Jazz live
Publié le 11 Sep 2020

SOLAL SYMPHONIQUE : trois escales en répétition

Le concert est pour vendredi soir à la Maison de la Radio : trois concertos de Martial Solal par l’Orchestre National de France, avec des solistes choisis par le compositeur, et un chef parfaitement adéquat : Jesko Sirvend. Avec évidemment des répétitions les jours précédents, qui m’ont valu de découvrir (et dans certains cas de redécouvrir) ce répertoire.

Mardi 8 septembre 2020, le matin : répétition de l’ONF sans les solistes, lesquels veillent, à l’écoute, partition d’orchestre en main. On commence par le Concerto pour saxophone et orchestre. Il avait été donné en août 2019 au Festival de musique de chambre de Giverny, avec un petit effectif (12 cordes), Jean-Charles Richard (pour qui il a été écrit) aux saxophones, Denis Leloup au trombone ténor, plus marimba et batterie (chronique en suivant ce lien). Cette fois c’est un effectif imposant, avec une quarantaine de cordes. Le trombone est un trombone basse de l’orchestre, car Denis Leloup est au programme du triple concerto qui sera donné au même concert. Et un percussionniste de l’orchestre se partage entre vibraphone et marimba.

Assis dans les premiers rangs de la salle, Jean Charles Richard et François Merville (qui tiendra la batterie) suivent avec attention la partition d’orchestre. Jean-Charles est à la fois l’oreille du compositeur, qui lui fait toute confiance, et le soliste qui veille à l’écrin qui l’accueillera à la répétition du lendemain. Le chef est attentif à l’approbation du soliste délégué par le compositeur, les échanges sont brefs et nombreux pour exprimer un agrément mutuel. La violon solo soulève un point de lecture : la charte graphique de l’orchestre ne permet pas de reproduire exactement les détails d’écriture de la partition originale du compositeur, il a fallu adapter. Mais le soliste, approuvé par le chef, précise qu’à cet endroit c’est bien binaire, et non ternaire. Les codes supposés implicites du jazz peuvent être trompeurs, quand une partition symphonique est écrite par un jazzman.

L’orchestre va maintenant répéter le Concerto ‘Coexistence’ pour piano et orchestre, créé en 1997 par l’ONF et le Dodecaband de Martial Solal, lequel l’a remanié pour l’ONF seul, augmenté d’un batteur de jazz en la personne de François Merville. Et Martial a confié la partie de piano à Éric Ferrand N’Kaoua, concertiste qui a déjà joué plusieurs de ses œuvres, et avec qui également il a enregistré en duo de pianos. Le pianiste, et Jean Charles Richard, tous deux assis dans les premiers rangs de la salle, suivent avec grande concentration la répétition.

Jeudi 10 septembre 2020, le matin : je suis de retour dans le grand auditorium de Radio France pour le deuxième round des répétitions de l’Orchestre National de France avec les solistes. Ce matin, c’est le concerto Coexistence. Soliste et orchestre ont déjà œuvré la veille, et on déroule de grandes séquences, retravaillant parfois un détail. Le pianiste est un familier de l’univers de Martial ; et la musique coule de source. N’ayant qu’un très lointain souvenir de cette œuvre que je n’ai plus écoutée depuis sa création, je suis frappé par les couleurs et les contrastes. Pendant que le piano, très pianissimo, livre une mélodie presque chantante, les bois produisent des accords d’une formidable tension harmonique. Consonances et dissonances paraissent se livrer à une joute très ludique. On reconnaît dans les cordes ce lyrisme cher au compositeur (lyrisme très présent aussi dans le Concerto pour saxophone) ; Et dans les masses très contrastées des cuivres se mêlent des bouffées du Solal pour big band de jazz et des souvenirs du vingtième siècle français (Messiaen, Dutilleux….).

Éric Ferrand N’Kaoua est décidément le pianiste qu’il fallait pour cette partition. Je présage que Martial sera heureux au concert, auquel évidemment il assistera.

