Jazz live
Publié le 26 Juin 2014

Julien Coriatt, pianiste du 38 riv’

 Le secret commence à être sérieusement éventé : Une des jam sessions les plus chaleureuses et les plus stimulantes de la capitale a lieu au 38 Riv, tous les lundis à partir de 20H30. Un jeune musicien de 35 ans, Julien Coriatt tient le piano. Il vient  de sortir un très beau disque: Blue lake. JamCoriattTrio

 

16 juin 2014

Le 38 Riv, 38 rue de Rivoli 75004 Paris

Julien Coriatt Trio (Julien Coriatt, piano, Adam Over, basse, David Paycha batterie)

Ce qui rend le 38 Riv si plaisant à fréquenter tient au cadre (des caves de pierre  du XIIe siècle), à la volonté du maître des lieux, Vincent Charbonnier de ne pas matraquer le chaland (l’entrée est gratuite) et enfin, surtout, à la qualité de la musique produite tous les lundis soir par le trio de Julien Coriatt. C’est ce trio (avec Adam Over à la basse et David Paycha à la batterie) qui introduit la soirée en jouant six ou sept morceaux pour laisser le temps aux jammeurs de sortir de leur terrier (le jammeur, ainsi que la chouette hulotte, ne sort qu’à la nuit tombée).

Ce soir là, le trio joue notamment Moment’s Notice, Triste, Sandu, Skylark, The way you look tonight. Julien Coriatt, pour préserver la spontanéité de l’instant, décide sur le moment de ce qui sera joué. Il se concerte avec Adam Over, on entend une brève conversation balablabla sibémolmineur, piapiapia mibémolmajeur, puis, les tonalités établies, Julien définit le tempo en claquant des doigt, ajoute parfois « on finit sec », et ce petit colloque rituel se clôt par un « Sure » sonore et définitif du bassiste canadien.

Sur Triste, en particulier, Julien Coriatt affiche ses qualités de pianiste et de musicien. Il a un toucher magnifique, un contrôle du son même dans les tempos rapides, un lyrisme élégant, pudique qui lui fait toujours préférer le murmure à la proclamation. Adam Over, à la basse est pour beaucoup dans la réussite du trio. De même qu’il y a dans la vie des gens dont les mots ont plus de poids que d’autres (observez dans un bar plein à craquer ceux qui arrivent à commander un demi du premier coup et sans hausser la voix…) ses notes ont une densité particulière. Il prend un solo magnifique sur Skylark (« Hé…mais il est très en forme ! ») dit quelqu’un. Le batteur actuel du trio est le jeune David Paycha, 18 ans, (en remplacement de Philippe Magniez parti à Copenhague). Ce petit génie ravi d’être invité à pareille fête, se débride de semaine en semaine, et montre déjà d’exceptionnelles qualités de coloriste. Sur The way you look tonight, après le solo de batterie, David Paycha et Adam Over se regardent et éclatent de rire. Plus tard, à la pause, David nous explique : « Pendant mon solo il y a eu un temps de décalage avec Adam, alors à la fin, j’ai fait un appel très clair pour qu’il comprenne où était mon premier temps et qu’on se recale, mais il a fait exprès de rester sur son idée… ».

Après les morceaux du trio, il y a tous les lundis un petit intermède dû au patron du 38 Riv, Vincent Charbonnier, qui se met en tête de faire chanter au public présent un hymne dédié au lieu. De l’aveu même de Vincent Charbonnier , son but a été de trouver quelque chose de plus bête que le fameux « ah si j’avais un franc cinquante » inventé par Boris Vian pour le tabou. On laissera ceux qui ne connaissent pas l’endroit découvrir le contenu de l’hymne…

Et la jam commence. C’est Julien Coriatt qui assemble les groupes, en veillant à mélanger musiciens expérimentés et débutants. Chacun joue deux morceaux (Un seul morceau quand Julien ne connaît pas le musicien…). Aujourd’hui, en plus des habitués, on repère de nouveaux visages, en particulier des amis de David Paycha, venus comme lui du CRR de Cergy. On joue Wave. Au violon, Mathias Lévy enchaîne des phrases rapides, virtuoses, qui s’enroulent sur elles-mêmes, créant un effet d‘ivresse sur le public et peut-être sur le musicien lui-même. A 32 ans, il a déjà à son actif un album, Playtime, avec notamment Emmanuel Bex à l’orgue. Après ses deux morceaux, on va le voir et on lui demande comment il décrirait un bon soir de jam. La réponse fuse : « Y a pas de bons soirs…On vient ici pour le training ! ». Sa réponse un peu abrupte met le doigt sur l’une des caractéristiques des jam sessions : les moments de grâce y sont encore plus miraculeux que dans un concert de jazz normal. Il s’agit de frotter une fois de plus All the things you are contre On Green Dolphin Street, et souvent une étincelle jaillit de ces galets ronds et polis d’avoir été maintes et maintes fois entrechoqués. Parmi les impétrants, André , 19 ans, qui a joué Wave à la guitare avec Mathias Lévy. Sur Wave, il juge sa performance assez sévèrement : « Pfff…j’ai tout raté…le rythme, l’harmonie, tout…même au niveau de l’intention, j’étais pas dedans…Bon, sur Nardis j’étais un peu mieux ». Il vient ici pour affûter ses legatos : « Pour les souffleurs, c’est facile de jouer legato, ils vont plus avoir tendance à travailler leurs staccatos. Mais pour nous, les guitaristes , c’est le contraire : si tu veux jouer legato il faut une très bonne coordination main droite-main gauche… »

