Jazz live
Publié le 15 Juil 2021

Jazz à Luz 2021 : Jour 3

Jazz à Luz fête comme il se doit ses 30 ans d'existence.

Dimanche 11 juillet 2021, Luz-Saint-Sauveur, Jazz à Luz, Verger, 11h00

Lise et Liza

Lise Barkas, Lisa Käuffert (cornemuses)

Depuis quelques années, le festival de Luz accorde toujours une fenêtre à la manière dont les musiciens actuels s’emparent de la musique traditionnelle. Cette année le bâton s’est vu transmis à Lise et Liza. Ces deux cornemusiennes (jouant des cornemuses du centre de la France) qui ne se la racontent pas ont offert une remarquable prestation aux festivaliers.

Leur objet d’attention se porte principalement sur la mise en valeur de sons souvent négligés ou écartés dans les musiques traditionnelles, tels les micro-intervalles, les déphasages de hauteur, les effets de saturation, l’émission d’harmoniques, ou encore l’exploitation paradoxale des nuances les plus faibles de cet instrument tellement sonore. En ce sens, les habituelles imperfections devenaient de la sorte des bijoux précieux.

De plus, Lise et Liza ne négligent ni mélodie ni rythme. Joué en la éolien, la deuxième pièce fut remarquable à cet égard : tout en exploitant les ressources citées plus haut, les musiciennes entonnèrent une belle mélodie de leur composition sur un rythme de danse modéré quoiqu’affirmé, avant d’ornementer, d’abord, puis d’improviser à deux voix, l’intérêt étant de faire admettre des dissonances sans doute inacceptables dans un cadre traditionnel, et sans jamais d’ailleurs ne se concentrer que sur celles-ci. Après le troisième et dernier morceau, où leurs cornemuses sonnèrent parfois comme de la musique électro ou à la manière d’un sax free hurleur (mais sans pour autant la moindre trace d’expression de violence), le duo reçut une ovation méritée. Mon coup de cœur du festival !

 

Dimanche 11 juillet 2021, Luz-Saint-Sauveur, Jazz à Luz, Parc de l’Hôtel Le Chili, 14h00

Xavière Fertin solo

Xavière Fertin (cl, bcl)

Au lieu d’une grande déambulation dans les montagnes, Jazz à Luz a fait le pari du petit circuit lent cette année, donnant aux festivaliers le temps de se déplacer, de s’installer, de discuter : Autre forme de convivialité, moins sportive, mais non moins plaisante ! À Xavière Fertin dévolue le premier des deux solos de l’après-midi. Placée à la marge d’un mini-golf, la prestation de la clarinettiste ramène sur le tapis la question de l’improvisation totale en solo. On sait la réponse de Derek Bailey pour qui une telle forme d’improvisation n’est envisageable qu’en groupe, l’échange en interaction avec les autres lui donnant tout son intérêt.

Il se pourrait pourtant qu’en solo le projet ait aussi du sens – en tout cas de l’avenir – dans le cadre du plein air. Des sons arrivent de partout, et il semble que la clarinettiste ait pris en compte cet environnement sonore pour proposer/poser son discours sur ce fond diffus : des feuilles mises en mouvement par le vent, quelques voitures qui passent sur la route au loin, le bruissement doux de la rivière en contrebas, une personne qui se mouche. La musicienne ne reprend « textuellement » que peu souvent tel ou tel objet sonore à la volée, préférant présenter généralement les siens propres, exploratoires. Elle les inscrit cependant remarquablement dans le cadre ouvert du jardin. D’une certaine manière, son discours s’y voit ainsi tout à la fois colorisé et parfois stimulé.

 

Dimanche 11 juillet 2021, Luz-Saint-Sauveur, Jazz à Luz, Thermes Luzéa, 15h30

Louis Siracusa solo

Louis Siracusa (cb)

Second solo de l’après-midi, Louis Siracusa (fils de Gérard) se voit placé dans l’écrin acoustique du hall des thermes centenaires. Après une courte improvisation qui lui permet d’effectuer son accordage, le contrebassiste s’ingénie à jouer une Partita pour flûte de Bach transcrite pour contrebasse où, en dépit de l’accordage, les défauts de justesse gâtent le plaisir de l’écoute. Encore une courte improvisation transitoire, et le voilà qui exécute la Sequenza XIVb (transcrite cette fois du violoncelle vers la contrebasse) de Luciano Berio. Les effets sont impressionnants, la technique nécessaire superlative, mais pour un résultat peu enthousiasmant. À la décharge du musicien, beaucoup de bruits parasites (cloches de l’église, l’eau coulant des fontaines des thermes, chutes de divers objets, babils d’un bébé, etc.) durent sans doute perturber la grande concentration nécessaire à la bonne réalisation d’une telle partition.

