Jazz live
Publié le 1 Nov 2018

Edward Perraud à fleur de peaux

 

 

 

 

Le trio d’Edward Perraud fêtait à l’Ermitage la sortie de leur magnifique album Espaces.

Edward Perraud (batterie), Paul Lay (piano), Bruno Chevillon (basse), studio de l’Ermitage, 15 octobre 2018

J’avais d’abord écouté ce disque, chez moi, totalement conquis. Je peux même dire, en ayant tourné ma plume sept fois dans mon encrier et juré sur la Bible et la Recherche du temps perdu, que c’est un des plus beaux disques qu’il m’ait été donné d’écouter cette année : avec au moins un chef d’oeuvre absolu,  le sublime l’âge d’or. En me repassant ce disque chez moi, j’avais été subjugué par le travail d’Edward  Perraud, son utilisation poétique de sonorités cristallines qui donnent à son instrument une dimension si mélodique, et lui permettent d’offrir des directions sonores inattendues à ses partenaires.

 

Au Studio de l’Ermitage, je retrouve en direct tout ce qui m’avait plu sur le disque, cette manière mélodique et poétique d’utiliser la batterie, en recourant à de subtiles éraflures de cymbales données dans la micro-seconde nécessaire, mais aussi à des bols tibétains sur lesquels il frotte un instrument à une corde qui ressemble à un petit arc, produisant des sons lancinants, un peu comme une scie musicale: autant de rayons de miel que Paul lay affine avec gourmandise. Le morceau le plus représentatif de cette manière de transformer la batterie en un instrument mélodique presque à l’égal du piano est donc l’âge d’or. Je l’écoute avec délice quand les trois musiciens le rejouent dans la deuxième moitié du concert. C’est décidément sublime. La batterie s’y transforme en oiseau-lyre, dans un duo presque à l’unisson avec le piano de Paul Lay qui semble examiner et approfondir les intuitions d’Edward Perraud. On est dans une église envahie d’oiseaux multicolores.

 

Un autre morceau me semble presque au niveau de l’âge d’or, c’est Mélancholia, joué au début du concert, avec  cette manière très belle et très fine de Paul Lay de proposer un swing retenu et délicat, comme en filigrane. J’ai parlé de l’aspect mélodique d’Edward Perraud mais il ne se résume pas à  cela. Dans certains morceaux joués ce soir (Laps) il se montre féroce, tourbillonnant, endiablé . Il réagit au quart de tour à ce que jouent ses partenaires, se lève comme un ressort aux moment les plus intenses, rendant la musique émotive,vivante, à fleur de peaux.

 

Je n’ai pas encore parlé du troisième protagoniste de ce trio, l’incroyable Bruno Chevillon. Il est comme toujours admirable. Il insuffle du mystère à cette musique émotive. Mais pas seulement. Il apporte aussi quelque chose de sauvage et d’organique. Des nappes de  brouillards épais sortent de sa contrebasse, que Paul lay et Edward Perraud s’emploient à trouer d’étincelles crépitantes.

J’oubliais de dire que le projet du disque est très original puisque chaque morceau est une sorte d’interprétation-variation sur un intervalle de la musique, lui-même renvoyant à une époque ou un artiste précis (c’est ainsi que la tierce évoque le XVIIIe siècle et Mozart, que la quarte évoque Coltrane). Bon. Mais tout ça on s’en fout, on n’a pas besoin de le savoir pour trouver cette musique formidable. C’est Edward Perraud lui-même qui le dit: « C’est pas un catalogue d’intervalles, c’est du rêve! » Rien à ajouter.

Texte JF Mondot
Dessins AC Alvoët (autres dessins et peintures à découvrir sur son site www.annie-claire.com. Pour acquérir l’un des dessins de cette chronique, s’adresser à l’artiste à l’adresse suivante annie_claire@hotmail.com )