 

  JamCoriatt guitare2

Et
vient le moment de la chanteuse. Généralement , au 38 riv, elles interviennent plutôt en fin de soirée. Mathilde, Viktorija Gecyte font partie des habituées. Et parfois des débutantes. Ce soir, Gabrielle. Elle veut chanter God bless the child. Mais pas dans la tonalité originale. Elle préfère en la majeur. Panique du côté du pianiste. Avec trois dièses à la clé, la tonalité n’est pas simple. Il regarde Julien Coriatt d’une manière qui signifie très clairement : SOS. Julien prend les choses en main, et s’installe au piano. Il guide la chanteuse (qui a une technique de chanteuse lyrique, mais ne maîtrise pas encore les codes du jazz) et finalement tout se passe bien. Ouf ! Des situations comme celles –ci, Julien en a l’habitude. Il confie, fataliste : « Eh oui…c’est le cliché habituel de la jam, avec la chanteuse qui chante dans des tonalités acrobatiques…Elle disait que cette tonalité était la meilleure pour placer sa voix. Bon, je ne me prononce pas…mais en tous cas, le pianiste aurait dû s’accrocher… ». JamCoriatt 1

 

La cave est pleine à craquer. Les musiciens patientent dans la petite salle où chacun dépose ce qui l’encombre, manteaux, étuis, instruments. La proximité entre le public et les musiciens donne l’impression que ceux-ci jouent pour vous, dans votre salon (si vous avez la chance d’avoir un salon). L’atmosphère est saturée de bonnes ondes, on croirait voir voleter des paillettes de bonne humeur. Au bar deux anglais jouent à qui boira leur pinte le plus vite sous le regard consterné de François, barman et musicien. Ils ont déclenché le chronomètre de leur i-phone qui affiche 4, 08958 et ils affichent l’intention ferme de battre ce record. Il est 0h19, on s’esquive alors que commence straight no chaser.

Julienfip

Quelques jours plus tôt, on avait entendu Julien Coriatt dans un contexte différent des jams. Il était invité de l’émission de FIP Classic bazar. Cette fois, c’est sa musique qu’il vient défendre. Il joue trois morceaux, de son premier album Blue Lake. C’est un disque ambitieux, foisonnant, réalisé en grand orchestre (22 personnes) et avec un casting de choix (Peter Giron, contrebasse, John Betsch , batterie). Cet album est plusieurs choses à la fois : d’abord un écrin pour une voix singulière, celle de Viktorija Gecyte. C’est une voix franche, droite, dans un registre grave assez inhabituel, avec des petites aspérités comme du papier froissé qui lui donnent un grain délicieux. C’est une voix surtout (et l’attitude de la chanteuse confirme cette impression) qui transmet une émotion d’une qualité rare pour laquelle on ne trouve pas d’autre adjectif que celui de fraternel. Viktorija Gecyte a pour première langue maternelle, le blues, et le disque s’ouvre donc sur un blues (Blue lake) arrangé de manière irrésistiblement swingante par Julien Coriatt. Ensuite le disque se poursuit par la deuxième langue maternelle de Viktorija, le lituanien. Cette suite lituanienne en trois parties était un pari assez osé. Mais le résultat est une merveille, à notre avis le sommet de l’album. Viktorija Gecyte y roule les « r » avec un charme fou. Les arrangements (signés Julien Coriatt) sont d’un goût exquis, une inflexion de flûte folklorique ici, une enclave de violoncelle mélancolique là. Il y a aussi des reprises, arrangées de manière inventives, toujours surprenantes même pour des standards comme Tenderly, qu’il fait passer par toutes les couleurs de l’arc en ciel, ou my foolish heart. L’album présente une grande variété de textures et d’atmosphères, avec devine-t-on, l’influence des grands compositeurs du début du XXe siècle, en particulier sur Hat and Beard, où Julien Coriatt explore des contrées plus aventureuses aux frontières de la dissonnance, mais il est très remarquable que ses arrangements restent toujours fluides, tenus. Le disque pour l’heure, n’a pas encore trouvé de label. On serait producteur, on ne traînerait pas trop…

texte: jean-François Mondot

Dessins : Annie-Claire Alvoët

 

Post scriptum : on peut écouter les trois morceaux joués par Julien Coriatt et ses musiciens (Amina Mezaache, flûte, Josiah Woodson trompette, John Betsch batterie, Peter Giron basse, Viktorija Gecyte, voix, en allant sur le site de l’émission Classic bazar : http://www.fipradio.fr/diffusion-fip-classic-bazar-du-21-juin-2014

