Jazz live
Publié le 25 Mar 2018

Pablo Cueco, zarbiste oulipien

Pablo Cueco,  maître du zarb, percussion iranienne aux mille couleurs, a eu envie de parler de son instrument fétiche, dans une conférence oulipienne, désopilante, poétique, farfelue, inclassable et qu’il redonnera une dizaine de fois à la Comédie Nation d’ici au mois de mai. (Prochaines dates jeudi 29 mars et 5 avril, dimanche 1er et 15 avril)

Pablo Cueco (zarb, calembours, disgressions poétiques ) et une invitée Mirtha Pozzi (percussion), A la Comédie Nation, rue de Montreuil, 75020 Paris

 

Après avoir fait résonner son tambour auprès de grands musiciens de la musique contemporaine ou du jazz (Denis Colin, Sylvain Kassap, Claude Barthélémy…) Pablo Cueco a eu envie de soliloquer. Il s’est donc concentré sur son instrument de prédilection,  le zarb, dont il détaille le fonctionnement à la manière distanciée d’un zoologue se penchant sur les moeurs sexuelles du gypaète barbu.

Dans cette conférence pince sans rire, il détaille le fonctionnement du zarb, son volume d’air, la manière dont le son sort par le pied (qui est creux). Toujours impassible, il décrit les différentes sonorités de l’instrument: du « boum » (au centre de la peau) au « ta » (près du bord) au « ti » sur la tranche, sans oublier le « toun »à mi chemin entre le bord et le centre: « boum, ta ti toun », voilà de quoi bâtir un univers sonore…

Mais ce n’est pas tout, il y a aussi le rizz (ou roulement) ainsi nommé, relève Pablo Cueco, car il évoque « du riz qui coule entre les doigts »: « On différencie le rizz long (il joue) du rizz court (il fait la démonstration) et du rizz sec » précise Pablo Cueco. Et l’on comprend alors que si le zarb est son premier instrument, le calembour est certainement son deuxième…

La suite est de la même eau. C’est poétique, loufoque, inclassable. Et la musique n’est jamais oubliée. Pablo Cueco fait entendre des démonstrations de rythmes à 7,5, 3 …et 1 temps…Il montre comment le zarb peut se marier à la musique contemporaine (hilarante parodie de compositeur prétentieux) ou avec la chanson (il entonne « auprès de mon zarb je vivais heureux ») avant de se lancer dans un tango en espagnol vibrant, bouleversant, qui cueuille le public au moment où il s’y attendait le moins. 

La conférence oulipienne débouche sur trois magnifiques improvisations (chacune ayant une couleur bien particulière). A ce moment là, Pablo Cueco, habité, change de visage, et fait chanter ses tambours avec une absolue concentration. Magnifique. Je me dis en l’écoutant que le zarb est le plus littéraire des tambours: j’entends des phrases (composées, donc, à base de « toun », « boum » « rizz », ) dans la manière dont il construit ses improvisations. Et je comprends mieux les affinités entretenues par Pablo Cueco (et surtout sa complice la percussionniste Mirtha Pozzi) avec la poésie lettriste: quand on fait ainsi parler les tambours, il est logique de vouloir faire tambouriner les mots.

Mirtha Pozzi rejoindra d’ailleurs Pablo Cueco en seconde partie du concert pour un très beau duo (Pablo Cueco ayant alors délaissé le zarb pour le berimbau, sorte de canne à pêche qui chante ou plutôt qui psalmodie). En guise de rappel, il lira quelques textes de son père Henri Cueco, disparu il y a un an, bien connu des auditeurs de France Culture pour sa participation aux « Papous dans la tête » mais qui était surtout un grand peintre et un grand poète. Je ne dévoile rien de ces textes magnifiques d’Henri Cueco, lus par son fils. Un moment rare. La poésie souriante et malicieuse d’Henri Cueco vient couronner cette soirée où la musique et l’humour n’ont cessé de rappeler leurs affinités éléctives.

 

JFMondot