Jazz live
Publié le 14 Oct 2022

Ce que Dan Tepfer murmure à l’oreille de Johann-Sebastian Bach

Au Sunside, Dan Tepfer a poursuivi sa conversation avec Johann-Sebastian Bach devant des spectateurs fascinés.

Dan Tepfer, piano, le 4 octobre 2022 au Sunside

 

Dan Tepfer et Bach, c’est l’histoire d’une longue conversation, entamée dès l’apprentissage musical du pianiste franco-américain. Il a une dizaine d’années quand joue ses premiers morceaux du compositeur allemand, il en a aujourd’hui 40, mais n’a cessé de revenir à Bach tout au long de sa carrière, par exemple en 2011 pour un disque remarquable autour des Variations Goldberg.

Ce soir, au Sunside, il présente (masqué) ses variations sur les 15 inventions de Bach, que le compositeur allemand (Tepfer explique tout cela clairement et simplement au début du concert) destinait à ses enfants et élèves pour leur apprentissage musical. Si la plupart de ces inventions sont d’une difficulté technique assez modeste, ce que Johann-Sebastian cherchait à transmettre à travers elle se révèle complexe. C’est en réalité l’expérience de toute une vie de compositeur et d’improvisateur. Il s’agit de faire comprendre comment on raconte une histoire en musique. Les quinze inventions sont autant d’aventures harmoniques avec, précise Tepfer, comme dans tout schéma narratif qui se respecte, un héros (un bout de thème, une idée musicale), un voyage, des accidents, des péripéties, des monstres, et un retour à la maison bien mérité à la fin de chaque épisode. Tepfer joue donc ces 15 inventions. Il n’y en a que quinze, à propos, au lieu des 24 attendues, douzes tonalités majeures, douze tonalités mineures, car Bach a voulu épargner à ses élèves les tonalités les plus compliquées, celles où l’on a les doigts grouillants de dièses et de bémols. Mais Tepfer malicieusement, va les imaginer. Quand Dan Tepfer joue Bach, c’est délicieux. Aucune raideur, aucune solennité superflue, pas d’habits en queue de pie. Une familiarité chaleureuse mais respectueuse.

 

 

Il joue deux, ou trois inventions de Bach d’affilée. Puis improvise. Et c’est très original. Son propos n’est pas de jazzer ou de blueser Bach (comme le fait, excellement d’aileurs John Lewis, dans les quatre disque merveilleux où il improvise sur les Inventions et Fugues). Ce que fait Tepfer se rapprocherait plus de méta-improvisations. Il essaie de reproduire le canevas narratif esquissé par Bach dans ses inventions, un héros, un voyage, des péripéties, des monstres. Le héros, c’est un événement musical que chacun essaie de deviner. Un trémolo, un intervalle, un ostinato… les spectateurs du Sunside écoutent de toutes leurs oreilles. Dan Tepfer est d’une concentration impressionnante, parfois en posture bill evansienne, le front à dix centimètres du clavier. Les spectateurs n’osent pas applaudir à la fin des improvisations de peur de casser quelque chose.

 

L’avantage du parti pris de Dan Tepfer, ce que nous avons appelé ses méta-improvisations, c’est qu’il est totalement libre. Libre de la tonalité, du style. Il n’est pas obligé d’adopter les réflexes harmoniques du XVIIIe siècle pour improviser « à la Bach », ce que font certains pianistes, mais qui s’avère souvent très artificiel. Il improvise donc avec son vocabulaire d’aujourd’hui, la prise en compte évidemment de toutes les explorations harmoniques et rythmiques qui ont eu lieu depuis Bach. Mais ce qui le relie à Bach est bien plus profond que certaines formules harmoniques. C’est une manière de se dédier à la musique, une certaine intensité. Disons-le en un mot : une ferveur.

 

Texte JF Mondot

Dessins AC Alvoët (autres dessins, peintures à découvrir sur son site www.annie-claire.com (exposition jusqu’au 16 octobre au salon de la figuration critique , 74 boulevard Richard Lenoir)