Pour le chroniqueur c’est l’heure de la pause dans sa cantine favorite, à deux pas de la radio, devant un verre venu d’Alsace où le pinot gris, assemblé à de l’auxerrois, ennoblit ce cépage sans prétention (mais pas sans charme). J’attends pour déjeuner, l’Amie Emmanuelle Lacaze, la Fée des émissions de jazz de France Musique sur l’organisation desquelles elle veille avec grand talent (Open Jazz, Banzaï, le Jazz Club, Les légendes du jazz….). J’ai travaillé avec elle pendant des années (bureau du jazz, concerts Jazz sur le vif, émission Le bleu, la nuit….). C’est toujours un grand plaisir de la retrouver dans cette radio où j’ai passé la plus grande partie de ma vie professionnelle (32 ans !). Après le déjeuner, j’ai comme toujours croisé une foule de personnes avec qui j’ai travaillé au fil des années, et j’ai musardé. Dans la grande galerie qui conduit du grand hall, côté Seine, à l’Agora, une exposition : j’ai scruté avec une attention gourmande les images des studios en rénovation.

Épaté par la vision du futur studio 107, je me suis penché pour examiner une photo d’archives : l’ancien 107, où j’ai souvent travaillé, et où mes Ami.e.s de France Musique m’ont improvisé une belle fête lors de mon dernier jour de travail dans la Grande Maison, fin octobre 2014.

L’entreprise n’avait pas prévu de pot de départ, mais les collègues et ami.e.s ont su pallier la défaillance du système. Chaleureux souvenir qui, comme beaucoup d’autres, fait que je reviens avec plaisir dans ces lieux où j’ai eu le bonheur d’exercer un métier que j’adorais.

Encore un coup d’œil à une photo du futur studio 106 : il n’aura plus cette grande baie vitrée qui permettait, depuis la cabine de prise de son, de voir la scène et la salle. J’y ai enregistré tant de musiques, fait tant d’émissions avec des groupes qui jouaient en direct : deux saisons de ‘Scène ouverte jazz’, chaque lundi, entre 1997 et 1999. Et aussi un été de ‘Retour aux standards’ où les pianistes, en solo, de René Urtreger à Alain Jean-Marie, en passant par le tout jeune Dan Tepfer, venaient taquiner le standard de jazz avec l’inventivité qu’on leur connaît. Et pendant que je m’épanchais en vieux souvenirs et anciens émois, j’ai croisé Denis Leloup et Jean-Paul Celea, qui venaient de terminer…. la répétition à laquelle je devais assister. Heureusement, ils m’ont dit qu’une heure plus tard environ, il faisaient avec Hervé Sellin une répétition de solistes. Dont acte, et pardon les gars pour ce manquement au devoir le plus élémentaire. On y revient dans quelques lignes.

Jeudi 10 septembre 2020, (bien) après midi : me voilà de retour dans l’Auditorium pour écouter le Concerto pour saxophone au complet : orchestre et solistes. C’est une manie chez moi, quand j’entends ce lyrisme là, entrecoupé de fractures rythmiques, je pense à Bartók ; et quand les fractures s’effacent, à Alban Berg. Je devrais peut-être consulter : «c’est grave Docteur ?». Il faudra que je pose la question au compositeur.

Là encore, on cultive l’expression, on peaufine amoureusement le détail. La musique m’accapare, je n’assiste plus à une répétition. Je suis déjà au concert.

Pendant que l’on installe près du piano le clavier de l’orgue (car à 17h il y a une répétition d’orgue), et que les régisseurs et techniciens libèrent le plateau, les trois solistes du Concerto pour trombone, piano, contrebasse et orchestre arrivent pour une mise au point de détails. L’œuvre a été créée en 1989 à Cologne, avec l’Orchestre Franco-Allemand pour la jeunesse, pour la radio publique Westdeutscher Rundfunk. Martial était alors au piano, Jean-François Jenny-Clark à la contrebasse, et Albert Mangelsdorff au trombone. Le compositeur a choisi pour reprendre cette partition Hervé Sellin, Jean-Paul Celea et Denis Leloup. On travaille les détails, des unissons acrobatiques, des mises en place périlleuses, on rectifie ici un bécarre, là une nuance. L’œuvre est vive, contrastée, les solistes de ce triple concerto n’ont pas loisir de chômer…. Quand c’est terminé pour le trio, Hervé Sellin reste encore sur le plateau pour affiner ses traits. Il me dit que, dès que Martial a évoqué la possibilité de reprendre cette œuvre, il s’était mis au travail. Martial, m’explique-t-il, écrit pour le piano comme s’il improvisait : il n’est d’autre choix que de tenter d’entrer, autant qu’il se peut, dans son univers. Hervé connaît bien Martial, avec qui il a même dialogué au piano. J’écris ces lignes au matin du concert, qui affiche complet. Bonne nouvelle : il devrait être diffusé sur France Musique le vendredi 9 octobre à 20h.

Xavier Prévost