Il y a maintenant dix ans, l’ouragan Katrina a détruit la maison d’Allen Toussaint (celle de Fats Domino aussi, comme des milliers d’autres). A 77 ans, toujours élégant, cet héritier de la tradition de Professeur Longhair, est depuis près de cinquante ans le grand architecte du son moderne de La Nouvelle-Orléans. A la fois, producteur, arrangeur, compositeur, pianiste et chanteur. Le plus souvent homme de l’ombre dans les studios ou sideman de luxe aux côtés de chanteurs la scène lui convient aussi parfaitement. A Vienne, il a construit son passage autour d’un pot pourri de ses thèmes préférés qu’il truffe de citations drôles et enjouées. Au piano il est aérien tout en groovant sans effets appuyés. Tranquille et serein : la grande classe.

 

Bien sûr comme toujours ici il se passe beaucoup de choses toute la journée en dehors du Théâtre Antique : scène et kiosque Cybèle, Théâtre (à minuit), Jazz Mix (programmé de main de maître par Reza Ackbaraly de Mezzo, avec chaque soir vers 1 heure du matin des créations/rencontres étonnantes).

 

Quelques belles découvertes et/ou confirmations des 3 premiers jours :

  • Leyla Mc Calla vocaliste mixant à sa manière blues, folk et chansons créoles (au banjo et au violoncelle) accompagnée de manière aérienne et étonnante par Raphael Imbert à la clarinette basse.

  • Laurent Coulondre (musicien Generation Spedidam et Talent Jazz Adami) aux claviers : l’homme qui monte (booké un peu partout dans les festivals d’été 2015)…

  • – Le Colin Vallon Trio de l’écurie ECM. Du splendide jazz helvétique serein.

 

Jazz à Vienne, sur ses trois premiers jours, avait vraiment bien lancé son édition 2015.


Le mardi 30 Marcus Miller a fait un triomphe que vous narre sur ce même site Frédéric Goaty.


 Pierre-Henri Ardonceau

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Jazz à Vienne 2015 a débuté en fanfare avec trois journées dédiées à La Nouvelle- Orléans.


Jazz New Orleans : un mot magique chez les profanes. « Je n’aime pas le jazz moderne mais le New Orleans oui… ». Combien de fois avons-nous entendu cette antienne lorsqu’on est présenté comme spécialiste du djaze à des relations, des amis ou des membres de la famille… Que de quiproquos et de malentendus derrière cette proclamation… En fait, 99 fois sur 100 c’est du Dixieland (ou de Sidney Bechet post 1945) dont on nous parle…

Le jazz “préhistorique” (rien de péjoratif mais un simple constat) de King Oliver et Jelly Roll Morton fait d’influences multiformes (ragtime, fanfares, gospel, blues… entre autres) de 1900 à 1925 (en gros), puis le Jazz Nouvelle Orléans né à Chicago (hé oui…) à partir de 1925 avec Louis Armstrong… nos profanes ne les connaissent généralement absolument pas.

Certains ont participé en tant que touristes à des parades à La Nouvelle-Orléans (en « second line »), sont allés faire un tour au Preservation Hall et sont revenus chez nous « spécialistes » auto-proclamés du jazz authentique… Philippe Carles, dans le Dictionnaire du Jazz, évoque même l’hypertouristisée Bourbon Street considérée par Frank Ténot comme « la lie et l’écume du jazz » !


(Depuis quelques années je donne un cours d’histoire du jazz à l’Université du Temps Libre de Pau. A la fin d’un cours, une dame très élégante est venue me demander si j’avais déjà été à La Nouvelle-Orléans… Ma réponse: « Non, jamais …» l’a visiblement effarée et elle n’est jamais revenue ! Elle a dit à des personnes qui suivaient ce cours qu’il lui paraissait « totalement  invraisemblable de faire un cours sur le jazz en n’ayant jamais mis les pieds à La Nouvelle-Orléans» !)

 

Mais revenons à Vienne 2015, où était programmé un bel échantillonnage des musiques d’hier et d’aujourd’hui venues du Delta du Mississippi.

 

Le vendredi 26 juin grande parade dans la ville avec les enfants des écoles très joyeux, des fanfares et des groupes (une dizaine, dont les Hollandais du Broken Brass Band et le French Preservation Hall Jazz New Orleans de Jean Pierre Alessi) jouant un peu partout sur des scènes implantées dans tout le centre ville. Tout gratuit. Bonne ambiance. Public visiblement ravi. Très gros succès pour cette journée inaugurale.

 

Samedi 27  (Théâtre Antique). Lilian Boutté & Satchmo Gumbo : Lilian Boutté (voc), Jérôme Etcheberry (tp), Jean-Claude Onesta (tb), Jean-François Bonnel (cl), David Blenkhorn (g), Sébastien Girardot (b) Guillaume Nouaux (dr). Guest : Tanya Boutté (voc)

 

Satchmo Gumbo joue (fort bien) la musique du sextette d’Armstrong des années 1950 et 1960. Qui n’est pas à proprement parler du “vrai ” style New Orleans… Mais un style “inventé ” par Louis Armstrong et porté au plus haut niveau de popularité dans le monde entier lors de milliers de concerts de Satchmo.

Ici la guitare remplace le piano… Mais le son et le répertoire sont là et bien là. Jerôme Etcheberry (ex-Haricots Rouges) est un disciple de haut niveau d’Armstrong (phrasé, puissance) et Guillaume Nouaux a démontré, une fois de plus, et de manière éclatante, qu’il est certainement le meilleur batteur européen de jazz traditionnel et mainstrean.