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 Le secret commence à être sérieusement éventé : Une des jam sessions les plus chaleureuses et les plus stimulantes de la capitale a lieu au 38 Riv, tous les lundis à partir de 20H30. Un jeune musicien de 35 ans, Julien Coriatt tient le piano. Il vient  de sortir un très beau disque: Blue lake. JamCoriattTrio

 

16 juin 2014

Le 38 Riv, 38 rue de Rivoli 75004 Paris

Julien Coriatt Trio (Julien Coriatt, piano, Adam Over, basse, David Paycha batterie)

Ce qui rend le 38 Riv si plaisant à fréquenter tient au cadre (des caves de pierre  du XIIe siècle), à la volonté du maître des lieux, Vincent Charbonnier de ne pas matraquer le chaland (l’entrée est gratuite) et enfin, surtout, à la qualité de la musique produite tous les lundis soir par le trio de Julien Coriatt. C’est ce trio (avec Adam Over à la basse et David Paycha à la batterie) qui introduit la soirée en jouant six ou sept morceaux pour laisser le temps aux jammeurs de sortir de leur terrier (le jammeur, ainsi que la chouette hulotte, ne sort qu’à la nuit tombée).

Ce soir là, le trio joue notamment Moment’s Notice, Triste, Sandu, Skylark, The way you look tonight. Julien Coriatt, pour préserver la spontanéité de l’instant, décide sur le moment de ce qui sera joué. Il se concerte avec Adam Over, on entend une brève conversation balablabla sibémolmineur, piapiapia mibémolmajeur, puis, les tonalités établies, Julien définit le tempo en claquant des doigt, ajoute parfois « on finit sec », et ce petit colloque rituel se clôt par un « Sure » sonore et définitif du bassiste canadien.

Sur Triste, en particulier, Julien Coriatt affiche ses qualités de pianiste et de musicien. Il a un toucher magnifique, un contrôle du son même dans les tempos rapides, un lyrisme élégant, pudique qui lui fait toujours préférer le murmure à la proclamation. Adam Over, à la basse est pour beaucoup dans la réussite du trio. De même qu’il y a dans la vie des gens dont les mots ont plus de poids que d’autres (observez dans un bar plein à craquer ceux qui arrivent à commander un demi du premier coup et sans hausser la voix…) ses notes ont une densité particulière. Il prend un solo magnifique sur Skylark (« Hé…mais il est très en forme ! ») dit quelqu’un. Le batteur actuel du trio est le jeune David Paycha, 18 ans, (en remplacement de Philippe Magniez parti à Copenhague). Ce petit génie ravi d’être invité à pareille fête, se débride de semaine en semaine, et montre déjà d’exceptionnelles qualités de coloriste. Sur The way you look tonight, après le solo de batterie, David Paycha et Adam Over se regardent et éclatent de rire. Plus tard, à la pause, David nous explique : « Pendant mon solo il y a eu un temps de décalage avec Adam, alors à la fin, j’ai fait un appel très clair pour qu’il comprenne où était mon premier temps et qu’on se recale, mais il a fait exprès de rester sur son idée… ».

Après les morceaux du trio, il y a tous les lundis un petit intermède dû au patron du 38 Riv, Vincent Charbonnier, qui se met en tête de faire chanter au public présent un hymne dédié au lieu. De l’aveu même de Vincent Charbonnier , son but a été de trouver quelque chose de plus bête que le fameux « ah si j’avais un franc cinquante » inventé par Boris Vian pour le tabou. On laissera ceux qui ne connaissent pas l’endroit découvrir le contenu de l’hymne…

Et la jam commence. C’est Julien Coriatt qui assemble les groupes, en veillant à mélanger musiciens expérimentés et débutants. Chacun joue deux morceaux (Un seul morceau quand Julien ne connaît pas le musicien…). Aujourd’hui, en plus des habitués, on repère de nouveaux visages, en particulier des amis de David Paycha, venus comme lui du CRR de Cergy. On joue Wave. Au violon, Mathias Lévy enchaîne des phrases rapides, virtuoses, qui s’enroulent sur elles-mêmes, créant un effet d‘ivresse sur le public et peut-être sur le musicien lui-même. A 32 ans, il a déjà à son actif un album, Playtime, avec notamment Emmanuel Bex à l’orgue. Après ses deux morceaux, on va le voir et on lui demande comment il décrirait un bon soir de jam. La réponse fuse : « Y a pas de bons soirs…On vient ici pour le training ! ». Sa réponse un peu abrupte met le doigt sur l’une des caractéristiques des jam sessions : les moments de grâce y sont encore plus miraculeux que dans un concert de jazz normal. Il s’agit de frotter une fois de plus All the things you are contre On Green Dolphin Street, et souvent une étincelle jaillit de ces galets ronds et polis d’avoir été maintes et maintes fois entrechoqués. Parmi les impétrants, André , 19 ans, qui a joué Wave à la guitare avec Mathias Lévy. Sur Wave, il juge sa performance assez sévèrement : « Pfff…j’ai tout raté…le rythme, l’harmonie, tout…même au niveau de l’intention, j’étais pas dedans…Bon, sur Nardis j’étais un peu mieux ». Il vient ici pour affûter ses legatos : « Pour les souffleurs, c’est facile de jouer legato, ils vont plus avoir tendance à travailler leurs staccatos. Mais pour nous, les guitaristes , c’est le contraire : si tu veux jouer legato il faut une très bonne coordination main droite-main gauche… »

