Jazz live
Publié le 27 Juin 2018

Jazz Ascona. Le blues et ses avatars

Après le sacre de Franco Ambrosetti (1), le festival a repris sa vitesse de croisière. A savoir que, selon une formule qui a fait ses preuves au siècle dernier, notamment lors de « notre » Grande Parade de Nice, les groupes se produisent simultanément, plusieurs jours durant, sur les diverses scènes et terrasses de restaurants réparties le long du Lac Majeur.

L’avantage n’est pas négligeable : quasiment assuré de retrouver le lendemain tel ou tel musicien ou orchestre qu’il n’a pu écouter la veille, le festivalier n’est que très rarement placé dans la position inconfortable de l’âne de Buridan, contraint à d’insolubles dilemmes. Ainsi peut-il en toute quiétude faire son choix.

Lundi 25 juin, en soirée, ce choix s’est porté sur le stage Elvezia et Jt & The Ka-nection Band, venu tout droit de New Orleans. L’un des orchestres les plus anciens  et, assurément, le plus populaire de  Bourbon Street. Sa renommée s’étend, du reste, à l’ensemble des Etats-Unis. Elle n’a rien d’usurpé, à en juger par sa capacité à créer une ambiance festive, à entraîner le public dans un tourbillon où chant et musique ne se conçoivent pas sans la danse. Van Morrison aussi bien que Earth, Wind & Fire, Aretha Franklin et Michael Jackson sont les principales sources d’inspiration des trois vocalistes, dont la généreuse Dorene Carter, épaulés par une front line d’où émerge, au ténor, Julius Handy. Quant à la rythmique, torride, elle constitue la rampe de lancement la plus efficace qui se puisse concevoir. Soit un octette au dynamisme communicatif. Fringant, y compris dans sa présentation. Sa prestation culmine avec le succès de Little Milton The Blues Is Alright, repris en chœur par un public survolté. Preuve que le but est atteint.

Le blues est aussi au menu proposé, au stage New Orleans, pat Randolph Matthews et son Afro blues Project. Rien de commun, sinon de façon allusive, avec le fameux Afro Blue de John Coltrane. Accompagné par Alessandro Diaferio (g), Andrea Vismara (b) et Pablo Leoni (dm), le chanteur londonien, afro-caribéen d’origine, assure, lui aussi, un spectacle total. Lauréat du Prix du public de Jazz Ascona 2017, il conjugue maintes influences, celles de bluesmen tels Leadbelly ou Middy Waters, et des maîtres de la Great Black Music comme Jimi Hendrix ou Maceo Parker. Le tout assaisonné de soul, de jazz et de musiques ethniques. Servi par une voix expressive et un jeu de scène exceptionnel qui le fait se muer en chorégraphe, en mime, en acrobate et en danseur de hip ho, il propose un show à l’originalité certaine. Si bien que la voie qu’il trace rencontre un accueil favorable, en particulier ses dialogues en scat avec Alessandro Diaferio.

Mardi 26 juin. S’il fallait résumer d’un mot ce qui fait la réussite du trio Boogie Connection, ce serait celui de complicité. Outre la technique irréprochable de chacun de ses membres – Thomas Scheytt (p), Christoph Pfaff (g, voc) et Hiram Mutscheller (dm) – leur entente, fruit d’une collaboration entamée en 1991, participe du succès de leur prestation. Du boogie woogie, certes, dans le respect de ses canons, mais aussi du blues, du rhythm and blues et du rock. Une variété de mélodies et de tempos. L’effet est quasi immédiat : leur musique respire une joie communicative. Il suffit de voir les sourires fleurir sur les visages d’une copieuse assistance et les couples de danseurs se former à proximité de la scène. Le genre n’a pas pris une ride. Il dégage le même enthousiasme qu’au temps des pionniers et le talent du trio consiste à le rafraîchir sans le dénaturer.

Au sein de La Section Rythmique, qui fait, depuis des années, les beaux soirs de Jazz Ascona, le guitariste et chanteur anglais Denny Illet occupe ce soir la place de David Blenkhorn aux côtés de Sébastien Girardot (b) et de Guillaume Nouaux (dm) sans que l’équilibre du groupe en soit affecté. Illet est bien connu en Europe pour avoir participé à de nombreux projets. Il excelle dans le blues et le prouve ce soir par son interprétation de Back O Town Blues, mais aussi dans d’autres styles. Sa voix aussi bien que son jeu de guitare, où il est loisible de repérer les influences de Wes Montgomery et de T.Bone Walker, se prêtent en effet à tous les genres et en font le partenaire idéal pour un contrebassiste et un batteur dont il est superflu de vanter une fois encore les mérites.

Ce trio superlatif donne ce soir la réplique à un autre habitué du festival, Thomas L’Estienne. Alternant clarinette et sax ténor, ce musicien éclectique, abreuvé aux racines du jazz (en témoigne, entre autres, un Struttin’ With Some Barbecue étincelant) affectionne aussi les mélodies et les rythmes caribéens et brésiliens, en particulier les compositions de Jacob do Bandolim. Tous ces musiciens se retrouveront ce soir au sein du Jazz Ascona Social Club en compagnie de Patrick Artero, (tp) Uli Wunner (cl)  et Ole « Fessor » Lindgren (tb). A ne rater sous aucun prétexte.

Jacques Aboucaya

(1) Dans le titre de mon compte rendu et dans ma hâte à annoncer l’événement, j’avais d’abord mal orthographié son nom. Mille excuses.Trop d’émotion, sans doute. Heureusement, quelques heures après, une bonne fée…