Jazz live
Publié le 15 Nov 2019

D’JAZZ NEVERS, 14 NOVEMBRE : Christophe Monniot/Didier Ithursarry, Géraldine Laurent, Orchestre National de Jazz

Journée pluvieuse, mais bonheurs musicaux multiples, dans des registres aussi différents que complémentaires. Comme un manifeste de l’esprit qui règne depuis 32 ans, et 33 festivals, à Nevers

©Maxim François

CHRISTOPHE MONNIOT & DIDIER ITHURSARRY «Hymnes à l’amour»

Christophe Monniot (saxophones alto & sopranino), Didier Ithursassy (accordéon)

Nevers, La Maison (de la culture….), petite salle, 14 novembre, 12h15

 

Le duo prolonge sur scène le disque «Hymnes à l’amour» (ONJ Records/l’autre distribution) publié l’an dernier, et il nous offre sur le vif toutes ces évocations de l’amour humain. Il ne s’agit pas ici de la célèbre chanson composée par Marguerite Monnot et immortalisée par Édith Piaf (qui n’est pas inscrite au répertoire alors que beaucoup d’artistes de jazz s’y sont frottés). C’est l’amour sous toutes ses formes : empathique, solidaire, mais aussi passionné. En fait, il s’agit surtout de donner à entendre des musiques d’intensité, d’émotions fortes, mais sans jamais sombrer dans le pathos et l’effet lacrymogène : du grand art de musiciens exemplairement intègres. Ça commence comme une sorte de blues, au sax alto, qui s’émanciperait dans une lyrisme exacerbé : en fait c’est inspiré par un très vieux cantique protestant. Puis le saxophoniste passe au sopranino avec Biguine pour sushi. L’inspirateur est japonais mais on se croirait, notamment par la folie rythmique qui émane de l’accordéon, dans l’univers d’Hermeto Pascoal. Vient ensuite un thème intitulé Les forçats, composition qui respire l’atmosphère des camps de travail forcè du Mississippi, et donne à Christophe Monniot (dont les présentations humoristiques sont du registre pince-sans-rire) l’occasion de rendre hommage à Raymond Poulidor, disparu la veille, et de rappeler que lui, le saxophoniste, a partagé la scène avec Yvette Horner, icône conjointe de l’accordéon et du cyclisme. Suivront des musiques de Bizet, Tony Murena (la valse Passion, l’envers méconnu d’Indifférence), et Duke Ellington. Le tout traité avec une grande liberté (mais en toute créativité), un sens infini de l’expression la plus intense (sans jamais sombrer dans l’émoi démagogique), et une virtuosité confondante qui jamais n’étouffe la musique. Ce sera encore le cas avec un composition de Didier Ithursarry où plane la mémoire des rythmes de Stravinski ; et encore dans le rappel, après que le public a répondu à un choix alternatif. Pour accéder au désir du public ce sera donc une danse balkanique, sur un tempo d’enfer et des rythmes impairs à faire blémir les plus chevronnés : mais les deux compères sont des orfèvres, et nous sommes épatés, subjugués, et ravis. Un duo que l’on devrait entendre sur toutes les scènes ; avis aux programmateurs !

 

©Maxim François

GÉRALDINE LAURENT ‘Cooking’ invite BAPTISTE TROTIGNON

Géraldine Laurent (saxophone alto), Baptiste Trotignon (piano), Yoni Zelnik (contrebasse), Donald Kontomanou (batterie)

Nevers, Théâtre municipal, 14 novembre 2019, 18h30

 