 

  JamCoriatt guitare2

Et
vient le moment de la chanteuse. Généralement , au 38 riv, elles interviennent plutôt en fin de soirée. Mathilde, Viktorija Gecyte font partie des habituées. Et parfois des débutantes. Ce soir, Gabrielle. Elle veut chanter God bless the child. Mais pas dans la tonalité originale. Elle préfère en la majeur. Panique du côté du pianiste. Avec trois dièses à la clé, la tonalité n’est pas simple. Il regarde Julien Coriatt d’une manière qui signifie très clairement : SOS. Julien prend les choses en main, et s’installe au piano. Il guide la chanteuse (qui a une technique de chanteuse lyrique, mais ne maîtrise pas encore les codes du jazz) et finalement tout se passe bien. Ouf ! Des situations comme celles –ci, Julien en a l’habitude. Il confie, fataliste : « Eh oui…c’est le cliché habituel de la jam, avec la chanteuse qui chante dans des tonalités acrobatiques…Elle disait que cette tonalité était la meilleure pour placer sa voix. Bon, je ne me prononce pas…mais en tous cas, le pianiste aurait dû s’accrocher… ». JamCoriatt 1

 

La cave est pleine à craquer. Les musiciens patientent dans la petite salle où chacun dépose ce qui l’encombre, manteaux, étuis, instruments. La proximité entre le public et les musiciens donne l’impression que ceux-ci jouent pour vous, dans votre salon (si vous avez la chance d’avoir un salon). L’atmosphère est saturée de bonnes ondes, on croirait voir voleter des paillettes de bonne humeur. Au bar deux anglais jouent à qui boira leur pinte le plus vite sous le regard consterné de François, barman et musicien. Ils ont déclenché le chronomètre de leur i-phone qui affiche 4, 08958 et ils affichent l’intention ferme de battre ce record. Il est 0h19, on s’esquive alors que commence straight no chaser.

Julienfip

Quelques jours plus tôt, on avait entendu Julien Coriatt dans un contexte différent des jams. Il était invité de l’émission de FIP Classic bazar. Cette fois, c’est sa musique qu’il vient défendre. Il joue trois morceaux, de son premier album Blue Lake. C’est un disque ambitieux, foisonnant, réalisé en grand orchestre (22 personnes) et avec un casting de choix (Peter Giron, contrebasse, John Betsch , batterie). Cet album est plusieurs choses à la fois : d’abord un écrin pour une voix singulière, celle de Viktorija Gecyte. C’est une voix franche, droite, dans un registre grave assez inhabituel, avec des petites aspérités comme du papier froissé qui lui donnent un grain délicieux. C’est une voix surtout (et l’attitude de la chanteuse confirme cette impression) qui transmet une émotion d’une qualité rare pour laquelle on ne trouve pas d’autre adjectif que celui de fraternel. Viktorija Gecyte a pour première langue maternelle, le blues, et le disque s’ouvre donc sur un blues (Blue lake) arrangé de manière irrésistiblement swingante par Julien Coriatt. Ensuite le disque se poursuit par la deuxième langue maternelle de Viktorija, le lituanien. Cette suite lituanienne en trois parties était un pari assez osé. Mais le résultat est une merveille, à notre avis le sommet de l’album. Viktorija Gecyte y roule les « r » avec un charme fou. Les arrangements (signés Julien Coriatt) sont d’un goût exquis, une inflexion de flûte folklorique ici, une enclave de violoncelle mélancolique là. Il y a aussi des reprises, arrangées de manière inventives, toujours surprenantes même pour des standards comme Tenderly, qu’il fait passer par toutes les couleurs de l’arc en ciel, ou my foolish heart. L’album présente une grande variété de textures et d’atmosphères, avec devine-t-on, l’influence des grands compositeurs du début du XXe siècle, en particulier sur Hat and Beard, où Julien Coriatt explore des contrées plus aventureuses aux frontières de la dissonnance, mais il est très remarquable que ses arrangements restent toujours fluides, tenus. Le disque pour l’heure, n’a pas encore trouvé de label. On serait producteur, on ne traînerait pas trop…

texte: jean-François Mondot

Dessins : Annie-Claire Alvoët

 

Post scriptum : on peut écouter les trois morceaux joués par Julien Coriatt et ses musiciens (Amina Mezaache, flûte, Josiah Woodson trompette, John Betsch batterie, Peter Giron basse, Viktorija Gecyte, voix, en allant sur le site de l’émission Classic bazar : http://www.fipradio.fr/diffusion-fip-classic-bazar-du-21-juin-2014

