Jazzdor, la suite… mais loin d'être fini - Jazz Magazine
Jazz live
Publié le 14 Nov 2025

Jazzdor, la suite… mais loin d’être fini

Avec Alexandra Grimal sous les étoiles et un double concert par-delà du Rhin avec Das Kapital et le trio d’Airelle Besson, Sebastian Sternal et Jonas Burgwinkel.

Difficile de jongler entre deux passionnants festivals tout en satisfaisant pleinement sa boulimie de musique. Et j’ai même réussi à manquer des artistes programmés aux deux endroits : tels l’ONJ (que je verrai enfin à Quimper le 22) et le Kris Davis Trio. Heureusement, Stéphan Ollivier m’avait précédé à Strasbourg , également pour le duo Christophe Monniot-Dominik Wania (inédit), le quartette Tomasz Dabrowski / Ciechelski / Kamila Drabek / Samuel Ber, Xavier Prévost avait pu voir à Paris pour Jazz Magazine, la veille de Jazzdor, le trio Ralf Alessi / Marc Ducret / Jim Black

Hier, j’arrivais juste à temps à Strasbourg, pour entendre le programme “Fly Line” d’Alexandra Grimal et son trio avec Jozef Dumoulin (piano et  électronique) et Yuko Oshima (batterie). Programmation spéciale en début d’après-midi, destinée à plusieurs classes de jeunes enfants sous la coupole du planétarium. Version écourtée devant un public très vivant, invité à interroger les artistes à la fin. La version complète était reprise au même endroit le soir même mais j’avais organisé mon arrivée à Strasbourg en fin de matinée, c’était avec l’intention de réserver la soirée pour un autre concert en soirée.

En effet, Jazzdor se déplaçait outre-Rhin comme son fondateur Philippe Ochem avait pris l’habitude de le faire, au Reithalle d’Offenburg, où c’est son successeur qui présentait le concert, Vincent Bessières à qui l’on doit la venue du trio de Kris Davis à l’annonce du désistement d’un autre artiste prévu, et qui à l’avenir assumera l’entière programmation du festival en tant que nouveau directeur de Jazzdor.

Deux concerts, fort contrastés, étaient attendus. L’occasion de revoir Das Kapital, que je réalisais hier n’avoir jamais vu que du temps de sa création, il y a vingt ans, si je me fie à leur discographie (“All Gods Have Children”, enregistré en 2005), à moins que l’impression que j’en ai reçue à l’époque n’ait gommé d’autres occurrences. Au souvenir de trublions et de la causticité de leur propos succède une impression de jouvence et de retrouvailles. Sept disques plus tard, si j’ai bien compté, plus de nombreux concerts et des phrases de repos, il était amusant de les voir dresser leur liste de la balance au dîner tout à la fois du haut de leur longue carrière et tout en même temps comme trois écoliers pas pressés de mettre de l’ordre dans leur cartable, puis de les voir, comme ils auraient feuilleté le Real Book, enquiller ces espèces de déconstructions où Hans Eisler s’immisce entre Brassens et Brel, parmi d’autres reprises, Daniel Erdman en dandy saxophoniste longiforme de grand hôtel à la gestuelle de rock’n’roll très chic, l’ogre géant Hasse Poulsen brutalisant quelque peu sa grosse Guild acoustique (équipée en électro-aoustique) enfermée entre se bras comme un cuissot de sanglier, avec la giclure de ces phrasés évoquant le John McLaughlin d’avant son arrivée aux USA, et Edward Perraud jouant de sa batterie comme un enfant devant sa caisse à jouets. Rappel de Hasse Poulsen entre deux morceaux : en 1983-84, Miles Davis faisait relever les solos de Scofield par Gil Evans pour nourrir son répertoire. Et de nous expliquer, si j’ai bien compris*, que leur dernier disque “One Must Have Chaos Inside to Give Birth to a Dancing Star” avait été conçu ainsi, à partir d’un tri opéré, à l’écoute de nombreuses heures d’improvisation libre préalable.

Deuxième partie, changement de ton, avec le trio qui se présente sans véritable leader, réunissant Airelle Besson (trompette), Sebastian Sternal (piano) et Jonas Burgwinkel (batterie). La première fois que j’ai vu ce trio annoncé à l’affiche d’un festival, c’était à Respire Jazz. À ceci près qu’Airelle ayant dût annuler sa venue, trio avait été complété par le contrebassiste Simon Tailleu. Ç’avait été une révélation. Je connaissais déjà Sebastien Sternal, rien de Jonas Burgwinkel et, quoique l’ayant déjà croisé à de nombreuses occasions, le talent réel de Simon Tailleu m’était encore relativement inconnu. Quel concert ! La basse en moins, la trompette en plus, Airelle Besson sort de sa zone de confort dans cette relation triangulaire entre trompette, piano et batterie – quoique l’affaire se présente désormais sous un jour bien rodée –, et donne le meilleur d’elle-même. Sternal est admirable de netteté dans l’attaque, le choix des notes, la dynamique main gauche-main droite, qu’il transpose ici et là sur le Fender-Rhodes (qui ne me paraît pas d’une évidente utilité dans ce programme). Enfin, Jonas Brugwinkel est un batteur qui réjouit: musical, constamment actif tout en restant à l’écoute, avec une dynamique de nuances entre l’abandon de la baguette gauche au profit la main nue, et les grondements du plein jeu.

Aujourd’hui en fin d’après-midi, retour au Planétarium du Jardin des Sciences pour le Spirit Quartet a sein duquel le clarinettiste Ziv Taubenfeld invite le tromboniste américain Steve Swell auprès de Wilbert de Woode (contrebasse) et Sun Mi Hong (batterie). Franck Bergerot

* Petit post-scriptum en guise de mea culpa : hier, je glisse à Daniel Erdmann : « J’ai pensé à toi il y a quelques jours, en préparant pour les abonnés de Jazz Magazine un petit CD consacré à Eddie “Lockjaw” Davis. » J’avais souvenir que Daniel m’avait cité ce nom parmi ses influences ce qu’il dément : « Je ne crois pas où alors une influence indirecte. » Je repars la queue basse. Donc acte, le CD est déjà parti à l’imprimerie avec cette petite erreur factuelle. Parfois, mieux vaut prévenir que guérir.