Lillian Boutté ambassadrice musicale de La Nouvelle Orléans depuis 1986, a collaboré entre autres avec Allen Toussaint et Dr John. Frêle silhouette mais chanteuse dynamique et charismatique. Dans ses interprétations du répertoire d’Armstrong elle dégage une émotion rare. Invitée surprise sur quelques morceaux Tanya Boutté (sa nièce?) a dialogué avec vigueur avec Lillian.

 

Dee Dee Bridgewater/Irvin Mayfield & The New Orleans Orchestra : Dee Dee Bridgewater ( voc), Irvin Mayfield (tp, voc), Barney Floyd, James Williams, Glenn Hall, Leon Brown, Ashlin Parker (tp), Michael Watson, Emily Fredrickson, David Harris (tb), Ed Petersen, Khari Lee, Jeronne Ansari, Ricardo Pascal, Jason Marshall sax), Carl LeBlanc (g, bjo), Victor Atkins (p), Jasen Weaver (b), Adonis Rose (dm).

 

Dee Dee Bridgewater a triomphé de nombreuses fois dans l’amphithéâtre viennois où elle est adulée… Idem en 2015. Présentée longuement (trop peut-être ?) par Irvin Mayfield en MC volubile comme « la plus sexy et la plus grande chanteuse actuelle »… A 65 ans – elle en paraît vingt moins… – Dee Dee est toujours aussi explosive. Sa descente, pour le rappel, dans la foule avec quelques musiciens sur Oh When the Saints a mis le public debout, en extase…


TheNew Orleans Orchestra, très grand orchestre de18 musiciens créé par Irvin Mayfield en 2002, est propulsé avec énergie par AdonisRose batteur louisianais emblématique. Dans ce big band beaucoup d’excellents solistes, qui visiblement piaffent d’impatience dans l’attente de leurs chorus. Plusieurs iront d’ailleurs faire joyeusement le bœuf au Jazz Mix à une heure du matin avec la figure légendaire de la soul/salsa Joe Bataan… Mayfield lui-même, intervient beaucoup à la trompette et dialogue souvent vocalement avec Dee Dee. Jacques Aboucaya qui a entendu ce programme à Ascona écrit avec sa pertinence habituelle : « La grande formation de Mayfield, dont on pouvait craindre, au début, qu’elle ne verse dans la variété jazzy, possède l
es atouts susceptibles de clouer le bec aux sceptiques. Un son d’ensemble, des arrangements fouillés, l’art des nuances. Un écrin de choix pour une Dee Dee au scat toujours ravageur, tour à tour mutine et jouant sur l’émotion (What A Wonderful World, Do You Know What It Means To Miss New Orleans). »
Merci Jacques.

 

Dimanche 28  (Théâtre Antique)

 

Légère déception des programmateurs de Jazz à Vienne, le théâtre antique n’a accueilli que deux milliers de spectateurs ( beaucoup de festivals rêvent d’un tel score… qui est ici considéré comme modeste! tout est relatif…) pour un programme populaire et fort agréable avec deux figures de la musique néo-orléanaise : un monument (Allen Toussaint) et un jeune qui monte (Davell Crawford).

 

Davell Crawford : To Fats With Love. Darell Crawford (p, voc), Wendell Brunious (tp), Gregory Agid (cl, ts), Stephen Gladney (ts), Elliott “Stackman” Callier (ts), Nicholas Snyder (g, bjo), Barry Stephenson (b), Le Shawn Elliot Lee (dm).

 

Fats Domino figure historique et emblématique de La Nouvelle-Orléans a été bien honoré par Davell Crawford. Comme chez Fats de nombreuses musiques, habilement mixées, sont sollicitées : gospel, Rythm and Blues, soul, funk, jazz… Davell est sympathique et virevoltant. Pêchu pour tout dire.

 

Allen Toussaint (voc, p), Renard Roche (g), Herman LeBeaux (dr), Roland Guerin (b).

 

Il y a maintenant dix ans, l’ouragan Katrina a détruit la maison d’Allen Toussaint (celle de Fats Domino aussi, comme des milliers d’autres). A 77 ans, toujours élégant, cet héritier de la tradition de Professeur Longhair, est depuis près de cinquante ans le grand architecte du son moderne de La Nouvelle-Orléans. A la fois, producteur, arrangeur, compositeur, pianiste et chanteur. Le plus souvent homme de l’ombre dans les studios ou sideman de luxe aux côtés de chanteurs la scène lui convient aussi parfaitement. A Vienne, il a construit son passage autour d’un pot pourri de ses thèmes préférés qu’il truffe de citations drôles et enjouées. Au piano il est aérien tout en groovant sans effets appuyés. Tranquille et serein : la grande classe.

 

Bien sûr comme toujours ici il se passe beaucoup de choses toute la journée en dehors du Théâtre Antique : scène et kiosque Cybèle, Théâtre (à minuit), Jazz Mix (programmé de main de maître par Reza Ackbaraly de Mezzo, avec chaque soir vers 1 heure du matin des créations/rencontres étonnantes).

 

Quelques belles découvertes et/ou confirmations des 3 premiers jours :

  • Leyla Mc Calla vocaliste mixant à sa manière blues, folk et chansons créoles (au banjo et au violoncelle) accompagnée de manière aérienne et étonnante par Raphael Imbert à la clarinette basse.

  • Laurent Coulondre (musicien Generation Spedidam et Talent Jazz Adami) aux claviers : l’homme qui monte (booké un peu partout dans les festivals d’été 2015)…

  • – Le Colin Vallon Trio de l’écurie ECM. Du splendide jazz helvétique serein.

 

Jazz à Vienne, sur ses trois premiers jours, avait vraiment bien lancé son édition 2015.


Le mardi 30 Marcus Miller a fait un triomphe que vous narre sur ce même site Frédéric Goaty.


 Pierre-Henri Ardonceau