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 Le secret commence à être sérieusement éventé : Une des jam sessions les plus chaleureuses et les plus stimulantes de la capitale a lieu au 38 Riv, tous les lundis à partir de 20H30. Un jeune musicien de 35 ans, Julien Coriatt tient le piano. Il vient  de sortir un très beau disque: Blue lake. JamCoriattTrio

 

16 juin 2014

Le 38 Riv, 38 rue de Rivoli 75004 Paris

Julien Coriatt Trio (Julien Coriatt, piano, Adam Over, basse, David Paycha batterie)

Ce qui rend le 38 Riv si plaisant à fréquenter tient au cadre (des caves de pierre  du XIIe siècle), à la volonté du maître des lieux, Vincent Charbonnier de ne pas matraquer le chaland (l’entrée est gratuite) et enfin, surtout, à la qualité de la musique produite tous les lundis soir par le trio de Julien Coriatt. C’est ce trio (avec Adam Over à la basse et David Paycha à la batterie) qui introduit la soirée en jouant six ou sept morceaux pour laisser le temps aux jammeurs de sortir de leur terrier (le jammeur, ainsi que la chouette hulotte, ne sort qu’à la nuit tombée).

Ce soir là, le trio joue notamment Moment’s Notice, Triste, Sandu, Skylark, The way you look tonight. Julien Coriatt, pour préserver la spontanéité de l’instant, décide sur le moment de ce qui sera joué. Il se concerte avec Adam Over, on entend une brève conversation balablabla sibémolmineur, piapiapia mibémolmajeur, puis, les tonalités établies, Julien définit le tempo en claquant des doigt, ajoute parfois « on finit sec », et ce petit colloque rituel se clôt par un « Sure » sonore et définitif du bassiste canadien.

Sur Triste, en particulier, Julien Coriatt affiche ses qualités de pianiste et de musicien. Il a un toucher magnifique, un contrôle du son même dans les tempos rapides, un lyrisme élégant, pudique qui lui fait toujours préférer le murmure à la proclamation. Adam Over, à la basse est pour beaucoup dans la réussite du trio. De même qu’il y a dans la vie des gens dont les mots ont plus de poids que d’autres (observez dans un bar plein à craquer ceux qui arrivent à commander un demi du premier coup et sans hausser la voix…) ses notes ont une densité particulière. Il prend un solo magnifique sur Skylark (« Hé…mais il est très en forme ! ») dit quelqu’un. Le batteur actuel du trio est le jeune David Paycha, 18 ans, (en remplacement de Philippe Magniez parti à Copenhague). Ce petit génie ravi d’être invité à pareille fête, se débride de semaine en semaine, et montre déjà d’exceptionnelles qualités de coloriste. Sur The way you look tonight, après le solo de batterie, David Paycha et Adam Over se regardent et éclatent de rire. Plus tard, à la pause, David nous explique : « Pendant mon solo il y a eu un temps de décalage avec Adam, alors à la fin, j’ai fait un appel très clair pour qu’il comprenne où était mon premier temps et qu’on se recale, mais il a fait exprès de rester sur son idée… ».

Après les morceaux du trio, il y a tous les lundis un petit intermède dû au patron du 38 Riv, Vincent Charbonnier, qui se met en tête de faire chanter au public présent un hymne dédié au lieu. De l’aveu même de Vincent Charbonnier , son but a été de trouver quelque chose de plus bête que le fameux « ah si j’avais un franc cinquante » inventé par Boris Vian pour le tabou. On laissera ceux qui ne connaissent pas l’endroit découvrir le contenu de l’hymne…

Et la jam commence. C’est Julien Coriatt qui assemble les groupes, en veillant à mélanger musiciens expérimentés et débutants. Chacun joue deux morceaux (Un seul morceau quand Julien ne connaît pas le musicien…). Aujourd’hui, en plus des habitués, on repère de nouveaux visages, en particulier des amis de David Paycha, venus comme lui du CRR de Cergy. On joue Wave. Au violon, Mathias Lévy enchaîne des phrases rapides, virtuoses, qui s’enroulent sur elles-mêmes, créant un effet d‘ivresse sur le public et peut-être sur le musicien lui-même. A 32 ans, il a déjà à son actif un album, Playtime, avec notamment Emmanuel Bex à l’orgue. Après ses deux morceaux, on va le voir et on lui demande comment il décrirait un bon soir de jam. La réponse fuse : « Y a pas de bons soirs…On vient ici pour le training ! ». Sa réponse un peu abrupte met le doigt sur l’une des caractéristiques des jam sessions : les moments de grâce y sont encore plus miraculeux que dans un concert de jazz normal. Il s’agit de frotter une fois de plus All the things you are contre On Green Dolphin Street, et souvent une étincelle jaillit de ces galets ronds et polis d’avoir été maintes et maintes fois entrechoqués. Parmi les impétrants, André , 19 ans, qui a joué Wave à la guitare avec Mathias Lévy. Sur Wave, il juge sa performance assez sévèrement : « Pfff…j’ai tout raté…le rythme, l’harmonie, tout…même au niveau de l’intention, j’étais pas dedans…Bon, sur Nardis j’étais un peu mieux ». Il vient ici pour affûter ses legatos : « Pour les souffleurs, c’est facile de jouer legato, ils vont plus avoir tendance à travailler leurs staccatos. Mais pour nous, les guitaristes , c’est le contraire : si tu veux jouer legato il faut une très bonne coordination main droite-main gauche… »

