Jazz live
Publié le 25 Juin 2018

Jazz Ascona. Un trophée pour Franco Ambrosetti

Samedi 23 juin. Un brass band déambulant dans les ruelles du bourg avant de longer le lac, escorté par une foule de badauds où se pressent des bambins émerveillés. Plus loin, des accents de blues s’échappant d’un piano, dans un bar dont on a tiré les rideaux pour préserver un semblant de fraîcheur, en cette chaude après-midi. De grandes affiches sur lesquelles se découpe la fleur de lys de La Nouvelle-Orléans. Pas de doute, nous sommes à Ascona.

Samedi 23 juin. Un brass band déambulant dans les ruelles du bourg avant de longer le lac, escorté par une foule de badauds où se pressent des bambins émerveillés. Plus loin, des accents de blues s’échappant d’un piano, dans un bar dont on a tiré les rideaux pour préserver un semblant de fraîcheur, en cette chaude après-midi. De grandes affiches sur lesquelles se découpe la fleur de lys de La Nouvelle-Orléans. Pas de doute, nous sommes à Ascona.

 

A l’évidence, la connexion avec la Cité du Croissant y est plus que jamais  fructueuse. Le brass band, c’est le Andrews Family Brass Band, chargé de la traditionnelle parade quotidienne. Il compte en son sein des musiciens fort estimables, dont les trompettistes Jazz Unique Henry et Revert Powell. Quant au pianiste du bar, il s’agit de l’inamovible David Paquette. Du geste et de la voix, il  anime depuis des lustres, et cette année encore, les déjeuners du Ristorante Bistrot Otello, où il reçoit souvent des invités venus perpétuer en sa compagnie la tradition de la jam session. Se retrouver ainsi, d’emblée, en pays de connaissance a quelque chose de réjouissant. D’autant que l’impression de ressassement que l’on pourrait en induire se révèle parfaitement illusoire : chaque édition de Jazz Ascona apporte son lot de découvertes. De jeunes musiciens venus de Louisiane, mais aussi de pays européens, Italie et Suisse, notamment, y perpétuent une musique qui, pour être enracinée, n’en demeure pas moins actuelle. Et même, par certains côtés, novatrice, en ce qu’elle explore des directions inédites. Ils ne figurent jamais à l’affiche des festivals français. Pas assez connus, sans doute. Mais c’est une autre histoire.

 

Pour l’heure, un seul regret : avoir raté, la veille, l’unique prestation du Paolo Tomelleri Big Band. On se consolera avec son sextette, programmé le 28. Mais l’après-midi et la soirée du 23 réservent de bonnes surprises, à commencer par  le duo Mitch Woods (p, voc) et Rocco Lombardi (dm). Ils explorent avec une allégresse du meilleur aloi le répertoire du blues et du rhythm and blues, terminant leur set par un Shake, Rattle and Roll ultra swinguant. Plus tard, sur une des scènes qui bordent le Lac Majeur, c’est un trio, The Healthy Thinkers qui revisite des classiques d’un genre différent, ceux de Beatles, de Bob Dylan et de Leonard Cohen. Erica De Lazzari a une voix chaleureuse et expressive. Luca Pasqua (g) et Nic Angileri (b) lui prêtent un concours efficace.

 

Autant de mises en bouche savoureuses. Car le plat de résistance, aussi goûteux que consistant, fut offert en soirée par le Roland Guerin Band accueillant la chanteuse Quiana Lynell. Entendu aux côtés de Marcus Roberts, de Dr John, des Marsalis et d’autres vedettes de La Nouvelle-Orléans comme « Warmdaddy » Anderson et Allen Toussaint, le bassiste-chanteur compositeur a réuni autour de lui un all-stars de jeunes musiciens qui se révèlent solistes accomplis : Ashlin Parker évoque parfois à la trompette Roy Hargrove, par le phrasé et la sonorité. Le pianiste Kyle Roussel se révèle brillant technicien. Ses développements sont nourris de blues, comme les soli de Chris Adkins (g). Quant à John Jones (dm) et Alexey Marti (perc), ils conjuguent leur talent avec celui du leader pour offrir à l’ensemble  une assise rythmique des plus solides. Les territoires explorés vont bien au-delà de la Louisiane et de ses bayous. Folk, zydeco, blues, rhythm and blues, rock, jazz, autant de sources d’inspiration auxquelles ils convient d’ajouter la pop, celle de Sting ou de Peter Gabriel. Sur ce répertoire varié, voire composite, Quiana Lynell, dont c’est la première venue en Europe, se meut avec aisance. En témoigne un Basin Street Blues  auquel elle imprime sa marque personnelle. Cohésion, enthousiasme, panache. Un ensemble propre à rallier les suffrages d’un nombreux public.

 

Dimanche 24 juin. Aux entours de midi, The Swinging Buddies officient sur la scène du Ristorante Piazzetta. Un trio qui, comme son nom l’indique, évolue dans la tradition du jazz classique,  Fats Waller, Count Basie. Un répertoire de standards, dont certains rarement exhumés, comme Blues My Naughty Sweetie Gives To Me, pris sur un tempo d’enfer par Alfredo Ferrario (cl), disciple revendiqué de Benny Goodman, Luca Filastro (p), champion du stride doté d’une main gauche à toute épreuve et Marco Mergotto, batteur minimaliste et efficace. Les rejoint impromptu le trompettiste Nico Carleo, ancien du big band de Tomelleri, auteur d’un solo expressif sur Honeysuckle Rose. Tel est le genre de bonne surprise qui attend quotidiennement les festivaliers. Lesquels ne manquent pas d’échanger entre eux les bons tuyaux, musiciens et groupes à écouter de toute urgence…

 

En soirée, au Stage New Orleans (en quelque sorte, la scène officielle), Bryan Carter & The Young Swappers. Un  quintette  dont l’instrumentation est celle des ensembles bop et hard bop, deux soufflants, Enrique Sanchez (tp) et Julian Lee (ts) exposant les thèmes à l’unisson, une rythmique, Matthis Picard (p), Dan Chmielinski (b) et Bryan Carter lui-même, batteur et chanteur, infatigable animateur d’un groupe dont la caractéristique principale reste la fougue. Des standards traditionnels (Hit The Road, Jack), mais renouvelés par une bonne dose de funk et des arrangements faisant un fréquent usage de riffs. Un exemple accompli d’une des tendances musicales émergentes.

 

Enfin, champion incontesté de la soirée, Franco Ambrosetti. Une figure du jazz européen qui a côtoyé, au cours de sa longue carrière (il est né en 1941), les plus grands, de George Grunz à Michael Brecker, de Dexter Gordon à MikeStren ou Dave Holland, pour ne citer qu’eux. Un trompettiste et bugliste de classe, à la sonorité suave, à l’énergie et à l’inspiration intactes. Il dirige ce soir un quartette où figurent, outre le pianiste Dado Moroni, qui s’est souvent produit à Ascona, le bassiste Paolino Della Porta et le batteur Stefano Bagnoli. Autant de musiciens confirmés, aussi à l’aise dans le bop que dans la fusion, voire dans la « nouvelle musique improvisée ». Du reste, les ombres de Clifford Brown et de Miles Davis planent sur un concert passionnant. Apothéose, la remise du Swiss Jazz Award 2018 à Ambrosetti, qui a bien mérité de sa patrie d’origine, le Tessin. Une récompense amplement méritée pour ce musicien exemplaire.

 

Jacques Aboucaya