Jazz live
Publié le 27 Fév 2020

La légende de Naclia

 

Samedi soir, Fred Couderc, Cédric Baud, Leila Soldevila, et Sabrina Romero nous conviaient à un voyage par-delà les continents et les univers musicaux, un voyage au mystérieux nom de code : Naclia…

 

 

 

Fred Couderc (flûte traversière, gemshorn, pivanes, ney, bansouri, os), Cédric Baud (guitares), Leila Soldevila (basse), Sabrina Romero (chant et percussion), Péniche Anako, 21 février 2020

A quoi servent les légendes ? A endormir les enfants, c’est entendu, mais aussi à inspirer les musiciens. Au cours de sessions d’improvisations qui ont fourni la matière d’un disque, Fred Couderc et ses amis se sont racontés une histoire simple, celle de Naclia, jeune fille ayant survécu à l’engloutissement de son île et cherchant, partout dans le monde, à retrouver d’autres habitants de son pays natal qu’elle appelle en chantant. Dans cette légende on reconnaît quelques morceaux d’Atlantide, des bribes de réchauffement climatique, un parfum de chant des sirènes. Pourquoi ces musiciens confirmés ont-ils eu besoin de se réchauffer à cette légende ? Peut-être, d’abord, pour se rapprocher eux-mêmes : car ces musiciens n’avaient pas vocation à se rencontrer tant ils viennent d’horizon musicaux et géographiques différents (en caricaturant pour faire vite : le straight jazz pour Fred Couderc, le flamenco pour Sabrina Romero, la musique africaine pour Cédric Baud, la musique classique, la musique du monde pour Leila Soldevila).

Quand on arrive sur la scène de la péniche Anako, l’impression visuelle est étonnante : Cédric Baud est retranché derrière une forêt d’instruments à cordes (au cours de la soirée il jouera de la guitare électrique, de la guitare folk, du saz basse, du sitar électrique, de la guitare soprano, de la guitare accoustique…). Quant à Fred Couderc il prépare sa batterie d’instruments traditionnels en tous genre : cornes de koudou, de bouc, de bovidés divers. Cela ressemble à un atelier de musicien, mais aussi un peu, si on a l’esprit mal placé, à un étal de boucher…

Grâce à tous ces instruments, la soirée prend des allures de tour du monde, et nous emmène dans une sorte de voyage initiatique passant par le Maghreb, l’Afrique, l’Inde, la Chine. Cependant, les musiques de ces différentes contrées ne sont pas jouées au premier degré, mais plutôt de manière allusive, pour définir des climats poétiques variés. Assez vite on constate que le groupe se structure en points fixes et points mouvants.

 

 

 

Parmi les points fixes, on note -puisque le chant est matière première de la légende de Naclia-le rôle central de Sabrina Romero, qui fait rayonner cette intensité vocale si caractéristique du flamenco, tout en apportant aussi beaucoup au groupe en tant que percussionniste (elle joue du cajon, cette percussion argentine chevauchée comme un tabouret, dont le son rappelle un peu le djembé).

 

L’autre point fixe est Leïla Soldevila, avec cette manière de donner la pulsation qui oriente en même temps chaque morceau vers une certaine intériorité. Deux point fixes, et deux points mouvants : le nomade Fred Couderc et le vagabond Cédric Baud qui parcourent le monde à bord de leurs instruments à cordes et à cornes. Le miracle étant que malgré toutes ces couleurs sonores différentes, la musique, loin de s’éparpiller, garde une unité reposant sur des mélodies épurées et un lyrisme débarrassé de tout superflu. Fred Couderc est remarquable dans ce registre. On comprend très vite que ces instruments traditionnels dont il s’est entouré sont tout sauf des gadgets. Leur tonalité et leur registre étant limités, ces flûtes en tous genres, et ces cornes d’animaux variés lui permettent d’aller encore plus loin dans l’épure. Il faut être un grand musicien pour faire de ces contraintes une vertu. Frédéric Couderc livre des mélodies et des improvisations simples, fraîches, bouleversantes.

 

A la flûte traversière, son propos reste dans cette ligne esthétique, avec des improvisations plus développées, et parfois une manière de chanter dans l’instrument qui rappelle Roland Kirk, une de ses divinités tutélaires.

 

A plusieurs reprises (et c’est aussi ce qui donne à la musique jouée ce soir cette profonde unité) ses improvisations (en particulier à la flûte) viennent s’enrouler dans la voix de Sabrina Romero, démultipliant l’impact de celle-ci, comme si elle devenait une lumière passant à travers un prisme. Avec ses différents instruments à cordes, Cédric Baud se révèle un remarquable modeleur de climats, à la fois poétiques et intenses.

 

A quoi sert cette légende de Naclia ? A laisser derrière soi les bavardages et les phrases convenues comme autant de peaux mortes. A retrouver en soi assez de naïveté et d’innocence pour se rappeler ce que peut la musique quand réalise la plénitude de sa vocation : enjamber  les murailles et les barbelés qui séparent  les êtres humains pour les relier, les réchauffer,  et peut-être même, les sauver.

 

Texte : JF Mondot

Dessins : AC Alvoët (autres dessins, peintures, gravures sur www.annie-claire.com)

PS: Naclia n’est pas seulement un voyage initiatique et poétique que l’on peut vivre en concert, c’est aussi un disque que l’on peut se procurer (Jazz Family distribution Socadisc)