 

  JamCoriatt guitare2

Et
vient le moment de la chanteuse. Généralement , au 38 riv, elles interviennent plutôt en fin de soirée. Mathilde, Viktorija Gecyte font partie des habituées. Et parfois des débutantes. Ce soir, Gabrielle. Elle veut chanter God bless the child. Mais pas dans la tonalité originale. Elle préfère en la majeur. Panique du côté du pianiste. Avec trois dièses à la clé, la tonalité n’est pas simple. Il regarde Julien Coriatt d’une manière qui signifie très clairement : SOS. Julien prend les choses en main, et s’installe au piano. Il guide la chanteuse (qui a une technique de chanteuse lyrique, mais ne maîtrise pas encore les codes du jazz) et finalement tout se passe bien. Ouf ! Des situations comme celles –ci, Julien en a l’habitude. Il confie, fataliste : « Eh oui…c’est le cliché habituel de la jam, avec la chanteuse qui chante dans des tonalités acrobatiques…Elle disait que cette tonalité était la meilleure pour placer sa voix. Bon, je ne me prononce pas…mais en tous cas, le pianiste aurait dû s’accrocher… ». JamCoriatt 1

 

La cave est pleine à craquer. Les musiciens patientent dans la petite salle où chacun dépose ce qui l’encombre, manteaux, étuis, instruments. La proximité entre le public et les musiciens donne l’impression que ceux-ci jouent pour vous, dans votre salon (si vous avez la chance d’avoir un salon). L’atmosphère est saturée de bonnes ondes, on croirait voir voleter des paillettes de bonne humeur. Au bar deux anglais jouent à qui boira leur pinte le plus vite sous le regard consterné de François, barman et musicien. Ils ont déclenché le chronomètre de leur i-phone qui affiche 4, 08958 et ils affichent l’intention ferme de battre ce record. Il est 0h19, on s’esquive alors que commence straight no chaser.

Julienfip

Quelques jours plus tôt, on avait entendu Julien Coriatt dans un contexte différent des jams. Il était invité de l’émission de FIP Classic bazar. Cette fois, c’est sa musique qu’il vient défendre. Il joue trois morceaux, de son premier album Blue Lake. C’est un disque ambitieux, foisonnant, réalisé en grand orchestre (22 personnes) et avec un casting de choix (Peter Giron, contrebasse, John Betsch , batterie). Cet album est plusieurs choses à la fois : d’abord un écrin pour une voix singulière, celle de Viktorija Gecyte. C’est une voix franche, droite, dans un registre grave assez inhabituel, avec des petites aspérités comme du papier froissé qui lui donnent un grain délicieux. C’est une voix surtout (et l’attitude de la chanteuse confirme cette impression) qui transmet une émotion d’une qualité rare pour laquelle on ne trouve pas d’autre adjectif que celui de fraternel. Viktorija Gecyte a pour première langue maternelle, le blues, et le disque s’ouvre donc sur un blues (Blue lake) arrangé de manière irrésistiblement swingante par Julien Coriatt. Ensuite le disque se poursuit par la deuxième langue maternelle de Viktorija, le lituanien. Cette suite lituanienne en trois parties était un pari assez osé. Mais le résultat est une merveille, à notre avis le sommet de l’album. Viktorija Gecyte y roule les « r » avec un charme fou. Les arrangements (signés Julien Coriatt) sont d’un goût exquis, une inflexion de flûte folklorique ici, une enclave de violoncelle mélancolique là. Il y a aussi des reprises, arrangées de manière inventives, toujours surprenantes même pour des standards comme Tenderly, qu’il fait passer par toutes les couleurs de l’arc en ciel, ou my foolish heart. L’album présente une grande variété de textures et d’atmosphères, avec devine-t-on, l’influence des grands compositeurs du début du XXe siècle, en particulier sur Hat and Beard, où Julien Coriatt explore des contrées plus aventureuses aux frontières de la dissonnance, mais il est très remarquable que ses arrangements restent toujours fluides, tenus. Le disque pour l’heure, n’a pas encore trouvé de label. On serait producteur, on ne traînerait pas trop…

texte: jean-François Mondot

Dessins : Annie-Claire Alvoët

 

Post scriptum : on peut écouter les trois morceaux joués par Julien Coriatt et ses musiciens (Amina Mezaache, flûte, Josiah Woodson trompette, John Betsch batterie, Peter Giron basse, Viktorija Gecyte, voix, en allant sur le site de l’émission Classic bazar : http://www.fipradio.fr/diffusion-fip-classic-bazar-du-21-juin-2014