Le quartette arrive sur scène après une longue journée : répétition dès le matin, car Baptiste Trotignon remplace Paul Lay, retenu par un engagement antérieur auprès d’Éric Le Lann. Puis à 14h concert découvert pour les scolaires. Mais à 18h30 ils sont là, pleins d’énergie et de passion musicale. Le répertoire est celui du disque récemment paru («Cooking», Gazebo, l’autre distribution). Dès le début avec Next, on est à fond, dans l’engagement total, mais avec cette attention superlative de chacun : la nuance existe dans cet univers de folie et d’excès. Baptiste Trotignon, avec qui Géraldine Laurent souhaitait partager la scène, est totalement investi. Il apporte au fil du concert, dans cet univers où l’urgence dicte l’intensité, des moments de grâce et de tempérance qui font un instant basculer la musique sur la rive de la méditation. Comme toujours l’interaction est totale avec Yoni Zelnik et Donald Kontomanou et chaque thème, qu’il soit valse, ballade ou déboulé furieux, fait entendre le meilleur de chacune et de chacun. Dans Room 44, Baptiste nous octroie un stop chorus d’anthologie, dont il s’évade prestement pour rejoindre la rythmique. En rappel, ce sera le seul standard du CD : You And The Night And The Music. D’un bout à l’autre Géraldine Laurent est impériale, mais en toute modestie, comme le reflètennt ses chaleureuses présentations. Décidément, Géraldine Laurent est un figure majeure de cette musique dans notre pays : il suffit de l’écouter dans l’expressivité maximale d’une ballade comme dans les multiples digressions de ses solos. Comme Rollins (qu’elle adore) elle digresse, mais en toute cohérence ; pas de remplissage, rien que de la belle et bonne musique. Chapeau !

 

©Maxim François

Stéphane Oliva pendant la balance

TRIO OLIVA/BOISSEAU/RAINEY ‘Orbit’

Stéphan Oliva (piano), Sébastien Boisseau (contrebasse) Tom Rainey (batterie)

Nevers, La Maison (de la culture….), grande salle, 14 novembre, 20h30 

©Maxim François

Plaisir de retrouver ce trio, que j’avais écouté en mai dernier lors d’un concert ‘Jazz sur le Vif’ à la Maison de la Radio (chronique en cliquant ici) à la sortie du disque («Orbit», Yolk Records/l’autre distribution). Le trio a pris du corps, le jeu collectif s’est encore développé, l’interaction s’est intensifiée.

©Maxim François

C’est sensible notamment à partir du troisième ou quatrième titre, une composition de Marc Ducret, dont les méandres rendent périlleuse toute initiative. He bien c’est gagné ! Cela se confirme avec Around Ornette et Spirale, qui évoquent Ornette Coleman et tournent autour de Turnaround. Et l’intensité ne sera jamais démentie jusqu’en fin de concert. Public très réceptif et enthousiaste : enthousiasme ô combien justifié….

 

©Maxim François

ORCHESTRE NATIONAL de JAZZ

‘Dancing in your Head(s), la galaxie Ornette’

Frédéric Maurin (direction artistique, guitare électrique), Fred Pallem (orchestration), Jean-Michel Couchet (saxophones alto & soprano), Léa Ciechelski (saxophone alto, flûte), Julien Soro (saxophone ténor), Fabien Debellefontaine (saxophone ténor, flûte, piccolo), Morgane Carnet (saxophone baryton), Fabien Norbert & Susana Santos Silva (trompettes, bugles), Mathilde Fèvre (cor), Daniel Zimmermann (trombone), Judith Feldstein (trombone basse), Pierre Durand (guitare électrique), Bruno Ruder (piano électrique), Sylvain Daniel (guitare basse), Rafaël Koerner (batterie)

Nevers, La Maison (de la culture….), grande salle, 14 novembre, 22h30

 

Là encore je retrouve un groupe et un programme entendus au printemps dernier : j’étais en avril au festival Banlieues Bleues pour la création. L’orchestre était tout neuf, la musique rôdée en répétition, et si le concert sut me séduire, c’est que le sujet et l’enjeu (les enjeux : nouvel ONJ, Ornette) me touchent profondément. Cette fois on est à maturité : les arrangements ont évolué, la cohésion est parfaite, et à l’intérieur de ce cadre bien installé la liberté de chacune et de chacun est assumée avec art. Le programme traverse la ‘Galaxie Ornette’ (Julius Hemphill, Eric Dolphy, Tim Berne), et l’on plonge dans Ornette, de l’inoxydable Lonely Woman (plus convaincant qu’au printemps) à l’ électrique album «Dancing in your head». Au passage, un détour allusif à une chanson française des années 40, et le tour est joué. Nous avons été séduits, et même conquis, par la qualité de l’orchestre, et de ses solistes : Susana Santos Silva, Daniel Zimmermann, Léa Ciechelski (qui remplaçait Anna Lena Schnabel), Jean-Michel Couchet, Julien Soro…. mais on pourrait poursuivre la liste ! Belle conclusion de soirée, et avenir prometteur pour l’ONJ.

Xavier Prévost