 

Dimanche 11 juillet 2021, Luz-Saint-Sauveur, Jazz à Luz, Quartier Saint-Sauveur, 17h00

Les Astragales

Timothée Quost (tp, électronique), Pierre Julliard (électronique)

Planté au milieu du jardin d’un magnifique gîte, le cadre se voit délibérément investi par Pierre Julliard, à base de sons aquatiques et de cloches, ou du moins des sons évocateurs. Ainsi lorsqu’un criquet se met à striduler avec puissance, l’électroacousticien lui fait réponse en diffusant des sons de grenouilles amazoniennes. Timothée Quost bouscule le quasi panthéisme qui aurait pu s’installer par des sons aux éthos opposés : impacts, couinements, crissements amplifiés d’opinel frotté sur le cuivre de sa trompette, etc. Cette opposition apparente entre acoustique et électronique, entre sons concrets et sons créés se retrouve dans le jeu des intensités, le premier souvent a minima quand l’autre peut jouer très fort.

Or, si l’un se place en perturbateur face à un partenaire qui semble dérouler un tapis sonore, le duo obtient de la sorte une complémentarité qui me fait songer au dernier livre qu’Alexandre Pierrepont a présenté durant le festival, Chaos, cosmos, musique (éditions MF), un ouvrage où il rappelle les vertus du « principe de complémentarité contradictoire » (p. 69).

 

Samedi 10 juillet, Luz-Saint-Sauveur, Jazz à Luz, Verger, 20h00

Ogre

Annoïe-Anne Roy (vx, effets), Olivier Hernandez (elg), Fabrice Nardou (elb), Julien Gefflot (dr).

Le festival Jazz à Luz louvoyant sans cesse avec les frontières, aurait-il enfanté pour une part le groupe local Ogre ? Sur fond de rock voire parfois de punk, leurs performances se voient métissées de rythmiques africaines par exemple. Très bien construite, très efficace, leur musique comporte aussi comme originalité l’usage d’une langue non-reconnue (par moi en tout cas), pourquoi pas inspirée du Zeuhl de Magma ? Peu de prises de risque, mais tel n’est pas leur propos !

 

Dimanche 11 juillet, Luz-Saint-Sauveur, Jazz à Luz, chapiteau, 22h30

Le Un

Sophie Agnel (fl à bec), Claire Bergerault (vx, acc), Soizic Lebrat, Aude Romary (vlle), Camille Emaille, Benoît Kilian (perc), Amanda Gardone, Rozemarie Heggen, David Chiesa (cb), Anouck Genthon, Mathieu Werchoswski (vl), Natacha Muslera (vx), Pascal Battus (surfaces rotatives), Benjamin Bondonneau (cl), Patrick Charbonnier (tb), Michel Doneda (ss), Bertrand Gauguet (as), Lionel Marchetti, Jérôme Noetinger (électroacoustique), Jean-Luc Petit (ss, ts), Michel Mathieu (action), Pierre-Olivier Boulant (son), Christophe Cardoen (lumières).

Chaque année, les festivaliers se déchirent autour d’un concert en particulier. Il y a quelques années, ce fut autour de la prestation de Craig Taborn, et avant les confinements sur le concert de l’ONJ en hommage à Ornette Coleman. Cette année, le concert sous le chapiteau du Un partagea les auditeurs. Cela sans doute parce que la prestation en plein air de la vingtaine de musiciens une journée plus tôt avait fait quasi l’unanimité.

Cette fois, la disposition scénique frontale, les travers perçus par les spécialistes de l’improvisation collective libre, les éclairages, les actions parfois datées de Michel Mathieu, tout cela et bien d’autres choses encore alimentèrent les débats.

Pour ma part, et à contre-courant (involontairement) de la tendance générale, je dois avouer avoir préféré le concert à la performance en plein air. Certes, j’ai trouvé un peu longue (1h30 non-stop) la prestation du soir, mais j’en retiens avant tout des textures inédites, proprement inouïes – en dépit du fait que la démarche et les résultats m’ont renvoyé à des précédents historiques, comme par exemple le grand ensemble d’Alan Silva.

Impossible de tout écouter, et comme en plein air, il s’agit alors pour l’auditeur de passer d’une écoute globale le plus souvent floue à une écoute ciblée qui localise des événements épars. Des petits ensembles au sein de la grande formation constituent ainsi autant de strates sonores qui entrent en interaction, supplantent les autres, se dissolvent. Parfois, l’électronique domine, ce qui modifie radicalement le son général. Des drones s’installent que submergent des éclats, et l’on songe ainsi parfois au titre de Boulez …explosante-fixe…. L’intérêt repose bien évidemment sur les évolutions de la texture générale, fourmillante, morphante.

Au fond, le résultat fascine en ce sens qu’il témoigne d’une musique autrement inimaginable, que seul le processus de l’improvisation totale permet, l’écriture étant sans doute à jamais incapable de produire un tel résultat.

Même si chaque auditeur ressent la musique du Un à sa manière, nécessairement singulière, il y a tout de même des topoï culturels intégrés qui agissent sur chacun d’entre nous. Et ce soir, ce qui domine ce n’est pas la sérénité. Avec l’aide des effets de lumière et des actions folles de Michel Mathieu, une évocation possible pourrait être celle de quelque centrale nucléaire en alerte. Du moins depuis les Thrènes pour les victimes d’Hiroshima de Penderecki (cf. les techniques employées par les cordes), certains signaux sonores renvoient-ils à de telles images, comme les sons de larsen, les cris, les clusters, etc. Seraient-ce là quelques effluves de l’air du temps ?

 

Ludovic Florin