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 Le secret commence à être sérieusement éventé : Une des jam sessions les plus chaleureuses et les plus stimulantes de la capitale a lieu au 38 Riv, tous les lundis à partir de 20H30. Un jeune musicien de 35 ans, Julien Coriatt tient le piano. Il vient  de sortir un très beau disque: Blue lake. JamCoriattTrio

 

16 juin 2014

Le 38 Riv, 38 rue de Rivoli 75004 Paris

Julien Coriatt Trio (Julien Coriatt, piano, Adam Over, basse, David Paycha batterie)

Ce qui rend le 38 Riv si plaisant à fréquenter tient au cadre (des caves de pierre  du XIIe siècle), à la volonté du maître des lieux, Vincent Charbonnier de ne pas matraquer le chaland (l’entrée est gratuite) et enfin, surtout, à la qualité de la musique produite tous les lundis soir par le trio de Julien Coriatt. C’est ce trio (avec Adam Over à la basse et David Paycha à la batterie) qui introduit la soirée en jouant six ou sept morceaux pour laisser le temps aux jammeurs de sortir de leur terrier (le jammeur, ainsi que la chouette hulotte, ne sort qu’à la nuit tombée).

Ce soir là, le trio joue notamment Moment’s Notice, Triste, Sandu, Skylark, The way you look tonight. Julien Coriatt, pour préserver la spontanéité de l’instant, décide sur le moment de ce qui sera joué. Il se concerte avec Adam Over, on entend une brève conversation balablabla sibémolmineur, piapiapia mibémolmajeur, puis, les tonalités établies, Julien définit le tempo en claquant des doigt, ajoute parfois « on finit sec », et ce petit colloque rituel se clôt par un « Sure » sonore et définitif du bassiste canadien.

Sur Triste, en particulier, Julien Coriatt affiche ses qualités de pianiste et de musicien. Il a un toucher magnifique, un contrôle du son même dans les tempos rapides, un lyrisme élégant, pudique qui lui fait toujours préférer le murmure à la proclamation. Adam Over, à la basse est pour beaucoup dans la réussite du trio. De même qu’il y a dans la vie des gens dont les mots ont plus de poids que d’autres (observez dans un bar plein à craquer ceux qui arrivent à commander un demi du premier coup et sans hausser la voix…) ses notes ont une densité particulière. Il prend un solo magnifique sur Skylark (« Hé…mais il est très en forme ! ») dit quelqu’un. Le batteur actuel du trio est le jeune David Paycha, 18 ans, (en remplacement de Philippe Magniez parti à Copenhague). Ce petit génie ravi d’être invité à pareille fête, se débride de semaine en semaine, et montre déjà d’exceptionnelles qualités de coloriste. Sur The way you look tonight, après le solo de batterie, David Paycha et Adam Over se regardent et éclatent de rire. Plus tard, à la pause, David nous explique : « Pendant mon solo il y a eu un temps de décalage avec Adam, alors à la fin, j’ai fait un appel très clair pour qu’il comprenne où était mon premier temps et qu’on se recale, mais il a fait exprès de rester sur son idée… ».

Après les morceaux du trio, il y a tous les lundis un petit intermède dû au patron du 38 Riv, Vincent Charbonnier, qui se met en tête de faire chanter au public présent un hymne dédié au lieu. De l’aveu même de Vincent Charbonnier , son but a été de trouver quelque chose de plus bête que le fameux « ah si j’avais un franc cinquante » inventé par Boris Vian pour le tabou. On laissera ceux qui ne connaissent pas l’endroit découvrir le contenu de l’hymne…

Et la jam commence. C’est Julien Coriatt qui assemble les groupes, en veillant à mélanger musiciens expérimentés et débutants. Chacun joue deux morceaux (Un seul morceau quand Julien ne connaît pas le musicien…). Aujourd’hui, en plus des habitués, on repère de nouveaux visages, en particulier des amis de David Paycha, venus comme lui du CRR de Cergy. On joue Wave. Au violon, Mathias Lévy enchaîne des phrases rapides, virtuoses, qui s’enroulent sur elles-mêmes, créant un effet d‘ivresse sur le public et peut-être sur le musicien lui-même. A 32 ans, il a déjà à son actif un album, Playtime, avec notamment Emmanuel Bex à l’orgue. Après ses deux morceaux, on va le voir et on lui demande comment il décrirait un bon soir de jam. La réponse fuse : « Y a pas de bons soirs…On vient ici pour le training ! ». Sa réponse un peu abrupte met le doigt sur l’une des caractéristiques des jam sessions : les moments de grâce y sont encore plus miraculeux que dans un concert de jazz normal. Il s’agit de frotter une fois de plus All the things you are contre On Green Dolphin Street, et souvent une étincelle jaillit de ces galets ronds et polis d’avoir été maintes et maintes fois entrechoqués. Parmi les impétrants, André , 19 ans, qui a joué Wave à la guitare avec Mathias Lévy. Sur Wave, il juge sa performance assez sévèrement : « Pfff…j’ai tout raté…le rythme, l’harmonie, tout…même au niveau de l’intention, j’étais pas dedans…Bon, sur Nardis j’étais un peu mieux ». Il vient ici pour affûter ses legatos : « Pour les souffleurs, c’est facile de jouer legato, ils vont plus avoir tendance à travailler leurs staccatos. Mais pour nous, les guitaristes , c’est le contraire : si tu veux jouer legato il faut une très bonne coordination main droite-main gauche… »

