Jazz live
Publié le 10 Nov 2021

Retour sur les Voicingers 2021

Les Voicingers, c’est un projet un peu fou, une internationale de vocalistes née en Pologne. Leur réunion, chaque année dans des pays différents, donne lieu à des rencontres  inattendues…

Manu Domergue, Grzegorz Karnas, Marta Kloučková (voix), Mateusz Kolakowski (p), Vit Kristan (p), Alan Wykpisz (b), Grzegorz Mastowski (dm), Andras Des (percussions), 29 octobre 2021, Bal Blomet, 75015 Paris

 

Quelle belle idée : une internationale de vocalistes de jazz ! Elle vient du chanteur polonais Grzegorz Karnas. Il a construit ce projet brique après brique. La première édition a eu lieu dans sa région natale, la Haute-Silésie, en 2008. Aujourd’hui, une douzaine de pays sont partenaires. Le but  étant de multiplier les rencontres et les contacts, carburant  du jazz depuis toujours.

Cette année, c’est la France qui était le pays hôte. Des vocalistes et des musiciens venus d’Europe centrale (particulièrement de Tchéquie et de Pologne). Le vocaliste français Manu Domergue, qui a noué des liens fraternels avec Grzegorz Karnas, a organisé (avec quelques amis) la venue de tous ces musiciens (vocalistes, mais accompagnés de leurs bassistes et pianistes favoris). On imagine le temps passé, les montagnes soulevées, pour qu’une telle réunion soit possible. Finalement tout le monde est arrivé.

On remarquait bien chez Manu Domergue quelques cernes qui se creusaient de plus en plus au fil des soirées, mais pas assez pour refroidir son enthousiasme. Plusieurs soirées mémorables se succédaient, au Triton, au Sunside, à l’Espace Jemmapes, au Paris-Prague Jazz Club, merveilleux petit club de jazz situé au 18 rue Bonaparte, dans la cave du Centre Tchèque, et enfin au Bal Blomet pour la soirée finale.

Le trio de Grzegorz Karnas ouvre les débats. C’est ce vocaliste, ouvert à toutes les cultures (en plus de son excellent Français il parle  six ou sept langues) qui est à l’origine des Voicingers. Le voilà qui empoigne le micro, penché comme un boxer, se dandinant comme un ours pour marquer le temps, et avec les doigts qui remuent comme s’il manipulait les clefs d’un saxophone invisible. Malgré cette impression physique de puissance, son chant est délicat, comme l’a très bien décrit mon estimé collègue Pascal Anquetil, témoin des premières éditions des Vocingers : « Sa voix de ténor haute, douce, et légèrement nasale, mâchouille en toute sensualité féline un Polonais voluptueux mais mystérieux pour nos oreilles de Français ».

Il est accompagné d’un superbe-bassiste, un groove-man irrésistible du nom de Alan Wykpisz. Comme avec tous les grands bassistes, on a l’impression que la terre tourne autour de lui. Il fait des merveilles, y compris quand il accompagne la chanteuse Marta Kloučková. Sur le deuxième morceau, il est rejoint par Manu Domergue, chanteur-mellophoniste (le mellophone est une sorte de cor de marche, dont il est un des rares représentants en France).

Manu Domergue vient chanter Black Crow, de Joni Mitchell, une composition qu’il a souvent jouée avec son quartet Raven (elle figure sur son disque Chercheur d’orages (2014) autour de la figure du corbeau).  En dehors de leurs liens d’amitié, on note la belle alchimie vocale avec Grzegorz Karnas. Les deux chanteurs ont en partage l’intensité, mais qui se développe dans des régions différentes : Karnas, plus enraciné, Manu Domergue plus planant, plus fiévreux, mais tous deux en recherche d’extases et de miracles.

Les musiciens se succèdent, le concert devient une jam-session festive, il y a un très beau moment où tout le monde se retrouve sur The sound of silence, trois batteurs sur scène (dont l’exceptionnel percussioniste Andras Des qui sait le secret d’intégrer les percussions corporelles à son jeu de manière incroyablement naturelle), des pianistes, Manu Domergue chante les notes de la ligne de basse dans un style rappelant Bobby Mc Ferrin, et des interventions de Grzegor Karnas qui triturent le morceau, et l’emmène dans des directions inattendues aux confins de l’Afrique. Un Polonais attiré par l’Afrique : Avec les Voicingers, la seule géographie qui compte est celle des émotions.

Texte : JF Mondot

Dessins : AC Alvoët (autres dessins, peintures à découvrir sur son site www.annie-claire.com)