Jazz live
Publié le 2 Oct 2021

Arches en Jazz : Première réussie ! (Partie I)

La première édition d’Arches en Jazz, dans la commune de Port-Bail-sur-Mer et ses alentours (Cotentin) fut une totale réussite, montrant le chemin d’un festival à taille humaine avec une programmation aux petits oignons.

 

 

Je ne connaissais pas cette région du Cotentin. Je pensais qu’il y pleuvait tous les jours de l’année, et que l’océan y charriait des blocs de glace à partir de la fin du mois d’août. Mea culpa. On peut s’y baigner jusqu’en septembre sans rencontrer aucun ours blanc. C’est un petit havre de paix, avec des dunes, une église du XIe siècle, l’Eglise Notre-Dame, qui a les pieds dans l’eau aux grandes marées, un pont à treize arches construit au XIXe siècle, qui relie le port à ses plages. Jersey est juste en face. Dans les années 1830, le jeune et fringant Victor Hugo batifola dans cette région avec la sémillante Juliette Drouet. Peut-être observa-t-il de loin les rivages de Jersey, sans savoir que ce serait un jour un des lieux de son exil. L’Angleterre n’est pas loin, il arrive même que les horloges des téléphones portables passent sournoisement à l’heure d’Albion (« T’as quelle heure toi ? » phrase souvent entendue chez les festivaliers). Et donc, en plus des empreintes de pas de Victor Hugo, du pont à treize arches, des perfides ondes anglaises, et de cette église qui a un petit air renfrogné, à cause des mâchicoulis à son sommet, comme un bonnet enfoncé jusqu’aux oreilles, on trouve désormais à Port-Bail sur Mer et dans les communes alentour un superbe festival de Jazz. La programmation, due au compositeur et contrebassiste Yves Rousseau, est exigeante, mais accessible à toute personne ayant les oreilles et le cœur ouverts.

Le premier concert (24 septembre) dans la salle omnisports de Port-Bail, présentait un dialogue original entre l’Orchestre régional de Normandie (dirigé par Pierre-François Roussillon, avec Jean Deroyer comme chef d’orchestre) et le musicien burkinabé Oua-Anou Diarra, installé dans la région de Bayeux, sur une partition d’Yves Rousseau.

Choc des cultures, plaisir sensuel des contrastes, entre cet orchestre classique (presque « sur-classique », une vingtaine de musiciens, des cordes, des bois, pas de cuivre) aux lignes mélodiques raffinées, pas vraiment jazz mais on s’en fout, et Oua-Anou Diarra qui improvise sur des flûtes peules (il en utilise 6 ou 7 pendant le concert, chacune ayant une tonalité particulière).

Toutes ces flûtes de roseau (jointures à la cire d’abeille), il les joue de manière très incarnée, en chantant, parlant, avec des harmoniques. Ses flûtes sont bavardes comme des pies. Son jeu acquiert ainsi une grande richesse malgré le spectre de notes limité (souvent une pentatonique).

Il joue aussi du n’goni, cet instrument à quatre cordes qui ressemble vaguement par la forme à un ukulélé mais s’en distingue radicalement par le son rêche, brut, métallique, qui entre en collision sensuelle avec le velours délicat des cordes. (Oua-Anou Diarra étant un musicien de son temps autant que le dépositaire d’une tradition musicale, il utilise aussi son n’goni pour construire des boucles).

Souriant et gracieux, héritier de toute une lignée de griots, Oua-Anou Diarra est aussi percussionniste. Il manie avec virtuosité le tamani, ce tambour d’aisselle (dont par une simple pression du bras il modifie la tension de la peau) à l’éloquence ensorcelante. Yves Rousseau a su ménager des moments où ce tambour monte spectaculairement en puissance, comme s’il prenait le pouvoir sur tout l’orchestre. Le dialogue avec la section de cordes est magnifique. Je note l’utilisation du basson et du cor d’harmonie, dont l’apparition, dans certains passages, fait l’impression de coups de théâtre.

 

A la fin du concert, Oua-Anou Diarra dialogue avec deux des violonistes de l’orchestre dans une sarabande endiablée. Euphorie générale.

Le lendemain, 25 septembre, le duo Franck Tortiller (vibraphone) et Misja Fitzgerald Michel (guitare) joue dans l’église Notre-Dame la musique de son disque Les heures propices (MCO, 2020).

Un peu comme hier soir, mais de manière plus discrète, c’est une musique qui enjambe les territoires. Elle est ancrée dans les folk songs et dans la musique des années 70 (reprise superbe de Redemption Song de Bob Marley) mais en même temps le duo joue avec naturel et simplicité des standards comme Bemsha Swing (Monk). On a l’impression que ce parti-pris d’aborder les standards de jazz comme des folk-songs leur apporte un surcroît de fraîcheur.

Le secret de cet équilibre musical, l’alchimie du duo, réside peut-être dans cette manière commune de viser une beauté sans esbrouffe, et de laisser résonner la note la plus émouvante d’une mélodie.

Chez Misja Fitzgerald Michel, on remarque et on admire la netteté de l’articulation. Chaque note est fermement dessinée et détourée, on dirait des billes d’agathe. Son accompagnement, délicat et nuancé, peut se transformer en basses presque rock (par exemple dans Clos des Corvées).

Quant à Franck Tortiller, le lyrisme, la flamme tranquille de son jeu, son toucher, semblent s’enrichir et se patiner avec les années. C’est un musicien de longue garde. A la fin du concert, je lui demande comment est venue cette idée de jouer avec un guitariste. Ses yeux pétillent : « Je ne voulais pas jouer avec un guitariste, je voulais jouer avec Micha ! ».

Le concert suivant, toujours dans l’Eglise Notre Dame, est consacré à l’univers de Joni Mitchell, interprété par la contrebassiste-chanteuse Julia Robin. La plupart des spectateurs présents dans l’église n’oublieront probablement jamais ce concert joué sur le fil de l’émotion.

J’allais écrire que Julia Robin s’accompagne à la contrebasse. Mais c’est plus que ça : elle chante (voix claire, envolées frémissantes dans les aigus, elle évoque Joni Mitchell sans l’imiter) mais surtout elle prolonge ce chant avec des pizzicato qu’elle fait résonner, ou des coups d’archets puissants ou voilés (elle a le secret de tirer de son archet des sons presque vocaux).

On a donc un premier chant suivi d’un commentaire immédiat, une sorte de réaction musicale et émotive (très beaux moments quand la voix s’élève dans les aigus, et que l’archet va chercher des graves vibrants)  et parfois, un deuxième chant improvisé qui prolonge le premier.

Pour résumer, la contrebasse sert de caisse de résonnance aux émotions de l’interprète, et on a l’impression qu’elle a trouvé là une manière passionnante et originale de creuser la beauté de ces chansons devenues classiques (A case of you, Willy, My old man, Blue, I had a king) et leur lumineuse complexité. Ce qui est sûr (à observer le nombre d’yeux mouillés dans cette petite église) c’est qu’avec une interprétation aussi sensible, on reste au cœur de l’univers de Joni Mitchell dont les chansons sont des petites vignettes d’émotion pure.

Julia Robin utilise les grondements,  les craquements, la force de son instrument pour investir les nuances de ces chansons. Si bien qu’à la fin du concert la volumineuse contrebasse apparaît comme le porte-voix idéal des élans, des doutes, des failles et des hésitations : c’est un cœur qui bat.

A suivre….

Texte: JF Mondot

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