 

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Et
vient le moment de la chanteuse. Généralement , au 38 riv, elles interviennent plutôt en fin de soirée. Mathilde, Viktorija Gecyte font partie des habituées. Et parfois des débutantes. Ce soir, Gabrielle. Elle veut chanter God bless the child. Mais pas dans la tonalité originale. Elle préfère en la majeur. Panique du côté du pianiste. Avec trois dièses à la clé, la tonalité n’est pas simple. Il regarde Julien Coriatt d’une manière qui signifie très clairement : SOS. Julien prend les choses en main, et s’installe au piano. Il guide la chanteuse (qui a une technique de chanteuse lyrique, mais ne maîtrise pas encore les codes du jazz) et finalement tout se passe bien. Ouf ! Des situations comme celles –ci, Julien en a l’habitude. Il confie, fataliste : « Eh oui…c’est le cliché habituel de la jam, avec la chanteuse qui chante dans des tonalités acrobatiques…Elle disait que cette tonalité était la meilleure pour placer sa voix. Bon, je ne me prononce pas…mais en tous cas, le pianiste aurait dû s’accrocher… ». JamCoriatt 1

 

La cave est pleine à craquer. Les musiciens patientent dans la petite salle où chacun dépose ce qui l’encombre, manteaux, étuis, instruments. La proximité entre le public et les musiciens donne l’impression que ceux-ci jouent pour vous, dans votre salon (si vous avez la chance d’avoir un salon). L’atmosphère est saturée de bonnes ondes, on croirait voir voleter des paillettes de bonne humeur. Au bar deux anglais jouent à qui boira leur pinte le plus vite sous le regard consterné de François, barman et musicien. Ils ont déclenché le chronomètre de leur i-phone qui affiche 4, 08958 et ils affichent l’intention ferme de battre ce record. Il est 0h19, on s’esquive alors que commence straight no chaser.

Julienfip

Quelques jours plus tôt, on avait entendu Julien Coriatt dans un contexte différent des jams. Il était invité de l’émission de FIP Classic bazar. Cette fois, c’est sa musique qu’il vient défendre. Il joue trois morceaux, de son premier album Blue Lake. C’est un disque ambitieux, foisonnant, réalisé en grand orchestre (22 personnes) et avec un casting de choix (Peter Giron, contrebasse, John Betsch , batterie). Cet album est plusieurs choses à la fois : d’abord un écrin pour une voix singulière, celle de Viktorija Gecyte. C’est une voix franche, droite, dans un registre grave assez inhabituel, avec des petites aspérités comme du papier froissé qui lui donnent un grain délicieux. C’est une voix surtout (et l’attitude de la chanteuse confirme cette impression) qui transmet une émotion d’une qualité rare pour laquelle on ne trouve pas d’autre adjectif que celui de fraternel. Viktorija Gecyte a pour première langue maternelle, le blues, et le disque s’ouvre donc sur un blues (Blue lake) arrangé de manière irrésistiblement swingante par Julien Coriatt. Ensuite le disque se poursuit par la deuxième langue maternelle de Viktorija, le lituanien. Cette suite lituanienne en trois parties était un pari assez osé. Mais le résultat est une merveille, à notre avis le sommet de l’album. Viktorija Gecyte y roule les « r » avec un charme fou. Les arrangements (signés Julien Coriatt) sont d’un goût exquis, une inflexion de flûte folklorique ici, une enclave de violoncelle mélancolique là. Il y a aussi des reprises, arrangées de manière inventives, toujours surprenantes même pour des standards comme Tenderly, qu’il fait passer par toutes les couleurs de l’arc en ciel, ou my foolish heart. L’album présente une grande variété de textures et d’atmosphères, avec devine-t-on, l’influence des grands compositeurs du début du XXe siècle, en particulier sur Hat and Beard, où Julien Coriatt explore des contrées plus aventureuses aux frontières de la dissonnance, mais il est très remarquable que ses arrangements restent toujours fluides, tenus. Le disque pour l’heure, n’a pas encore trouvé de label. On serait producteur, on ne traînerait pas trop…

texte: jean-François Mondot

Dessins : Annie-Claire Alvoët

 

Post scriptum : on peut écouter les trois morceaux joués par Julien Coriatt et ses musiciens (Amina Mezaache, flûte, Josiah Woodson trompette, John Betsch batterie, Peter Giron basse, Viktorija Gecyte, voix, en allant sur le site de l’émission Classic bazar : http://www.fipradio.fr/diffusion-fip-classic-bazar-du-21-juin-2014