Jazz live
Publié le 5 Déc 2021

Sophie Alour et le temps virtuose

Le nouveau trio de Sophie Alour s’appelle Le temps virtuose.

 

Sophie Alour (ténor, flûte), Guillaume Latil (violoncelle), Pierre Perchaud (guitare), L’Ecuje, 25 novembre 2021

Je ne connaissais pas l’Ecuje (Espace culturel et universel juif d’Europe, 119 rue Lafayette), qui s’est ouvert depuis peu au jazz avec une belle programmation signée Olivier Hutman. De petites tables rondes et espacées avec un éclairage doux, un charme délicieusement désuet, tout est prêt pour la musique.

Dans son dernier disque en sextet (avec Philippe Aerts, Damien Argentieri, Mohamed Abozekry, Donald Kontamanou, Wassim Halal) Sophie Alour musardait du côté de l’orient.

La voici de retour dans une formule plus dépouillée, et originale puisqu’elle s’est entourée d’un violoncelliste (Guillaume Latil) et d’un guitariste (Pierre Perchaud). Pour autant, il reste des parfums orientaux dans sa musique, en particulier lorsqu’elle est à la flûte.

Une musicienne au discours quintessencié dans une configuration épurée, est-ce que ce n’est pas austère ? Est ce que cela marche?

La réponse, dès le premier morceau, est oui. La musique n’est pas éthérée, mais au contraire bien charpentée. Grâce surtout au duo violoncelle-guitare, qui pose des bases rythmiques solides, vives, énergiques. Pierre Perchaud et Guillaume Latil, manifestement, s’entendent comme tenon et mortaise.

Leurs introductions propulsent le trio. A plusieurs reprises la saxophoniste, ravie, les a encouragés à faire quelques tours de manège supplémentaires juste pour le plaisir (le sien, le nôtre).

Guillaume Latil, en plus de son lyrisme, sait inventer des grooves entêtants (joués pizzicato le plus souvent) que Pierre Perchaud, guitariste-enlumineur vient enrichir de quelques notes lumineuses. La saxophoniste n’a plus alors qu’à s’installer sur ce tapis volant pour quelques solos délicats et tenus qui sont sa marque de fabrique. Chez elle, depuis longtemps, less is more, vieux principe que se chuchotent les musiciens, est une leçon acquise. Elle a quelques moments presque lesterien (sauf que ce n’est pas vraiment ça, le travail du souffle est différent, comme un filigrane) avec des échardes de violence. Dans un des morceaux joués au début du concert (Musique pour hommes), elle montre d’ailleurs qu’elle peut (si elle veut) jouer fort, vite, agressif. j’ai entendu ce morceau (mais peut-être me goure-je) comme une souriante mais ferme mise au point.

La saxophoniste a amené ses compositions fétiches (Sous nos cendres, En ton absence…) et puisé dans son sac quelques nouvelles qui sont du même calibre : Roulotte, Liturgie, ou encore Calfeutré dans les nuages, avec une  introduction à l’archet de Guillaume Latil, qui va chercher des nuances merveilleuses et inattendues dans le grave comme dans le medium, dans l’aigu).

Prenant la parole avec ce mélange de sincérité et d’humour pince sans rire qui la caractérise, la saxophoniste explique le nom de son nouveau trio, « le temps virtuose », avec l’idée simple (mais si juste) que « le vrai virtuose c’est le temps », qui façonne, affine, et modifie les musiciens.

Parfois la musique sent encore un peu la peinture fraîche. Mais on retient surtout les moments de grâce d’un trio qui se trouve se découvre, et invente à chaque morceau de nouvelles connections. Les trois musiciens ont en commun d’être pétris de délicatesse. Devant cette musique en train d’éclore et de déployer ses ailes, la saxophoniste ne cachait pas son émotion.

 

Texte : JF Mondot

Dessins : Annie-Claire Alvoët (autres dessins, peintures, gravures à découvrir sur son site www.annie-claire.com)